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Date : 20031107

Dossier : IMM-7984-03

Référence : 2003 CF 1303

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 NOVEMBRE 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX                             

ENTRE :

                                                                    MANGIT SINGH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Manjit Singh (le demandeur) sollicite un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise à son endroit jusqu'à ce que soit tranchée définitivement la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui vise la décision, rendue le 12 septembre 2003, par laquelle l'agente d'examen des risques avant renvoi (ERAR) Charbonneau a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]


Étant donné que les risques allégués par le demandeur ne sont pas objectivement identifiables selon la preuve documentaire consultée et l'analyse subséquente qui en a été faite, étant donné que le demandeur a une possibilité de refuge intérieur et des recours à sa disposition, et compte tenu de l'examen de tous les éléments de preuve soumis, je conclus qu'il n'y a qu'une simple possibilité que le demandeur soit exposé à de la persécution s'il retourne en Inde. Je conclus en outre qu'il n'y a pas de motifs sérieux permettant de croire qu'il serait soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[2]                 Le demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié qui a été refusée le 25 novembre 1998 pour des motifs de crédibilité. L'autorisation d'en appeler à la Cour a été refusée le 23 mars 2000.

[3]                 L'avocat du demandeur a soumis des observations écrites à l'agente d'ERAR. Il a réitéré le récit du demandeur qui faisait ressortir qu'il était un défenseur des droits de la personne en vue dans son village et que les policiers le soupçonnaient d'appuyer les militants.

[4]                 L'avocat du demandeur, dans ses observations écrites, a décrit longuement l'état des droits de la personne en Inde. Il a renvoyé à la décision Chahal rendue par la Cour européenne des droits de l'homme. Il a cité de la preuve documentaire sur les problèmes de l'impunité et de la torture au Pendjab.

[5]                 L'agente d'ERAR a examiné en détail les prétentions du demandeur. Elle a examiné et apprécié les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur (en particulier la lettre du Khalra Mission Committee et les lettres de l'épouse du demandeur et du chef du village) par rapport aux conclusions de la Section du statut de réfugié et aux prétentions du demandeur. Elle a accordé peu d'importance à ces nouveaux éléments de preuve et elle a préféré l'ensemble de la preuve documentaire.


[6]                 Elle a examiné des articles de journaux qui traitaient de la persécution et des mauvais traitements que les policiers faisaient subir au demandeur et à sa famille depuis 1990. Elle a déclaré qu'elle ne pouvait accorder aucune valeur probante à ces éléments de preuve parce qu'il s'agissait de photocopies d'articles originaux du Pendjab, que la source des traductions était inconnue et que ni les sources de ces articles ni les journaux dans lesquels ils avaient paru n'étaient mentionnés.

[7]                 Elle a conclu, pour des motifs qu'elle a expliqués, que le demandeur n'était pas un défenseur des droits de l'homme qui était très exposé à des risques sérieux et elle a mentionné que cette prétention n'avait pas été faite auparavant. Elle a conclu que les policiers n'avaient pas poursuivi le demandeur en le soupçonnant d'appuyer les militants, pas plus qu'ils le poursuivaient aujourd'hui. Elle a examiné la preuve documentaire sur l'évolution des activités militantes sikhes en Inde depuis 1985 et elle a fait remarquer qu'il semblait que le mouvement militant était [TRADUCTION] « presque complètement éteint » et que [TRADUCTION] « les arrestations arbitraires de personnes soupçonnées d'être des militants par les policiers avaient presque complètement cessé » .

[8]                 Dans le contexte de l'examen de la présente demande de sursis, il importe de rappeler ce que la Cour suprême du Canada a déclaré dans les arrêts Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] C.S.C. 1, et Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] C.S.C. 2, deux affaires dans lesquelles les appelants prétendaient qu'ils risquaient la torture en cas d'expulsion.

[9]                 La Cour suprême du Canada a statué qu'il fallait, avant d'examiner la question de savoir si les droits garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés sont en jeu, examiner la question préliminaire de savoir si le revendicateur court un risque sérieux de torture. La Cour suprême a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Suresh, précité :


¶ 39       Nous allons maintenant nous demander quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision de la ministre sur la question de savoir si le réfugié court un risque sérieux de torture en cas d'expulsion. Le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale qualifie cette question de question constitutionnelle dans la mesure où la décision d'expulser le réfugié vers un pays où il risque la torture doit en définitive respecter l'art. 7 de la Charte : voir Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, le juge La Forest; États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, 2001 CSC 7, par. 32. Comme il a été mentionné plus tôt, la question de savoir si M. Suresh court un risque sérieux de torture en cas d'expulsion est une question préliminaire. En l'espèce, la réponse à cette question dépend en grande partie des faits. Elle exige la prise en considération des antécédents du pays d'origine en matière de respect des droits de la personne, des risques personnels courus par le demandeur, de toute assurance que l'intéressé ne sera pas torturé et de la valeur de telles assurances -- et, à cet égard, de la capacité du pays d'origine de contrôler ses propres forces de l'ordre --, ainsi que de bien d'autres considérations. Il peut également comporter la réévaluation de la demande initiale du réfugié et l'examen de la question de savoir si un pays tiers est disposé à l'accueillir. Ces questions échappent en grande partie au champ d'expertise des tribunaux de révision et leur aspect juridique est négligeable. Nous sommes par conséquent d'avis que le tribunal de révision doit faire montre de retenue à l'égard de la conclusion concernant la question préliminaire de savoir si M. Suresh court un risque sérieux de torture, en tant qu'aspect de l'opinion générale formulée en vertu de l'al. 53(1)b). Le tribunal ne peut soupeser à nouveau les facteurs pris en compte par le ministre, mais il peut intervenir si la décision n'est pas étayée par la preuve ou si elle n'a pas été prise en tenant compte des facteurs pertinents. Il faut reconnaître que la nature de la preuve requise peut être limitée par la nature de l'examen. Cette conclusion est compatible avec le raisonnement de notre Cour dans l'arrêt Kindler, précité, p. 836-837, où on a fait montre d'une grande retenue à l'égard de décisions ministérielles mettant en cause des considérations semblables dans le contexte d'un contrôle constitutionnel, c'est-à-dire dans le cas d'une décision qui mettait en jeu l'art. 7. [Non souligné dans l'original.]

[10]            La décision de la Cour suprême du Canada constitue un contexte suffisant à la présente demande de sursis. La tâche de l'agente d'ERAR consiste en grande partie à vérifier les faits. Je suis conscient, cependant, que dans le contexte d'une demande de sursis, on ne demande pas à la Cour de trancher la question de savoir si le demandeur aurait gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire si une autorisation était accordée, mais plutôt de déterminer si la demande révèle une affaire qui n'est ni frivole ni vexatoire et si le demandeur subira, selon la prépondérance des probabilités, un préjudice irréparable (voir à cet égard l'arrêt RJR MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.


[11]            À mon avis, le demandeur n'a pas démontré qu'il existe une question grave à trancher. Toutes les erreurs mentionnées étaient des erreurs quant aux faits pour lesquelles on demandait à la Cour d'apprécier à nouveau la preuve et les conclusions de fait tirées par l'agente d'ERAR à l'égard du récit du demandeur et de la situation des sikhs en Inde.

[12]            L'avocat a renvoyé au rapport de 2003 d'Amnistie internationale (Amnesty International's 2003 Report) intitulé « India : Break the Cycle of Impunity and Torture in Punjab » . J'ai examiné ce rapport qui met l'accent sur les abus commis par les policiers lors des détentions. Le rapport reconnaît l'existence de signalements de cas de torture infligée de nos jours par des policiers du Pendjab en mentionnant toutefois que cela se produit moins souvent que durant la période d'opposition politique violente. Le rapport d'Amnistie internationale énonce que la torture se produit principalement dans deux contextes : lors d'enquêtes criminelles normales et à la suite d'arrestations illégales et arbitraires. Il reconnaît que les policiers utilisent souvent la torture ou des menaces de torture pour extorquer de l'argent. Il énonce que les cibles de torture ont en outre changé depuis le temps du militantisme lorsque les victimes des policiers étaient fréquemment des membres de la collectivité sikhe. Le rapport énonce que la majorité des victimes sont des détenus qui ont été arrêtés dans le contexte d'enquêtes criminelles et qu'elles incluent des membres de toutes les communautés religieuses et de tous les groupes sociaux. Il mentionne la vulnérabilité des femmes et il fait remarquer qu'il existe de nos jours pour les défenseurs des droits de la personne une situation différente de celle qui existait dans le passé.

[13]            Je ne vois pas de quelle façon ce rapport entache les conclusions de fait tirées par l'agente d'ERAR qui a examiné un certain nombre de rapports sur la situation en Inde.

[14]            Le demandeur n'a pas démontré l'existence d'un préjudice irréparable. L'affaire reposait en grande partie sur l'opinion que le demandeur avait à l'égard des conclusions de fait tirées par l'agente d'ERAR.

[15]            Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients joue en faveur du défendeur.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de sursis soit rejetée.

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-7984-03

INTITULÉ :              MANJIT SINGH c. MCI

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 3 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                     LE 7 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

STEWART ISTVANFFY                                                POUR LE DEMANDEUR

CAROLINE CLOUTIER                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                   POUR LE DEMANDEUR

1070, rue Bleury

bureau 503

Montréal (Québec)    H2Z 1N3

Téléphone : (514) 876-9776

Télécopieur : (514) 876-9789

Caroline Cloutier                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Complexe Guy-Favreau

200, boulevard René-Lévesque Ouest

Tour Est, 5e étage

Montréal (Québec)    H2Z 1X4

Téléphone : (514) 283-1822

Télécopieur : (514) 283-3856


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