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Date : 20031105

Dossier : IMM-5755-02

Référence : 2003 CF 1283

ENTRE :

                                                                    SEEMA WARNA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Les présents motifs découlent de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire tenue le 3 novembre 2003 à l'égard d'une décision rendue par la Section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié suivant le paragraphe 70(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration[1] (l'ancienne Loi). Dans la décision faisant l'objet du contrôle, la SAI a rejeté l'appel présenté par la demanderesse à l'égard de la mesure de renvoi prise à son endroit en tant que résidente permanente. Le motif d'appel invoqué par la demanderesse était que « [...] eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, [elle] ne devrait pas être renvoyée du Canada » . La décision de la SAI qui fait l'objet du contrôle est datée du 23 octobre 2002.

LES FAITS

[2]                 La demanderesse est citoyenne de l'Inde. Elle a vécu en Inde jusqu'à ce qu'elle s'établisse au Canada en juin 1998 sous le parrainage de son époux, Bhag Warna. Dans sa demande d'établissement au Canada présentée sous le parrainage de son époux, la demanderesse a mentionné qu'elle n'avait pas été mariée avant d'épouser Bhag Warna. En fait, elle avait été mariée à deux reprises et elle était divorcée. La mesure de renvoi prise à l'endroit de la demanderesse était fondée sur sa fausse déclaration selon laquelle elle n'avait pas été mariée antérieurement à son mariage actuel.

[3]                 Comme il l'a été précédemment mentionné, la demanderesse a interjeté appel de la mesure de renvoi prise à son endroit auprès de la SAI en invoquant les dispositions du paragraphe 70(1) de l'ancienne Loi. Ce paragraphe est rédigé comme suit :


70.(1) Appel des résidents permanents et des titulaires de permis de retour -

Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :

70.(1) Appeals by Permanent Residents and Persons in Possession of Returning Resident Permits - Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,


a) question de droit, de fait ou mixte;

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and           b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.


[4]                 La demanderesse n'a pas prétendu dans le contexte de son appel que la mesure de renvoi prise à son endroit comportait une erreur de droit, une erreur quant aux faits ou une erreur mixte de droit et de fait. La demanderesse appuie plutôt son appel seulement sur l'alinéa 70(1)b), soit sur le fait qu'eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.

[5]                 Les « circonstances particulières de l'espèce » invoquées au nom de la demanderesse devant la SAI étaient le fait que sa famille en Inde s'était liguée contre elle, le fait qu'elle n'avait aucun appui en Inde, le fait que la situation sociale et culturelle en Inde pour une femme divorcée comme elle l'était entraînerait son ostracisme, son humiliation et probablement le désespoir et la possibilité qu'elle subisse de la violence en Inde, et le fait qu'elle s'était passablement établie au Canada.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[6]                 La SAI a fourni un aperçu raisonnable de son rôle lors des appels interjetés suivant l'alinéa 70(1)b) de l'ancienne Loi dans des circonstances similaires à celles touchant la demanderesse. La Commission a écrit ce qui suit :


[TRADUCTION]

Les facteurs pertinents à l'exercice de la compétence lors de l'appel d'une mesure d'expulsion prise en raison d'une fausse déclaration touchent l'appréciation de l'intérêt de l'appelant à ne pas être renvoyé par rapport aux intérêts sociaux et à la protection contre les abus du régime législatif en matière d'immigration. Ces intérêts touchent généralement l'examen de facteurs comme ceux qui suivent :

·                 la nature de la fausse déclaration ou du non-respect d'une condition, selon qu'il s'agit d'un acte posé de façon intentionnelle ou par inadvertance;

·                 l'effet de la fausse déclaration ou du non-respect d'une condition, selon que l'appelant n'aurait autrement pas pu obtenir le droit d'établissement;

·                 la façon selon laquelle les autorités de l'immigration ont été informées de la fausse déclaration ou du non-respect d'une condition. L'appelant a-t-il fait une révélation de plein gré ou s'agit-il d'un renseignement qui a été révélé dans le contexte d'un engagement de parrainage?

·                 la rapidité avec laquelle les autorités canadiennes de l'immigration ont agi à l'égard de la fausse déclaration ou du non-respect de la condition après qu'elles en ont été informées;

·                 le temps passé au Canada et le niveau d'établissement de l'appelant au Canada;

·                 l'impact que le renvoi de l'appelant aura sur l'appelant et sur d'autres personnes;

[7]                 La SAI a conclu que l'appelante qu'elle entendait, en l'espèce la demanderesse, n'était pas un témoin crédible. La SAI a écrit ce qui suit : [TRADUCTION] « Elle était vague dans ses réponses et elle avait une mémoire sélective » . La SAI a en outre conclu que la fausse déclaration de la demanderesse était essentielle à son admission au Canada, que la demanderesse n'a pas reconnu que sa fausse déclaration était intentionnelle et qu'elle n'a pas révélé de plein gré le fait qu'elle ait fait une fausse déclaration.

[8]                 La SAI s'est alors penchée sur les facteurs favorables à la demanderesse. Elle a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le défendeur prétend que le fait que l'appelante ait fait une fausse déclaration et qu'elle ne le reconnaisse pas est un facteur défavorable dans le présent appel. Je partage l'opinion de l'avocat du ministre sur le fait qu'une fausse déclaration est un facteur défavorable dans la présente affaire. Cependant, je devrais également évaluer les facteurs favorables dans la présente affaire afin d'établir s'ils surpassent les facteurs défavorables. L'appelante est au Canada depuis trois ans et elle a travaillé de façon continue depuis son arrivée. [...] Cependant, l'appelante a déclaré qu'elle n'avait pas beaucoup d'amis et qu'elle ne participait pas aux activités de beaucoup d'organisations. Elle n'a pas déclaré d'actifs ou d'investissements importants au Canada. Je ne suis pas d'avis que ces facteurs font pencher la balance du côté de l'appelante.   

[Les renseignements à l'égard de l'emploi que la demanderesse occupait alors sont omis.]   

[9]                 La SAI a ensuite examiné le témoignage rendu par une experte appelée à témoigner pour la demanderesse. Elle a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]


En outre, l'appelante a demandé à la Dre Anuradha Bose de témoigner pour elle. Sur consentement des parties, la Dre Bose, une anthropologue, a été qualifiée de témoin expert en culture indienne. La Dre Bose a témoigné à l'égard de ce que vivrait probablement l'appelante si elle était renvoyée en Inde. Elle a déclaré que l'appelante serait exposée à de l'ostracisme, à de l'humiliation et probablement au désespoir. Elle a admis qu'elle avait rencontré l'appelante et que ses conclusions étaient fondées sur ce que l'appelante lui avait dit. Étant donné que le témoignage de l'appelante et son récit ne sont pas dignes de foi, je ne crois pas que la Dre Bose ait pu évaluer correctement l'appelante, pas plus que je ne vois comment elle aurait pu le faire, puisque je suis d'avis qu'elle ne lui disait pas la vérité. Quoi qu'il en soit, la Dre Bose a mentionné qu'il y avait des gangs dans le voisinage de l'endroit où vivait l'appelante à Calcutta et qu'elle pourrait être agressée si elle y retournait. Je ne crois pas cela du tout. Il s'agit de pures hypothèses qui sont fondées sur le témoignage, que l'appelante veut me faire croire, selon lequel son ex-époux avait engagé des individus pour lui faire du mal, témoignage que je n'estime pas être digne de foi. De toute façon, je reconnais que l'appelante subirait certaines difficultés si elle était renvoyée en Inde, mais elle pourrait, compte tenu de ses études et de son expérience, s'établir ailleurs en Inde si elle ne peut le faire à Calcutta. L'appelante a 36 ans et elle ne vit au Canada que depuis un peu plus de trois ans. On ne peut pas dire que l'appelante est une personne qui a eu une vie protégée sans aucune expérience étant donné que la preuve démontre qu'elle est indépendante et très capable de s'occuper d'elle-même. Je crois que l'appelante subirait un certain bouleversement si elle devait être expulsée du Canada et il s'agit d'un facteur que je prends en compte. Cependant, je ne peux pas conclure, en me fondant sur la preuve dont je dispose, que l'appelante sera persécutée ni qu'elle subira de la discrimination qui équivaut à de la persécution.                   [Non souligné dans l'original.]

[10]            Ainsi, la SAI a conclu [TRADUCTION] « [...] que les facteurs favorables dans la présente affaire ne surpassent pas les facteurs défavorables » et, par conséquent, elle a rejeté l'appel interjeté par la demanderesse. En tranchant ainsi, la SAI a donné l'assurance qu'elle avait examiné toute la preuve dont elle disposait.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]            Bien que dans son exposé du droit et des arguments l'avocat de la demanderesse ait énuméré trois (3) questions en litige, la première étant le rejet de la crédibilité de tout le témoignage de la demanderesse fait devant la SAI, il a mis l'accent, et selon moi à bon droit, sur les questions suivantes : premièrement, la question de savoir si la SAI a commis une erreur en interprétant de façon erronée le témoignage rendu par l'experte et en décidant ensuite de ne pas en tenir compte et, deuxièmement, la question de savoir si la SAI a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 70(1) de l'ancienne Loi en appliquant une norme erronée à l'expression « circonstances particulières de l'espèce » .


[12]            Devant la SAI, l'experte, qui avait des titres de compétence impressionnants et de l'expérience à l'égard de l'impact en Inde de la situation sociale et culturelle pour les femmes divorcées qui vivent sans époux et sans le soutien de leur famille, incluant de l'expérience en recherche sur la région de Calcutta où la demanderesse avait vécu, a témoigné à l'égard de son interaction avec la demanderesse. Aux questions du président du tribunal de la SAI, l'experte a répondu de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Q.            Que savez-vous de cette affaire? Je pense que ce serait une question plus large. Qu'est-ce qu'elle [la demanderesse] vous a dit à propos de cette affaire?

R.           Elle m'a dit qu'elle est venue dans ce pays et qu'elle avait des problèmes avec son époux. Je lui ai demandé quelle sorte de problèmes et elle a dit qu'il s'agissait de problèmes de violence psychologique. Ensuite, elle a dit qu'elle avait trouvé un emploi et qu'elle s'était établie. Je lui ai demandé où elle était née et lorsqu'elle m'a dit qu'elle était née à Calcutta je lui ai demandé où à Calcutta. Lorsqu'elle m'a dit dans quel secteur elle était née à Calcutta, j'ai dit que je connaissais ce secteur parce que j'avais fait des recherches près de l'endroit où elle est née. Je connais le secteur.

Ce n'est pas le genre de secteur où je suis née. C'est un secteur qui est sous la maîtrise de durs. Il y a beaucoup de gangs dans ce secteur et ces gangs ont des liens avec les partis politiques. On peut les corrompre avec une somme d'argent, une somme négligeable selon les normes canadiennes et on peut les engager pour faire du harcèlement. On peut les engager pour qu'ils soient de votre côté. En fait, certains d'entre eux ont travaillé pour moi; ils étaient en quelque sorte mes protecteurs quand je faisais mes recherches. C'est la façon selon laquelle les choses se passent dans ce secteur de la ville.

Q.             D'accord. A-t-elle mentionné autre chose à l'égard des mariages?

R.            Oui, elle a dit qu'elle avait déjà été mariée. J'étais surprise et je n'ai rien ajouté parce que ça ne me regardait pas vraiment le fait qu'elle ait déjà été mariée. Mais je comprenais effectivement la stigmatisation que cela entraînait.

Q.             Pourquoi cela ne vous regardait-il pas si vous êtes une experte en comportement, en mariages et en relations entre les hommes et les femmes en Inde et cette sorte de chose? Je pense que c'était pertinent, non?


R.             C'était pertinent, mais j'avais l'impression qu'il s'agissait d'une question très délicate et je ne voulais pas causer à une femme en détresse plus de détresse qu'elle en avait. Elle était de façon évidente en détresse lorsqu'elle est venue me voir.[2]

[13]            En réponse à une demande d'un résumé de ce que la demanderesse, selon sa situation, subirait si elle retournait en Inde, l'experte a conclu son témoignage de la façon suivante :

[TRADUCTION]

Un accueil très froid non seulement de sa famille, mais de la société en général dans le pays. Je pense que ce serait très difficile, et l'expression est très modérée, pour elle. Les membres de sa famille auraient honte. Ils auraient du ressentiment à son endroit. Ils ne voudraient pas la fréquenter. Si elle se rendait dans une autre ville, sa situation [dans cette ville] serait encore pire parce qu'elle ne saurait pas comment trouver du travail étant donné qu'elle n'aurait pas de réseaux ni de liens. Il serait presque impossible de trouver un endroit où habiter parce qu'il y a en Inde une pénurie grave de logements, comme vous le savez. C'est aussi une question de savoir si elle a les ressources nécessaires ou si elle aurait à sa disposition les ressources pour trouver un endroit où vivre. Même si elle avait les ressources, qui voudrait louer un logement à une femme seule? La stigmatisation sociale est importante. On s'attend des femmes qu'elles soient des filles, des épouses et des mères, et l'appelante n'entre pas dans l'une de ces catégories dans une ville inconnue. Même si l'Inde est un pays, c'est aussi plusieurs pays différents. La culture est si différente dans chacune des villes qu'il y aurait même une question d'adaptation culturelle. Je pense que ce serait effectivement très difficile.[3]


[14]            En toute déférence, je soumets qu'il n'existe absolument rien dans le témoignage rendu par l'experte devant la SAI qui ait pu être influencé par sa connaissance de la situation de la demanderesse, selon ce qu'elle a décrit à l'égard de son interaction avec la demanderesse. Le témoignage de l'experte était de nature générale et touchait la situation sociale et culturelle se rapportant à des femmes vivant en Inde des situations similaires à celle de la demanderesse. Il n'existe absolument rien dans le témoignage de l'experte qui s'appliquait à la situation particulière de la demanderesse. Le témoignage de l'experte dans la présente affaire est un témoignage d'une nature totalement différente de celui d'un expert ou de celui fondé sur des rapports de psychologues et de psychiatres, dont dispose souvent la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, à l'égard d'une situation psychologique ou psychiatrique particulière d'un demandeur et à l'égard de la probabilité que la situation résulte des expériences psychologiques ou psychiatriques du demandeur lui-même.

[15]            En outre, le témoignage de l'experte dans la présente affaire est totalement compatible avec la preuve documentaire dont la SAI disposait et qu'elle n'a pas tellement mentionnée sauf pour donner l'assurance qu'elle avait tenu compte de toute la preuve dont elle disposait.

[16]            Dans la décision Mylvaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], j'ai écrit ce qui suit au paragraphe 10 :

La SSR disposait de preuves documentaires nombreuses démontrant les difficultés auxquelles font face tous les jeunes Tamouls, en particulier ceux qui viennent du nord du Sri Lanka. Même en écartant carrément, comme elle l'a fait, les actes de persécution que le demandeur prétend avoir subis, elle ne paraît pas avoir, dans le raisonnement sur lequel elle appuie sa décision en l'espèce, nié le fait que le demandeur était bien un jeune Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. La SSR a accepté ce fait et ensuite écarté les preuves matérielles dont elle disposait selon lesquelles une personne comme ce demandeur risquait de faire l'objet de persécution s'il était obligé de retourner au Sri Lanka, qu'il pourrait donc fort bien avoir une crainte subjective d'être persécuté et que cette crainte reposait aussi sur une base objective réelle. La SSR n'a même pas envisagé cette possibilité et je suis convaincu qu'elle a pris sa décision sans tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. En fait, elle s'est tellement axée sur la crédibilité du demandeur et sur le rapport existant entre cet aspect et le rapport psychiatrique qui lui a été soumis qu'elle semble avoir écarté tous les autres éléments de preuve susceptibles d'être qualifiés de pertinents à la demande présentée par le demandeur.


[17]            Je suis convaincu que, selon les faits particuliers de la présente affaire, avec des modifications appropriées, on pourrait déclarer exactement la même chose. Le fait que la demanderesse soit divorcée ou séparée trois fois et qu'elle soit une femme vivant seule n'a pas été soulevé devant la SAI. Il semblerait en outre que le fait qu'elle n'ait pas le soutien de sa famille en Inde n'ait pas été contesté. La SAI disposait de « preuves matérielles » , non seulement sous la forme de documents mais aussi sous la forme d'un témoignage d'une experte fondé sur des études et des recherches et non sur la situation personnelle de la demanderesse, selon lesquelles une personne comme la demanderesse pourrait très bien subir des difficultés importantes si elle était renvoyée en Inde. La SAI a choisi effectivement de ne pas tenir compte de ces éléments de preuve. Je dirais, en paraphrasant l'extrait mentionné précédemment, que la SAI a « pris sa décision sans tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait » , éléments de preuve particulièrement pertinents à la situation de la demanderesse qui n'ont pas été jugés comme non crédibles. Je suis convaincu qu'en faisant cela la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle.

[18]            Je vais brièvement traiter de la deuxième question précédemment mentionnée. Dans le long paragraphe tiré des motifs de la SAI, paragraphe cité au paragraphe [9] des présents motifs, qui traite du témoignage de l'experte, la SAI a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[J]e ne peux pas conclure, en me fondant sur la preuve dont je dispose, que l'appelante sera persécutée ni qu'elle subira de la discrimination qui équivaut à de la persécution.                                                                  [Non souligné dans l'original.]


[19]            Selon le contexte en cause, la question n'était pas simplement la question de la persécution, mais plutôt la question de savoir si la demanderesse serait exposée à des difficultés importantes si elle retournait en Inde. L'appréciation de la question des difficultés importantes comporte un seuil moins élevé que celui de l'appréciation de la question de la persécution. Je suis convaincu que la SAI a fixé, à l'égard d'un facteur important penchant potentiellement en faveur de la demanderesse, un seuil trop élevé pour la détermination du risque de préjudice sérieux que pourrait subir la demanderesse si elle retournait en Inde. En agissant ainsi, elle a dénaturé l'appréciation des facteurs favorables et défavorables de la situation de la demanderesse à laquelle elle devait procéder. Je suis une fois de plus convaincu qu'en agissant ainsi la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle.

[20]            Dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5], M. le juge Iacobucci, rédigeant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit au paragraphe 84 :

Seule la S.S.R. a compétence pour déterminer qu'un individu est un réfugié au sens de la Convention. La S.A.I. ne peut pas le faire, et elle ne le fait pas non plus lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour autoriser un résident permanent frappé de renvoi à demeurer au Canada. Lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire, la S.A.I. n'applique pas directement la Convention de Genève 1951, qui protège les individus contre la persécution fondée sur la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social particulier et les opinions politiques. Elle examine plutôt une vaste gamme de facteurs, dont plusieurs sont étroitement liés à l'individu frappé de renvoi comme les considérations relatives à la langue, à la famille, à la santé et aux enfants. Même lorsqu'elle examine la situation du pays, la S.A.I. peut tenir compte de facteurs, comme la famine, qui ne sont pas pris en considération par la S.S.R. pour déterminer si un individu est un réfugié au sens de la Convention. Dans sa décision finale sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la S.A.I. soupèse ces préoccupations relatives à la situation à l'étranger par rapport aux considérations intérieures. En raison de cet exercice global de pondération, les protections offertes aux résidents permanents non réfugiés sont d'une nature différente de celles accordées aux réfugiés au sens de la Convention.

[21]            Je suis convaincu que l'extrait précédemment mentionné s'applique directement aux faits de la présente affaire.

CONCLUSION

[22]            Sur le fondement de l'analyse effectuée précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision qui fait l'objet du contrôle sera annulée et l'appel interjeté par la demanderesse à l'égard de la mesure de renvoi prise à son endroit sera renvoyé à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'il soit entendu et tranché à nouveau par un tribunal différemment constitué.

[23]            Ni l'un ni l'autre des avocats n'a proposé une question aux fins de la certification. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                           _ Frederick E. Gibson _            

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 5 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-5755-02

INTITULÉ :              SEEMA WARNA c. LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 3 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                     LE 5 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Michael Bossin                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Richard Casanova                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clinique juridique communautaire

1, rue Nicholas, bureau 422                                              POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]         L.R.C. 1985, ch. I-2.

[2]       Dossier du tribunal, à la page 000223.

[3]       Dossier du tribunal, à la page 000226.

[4]         [2000] A.C.F. no 1195 (QL), (C.F. 1re inst.).

[5]         [2002] 1 R.C.S. 84.


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