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Date : 20030218

Dossier : IMM-6391-02

Référence neutre : 2003 CFPI 196

ENTRE :

                                                               WEI QIANG HUANG

alias WAI KEUNG WONG

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Le demandeur, dans sa requête du 3 février 2003, demande que l'instance soit gérée à titre d'instance à gestion spéciale, en vertu de l'article 384 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]                 La gestion spéciale n'est pas systématiquement ou automatiquement accordée sur demande. Comme le juge en chef Richard l'a souligné dans Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1999), 179 F.T.R. 25, il faut qu'il y ait une raison sérieuse pour déroger à l'échéancier prévu par les Règles. Voici ce qu'il a écrit à ce propos :


La règle 384 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit qu'une partie peut, à tout moment, demander par requête que l'instance soit gérée à titre d'instance à gestion spéciale. Étant donné que la partie 5 prévoit un échéancier en vue de la mise en état expéditive des instances, pareille requête ne saurait être introduite systématiquement; il faut qu'il y ait une raison sérieuse pour déroger à l'échéancier prévu à la partie 5.

(page 32)

En l'espèce, le demandeur prie la Cour d'accueillir sa requête en gestion spéciale afin d'accélérer le règlement d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision interlocutoire par laquelle la Section d'appel de l'immigration a ajourné une audience. Cet ajournement prévu jusqu'au 10 mars 2003 a pour but de permettre au tribunal de déterminer si la cause du ministre peut être fractionnée afin qu'elle puisse être renforcée une fois toute la preuve versée au dossier.

[3]                 La nécessité de renforcer la cause du ministre est apparue parce que, comme le représentant du ministre l'a expliqué, même si le dossier du demandeur, notamment son affidavit, avait été signifié dans les délais prescrits, il n'avait pas saisi l'objet de l'affidavit jusqu'à ce qu'il en prenne connaissance le soir précédent. Bien que sa preuve ait été produite sous forme d'affidavit, le demandeur a également témoigné par téléphone de la Chine, principalement pour les besoins du contre-interrogatoire. Comme on peut s'y attendre, après nombre de questions posées au contre-interrogatoire et nombre de surprises, il est devenu essentiel de renforcer la cause du ministre.


[4]                 Il est inapproprié de fractionner une preuve pour plusieurs motifs dont j'aimerais discuter. Premièrement, la Section d'appel de l'immigration n'a pas encore décidé si elle autorisait la production d'éléments de preuve additionnels par le ministre; elle a seulement ordonné un ajournement afin qu'elle puisse se pencher sur cette question. Deuxièmement, la Section d'appel de l'immigration, aux termes de l'alinéa 175(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), « n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve » . Au contraire, en vertu du paragraphe 162(2) de la Loi, le tribunal fonctionne, « dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité » . Troisièmement, comme je l'ai fait remarquer au cours de l'audience, la transcription révèle que le représentant du ministre ne s'est pas comporté comme un officier de justice l'aurait fait et c'est seulement après avoir fait cette observation que j'ai été avisé que ce dernier n'était pas en réalité un avocat.

[5]                 Pour qu'il y ait une raison sérieuse d'accorder la gestion spéciale pour les besoins d'une mise en état expéditive du contrôle judiciaire à l'égard d'une décision interlocutoire, il faut, à mon avis, qu'il existe initialement des circonstances spéciales pour justifier l'intervention en contrôle judiciaire au stade interlocutoire de l'instance. La catégorie des circonstances spéciales est en l'espèce illimitée. Je désire faire ici référence à un passage de l'argumentation écrite du demandeur qui figure dans le dossier de sa requête :


Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d'une procédure d'appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent : la commodité de l'autre recours, la nature de l'erreur et la nature de la juridiction d'appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d'offrir un redressement). Je ne crois pas qu'il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.

L'avocat attribue cette citation au juge en chef Dickson dans Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'énergie, des mines et des ressources), [1989] 2 R.C.S. 49. Or, ces propos sont ceux du juge en chef Lamer dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, à la page 31 de la décision. Cette situation illustre bien le danger d'utiliser des citations incluses dans d'autres citations lesquelles figurent dans des versions non officielles des motifs communiqués. Quoi qu'il en soit, l'essentiel de tout cela est qu'il ne devrait pas avoir d'appel des questions interlocutoires, à moins de circonstances exceptionnelles. Ce principe est davantage illustré dans la décision Szczecka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333, où la Cour d'appel fédérale statuait sur une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision interlocutoire. La Cour d'appel, après avoir relaté une partie du contexte, a noté que l'instance devant la Section du statut de réfugié en était toujours, trois ans après la décision interlocutoire en question, au stade de l'objection préliminaire, sans aucune décision sur le fond. Elle a par ailleurs mentionné ce qui suit :


Voilà pourquoi il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer. [Un certain nombre de décisions jurisprudentielles ont été mentionnées.]

(page 335)

Dans la présente affaire, la circonstance spéciale invoquée est une allégation de partialité fondée sur le fait que la partialité est au coeur de la fonction même du tribunal, laquelle consiste à rendre des décisions impartiales.

[6]                 L'avocat du demandeur fait référence au critère de présentation d'éléments de preuve additionnels et soutient que, dans le cas d'un ajournement accordé en vue d'assigner un témoin, un critère similaire devrait être appliqué. Toutefois, en l'espèce, la Section d'appel de l'immigration n'a rendu aucune décision quant à savoir si des éléments de preuve additionnels pouvaient être produits. À cet égard, la demande est prématurée. C'est d'autant plus le cas que s'il était décidé, par suite de l'ajournement, que des éléments de preuve additionnels étaient recevables et que cette décision soit déterminante et contestable, le droit de demander le contrôle judiciaire de la décision finale résultante pourra toujours être exercé.


[7]                 Laissons maintenant de côté l'aspect prématuré de la demande pour aborder la question de partialité et voir ce qui a réellement mené à l'ajournement. La transcription nous amène à conclure qu'il est fort probable que le tribunal, plutôt que d'afficher de la partialité, s'est embrouillé dans de nombreuses questions, dont certaines auraient pu être écartées par le représentant du ministre, s'il avait été dans la position d'un officier de justice, pour éviter de mettre injustement l'avocat du demandeur dans l'embarras. Comme je l'ai mentionné, cela n'est pas, selon moi, de la partialité mais plutôt de la confusion, et peut-être des idées floues. Cela démontre également un certain manque de préparation de la part du représentant du ministre.

[8]                 La requête est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                                     « John A. Hargrave »             

                                                                                                                                                    Protonotaire                    

Vancouver (Colombie-Britannique)

18 février 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             IMM-6391-02

INTITULÉ :                                            Wei Qiang Huang alias Wai Keung Wong c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 17 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :    Monsieur le protonotaire John A. Hargrave           

DATE DES MOTIFS :                         Le 18 février 2003

COMPARUTIONS :

Ronald Pederson                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell                                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wong Pederson Law Offices                                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris A. Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

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