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Date : 20060512

Dossier : T-1522-05

Référence : 2006 CF 594

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 12 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

THI MINH HA

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Les ministres défendeurs ont demandé, en vertu du paragraphe 213(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, que soit rendu un jugement sommaire rejetant l’action de la demanderesse. J’estime qu’il s’agit d’un cas où un jugement sommaire peut être rendu parce que je suis convaincu que la seule véritable question litigieuse soulevée par la déclaration de la demanderesse et par les affidavits est un point de droit qui peut


être tranché de manière préliminaire. Le paragraphe 213(2) et l’alinéa 216(2)b) s’appliquent à la présente requête. En voici le libellé :

213(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

 

213(2) A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.

216(2) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse

est :

 

[…]

 

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

216(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

       

 

 

 

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

 

Il n’y a aucun désaccord sur les faits ni aucune question de crédibilité qui empêcheraient l’application des règles relatives aux jugements sommaires. Il faut évidemment, pour trancher l’affaire, appliquer les principes juridiques aux faits allégués dans la déclaration de la demanderesse.

 

[2]        L’action de la demanderesse découle de la saisie d’espèces américaines par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) au poste frontalier de Douglas, le 3 avril 2004. Les espèces saisies valaient 8 300 $ US, ce qui équivalait à 10 956 $ CAN à l’époque. Elles ont été saisies parce que la demanderesse ne s’est pas conformée au paragraphe 12(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, 2000, ch. 17, art. 1; 2001, ch. 41, art. 48 (la Loi), en ne déclarant pas qu’elle était en possession d’espèces d’une valeur supérieure à 10 000 $.

 

[3]        Lorsque les espèces ont été saisies, la demanderesse revenait au Canada avec deux de ses connaissances, Van Tai Nguyen et Wendy Nguyen. M. Nguyen était en possession de 5 000 $ US et Mme Nguyen, de 2 400 $ US. Après analyse, on a découvert que toutes les espèces en la possession de ces deux personnes et de la demanderesse étaient contaminées par des résidus de cocaïne. La demanderesse a dit à l’agent des douanes qu’elle avait économisé les fonds en sa possession et avait l’intention de les utiliser pour acheter des diamants aux États‑Unis. Comme elle n’avait rien trouvé qui lui plaisait, elle revenait au Canada avec tout son argent. Elle a aussi dit que l’argent n’avait jamais été déposé dans une banque, mais qu’elle l’avait plutôt conservé chez elle. Les espèces en question étaient des billets de 100 $.

 

[4]        La demanderesse a demandé que la saisie fasse l’objet d’une révision par le ministre en vertu de l’article 25 de la Loi, et l’affaire a été confiée à un agent de la Direction des appels des douanes de l’ASFC. Le 14 mai 2004, l’ASFC a communiqué à la demanderesse les raisons justifiant la saisie et l’a invitée à lui transmettre les renseignements additionnels qui, selon elle, pourraient aider sa cause. L’avocat de la demanderesse a fourni des explications concernant la conduite de celle‑ci ainsi que des documents additionnels dans une lettre adressée à l’ASFC le 7 juin 2004. L’ASFC a répondu, dans une lettre datée du 17 juin 2004, qu’une enquête serait menée relativement à la prétention de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas compris les questions qui lui avaient été posées au cours de l’interrogatoire à la frontière. La lettre indiquait également que l’ASFC n’était pas en mesure de remettre des copies des [traduction] « rapports de l’agent », mais précisait que la demanderesse pourrait obtenir ces documents en présentant une demande d’accès à l’information en bonne et due forme. Il s’avère qu’une telle demande a ultérieurement été présentée au nom de la demanderesse, mais les résultats de cette demande ne figurent pas au dossier.

 

[5]        Le 18 mars 2005, l’avocat de la demanderesse a écrit à l’ASFC pour l’informer qu’une poursuite en matière de drogue intentée contre la demanderesse, qui n’avait aucun lien avec la saisie en cause en l’espèce, avait été suspendue par la Couronne. Il a également demandé où en était rendue la révision ministérielle. Ce n’est que le 27 juin 2005 que le ministre a rendu sa décision dans le cadre de cette révision : il a maintenu la décision prise par l’agent à la frontière concernant la saisie et la confiscation. C’est par suite de cette décision du ministre que la demanderesse a intenté la présente action en déposant une déclaration le 6 septembre 2005.

 

[6]        La demanderesse intente la présente action contre les ministres en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi. Dans sa déclaration, elle demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire et d’ordonner que les fonds saisis lui soient retournés. Cette partie de la déclaration a censément pour but de contester la décision du ministre qui a confirmé que la demanderesse avait contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi en ne déclarant pas les espèces en sa possession. La demanderesse n’a pas allégué, dans sa déclaration, que la saisie n’était pas justifiée au moment où elle a été effectuée, mais plutôt que le délégué du ministre n’avait plus compétence pour statuer sur son cas parce qu’il n’avait pas rendu une décision dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 27(1) de la Loi. Elle soutient que ce délai est obligatoire et que le fait que le délégué ne l’a pas respecté – ce fait a été admis – est fatal pour la saisie et la confiscation.

 

[7]        La demanderesse allègue également dans sa déclaration que la décision de l’agent à la frontière de confisquer les espèces, qui a été confirmée par le délégué du ministre de l’ASFC, n’était pas fondée et était manifestement déraisonnable. Bien que la demanderesse ne le précise pas, cette demande de réparation relève clairement de la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire suivant le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et non de la compétence en matière d’appel qui lui est conférée au paragraphe 30(1) de la Loi. La Cour a reconnu cette dichotomie un peu à contrecœur dans au moins deux décisions, soit Dokaj c. Canada (Ministre du Revenu national), [2005] A.C.F. no 1783, 2005 CF 1437, et Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] A.C.F. no 52, 2006 CF 50. Les nombreux problèmes évidents créés par l’existence de deux formes d’examen judiciaire des saisies de ce type ont été décrits avec justesse dans Dokaj et Tourki. Une telle situation ne contribue pas à l’utilisation efficiente des ressources judiciaires et, dans un cas comme l’espèce, elle oblige une partie à faire des choix difficiles au sujet de l’affectation de ressources limitées. Le fait qu’un appel doit être interjeté dans un délai de 90 jours aux termes de l’article 30 de la Loi, alors qu’une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours suivant la décision, aggrave ces problèmes.

 

[8]        En l’espèce, l’appel a été interjeté dans le délai prévu à l’article 30, mais la partie de la réclamation relevant de la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire a été présentée après l’expiration du délai applicable et ne pourrait être sauvegardée que par une ordonnance prolongeant ce délai. Or, aucune demande de prolongation de délai ne m’a été présentée, de sorte que je suis saisi d’une réclamation qui pourrait s’avérer fondée, mais qui ne peut être instruite dans sa forme actuelle. La seule question qu’il reste à trancher en l’espèce est de savoir si le fait que le délégué du ministre de l’ASFC n’a pas rendu une décision dans le délai imparti relativement au bien‑fondé de la saisie effectuée à la frontière est fatal à cette saisie et à la confiscation.

 

[9]        Je dois décider si le délai dans lequel le ministre doit rendre une décision, qui est prévu au paragraphe 27(1), est obligatoire ou simplement directif. Cette disposition prévoit ce qui suit :

27. (1) Dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent l’expiration du délai mentionné au paragraphe 26(2), le ministre décide s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

27. (1) Within 90 days after the expiry of the period referred to in subsection 26(2), the Minister shall decide whether subsection 12(1) was contravened.

 

[10]      Les défendeurs soutiennent que cette disposition a seulement un caractère directif et que le fait que le délégué n’a pas agi dans le délai qu’elle prévoit n’a aucune conséquence juridique. La demanderesse soutient pour sa part que cette disposition a un caractère obligatoire et insiste fortement sur l’emploi du mot « shall ».

 

[11]      Je conviens que l’emploi du mot « shall » dans une loi indique une obligation. Cette interprétation, qui est courante, est confirmée par l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑23. Le paragraphe 3(1) de cette loi permet toutefois de déroger à la norme s’il y a « indication contraire ». Il ressort clairement de la jurisprudence que l’on a reconnu assez fréquemment qu’il y avait indication contraire lorsque des obligations prévues par la loi semblables à celle créée par le paragraphe 27(1) de la Loi étaient en cause. On a souvent jugé que de telles dispositions avaient un caractère directif, même si elle pouvaient entraîner un examen judiciaire par voie de mandamus en cas de délai déraisonnable.

 

[12]      Je pense que l’avocat de la demanderesse a raison lorsqu’il dit que le législateur avait l’intention de créer une procédure accélérée d’examen des saisies effectuées par les agents des douanes et qu’il a montré toute l’importance qu’il y accordait en fixant plusieurs délais dans la Loi. L’emploi du mot « shall » dans ce contexte peut aussi indiquer que le mot « may » ne pourrait pas être utilisé parce qu’il permettrait au ministre de ne rendre aucune décision.

 

[13]      La Cour a déjà statué que l’emploi du mot « shall » indiquait une possibilité dans un contexte semblable à celui de l’espèce. Dans McMahon c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 644, 2004 CF 540, le juge François Lemieux a examiné une disposition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 1; 1992, ch. 27, art. 2, qui exigeait que le surintendant des faillites rende une décision dans les trois mois suivant la clôture de l’audition. Après avoir examiné minutieusement la jurisprudence, le juge Lemieux a conclu que la disposition était à caractère directif. Il a énoncé trois questions principales (au paragraphe 27) qu’il faut se poser pour savoir comment cette question d’interprétation doit être réglée :

1.                  L’obligation qui est accomplie est-elle une obligation de nature publique?

2.                  Où réside l’équilibre des inconvénients ou des préjudices?

3.                  Le texte prévoit-il une sanction en cas d’inobservation?

 

[14]      La décision rendue par le juge Lemieux dans McMahon a ensuite été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Celle‑ci a cependant sanctionné le défaut du surintendant de se conformer à la disposition en accordant les dépens à la partie qui n’avait pas eu gain de cause : voir McMahon c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 166, 2005 CAF 33, au paragraphe 5.

 

[15]      La Cour a étudié la question dans Teskey c. Law Society of British Columbia (1990), 71 D.L.R. (4th) 531 (C.S.C.‑B.) (QL), où elle a insisté sur la nécessité de protéger l’intérêt public, ce que, selon elle, l’on fait habituellement en interprétant la loi d’une manière qui favorise son objet. La Cour a décrit cette approche dans les termes suivants (aux pages 4 et 5) :

[traduction] Selon la lecture que je fais de ces décisions, une exigence législative ou réglementaire peut être considérée comme étant directive plutôt qu’obligatoire si le texte qui la prévoit a trait à l’exécution d’une obligation publique, si le défaut d’exécuter cette obligation causerait des problèmes graves à des personnes qui n’ont aucun contrôle sur celles qui sont chargées de l’exécuter et si cela ne favoriserait pas la réalisation du principal objectif du texte de loi ou du règlement. Il faut aussi se demander si une sanction est prévue en cas de non‑respect de l’exigence, si celle‑ci est contenue dans un règlement mais non dans la loi habilitante et quel préjudice, le cas échéant, sera causé aux personnes qui peuvent être touchées par le non‑respect de l’exigence. Chaque cas doit être tranché en fonction de la nature de l’exigence en cause et de la loi ou du règlement qui la prévoit.

 

À mon avis, le paragraphe 501(1) des Règles ne devrait pas être interprété comme s’il pouvait avoir pour effet de retirer aux conseillers la compétence nécessaire pour examiner une décision d’un comité de discipline si l’exigence qu’il prévoit n’est pas remplie. L’objet prédominant des dispositions disciplinaires de la Loi, notamment celles relatives au processus d’examen par les conseillers en application du paragraphe 48(1), est, selon moi, la protection du public. Cet objet serait mis en échec, à tout le moins en partie, si l’on donnait un caractère obligatoire plutôt que directif au paragraphe 501(1) des Règles. Le délai de 30 jours dans lequel la décision d’un comité de discipline peut être renvoyée aux conseillers, qui est prévu au paragraphe 48(1), protège le membre. Les règles du barreau et la Loi ne prévoient explicitement ou implicitement aucune sanction pour le non‑respect du paragraphe 501(1) des Règles. Cette disposition n’est pas rédigée comme si elle prévoyait un délai comme le délai de 30 jours indiqué au paragraphe 48(1) de la Loi concernant le renvoi aux conseillers. Le non‑respect du paragraphe 501(1) des Règles ne cause aucun véritable préjudice au membre. Ce dernier pourrait demander en tout temps si un renvoi a été effectué dans le délai de 30 jours prévu par la Loi. De toute façon, les règles de justice naturelle permettront, à mon avis, de prévenir une erreur judiciaire.

 

Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je ne peux conclure que le paragraphe 501(1) des Règles a pour but d’entraîner une perte de compétence s’il n’est pas respecté. J’estime que cette disposition a seulement un caractère directif.

 

[16]      L’une des décisions les plus complètes sur le caractère obligatoire ou directif d’une disposition est Rahman c. Alberta College and Assn. of Respiratory Therapy, [2001] A.J. No. 343, 2001 ABQB 222. Dans cette affaire, un comité de discipline professionnelle n’avait pas commencé son audience dans le délai de 90 jours prévu par la loi. La Cour s’est appuyée (au paragraphe 25) sur le passage suivant tiré de l’ouvrage Administrative Law de David J. Mullan, 3e éd. (Scarborough: Carswell, 1996), à la page 317, pour conclure que l’emploi du mot « shall » avait un caractère simplement directif :

[traduction]

244 Les tribunaux sont plus susceptibles de favoriser une observation rigoureuse des dispositions relatives à la procédure lorsque des droits privés sont touchés que lorsque les exigences ont trait à l’exécution d’une obligation publique dont l’invalidation causerait des inconvénients généraux importants ou créerait une situation anormale. Dans ce dernier cas, les tribunaux considèrent généralement que les dispositions sont seulement directives. Ils sont peu enclins à permettre que le non‑respect de simples formalités et d’exigences de forme ait pour effet d’invalider des décisions d’une manière contraire à l’intérêt public.

                                            […]

246 Les tribunaux ont tendance à considérer que les exigences prévues par la loi relativement aux délais sont obligatoires; ils les qualifient même parfois de conditions préalables à l’exercice de la compétence. Le non‑respect ne peut cependant pas donner lieu à une réparation lorsqu’aucun préjudice grave n’est causé ou lorsque l’objet de la loi serait mis en échec si l’on donnait un caractère obligatoire aux dispositions.

 

[17]      En l’espèce, l’avocat de la demanderesse attire l’attention de la Cour sur plusieurs autres dispositions de la Loi qui exigent de la personne visée par une confiscation qu’elle agisse dans les délais prescrits. Il fait renvoi en particulier à l’article 25, qui oblige une personne qui demande une révision par le ministre à donner un avis à cet effet dans un délai de 90 jours. Le verbe « may » (« peut ») est employé dans cette disposition, ce qui, dans ce contexte, indique que la personne a un choix à faire. Il ne m’appartient pas de décider en l’espèce si ce délai est obligatoire ou simplement directif. La demanderesse souligne cependant que l’on exige souvent que les dispositions législatives qui confèrent des pouvoirs, qui protègent des droits ou qui accordent des immunités soient rigoureusement respectées. Dans McCain Foods Ltd. c. Canada (Office national des transports) (C.A.), [1993] 1 C.F. 583, [1992] A.C.F. no 1061 (C.A.F.) (QL), la Cour a traité de cette question aux pages 5 et 6 :

L’arrêt Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada n’est d’aucun secours pour l’appelante. Dans cette affaire, une demande de réduction du taux des primes avait été déposée en dehors des délais prescrits par le Règlement sur l’assurance-chômage [C.R.C., ch. 1576]. La Cour a rejeté l’argument selon lequel une telle exigence était directive plutôt qu’impérative. La Cour a statué qu’une telle interprétation rendrait la disposition vide de sens, puisqu’elle ferait totalement abstraction des termes de la loi. Au nom de la Cour, le juge Hugessen, J.C.A. a fait une distinction avec l’arrêt Normandin en ces termes :

 

Lorsque des mots apparemment impératifs dans une loi, tel le verbe « doit » contesté en l’espèce, ont été interprétés comme simplement directifs, cela a toujours été, pour autant que je sache, dans des situations où le défaut d’agir dans le délai fixé pourrait avoir des conséquences regrettables, non pas tant pour celui qui agit que pour un tiers innocent.

 

Le juge a conclu ainsi :

 

Je ne connais aucun arrêt, et aucun n’a été cité, qui ait décidé qu’un délai apparemment impératif fixé pour la revendication d’un droit par un requérant est simplement directif.

 

[18]      Je pense qu’il convient de faire une distinction entre les délais prévus par la loi qui s’appliquent au démarrage d’un processus servant à protéger ou à promouvoir des droits et les autres délais qui s’appliquent au déroulement ou à la conclusion de ce processus. L’observation stricte des premiers a pour but d’apporter un certain degré de certitude et de finalité au processus, sous réserve de la révision, alors que le caractère directif des seconds vise simplement à faire en sorte que le processus, une fois commencé, se déroule avec une certaine rapidité.

 

[19]      Je conviens également avec l’avocat des défendeurs que le fait d’attribuer un caractère obligatoire au délai prévu au paragraphe 27(1) pourrait entraîner des conséquences inattendues. Par exemple, le ministre pourrait être contraint de rendre une décision prématurée avant que tous les faits soient connus. Les personnes qui cherchent à recouvrer de l’argent saisi pourraient ainsi subir un préjudice, en particulier lorsque, comme en l’espèce, des éléments de preuve additionnels ont été demandés au soutien de la demande. En l’espèce, le délai a permis à la demanderesse d’établir que la poursuite intentée contre elle en matière de stupéfiants – qui n’avait aucun rapport avec la saisie en cause en l’espèce – avait été suspendue par la Couronne, quoique ce fait n’ait pas aidé sa cause au bout du compte.

 

[20]      L’avocat des défendeurs souligne également qu’une déclaration portant que la décision du ministre est nulle n’aiderait pas la demanderesse parce que l’argent saisi est réputé être confisqué au profit de Sa Majesté aux termes de l’article 23 de la Loi. En l’absence d’un appel interjeté avec succès en vertu de la Loi à l’encontre de la légalité de la saisie, il n’existe aucun autre mécanisme permettant d’annuler la confiscation à cause d’un vice procédural subséquent. Bref, la confiscation continuerait d’avoir effet. La prétention de la demanderesse selon laquelle la Cour devrait simplement ordonner que l’argent lui soit remis sur déclaration de nullité pourrait aussi faire en sorte que les produits d’un crime soient retournés sans même qu’une décision soit rendue sur le fond en application de l’article 30 – tout cela parce qu’un délai n’a pas été respecté.

 

[21]      Je ne crois pas que l’intérêt public ou les considérations d’ordre public importantes qui sous-tendent la Loi seraient bien servis si l’on donnait un caractère obligatoire au délai de 90 jours et si l’on déclarait nulles les décisions rendues par le ministre après l’expiration de ce délai. La remise des produits d’un crime grave à la personne qui les avait en sa possession à cause de l’expiration d’un délai relativement court qui est prévu par la loi créerait une anomalie du genre de celle décrite par le professeur Mullan dans le passage cité au paragraphe 16 ci‑dessus. Si le législateur voulait qu’il en soit ainsi, il aurait pu facilement inclure dans la loi une disposition prévoyant une sanction; l’absence d’une telle disposition indique qu’il n’avait pas l’intention de donner un caractère obligatoire à la disposition en cause : voir McMahon (C.F.), au paragraphe 28.

 

[22]      Finalement, au regard de la question de l’équilibre des inconvénients ou des préjudices causés à la demanderesse et aux autres personnes se trouvant dans sa situation, il est difficile de trouver quelque chose de plus important que l’intérêt que porte le public à la réalisation des objectifs de la Loi.

 

[23]      En conclusion, je suis d’avis d’accueillir la requête en jugement sommaire des défendeurs et de rejeter la présente action en conformité avec l’alinéa 216(2)b) des Règles des Cours fédérales. Cette décision est rendue, cependant, sous réserve du droit de la demanderesse de demander une prolongation du délai dans lequel elle peut solliciter l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire afin d’obtenir la réparation demandée au paragraphe 18 de sa déclaration. Aucune partie n’ayant demandé les dépens, aucuns dépens ne seront accordés.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que l’action soit rejetée comme si elle avait été instruite au fond, sans dépens.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


                                                       COUR FÉDÉRALE

 

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        T-1522-05

 

INTITULÉ :                                                       THI MINH HA

                                                                            c.

                                                     LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 2 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                  LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 12 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jay I. Soloman                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

Jan Brongers                                                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jay I. Soloman Law Corporation                          POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.‑B.)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

 

 

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