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Date : 20030429

Dossier : ITA-8972-99

Référence neutre : 2003 CFPI 534

EN L'AFFAIRE de la Loi de l'impôt sur le revenu,

et

EN L'AFFAIRE d'une cotisation ou de cotisations établies par le

ministre du Revenu national

aux termes de l'une ou de plusieurs des lois suivantes : Loi de l'impôt sur le revenu, Régime de pensions du Canada,

Loi sur l'assurance-emploi et Loi de l'impôt sur le revenu,

à l'encontre de :

GLENN A. ROSS

(parfois appelé GLENN ALEXANDER ROSS)

12135 - 229e rue,

Maple Ridge (Colombie-Britannique)

V2X 7M9

ENTRE :

                                                               GLENN A. ROSS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                Par cette requête écrite, le demandeur, Glenn Ross, voudrait faire annuler le bref de saisie-exécution du 30 septembre 1999, fondé sur un certificat de même date délivré en application du paragraphe 223(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le certificat a été enregistré ou déposé auprès de la Cour fédérale selon les dispositions du paragraphe 223(3) de la Loi. Une fois déposé auprès de la Cour fédérale, ce certificat a le même effet que s'il s'agissait d'un jugement de la Cour fédérale, mais il ne devient pas en réalité un jugement de la Cour : voir par exemple l'affaire Marcel Grand Cirque c. Canada (M.R.N.) (1995), 107 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.), pages 23 et suivantes, et l'affaire Nelson c. Canada (M.R.N.), [1996] 3 C.T.C. 342 (C.F. 1re inst.), page 345.

[2]                La défenderesse dit que la requête devrait être rejetée, pour trois raisons : d'abord, l'affaire est chose jugée; deuxièmement, le redressement demandé ne peut être obtenu par requête aux termes des règles 398 et 399; et troisièmement, il n'y a de toute façon aucune preuve appuyant l'argument de fond du demandeur.

EXAMEN


[3]                Pour obtenir l'annulation du bref, le demandeur introduit la présente requête, en application des règles 398 et 399 des Règles de la Cour fédérale, comme l'indique clairement son avis de requête. Cependant, dans sa réponse aux pièces déposées par la Couronne, le demandeur tente de modifier son approche et appelle pour la première fois cette procédure une requête en jugement sommaire, sans invoquer aucune règle. Non seulement est-il trop tard pour modifier la formule initiale, mais encore la procédure de jugement sommaire n'a aucune place dans la présente demande, car selon la règle 213 elle n'est possible qu'après le dépôt d'une défense (ou plus tôt, avec autorisation) et requiert comme fondement une déclaration, deux conditions qui n'ont pas été remplies. Je traiterai la présente instance introduite par M. Ross exactement comme elle est nommée dans son avis de requête, c'est-à-dire une demande de suspension d'une ordonnance selon la règle 398, ou une demande d'annulation d'une ordonnance selon la règle 399.

[4]                M. Ross ne conteste pas la question de la validité des cotisations et nouvelles cotisations établies à son encontre pour les années d'imposition 1989 et 1990. Il relève plutôt que le ministre du Revenu national a effectué des paiements à la province de la Colombie-Britannique, au titre de sommes dues par M. Ross à la province de la Colombie-Britannique, et j'entends par là que la Couronne fédérale a remis à la Couronne provinciale des recettes fiscales recouvrées au nom de celle-ci, c'est-à-dire un pourcentage de l'impôt brut sur le revenu perçu conjointement. M. Ross fait observer que les paiements effectués par le ministre du Revenu national à la province de la Colombie-Britannique n'étaient pas consignés dans son relevé fiscal fédéral, mais qu'ils auraient dû l'être, avec pour résultat que l'ensemble de sa dette fiscale envers la province, c'est-à-dire les impôts qui auraient été recueillis par le ministre du Revenu national pour la province, ont de fait été payés intégralement par la Couronne fédérale. La Reine du chef de la Colombie-Britannique n'a donc aucune cause d'action contre lui.


[5]                M. Ross affirme que le ministre du Revenu national n'a obtenu aucune cession de la créance de la province et donc, de l'avis de M. Ross, il s'ensuit que le ministre, qui a effectué le paiement à titre bénévole, n'avait aucun droit de lui réclamer l'intégralité de l'impôt sur le revenu calculé et attesté par le certificat du 30 septembre 1999. Le résultat, c'est que, selon M. Ross, le certificat était invalide, et par conséquent le bref de saisie-exécution délivré par la Cour est lui aussi invalide. M. Ross soutient que la Cour fédérale, en raison de « son pouvoir intrinsèque de garantir et de préserver la légalité de ses registres et de corriger ou d'éviter l'abus de sa procédure, devrait ordonner que le bref de saisie-exécution soit annulé » . J'observe ici que la règle 398, qui prévoit le sursis d'exécution d'une ordonnance, n'est pas mentionnée dans l'argumentation écrite du demandeur, mais le redressement qu'il souhaite est plutôt l'annulation de l'ordonnance, ce que j'interprète comme la rescision du bref de saisie-exécution selon ce que prévoit la règle 399.

[6]                L'argument de M. Ross est ingénieux, mais alambiqué. Il ignore aussi une procédure antérieure, ainsi que la notion d'enrichissement sans cause. M. Ross a déjà demandé à la Section de première instance et à la Section d'appel de la Cour fédérale le contrôle judiciaire d'une mise en demeure de payer datée du 16 mai 2001, qui se rapportait à des impôts impayés des années d'imposition 1989 et 1990, et il avait obtenu ce contrôle judiciaire. La présente instance, qui concerne un certificat délivré le 30 septembre 1999 par le ministre du Revenu national, est elle aussi fondée sur les années d'imposition 1989 et 1990. Comme nous le verrons, le contrôle judiciaire obtenu donne lieu à une exception de chose jugée ou d'irrecevabilité, qui peut entraîner le rejet de la présente procédure. Cependant, je voudrais d'abord dire quelques mots sur la notion d'enrichissement sans cause, qui, bien qu'elle n'ait pas été expressément plaidée, est soulevée par le demandeur, et qui présente ici de l'intérêt parce que le demandeur dit que la Couronne n'a aucune cession ni autre moyen lui permettant de recouvrer auprès de lui la portion provinciale de sa cotisation d'impôt sur le revenu.


Enrichissement sans cause

[7]                La loi ne voit pas d'un oeil favorable ce que l'on appelle communément l'enrichissement sans cause ou l'avantage indu, c'est-à-dire le fait d'obtenir un avantage qui n'est pas censé être un cadeau et qui n'est pas légalement justifié. Les principes de l'enrichissement sans cause évoluent encore, mais les tribunaux ont conçu un redressement qui ferait qu'il serait immoral de conserver un tel avantage, le redressement étant alors la restitution : voir par exemple l'affaire Consumers Glass Co. c. Canada (1988), 21 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.), pages 139 et suivantes, jugement infirmé sur d'autres motifs (1990), 107 N.R. 156 (C.A.F.). La Cour suprême du Canada a évidemment reconnu la notion d'enrichissement sans cause et celle de restitution : Air Canada et Pacific Western Airlines Ltd. c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161 (C.S.C.), à la page 1207. Voir aussi le jugement Pneus Michelin (Canada) Ltée c. Canada (M.R.N.) (1998), 158 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.), à la page 103, dans lequel le juge Reed, se référant à divers arrêts de la Cour suprême du Canada, expose les éléments du recouvrement d'une somme d'argent dans une situation d'enrichissement sans cause.


[8]                Le jugement Pneus Michelin a été confirmé en appel, (2001), 271 N.R. 183 (C.A.F.). Le juge Evans, de la Cour d'appel fédérale, fait, à la page 187, une observation intéressante selon laquelle la restitution a une double origine, la common law et l'equity. Elle déboucha sur la doctrine « équitable » appelée subrogation, laquelle peut se passer de toute cession. La subrogation est un moyen commode de transférer des droits d'une personne à une autre, sans cession, voire sans l'assentiment de celui dont les droits sont transférés, car elle peut avoir lieu par l'effet de la loi dans une diversité de circonstances très différentes : voir l'arrêt rendu par la Chambre des lords dans l'affaire Orakpo v. Manson Investments [1978] A.C. 95, à la page 104 (H.L.(E.)) :

[Traduction] Il n'existe pas de principe général d'enrichissement sans cause qui soit reconnu en droit anglais. Ce que fait ce principe, c'est d'offrir des recours spécifiques dans les cas particuliers qui pourraient être qualifiés d'enrichissement sans cause dans un système juridique fondé sur le droit civil. Il y a des circonstances dans lesquelles le recours prend la forme d'une « subrogation » , mais ce mot embrasse davantage qu'une simple notion du droit anglais. C'est un moyen commode de décrire le transfert de droits d'une personne à une autre, sans cession ou sans l'assentiment de la personne dont les droits sont ainsi transférés, et qui a lieu par l'effet de la loi dans toute une variété de circonstances pouvant varier considérablement.

La doctrine de l'enrichissement sans cause a fait plus de chemin au Canada qu'en Angleterre, mais l'intérêt du passage reproduit ci-dessus est qu'il existerait un recours appelé subrogation permettant la restitution de l'enrichissement sans cause dont a bénéficié M. Ross. Il est donc simpliste de croire que le simple fait du paiement d'une somme à la province de la Colombie-Britannique par le gouvernement fédéral, en application d'un arrangement fédéral-provincial de recouvrement de l'impôt, soit dispense M. Ross du paiement de la portion provinciale de son impôt sur le revenu, soit le rend imperméable à tout recouvrement de la part provinciale de ses impôts par le gouvernement fédéral. Cela dispose de l'argument du demandeur pour ce qui est de la nécessité d'une cession qui protégerait la position de la Couronne fédérale. Je passe maintenant à l'exception de chose jugée ou exception pour question déjà tranchée, une exception alléguée par la Couronne comme moyen justifiant le rejet de la revendication actuelle du demandeur.


Exception de chose jugée

[9]                L'exception de chose jugée est une défense absolue qui empêche les mêmes parties d'engager un second procès pour la même cause d'action, ou même pour une autre cause d'action qui découle du même fait, ou de la même série de faits, et qui aurait pu être alléguée dans le premier procès, mais ne l'a pas été : voir par exemple la 7e édition de Black's Law Dictionary, West Group, St. Paul, Minnesota. Cette notion a été évoquée par la Cour suprême dans l'arrêt Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621 (C.S.C.), à la page 634, où le juge Richie citait le passage suivant de l'arrêt Henderson c. Henderson (1843), 3 Hare 100, à la page 115 :

[Traduction] ... J'espère exprimer correctement la règle que s'est imposée la présente Cour quand j'affirme que si un point donné devient litigieux et qu'un tribunal compétent le juge, on exige des parties qu'elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, on n'autorisera pas ces parties à rouvrir le début sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l'a pas été pour l'unique raison qu'elles ont omis de soumettre une partie de leur cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le plaidoyer de la chose jugée porte, sauf dans des cas spéciaux, non seulement sur les points sur lesquels les parties ont en fait demandé au tribunal d'exprimer une opinion et de prononcer jugement, mais sur tout point qui faisait objectivement partie du litige et que les parties auraient pu soulever à l'époque, si elles avaient fait preuve de diligence.

Dans l'arrêt Martelli c. Martelli (1983), 148 D.L.R. (3d) 746 (C.A. C.-B.), M. le juge Hinkson, de la Cour d'appel de la C.-B., se référant à la fois à l'arrêt Henderson et à l'arrêt Doering, avait résumé ainsi le moyen procédural appelé « exception de chose jugée » :


[Traduction] Il a été jugé que le principe de la préclusion pour chose jugée s'étend à tout point, que ce soit par présomption ou par admission, qui constituait en substance le fondement d'une décision antérieure et qui était essentiel à pareille décision. La doctrine s'applique non seulement aux questions qui sont réellement en litige, mais aussi à tout point qui se rapportait à juste titre à l'objet d'un litige dans lequel les parties, en faisant preuve d'une diligence raisonnable, auraient pu soulever ce point lors de l'audience antérieure. Cette doctrine est fondée sur le principe selon lequel un litige doit aboutir et qu'en ce qui concerne toute matière à procès, la cause doit être présentée à la Cour dans son ensemble et non être réglée peu à peu au moyen de l'introduction d'une action après l'autre.

L'idée ici est qu'une partie peut être empêchée d'alléguer, dans un procès ultérieur, un point qui aurait pu et aurait dû être allégué dans le procès antérieur. Il s'agit là en effet d'un abus de procédure que de plaider, dans un nouveau procès, ce qui aurait pu, et donc aurait dû, être plaidé dans le procès initial : voir par exemple l'arrêt Yat Tung Co. c. Dao Heng Bank (P.C.), [1975] A.C. 581 (C.P.). Dans l'arrêt Dao Heng Bank, le Conseil privé avait indiqué clairement que, avant d'appliquer le principe de la préclusion pour chose jugée aux cas où une diligence raisonnable aurait permis de soulever le point dans une instance antérieure, on doit examiner scrupuleusement toutes les circonstances (loc. cit.), puis il avait expliqué ensuite la notion exposée dans l'arrêt Henderson (précité), selon laquelle « tout point » se rapportant à juste titre à l'objet du litige aurait dû être soulevé dans le procès initial dans la mesure où il était possible de le faire en exerçant une diligence raisonnable. Le Conseil privé s'était référé à l'arrêt Greenhalgh c. Mallard [1947] 2 All E.R. 255, à la page 257 (C.A.) :

[Traduction] « ... le principe de la chose jugée en cette matière n'est pas restreint aux questions que l'on demande à la cour de trancher, mais il s'étend aux questions et aux faits dont il est tellement clair qu'ils font partie de l'objet du litige et qu'ils auraient pu être soulevés que ce serait abuser de la procédure de la cour que d'autoriser l'introduction d'une nouvelle instance sur ces mêmes questions ou ces mêmes faits. »


[10]            Comme je l'ai dit, M. Ross avait déjà demandé, et obtenu, le contrôle judiciaire de la mise en demeure de payer du 16 mai 2001, mise en demeure qui avait été délivrée par le ministre pour des impôts impayés de 1989 et 1990. Fait intéressant à noter, le redressement recherché par M. Ross dans ladite demande de contrôle judiciaire, Ross c. Sa Majesté la reine du chef du Canada, 2002 DTC 6884, une action faisant intervenir la Limitation Act de la Colombie-Britannique, comportait des demandes pour qu'il soit déclaré que le bref de saisie-exécution donnant lieu à la présente instance ainsi qu'aux présents motifs est invalide et nul, et pour qu'il soit déclaré que la mise en demeure de payer du 16 mai 2001 est invalide, illicite et nulle. M. Ross recherche le même redressement dans la présente instance. Dans son jugement, Madame le juge Dawson avait estimé que la dette fiscale n'avait pas été éteinte et que la mise en demeure de payer avait été validement délivrée. Finalement, la demande de contrôle judiciaire avait été rejetée. La Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance 2002 DTC 7462. L'exception de chose jugée constitue un motif indiscutable de rejeter la présente requête de M. Ross.

Existence du redressement demandé


[11]            M. Ross voudrait, par sa requête, faire annuler le bref du 30 septembre 1999. D'abord, non seulement M. Ross a-t-il déjà demandé l'annulation du bref par demande de contrôle judiciaire, mais encore, si un redressement est possible, il doit être demandé par procédure de contrôle judiciaire en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. J'observe ici qu'une procédure de contrôle judiciaire de cette nature est sujette à un délai de 30 jours et que 3 ans environ se sont écoulés depuis que le certificat et le bref de saisie-exécution ont été délivrés.

[12]            Deuxièmement, la règle 399 s'applique à l'annulation ou à la modification d'ordonnances, non de brefs d'exécution; et troisièmement, un sursis d'exécution en application de la règle 398 n'est pas possible : voir La Reine c. Rumball, 81 D.T.C. 5001 (C.F. 1re inst.). Le jugement Re Piccott, une décision non publiée rendue le 25 octobre 2002 par Madame le juge Heneghan, 2002 CFPI 1116, n'est d'aucune aide à M. Ross car cette affaire concernait l'effet d'un certificat fiscal qui n'avait jamais été rendu opposable, pour mise en recouvrement, par la délivrance d'un bref d'exécution. Dans le cas présent, un bref d'exécution a été délivré.

Absence de preuve au soutien de l'argument de fond du demandeur


[13]            Comme je l'ai indiqué, l'argument de fond du demandeur est que la Couronne fédérale a payé les impôts qu'il devait à la Couronne provinciale. Ici, il appartient à M. Ross de prouver ses affirmations. M. Ross dit, dans sa réponse, que la Direction générale des impôts du ministère provincial du Revenu l'avait assuré à plusieurs reprises qu'il ne devait rien à la province selon l'Income Tax Act de la province, RSBC 1996, ch. 215. Ce n'est là ni une preuve ni une expression exacte de l'accord de mandat en vertu duquel le gouvernement fédéral perçoit les impôts à titre de mandataire de la province de la Colombie-Britannique : voir l'arrêt Markevich c. Canada, une décision non publiée du 6 mars 2003 de la Cour suprême du Canada, 2003 CSC 9, aux paragraphes 44 et 45. M. Ross comprend mal la relation qui existe entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial pour le recouvrement des impôts. Il s'agit d'une délégation du droit de recouvrer les impôts.

[14]            Il n'existe aucune preuve autorisant l'argument selon lequel le gouvernement fédéral a payé pour M. Ross la dette fiscale de celui-ci envers la province. La requête de M. Ross étant rejetée, je passe maintenant à la question des dépens.

Dépens

[15]            Selon la Couronne, la tentative de M. Ross de contester de nouveau la validité du certificat et du bref d'exécution constitue un abus de procédure, qui devrait entraîner l'adjudication de dépens avocat-client. J'observe ici que la présente instance est dirigée contre le bref d'exécution, mais, dans son argumentation, M. Ross conteste le certificat en tant que fondement du bref d'exécution.

[16]            Comme je l'ai déjà indiqué, soumettre à un procès une question qui aurait dû être plaidée dans le cadre d'une instance antérieure peut constituer un abus : voir l'arrêt Dao Heng Bank (précité).


[17]            La Couronne a tout à fait raison de faire observer que l'adjudication de dépens avocat-client peut résulter d'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante : voir l'affaire Schmidt c. Canada, une décision non publiée du 17 décembre 2002 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2002 C.S. C.-B. 1738 (appel a été interjeté). Dans cette affaire, le demandeur avait sans succès fait appel de cotisations fiscales et d'une condamnation pour fraude fiscale, et il avait obtenu une prorogation du délai imparti pour le dépôt d'une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Malgré tout cela, M. Schmidt avait déposé contre la Couronne une demande introductive d'instance portant sur la même cause d'action. Cette toute récente demande introductive d'instance fut radiée en tant qu'abus de procédure, M. le juge Kirkpatrick exprimant l'avis que l'abus était tel qu'il constituait une conduite répréhensible.

[18]            L'argument de la Couronne est que la conduite générale de M. Ross lorsqu'il a introduit une nouvelle procédure pour contester le certificat et le bref d'exécution, après avoir épuisé toutes ses voies de recours et déposé une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada, est une conduite digne de réprimande, une conduite répréhensible. La Couronne se réfère ici au jugement Leung c. Leung (1993), 77 B.C.L.R. (2d) 305 (C.S. C.-B.), à la page 314, où le juge en chef Esson (tel était alors son titre) définissait le mot « répréhensible » comme signifiant « qui mérite un reproche ou une réprimande » .


[19]            La position du demandeur est que la quête de la vérité n'est jamais vexatoire et qu'il « ... suit simplement l'avis de la Cour, formulé dans une affaire guère différente de celle-ci, à propos de la procédure » . Cette mention d'un avis en matière de procédure s'appuie semble-t-il sur le jugement Re Piccott (précité). Le demandeur affirme aussi qu'il avait d'abord demandé des directives, encore que le dossier actuel n'en fasse pas état, et qu'on lui avait conseillé de procéder par requête selon les règles 398 et 399. Cependant, dans l'affaire Re Piccott, le juge Heneghan avait indiqué au paragraphe 19 de sa décision que la requête en révocation présentée par M. Picott n'était pas recevable parce que le certificat en cause, même s'il équivalait à un jugement, n'était pas un jugement de la Cour fédérale. Les règles 398 et 399 ne s'appliquent qu'aux ordonnances et aux jugements.

[20]            Dans l'examen des dépens avocat-client, qui servent non seulement à indemniser jusqu'à un certain point le plaideur qui obtient gain de cause, mais également à décourager les procédures frivoles, je dois garder à l'esprit que les dépens devraient d'une part être fixés à l'intérieur de limites relativement modestes afin de ne pas décourager les justiciables qui ont des réclamations valides, et d'autre part être suffisants pour décourager une conduite inopportune : voir par exemple l'arrêt Houweling Nurseries Ltd. c. Fisons Western Corp. (1988), 37 B.C.L.R. (2d) 2 (C.A. C.-B.), une décision de Madame le juge McLachlin (sa fonction à l'époque); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, 37 B.C.L.R. (2d), note de la page 2.

[21]            La Cour d'appel de la C.-B. a plus tard examiné la question des dépens avocat-client dans l'arrêt Fullerton c. Matsqui (District) (1992), 74 B.C.L.R. (2d) 311, où elle fait observer que les dépens avocat-client sont adjugés dans les cas où le tribunal cherche à se dissocier de l'inconduite. Le tribunal exprime donc sa désapprobation et, dans un tel cas, les dépens adjugés devraient aller au-delà de leur fonction indemnitaire et devenir une sanction : voir les pages 318 et 319.


[22]            Le juge McLachlin faisait observer, dans l'arrêt Young c. Young (1994), 160 N.R. 1 (C.S.C.), page 41, que « les dépens avocat-client ne sont généralement accordés que lorsqu'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante de la part d'une des parties » . Puis elle ajoutait que l'absence de bien-fondé d'une demande n'est pas une raison pour adjuger des dépens avocat-client. Il appert de tous ces précédents que les dépens avocat-client constituent une réparation exceptionnelle : voir par exemple l'arrêt Hassanali Estate c. Canada (Ministre du Revenu national) (1996), 197 N.R. 51 (C.A.F.), à la page 54, où est mentionné l'arrêt Bland c. Commission de la capitale nationale, [1993] 1 C.F. 541 (C.A.F.), à la page 544.

[23]            Il y a aussi l'idée selon laquelle des positions extrêmes et des affirmations excessives, qui n'équivalent pas tout à fait à un abus de la procédure, peuvent entraîner un accroissement des dépens : voir par exemple The Arctic Taglu (1997), 145 F.T.R. 102 (C.F. 1re inst.), à la page 106, une décision de Madame le juge Reed.


[24]            En l'espèce, il y a eu manifestement abus, mais j'hésite à adjuger des dépens avocat-client, car l'abus auquel s'est livré M. Ross, en partie sans doute à cause de son incompréhension du principe de l'autorité de la chose jugée, n'est pas tout à fait assimilable à l'abus exposé dans l'affaire Schmidt (précitée). Dans cette affaire, l'abus prenait la forme de procès à répétition et de procédures introduites devant la Cour fédérale pour contester accessoirement une condamnation pénale. Cependant, M. Ross doit savoir que, ayant recherché, lors de son recours dans l'affaire Ross c. La Reine (précitée), exactement le même recours que celui qu'il recherche dans la présente action, même si l'argument juridique est différent, il a commis un abus qui mérite d'être censuré. J'ai donc fixé les dépens à une somme forfaitaire, en me fondant sur le Tarif B de la colonne V. La somme forfaitaire pour les dépens et débours sera de 1 200 $, à payer sur-le-champ.

                                                                                                                            « John A. Hargrave »            

                                                                                                                                         Protonotaire                   

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 29 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES, SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                             ITA-8972-99

INTITULÉ :                                            Glenn A. Ross c. Sa Majesté la reine

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                           le 29 avril 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Glenn A Ross                                                                            DEMANDEUR

David Jacyk                                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Glenn A Ross                                                                            DEMANDEUR, en son propre nom

Maple Ridge (Colombie-Britannique)

Morris A Rosenberg                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)


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