Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001128

Dossier : T-139-00

ENTRE :

JOHN CAJETAN DIAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]         Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi) contre la décision par laquelle le juge de la citoyenneté Pinel a rejeté, le 16 décembre 1999, la demande que le demandeur avait présentée en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne. Le demandeur John Cajetan Dias (le demandeur) sollicite une ordonnance portant qu'il remplit les conditions prévues au paragraphe 5(1) de la Loi aux fins de l'obtention de la citoyenneté canadienne.


[2]         Le demandeur est entré au Canada le 26 octobre 1994; il est devenu résident permanent le 16 mars 1995. Il a soumis sa demande de citoyenneté canadienne le 19 février 1998.

[3]         Le demandeur déclare s'être absenté du Canada pendant les périodes et pour les motifs ci-après énoncés :

Du

J/M/A

Au

J/M/A

Destination

Motif

Nombre de jours d'absence

26 octobre 1994

Canada

Arrivée à Toronto

0

2 déc. 1994

10 mars 1995

R.-U.

Immigration

Préparatifs

97

3 avril 1995

29 mai 1995

R.-U.

Travail autonome

55

2 juin 1995

4 juin 1995

É.-U.

Promotion de services de logiciel

2

2 juillet 1995

4 octobre 1995

R.-U.

Travail autonome

93

6 novembre 1995

24 janvier 1996

R.-U.

Travail autonome

78

4 mars 1996

22 mai 1996

R.-U.

Travail autonome

78

22 mai 1996

26 mai 1996

É.-U.

Travail autonome

3

1er juillet 1996

10 octobre 1996

R.-U.

Travail autonome

100

11 novembre 1996

31 janvier 1997

R.-U./Allemagne

Travail autonome

80

4 mars 1997

29 mai 1997

R.-U.

Travail autonome

85

30 juin 1997

28 août 1997

R.-U.

Travail autonome

58

15 septembre 1997

17 octobre 1997

R.-U.

Travail autonome

31

12 novembre 1997

28 janvier 1998

R.-U./France

Travail autonome

77

TOTAL

837


[4]         Le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur s'était absenté du Canada pendant 798 jours dans les quatre ans qui avaient précédé la date de sa demande et qu'il y avait été présent pendant 347 jours. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas satisfait au critère de résidence prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, selon lequel il faut avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté.

[5]         Le demandeur avance les faits suivants comme indices de résidence :

·            Il a établi sa première résidence à Kingston et, deux mois plus tard, il a centralisé son mode de vie au Canada en achetant une maison à Kingston;

·            Pendant qu'il était en dehors du Canada, la maison était complètement meublée et les frais des services publics, de câblodiffusion, d'enlèvement de la neige et d'entretien de la pelouse ainsi que les impôts fonciers ont été payés;

·            Il n'était pas locataire de la maison et il ne la louait pas;

·            Il avait un permis de conduire, un numéro d'assurance sociale, une carte d'assurance-maladie provinciale et un compte bancaire;

·            Ses absences étaient temporaires et involontaires car il travaillait pour son propre compte comme programmeur et conseiller en logiciel pour l'industrie aéronautique; or, la nature de son travail l'obligeait à se rendre sur les lieux;

·            Les parents de sa conjointe vivent au Canada;

·            Le demandeur et sa conjointe possédaient et dirigeaient une société canadienne (Zenner Aviation) pour laquelle ils payaient l'impôt sur les sociétés;

·            Zenner Aviation a établi des relations d'affaires avec cinq sociétés canadiennes;

·            Pendant qu'il voyageait en dehors du Canada, il logeait dans des hôtels.


LE POINT LITIGIEUX

[6]         Le juge de la citoyenneté Pinel a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[7]         Les questions qui sont mentionnées dans le mémoire des faits et du droit peuvent être résumées comme suit :

A. Le demandeur remplissait-il les conditions prescrites à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?


Le demandeur mentionne l'affaire Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.) à l'appui de l'argument selon lequel les absences temporaires du Canada ne l'empêchent pas de résider au Canada. Il mentionne la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Cheung, [1999] A.C.F. no 626, à l'appui du fait que [TRADUCTION] « c'est la qualité du lien avec le Canada qui doit être déterminée [...] [l]a durée des absences en soi n'est pas déterminante » . Il mentionne ensuite l'approche qui a été adoptée dans la décision rendue par Madame le juge Reed dans l'affaire Koo (1992), 59 F.T.R. 27 (C.F. 1re inst.). Dans la décision Koo, supra, l'approche qui a été adoptée consistait à savoir si le Canada était le lieu où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le juge Reed a proposé six questions sur lesquelles la Cour pouvait se fonder en vue d'arriver à une conclusion au sujet de la résidence.

Le demandeur mentionne l'affaire Ng (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 162 à l'appui de l'argument selon lequel ses absences temporaires et involontaires ne devraient pas être invoquées à son encontre et que la demande devrait être accueillie.

B. Le juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

Le demandeur mentionne la décision que le juge Lutfy (tel était alors son titre) a rendue dans l'affaire Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.) à l'appui de la proposition selon laquelle la norme de contrôle en matière de citoyenneté se rapproche de celle de la décision correcte. Le demandeur soutient essentiellement que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en mettant l'accent sur le nombre de jours pendant lesquels il était absent du Canada et en n'accordant pas suffisamment d'importance au fait qu'il a établi et maintenu sa résidence au Canada. Il affirme également que le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte d'éléments de preuve cruciaux comme le fait qu'il possédait et dirigeait une société canadienne (Zenner Aviation), qui payait l'impôt sur les sociétés. Zenner Aviation a établi des relations d'affaires avec cinq sociétés canadiennes.


Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a omis de tenir compte du fait qu'avant d'immigrer au Canada, il y avait fait de longs voyages d'affaires et d'agrément (entre 1976 et 1996). Il affirme que pendant ces séjours réguliers, il a apprécié et assimilé les valeurs canadiennes.

ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[8]         Le défendeur soutient que la période pertinente, aux fins de cet appel, va du 19 février 1994 au 19 février 1998, c'est-à-dire les quatre années qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté.

[9]         Le défendeur soutient que la jurisprudence existante montre clairement que le demandeur doit démontrer qu'il a initialement établi sa propre résidence au Canada au moins trois ans avant la date de sa demande de citoyenneté et qu'il y a maintenu sa résidence établie. Le défendeur affirme que si le demandeur n'établit pas une résidence avant de s'absenter du Canada, pendant la période de quatre ans qui précède la date de la demande, les conditions de la Loi ne sont pas remplies. Il ne s'agit pas d'un « cas extrême » comme dans l'affaire Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), dans laquelle les faits étaient inhabituels; ces faits ne s'appliquent pas en l'espèce. La jurisprudence récente a mis l'accent sur la nécessité d'une présence physique importante au Canada.


[10]       Selon le défendeur, le nombre élevé de jours pendant lesquels le demandeur n'était pas au Canada est un fait objectif qui montre que le demandeur n'a pas rempli les conditions de résidence. Le demandeur n'a pas démontré l'existence de circonstances exceptionnelles qui satisfont à ces exigences.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[11]       L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, est ainsi libellé :



5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a deportation order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

a) en fait la demande;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20.


Le paragraphe 14(5) prévoit ce qui suit :


14.(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

14.(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas_:

a) de l'approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.


[12]       Le demandeur a été présent au Canada pendant 37 jours avant sa première absence, qui a duré 97 jours.

ANALYSE ET DÉCISION

[13]       Selon une condition prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, la personne qui demande la citoyenneté doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.


[14]       Selon la jurisprudence de cette cour, on peut tenir compte dans certaines circonstances des périodes passées hors du Canada (les absences) aux fins du calcul du nombre minimum nécessaire de 1 095 jours de résidence. Les absences du Canada peuvent uniquement être considérées comme des périodes de résidence si, avant les absences, le demandeur a centralisé son mode de vie au Canada.

[15]       Selon les chiffres qu'il a fournis, le demandeur a été absent du Canada pendant 837 jours, mais le juge de la citoyenneté a conclu qu'il s'était absenté pendant 798 jours en tout dans les quatre ans qui avaient précédé la date de sa demande de citoyenneté.

[16]       Voici ce que le juge Dubé, de cette cour, a dit à la page 2 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté) c. Lo (22 janvier 1999), dossier T-1082-98 :

La présence physique au Canada tout au long de la période est moins essentielle lorsqu'une personne s'y est établie en pensée et en fait, ou y a conservé ou centralisé son mode de vie habituel. C'était le cas de l'étudiant dans l'affaire Papadogiorgakis (précitée), qui s'était établi en Nouvelle-Écosse avant d'aller étudier aux États-Unis.

Malheureusement, ce n'est pas le cas de l'intimée en l'espèce qui, de toute évidence, ne peut s'être établie au Canada en seulement sept jours.

Par conséquent, sa demande était prématurée. Maintenant qu'elle a complété ses études et qu'elle s'est établie à Vancouver, elle pourrait, au moment opportun, présenter une nouvelle demande de citoyenneté canadienne qui sera sans doute accueillie.

L'appel du ministre est accueilli.


[17]       J'ai conclu que le demandeur n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada pendant les 37 jours où il avait été au Canada avant de s'absenter pour la première fois du pays. Je ne suis donc pas prêt à tenir compte de ses périodes d'absence du Canada aux fins des conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Le juge de la citoyenneté n'a donc pas commis d'erreur en statuant que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi et en refusant d'attribuer la citoyenneté au demandeur. À mon avis, le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur, et ce, que l'on adopte comme norme de contrôle celle de la « décision raisonnable simpliciter » ou celle qui se rapproche de la norme de la « décision correcte » énoncée par le juge Lutfy (tel était alors son titre) dans la décision Lam, supra.

[18]       En tirant la conclusion à laquelle je suis arrivé, j'ai tenu compte des activités du demandeur au Canada, mais à mon avis, comme je l'ai déjà dit, il est presque impossible de centraliser son mode de vie au Canada en y résidant pendant 37 jours. J'ai également tenu compte du fait que le demandeur n'avait pas de résidence ailleurs qu'au Canada, mais à mon avis, pour qu'il soit tenu compte du temps passé en dehors du Canada aux fins du calcul du nombre nécessaire de jours de résidence(soit 1 095 jours), il faut établir que l'on a centralisé son mode de vie au Canada avant de quitter le pays.

[19]       Bref, la demande est prématurée; mais je ne doute pas que le demandeur deviendra un citoyen canadien lorsqu'il pourra remplir les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[20]       L'appel que le demandeur a interjeté est rejeté.


ORDONNANCE

[21]       IL EST ORDONNÉ QUE l'appel interjeté par le demandeur soit rejeté.

                     John A. O'Keefe                     

    J.C.F.C.

Toronto (Ontario)

Le 28 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        T-139-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         JOHN CAJETAN DIAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 22 NOVEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE EN DATE DU 28 NOVEMBRE 2000.

ONT COMPARU :

Marshall Drukarsh                                            POUR LE DEMANDEUR

Godwin Friday                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocats

121, rue King ouest

Bureau 2200

Toronto (Ontario)

Tél. : (416) 862-7880

Morris Rosenberg                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20001128

Dossier : T-139-00

ENTRE :

JOHN CAJETAN DIAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                               

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.