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                                                                                                                              Date : 20020617

                                                                                                                          Dossier : T-230-02

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 684

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                          STEPHEN M. BYER

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                               SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                  défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

a.                     La défenderesse, dans la requête présentée conformément à l'article 369 et à l'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, sollicite la radiation de la demande modifiée du demandeur pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable.


b.                    Le 12 février 2002, le demandeur a déposé une déclaration dans laquelle il sollicitait à l'encontre de la défenderesse une réparation d'un montant de 2 950 000 $, plus les intérêts et les dépens, par suite des mesures qui avaient censément été prises par les préposés de cette dernière, plus précisément un ancien avocat du ministère de la Justice et une avocate qui travaillait alors au ministère de la Justice.

c.                     Le 2 avril 2002, le demandeur a signifié à la défenderesse et a déposé une déclaration modifiée et un avis d'une question constitutionnelle.

d.                    Je crois qu'il est utile de reproduire le paragraphe 24 de la déclaration modifiée du demandeur, qui indique à mon avis l'essence de la demande :

[TRADUCTION] Me Michel Lecours, procureur fédéral de la Couronne à la retraite, travaillant autrefois au ministère de la Justice du Canada, et Me Joanne Granger, procureure fédérale de la Couronne, qui travaille maintenant au ministère de la Justice du Canada, ont ensemble, par malveillance et sans apparence de droit, comploté pour que le demandeur soit accusé et poursuivi par le Barreau de Montréal, et ont ainsi violé la Constitution du Canada (1867) ainsi que les droits reconnus au demandeur par la Charte en ce qui concerne la sécurité de sa personne et le droit de ne pas être poursuivi lorsqu'aucune infraction n'a été commise, en vertu des lois du Canada, de la Charte canadienne des droits et libertés, (1982, ch. 11 (R.-U.), annexe B, L.R.C. (1985), appendice II, no 44) et de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., ch. C-12);

e.                     L'action intentée par le demandeur est fondée sur le présumé rôle que les procureurs Lecours et Granger ont eu en ce qui concerne l'introduction, par le Barreau de Montréal, de procédures pénales dans lesquelles le demandeur était accusé d'avoir illégalement exercé la profession d'avocat en violation des dispositions des alinéas 128.1b) et 133a), b) et c) de la Loi sur le Barreau, L.R.Q., ch. B-1.


f.                      L'examen de la déclaration modifiée montre clairement que la cause d'action invoquée contre la défenderesse se rapporte au « présumé complot » auquel ont participé deux préposés de cette dernière.

g.                     La défenderesse invoque deux arguments à l'appui de cette requête. En premier lieu, l'action intentée par le demandeur est prescrite. En second lieu, la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d'action valable et devrait être radiée.

h.                     Quant au premier argument, la défenderesse soutient que les événements allégués par le demandeur, à savoir le complot malveillant visant à faire accuser le demandeur par le « Barreau du Québec » , se sont de toute évidence produits avant que des accusations soient portées par le « Barreau de Montréal » le 12 mai 1997. La défenderesse affirme que le délai de prescription devrait commencer à courir à compter de cette date, à savoir le 12 mai 1997. Or, l'action ici en cause a été intentée quatre ans et neuf mois après cette date et elle est donc prescrite.

i.                       L'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 et modifications prévoit l'application des règles de droit provinciales en matière de prescription dans le cas de poursuites contre l'État :



32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

32. Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.


j.                      L'article 2929 du Code civil du Québec prévoit que l'action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an, à compter du jour où la connaissance en fut acquise par la personne diffamée. L'article 2925 du Code civil du Québec fixe le délai de prescription qui s'applique à tout autre droit personnel :


2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.

2925. An action to enforce a personal right or movable real right is prescribed by three years, if the prescriptive period is not otherwise established.


k.                    La défenderesse soutient que le délai général de prescription de trois ans s'applique en l'espèce et que puisque le [TRADUCTION] « présumé complot » sur lequel l'action est fondée s'est de toute évidence produit avant que lesdites accusations aient été portées, le 12 mai 1997, l'action que le demandeur a intentée le 12 février 2002 est prescrite.

l.                       Le demandeur affirme que le délai de prescription de trois ans n'est pas expiré puisqu'on lui a uniquement donné les noms des auteurs du présumé complot le 19 novembre 2001 par suite de la communication de tous les faits importants ayant donné lieu à l'introduction de poursuites pénales à son encontre.


m.                   Il n'est habituellement pas permis de radier une instance pour le motif qu'il y a prescription. En effet, il convient d'invoquer une plaidoirie fondée sur la prescription dans la défense et de débattre cette plaidoirie à l'audience. Exceptionnellement, la Cour a radié des demandes qui avaient été présentées après l'expiration du délai de prescription : « [...] lorsque la question de la date de la décision ou de sa communication au demandeur ne soulevait aucune question susceptible d'être débattue » : Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2001] A.C.F. no 104, en ligne : Q.L.; Jowanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 995, en ligne : QL.

n.                     En l'espèce, il existe à mon avis des questions défendables en ce qui concerne la prescription. Le demandeur affirme n'avoir appris que les préposés de la défenderesse étaient en cause et n'avoir été mis au courant des présumés mesures sur lesquelles il fonde sa cause qu'au moment où des précisions lui ont été fournies au sujet des poursuites. À mon avis, le moment auquel le délai de prescription de trois ans commence à courir est loin d'être suffisamment clair pour permettre le rejet sommaire de la demande pour ce motif.


o.                    Le demandeur affirme en outre qu'étant donné que les accusations portées au criminel contre lui sont encore en instance, il n'a pas encore subi de préjudice par suite des présumées mesures de la défenderesse, mais qu'il [TRADUCTION] « risque » néanmoins d'être déclaré coupable, ce qui pourrait avoir des répercussions sur ses droits personnels, notamment en ce qui concerne l'atteinte à sa réputation. Le demandeur affirme que tout délai de prescription devrait donc uniquement commencer à courir le jour où une décision définitive est rendue au sujet des accusations portées au criminel.

p.                    À mon avis, ce dernier argument est dénué de fondement. Les paragraphes 24 et 25 de la déclaration modifiée précisent que le demandeur [TRADUCTION] « a subi et risque de subir un préjudice par suite des mesures prises par la défenderesse » . L'argument invoqué par le demandeur est directement contredit dans sa propre déclaration modifiée.

q.                    Selon le deuxième argument invoqué par la défenderesse, la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d'action valable et elle devrait être radiée. Il est soutenu que la défenderesse n'est pas autorisée à engager des procédures criminelles contre qui que ce soit par suite du présumé exercice illégal de la profession d'avocat. Cette responsabilité incombe au Barreau du Québec, conformément à la législation provinciale. Il est donc soutenu qu'étant donné que la décision d'engager et de poursuivre des procédures contre le demandeur n'incombe pas à la défenderesse ou aux préposés de celle-ci, cela ne saurait servir de fondement à une cause d'action contre la défenderesse.


r.                      Le demandeur affirme que la défenderesse et ses préposés (Me Joanne Granger et Me Michel Lecours) [TRADUCTION] « [...] ont ensemble, par malveillance et sans apparence de droit, comploté pour que le demandeur soit accusé et poursuivi par le Barreau de Montréal » .

s.                     Il se peut bien que la décision de poursuivre le demandeur par suite de l'exercice illégal de la profession d'avocat n'incombe pas à la défenderesse. Toutefois, il est allégué que la défenderesse et ses préposés ont d'une façon malveillante comploté pour que le demandeur soit accusé. Le délit de complot exige une intention; il exige en outre qu'au moins deux personnes s'entendent pour accomplir un acte licite par des moyens illicites ou pour accomplir un acte illicite. L'allégation que le demandeur a faite à l'encontre de la défenderesse appartient à la première catégorie.

t.                      Au paragraphe 18 de la déclaration modifiée, le demandeur affirme que la lettre du 29 mai 1996 de Me Lecours est une [TRADUCTION] « [...] tentative écrite sérieuse et préjudiciable de la part de Me Lecours pour dénoncer le demandeur au criminel en ce qui concerne la nature du présent cas [...] » .

u.                     En outre, au paragraphe 20 de la déclaration modifiée, le demandeur déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] De toute évidence, un préposé de la défenderesse, à savoir Me Joanne Granger, a également jugé bon d'agir, avec la participation active de Me Michel Lecours, comme témoin principal du poursuivant, en tant que partie principale recommandant l'introduction de poursuites criminelles contre le demandeur, en sa qualité officielle de membre du comité sur les infractions du Barreau de Montréal dans le ressort provincial;


v.                     Au paragraphe 22 de la déclaration modifiée, le demandeur allègue que la défenderesse est responsable du fait d'autrui en ce qui concerne les mesures prises par ses préposés.

w.                   Les actes de procédure sont peut-être défectueux en ce qui concerne les précisions, mais aux fins d'une requête en radiation fondée sur l'absence d'une cause d'action, les allégations figurant dans les actes de procédure sont réputées être prouvées. En l'espèce, je suis d'avis que les insuffisances des actes de procédure peuvent être examinées dans le cadre d'une demande visant l'obtention de précisions.

x.                     Je conclus que la défenderesse n'a pas satisfait à l'obligation qui lui incombait d'établir hors de tout doute qu'il est évident et manifeste que l'action est vouée à l'échec : Hunt c. Carey Canada Inc. [1990] 2 R.C.S. 959 et Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

y.                     Pour les motifs susmentionnés, la requête sera rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                    La requête que la défenderesse a présentée conformément à l'alinéa 221(1)a) et à l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) en vue de faire radier la déclaration modifiée est rejetée.

2.                    Les dépens sont adjugés au demandeur, et ce, quelle que soit l'issue de la cause.

                                                                                                                 « Edmond P. Blanchard »                

                                                                                                                                                    Juge                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               T-230-02

INTITULÉ :                                                              Stephen M. Byer

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Ottawa (Ontario)

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                        le 17 juin 2002

COMPARUTIONS :

M. Stephen M. Byer                                                  POUR LE DEMANDEUR

M. Daniel Latulippe                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Stephen M. Byer                                                  POUR LE DEMANDEUR

254, rue Berlioz, app. 408

Verdun (Qc) H3E 1P9

M. Morris Rosenberg                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

BRQ -- Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque ouest

Tour est, 5e étage

Montréal (Qc) H2Z 1X4

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