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Date : 20031016

Dossier : IMM-5448-02

Référence : 2003 CF 1198

Saskatoon (Saskatchewan), le 16 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                      TAN HIN LING

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande en vertu du paragraphe 62.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), et en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. Tan Hin Ling, (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire et l'annulation d'une décision d'un agent des visas (l'agent des visas), datée du 4 novembre 2002, qui a refusé sa demande de visa de résident temporaire au Canada (la demande).


HISTORIQUE

[2]                 La demanderesse a été invitée par sa cousine, Lisa Seeto, une citoyenne canadienne, à venir au Canada pour rendre visite à sa grand-tante, Mee Wah Seeto. Mee Wah Seeto est atteinte d'un cancer du poumon et est en phase terminale. Elle est dans un état dépressif et aimerait recevoir la visite d'un membre de sa famille d'origine chinoise. Pour différentes raisons, ses autres parents chinois sont dans l'impossibilité de venir au Canada. Lisa Seeto a fourni à la demanderesse un billet aller-retour entre la Chine et Toronto; copie de ce billet a été déposée avec la demande.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[3]                 La demanderesse a fait une demande de visa de résident temporaire pour une durée approximative de deux mois. Dans une lettre datée du 4 novembre 2002, l'ambassade du Canada à Beijing a dit que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences pour l'obtention d'un visa de visiteur. L'agent des visas a dit dans sa décision qu'il n'était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. Même s'il a tenu compte de la mission charitable que la demanderesse disait vouloir entreprendre, l'agent des visas a décidé qu'il y avait un risque élevé qu'elle demeure au Canada pour profiter des conditions économiques.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[4]                 La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2002, ch. I-2, paragraphe 2(1), énonce, en partie, ce qui suit :


179. L'agent délivre un visa de résident temporaire à l'étranger si, à l'issue d'un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l'étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

[...]

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

...

191. La catégorie des visiteurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents temporaires.

191. The visitor class is prescribed as a class of persons who may become temporary residents.

192. Est un visiteur et appartient à la catégorie des visiteurs l'étranger à qui une autorisation d'entrée et de séjour au Canada à ce titre a été délivrée.

192. A foreign national is a visitor and a member of the visitor class if the foreign national has been authorized to enter and remain in Canada as a visitor.


[5]                 L'article 306 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, est également pertinent dans ce cas :


306. Dans les 30 jours suivant la délivrance de l'avis de demande, le demandeur dépose et signifie les affidavits et les pièces documentaires qu'il entend utiliser à l'appui de la demande.

306. Within 30 days after issuance of a notice of application, an applicant shall serve and file its supporting affidavits and documentary exhibits.



QUESTIONS EN LITIGE

[6]                 Le défendeur présente une objection préliminaire relativement à la nature de l'affidavit fourni par la demanderesse au soutien de sa demande.

[7]                 La demanderesse soulève les questions suivantes dans le cadre de ce contrôle judiciaire :

L'agent des visas a-t-il privé la demanderesse de son droit à l'équité procédurale en ne lui fournissant pas la possibilité de dissiper ses doutes quant à savoir si elle avait vraiment le statut de visiteur?

L'agent des visas a-t-il à tort remis en question l'authenticité du statut de visiteur de la demanderesse en relevant une erreur typographique contenue dans une lettre faisant état de la santé de la personne que la demanderesse avait l'intention de visiter?

L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'un avis d'évaluation concernant le répondant de la demanderesse n'avait pas été soumis?


NORME DE CONTRÔLE

[8]                 Le défendeur prétend que, quand il est question d'une décision de nature discrétionnaire comme celle qui nous occupe, il convient d'appliquer la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable. Le défendeur fonde cet argument sur la décision Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 741, au paragraphe 12, qui contient l'énoncé suivant :

Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[9]                 Je suis d'accord avec le défendeur sur cette question.

ANALYSE

L'objection préliminaire relativement à l'affidavit

[10]            La demanderesse n'a pas soumis son propre affidavit. Plutôt, elle a soumis un affidavit de Camilla Jones, une consultante en immigration basée au Canada.

[11]            La jurisprudence pertinente dit que le défaut de compléter un affidavit en bonne et due forme ne mène pas automatiquement au rejet d'une demande.

[12]            À ce sujet, la juge Dawson a récemment fourni un résumé du droit applicable dans la décision Turcinovica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 216 (C.F. 1 re inst.) :

11.       Au début des plaidoiries, l'avocat du ministre a déclaré que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce qu'elle n'était pas appuyée par un affidavit adéquat. Mme Turcinovica n'avait déposé aucun affidavit et la demande était appuyée par l'affidavit de l'assistant de l'avocat de Mme Turcinovica. Selon l'avocat du ministre, l'obligation de la demanderesse de produire un affidavit fondé sur ses connaissances personnelles n'était pas remplie. En conséquence, il estimait que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce qu'elle n'était pas appuyée par un affidavit adéquat.

12.       Selon la jurisprudence, lorsqu'une demande de contrôle judiciaire n'est pas appuyée par des affidavits fondés sur la connaissance personnelle du demandeur, il n'en résulte pas automatiquement un rejet de la demande : voir les décisions suivantes : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 788 (C.F. 1re inst.); Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 235 N.R 192 (C.A.F.); Ominayak c. Nation indienne du lac Lubicon, [2000] A.C.F. no 247, infirmée sans commentaires sur cet aspect, (2000) 267 N.R. 96 (C.A.F.).                 

13.       En l'espèce, je suis convaincue que l'affidavit présenté à la Cour suffit à établir l'existence de la demande de résidence permanente ainsi que son rejet. Je ne suis donc pas disposée à rejeter sur ce fondement la demande de contrôle judiciaire.

14.      Il importe de souligner que, lorsqu'aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n'est produite au soutien d'une demande de contrôle judiciaire, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier. Voir l'affaire Moldeveanu, précitée, au par. 15.

15.       C'est ce que prescrit la règle 81(1) des Règles de la Cour fédérale, 1998, selon laquelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle.

16.      Comme l'a noté la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc. 2001 CAF 8; [2001] A.C.F. no 181, la règle 81(1) est une règle de pratique et de procédure et ne supplante donc pas les exceptions de common law à la règle du ouï-dire, notamment l'exception de fiabilité et de nécessité. Cependant, puisque la règle 81 est une règle de procédure, alors, dans les cas légitimes, et probablement inusités, où une partie souhaite produire une preuve par ouï-dire, cette partie devrait à tout le moins produire une preuve au soutien des arguments de fiabilité et de nécessité.

[13]            En me fondant sur la décision Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 55 (QL), et Nelson c. Établissement d'Edmonton, [1996] A.C.F. no 1492 (C.A.F.), je note qu'un affidavit doit être basé sur des questions que son auteur connaît personnellement. Comme le prétend le défendeur, des parties de l' affidavit en question sont composées d'arguments et de conclusions plutôt que de faits et certaines affirmations ne sont pas tirées de la connaissance personnelle de Mme Jones.

[14]            Je suis convaincu qu'il existe suffisamment d'éléments de preuve pour établir l'existence de la demande et son rejet par l'agent des visas, mais selon la décision de la juge Dawson dans Turcinovica, précitée, lorsqu'aucune preuve fondée sur la connaissance personnelle n'est produite au soutien de la demande, toute erreur alléguée par le demandeur doit être manifeste au vu du dossier.

L'agent des visas a-t-il privé la demanderesse de son droit à l'équité procédurale en ne lui fournissant pas la possibilité de dissiper ses doutes quant à savoir si elle avait vraiment le statut de visiteur?


[15]            La demanderesse renvoie à la décision du juge Teitelbaum dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 468 (QL) (1re inst.). À cet égard, la décision Ali est très intéressante en ce qui a trait à mon analyse de l'obligation d'équité qu'avait l'agent des visas envers la demanderesse. Malheureusement pour la demanderesse, l'affaire dont nous sommes saisis ne me paraît pas être un exemple d'une situation où une entrevue aurait dû avoir lieu où d'un cas où l'agent des visas avait l'obligation de faire part de son doute à la demanderesse. Comme le juge Teitelbaum l'a dit dans Ali, précitée :

20.      En revanche, l'exemple parfait d'une situation où un agent des visas devrait faire part de ses préoccupations au requérant est celui de l'agent des visas qui obtient des éléments de preuve extrinsèques. Dans un cas pareil, le requérant devrait avoir la possibilité de dissiper les doutes que la preuve pourrait avoir fait naître dans l'esprit de l'agent.

[...]

28.       La loi n'accorde aucun droit à une entrevue. Je remarque également que l'agent des visas a déclaré dans sa déclaration solennelle qu'il a examiné le dossier et les notes prises à l'entrevue, et a ensuite conclu que le requérant n'était pas admissible à une autorisation d'emploi. Selon moi, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve me permettant de conclure que l'agent des visas n'a pas évalué le fond de la revendication. [...]

[16]            Je conclus donc, dans l'affaire qui nous occupe, que l'agent des visas n'a pas porté atteinte aux principes d'équité procédurale en ne fournissant pas à la demanderesse la possibilité de dissiper ses doutes concernant le statut de la demanderesse en tant que véritable visiteuse. L'agent des visas n'a pas tenu compte de renseignements extrinsèques et un agent de visas n'est pas tenu de faire part de ses doutes à un demandeur : Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1613, au paragraphe 15.

L'agent des visas a-t-il à tort remis en question l'authenticité du statut de visiteur de la demanderesse en relevant une erreur typographique contenue dans une lettre faisant état de la santé de la personne que la demanderesse avait l'intention de visiter?


[17]            Cette question a été soulevée dans les documents de la demanderesse mais n'a pas été invoquée à l'audience. Il ressort clairement de l'affidavit de l'agent des visas que l'erreur typographique n'avait pas compté dans la décision et je suis convaincu qu'il n'y a pas eu d'erreur à cet égard.

L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu qu'un avis d'évaluation concernant le répondant de la demanderesse n'avait pas été soumis?

[18]            Une fois de plus, il s'agit d'une question qui a été mentionnée dans les documents mais qui n'a pas été reprise à l'audience et ce, à bon droit, selon moi. Cela n'a pas été pris en compte dans la décision et aucune erreur n'a été commise à cet égard.

[19]            Je suis convaincu que l'agent des visas n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans la présente affaire. Toutefois, c'est non sans regret que j'en viens à cette conclusion à cause des motifs humanitaires importants qui sous-tendent la présente demande. Au vu des faits soumis à l'agent des visas et des prétentions détaillées préparées pas la demanderesse, j'en serais certainement arrivé à une conclusion différente concernant la probabilité que la demanderesse ne quitte pas le Canada au terme de sa visite. Mais, le fait que j'aurais tiré une conclusion différente ne justifie pas que j'intervienne dans la décision.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.         La demande soit rejetée.

2.         Aucune question ne soit certifiée.

                                                                                        « James Russel »         

                                                                                                             Juge                    

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-5448-02

INTITULÉ :              TAN HAI LING

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 15 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                     LE 16 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :                                       

Max Chaudhary           POUR LA DEMANDERESSE

                                                                            

Mary Matthews           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Max Chaudhary          POUR LA DEMANDERESSE

18, Wynford Drive, bureau 707

North York (Ontario)

M3C 3S2

Morris Rosenberg        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                   Date : 20031016

Dossier : IMM-5448-02

ENTRE :

TAN HAI LING

                                      demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                         



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