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Date : 20030910

Dossier : IMM-1144-02

Référence : 2003 CF 1054

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                         DIPAKKUMAR NATAVARLAL GANDHI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, qui vise la décision rendue le 5 février 2002 (la décision) par laquelle un agent des visas canadien à New Delhi (l'agent des visas) a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Dipakkumar Natavarlal Gandhi (le demandeur). Cette décision a été communiquée au demandeur le 15 février 2002. Le demandeur tente d'obtenir une ordonnance de certiorari annulant la décision et une ordonnance de mandamus forçant les représentants du défendeur à poursuivre conformément à la loi le traitement de sa demande de résidence permanente.


LES FAITS

[2]                La demande de résidence au Canada présentée par le demandeur dans la catégorie des immigrants indépendants a été reçue au Haut-commissariat du Canada à New Delhi le 25 mai 2001. Le demandeur a demandé à être apprécié en tant que spécialiste en agriculture (code 2123 de la Classification nationale des professions (CNP)).

[3]                L'agente des visas a évalué la demande le 16 janvier 2002.

[4]                Quinze points d'appréciation ont été attribués au demandeur à l'égard du facteur des études et dix-sept points lui ont été attribués à l'égard du facteur des études et de la formation.

[5]                Aucun point d'appréciation n'a été attribué au demandeur à l'égard du facteur de l'expérience. Selon les renseignements contenus dans sa demande, le demandeur a travaillé en tant que spécialiste en agriculture chez Dipak Rose Nursery à compter de mars 1992. Le demandeur a en outre déposé un certificat à l'égard de l'expérience daté du 21 avril 2001 et délivré par Dipak Rose Nursery, Navsari, Gujurat. L'agente des visas a examiné le certificat, mais elle a conclu qu'il était peu fiable en raison des nombreuses fautes d'orthographe et de grammaire qu'il comportait. En outre, le certificat ne comportait pas de numéro de référence ni de date. L'agente des visas était d'avis que les lettres d'affaires délivrées par les sociétés indiennes comportent habituellement un numéro de référence et une date afin d'en faciliter la référence et le classement.


[6]                Le demandeur en a outre déposé un exemplaire de son curriculum vitæ dans lequel il déclarait avoir travaillé chez Dipak Rose Nursery, à Nani Chovisi, en Inde [TRADUCTION] « de mars 1992 jusqu'à ce jour » . Il a déclaré que le titre de son emploi était [TRADUCTION] « Chargé de production (Agri.) » . Il a énuméré ses fonctions comme suit : [TRADUCTION] « Écussonnage de roses, greffage de plantes vertes, culture de graines saisonnières Patella, production de variétés de bulbes » .

[7]                L'agente des visas a estimé que les fonctions énumérées par le demandeur dans son curriculum vitæ étaient exactement les mêmes fonctions que celles énumérées dans le certificat à l'égard de l'expérience délivré par Dipak Rose Nursery. Elle a en outre mentionné que les fautes d'orthographe étaient exactement les mêmes dans les deux descriptions d'emploi sauf que sur le certificat délivré par Dipak Rose Nursery, le « l » du mot anglais « Budling » avait été changé à la main pour un « d » pour que le mot soit « Budding » . L'agente des visas a conclu qu'il était inhabituel qu'un spécialiste en agriculture ne puisse pas épeler correctement des mots qui se rapportaient à son emploi.


[8]                Lors de l'évaluation de l'expérience du demandeur, l'agente des visas a renvoyé aux fonctions d'emploi énoncées dans la CNP sous le code 2123.0 pour les spécialistes en agriculture. Selon la nature de l'énoncé de travail de la CNP, les spécialistes en agriculture « conseillent et aident les exploitants agricoles dans tous les aspects de la gestion agricole, soit les cultures, la fertilisation, les récoltes, l'érosion et la composition des sols, la prévention des maladies, la nutrition, la rotation des cultures et la commercialisation » . Les fonctions principales des spécialistes en agriculture sont énoncées comme suit :

Conseiller et renseigner les exploitants agricoles sur la fertilisation et les méthodes de culture, les récoltes, les soins des animaux et de la volaille, la prévention des maladies, la gestion agricole, le financement des exploitations agricoles, le marketing et autres sujets reliés à l'agriculture.

Préparer et diriger des séances consultatives d'information et des exposés à l'intention des exploitants agricoles et autres groupes.

Faire des recherches, analyser les données agricoles et rédiger des rapports de recherche.

Consulter des chercheurs, des enseignants et des dirigeants gouvernementaux et d'entreprise sur les problèmes du domaine de l'exploitation agricole et de l'agriculture.

Tenir des registres des services fournis et des résultats obtenus à la suite de la prestation des services consultatifs.

[9]                L'agente des visas a examiné la question de savoir si les fonctions énumérées par le demandeur dans son curriculum vitæ et dans son certificat à l'égard de l'expérience délivré par Dipak Rose Nursery étaient similaires aux fonctions énoncées dans la CNP sous le code 2123.0 pour l'emploi de spécialistes en agriculture. Elle a conclu que les fonctions exercées par le demandeur étaient différentes de la description de la CNP et que le demandeur n'avait pas exercé un nombre important des fonctions principales, y compris les fonctions essentielles, de l'emploi qu'il avait l'intention d'exercer. Par conséquent, aucun point d'appréciation n'a été attribué au demandeur à l'égard du facteur de l'expérience.


[10]            Étant donné que le demandeur n'a pas exercé un nombre important des fonctions principales, y compris les fonctions essentielles, d'un « spécialiste en agriculture » comme elles sont énoncées sous le code 2123.0, l'agente des visas a conclu qu'elle ne pouvait attribuer au demandeur aucun point d'appréciation à l'égard du facteur professionnel.

[11]            Dix points d'appréciation ont été attribués au demandeur pour son âge, le nombre maximal de points à l'égard de ce facteur.

[12]            Le nombre maximal de points d'appréciation, soit neuf points, ont été attribués au demandeur pour sa connaissance de l'anglais et aucun point ne lui a été attribué pour sa connaissance du français.

[13]            La demande a été rejetée parce qu'aucun point d'appréciation n'a été attribué au demandeur à l'égard du facteur professionnel ou de l'expérience, de sorte qu'il n'a pas rempli les conditions des paragraphes 11(1) et 11(2) du Règlement sur l'immigration de 1978.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[14]            Les portions pertinentes de l'article 8 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, sont rédigées comme suit :

8.(1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

[...]

b) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;


[...]

(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à -vis de ce facteur.

[...]

(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.

[15]            Le paragraphe 9(1) du Règlement prévoit ce qui suit :

9.(1) Sous réserve du paragraphe (1.01) et de l'article 11, lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne appartenant à la catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qutoute personne à charge qui l'accompagne si :

a) [...]

b) lorsqu'ils entendent résider au Canada ailleurs qu'au Québec, suivant son appréciation de l'immigrant ou du conjoint de celui-ci selon l'article 8 :

(i) dans le cas d'un immigrant, autre qu'un entrepreneur, un investisseur, ou un candidat d'une province, il obtient au moins 70 points d'appréciation.

(i) 60 points d'appréciation , dans le cas d'un immigrant qui n'est pas un parent aidé.      

[16]            L'article 11 du Règlement prévoit, en partie, ce qui suit :

11. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), l'agent des visas ne peut délivrer un visa d'immigrant selon les paragraphes 9(1) ou 10(1) ou (1.1) à un immigrant qui est appréciésuivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette annexe, à moins que l'immigrant :

            a) n'ait un emploi réservéau Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposéà engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéresséaccomplira le travail voulu sans avoir nécessairement l'expérience; ou

            b) ne possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée, et ne soit disposéà le faire.


(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), l'agent des visas ne délivre un visa en vertu des articles 9 ou 10 à un immigrant autre qu'un entrepreneur, un investisseur, un candidat d'une province ou un travailleur autonome, que si l'immigrant :

            a) a obtenu au moins un point d'appréciation pour le facteur viséà l'article 4 de la colonne I de l'annexe I;

            b) a un emploi réservéau Canada; ou

            c) est disposéà exercer une profession désignée.

[17]            L'article 11.1 du Règlement prévoit, en partie, ce qui suit :

11.1 Afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas n'est pas obligé de tenir une entrevue, sauf si l'immigrant d'après l'étude de sa demande de visa et des documents à l'appui :

                a) soit est visé à l'alinéa 8(1)a) et se voit accorder au moins le nombre suivant de points d'appréciation pour les facteurs mentionnés à la colonne I des articles 1 à 8 de l'annexe I, y compris, dans les cas où le présent règlement l'exige, au moins un point d'appréciation pour chacun des facteurs mentionnés à la colonne I des articles 3 et 4 de cette annexe :

(i) 60 points d'appréciation, dans le cas d'un immigrant qui n'est pas un parent aidé,

[...]

[18]            Les articles 9 et 10, auxquels il est renvoyé à l'article 11, énoncent le nombre minimal de points d'appréciation requis au total. En l'espèce, le demandeur devait obtenir 70 points au total pour qu'un visa d'immigrant lui soit accordé.

[19]            L'annexe I du Règlement énonce les critères de base à l'égard de chacun des facteurs. Les points prévus à l'égard du facteur de l'expérience sont de deux points pour chaque année d'expérience pertinente que le demandeur peut démontrer avoir jusqu'à un nombre maximal de 8 points. Par conséquent, un minimum d'une année d'expérience dans le domaine pertinent ou dans une industrie serait requis pour satisfaire à la norme minimale prévue dans le Règlement.


[20]            Des points à l'égard du facteur professionnel sont attribués à un demandeur lorsque l'emploi qu'il prévoit exercer, en plus de satisfaire aux exigences pertinentes comme elles sont énoncées dans la CNP à l'égard de cet emploi, se trouve sur la liste d'emplois pertinents. Le nombre maximal de points qui peut être attribué à un demandeur à l'égard de ce facteur est de dix points; ce nombre maximal n'est attribué à un demandeur que lorsqu'il a un emploi réservé. Par conséquent, le demandeur, pour satisfaire au nombre minimal prévu dans le Règlement, doit démontrer qu'il respectait les exigences de la CNP et qu'il avait l'intention d'exercer au Canada la profession qu'il avait déclaré vouloir exercer.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[21]            Le demandeur soulève diverses questions dans sa documentation, mais lors de l'audition de l'affaire, il a retiré toutes ces questions sauf les suivantes :

1.          L'agente des visas a-t-elle correctement évalué l'expérience du demandeur?

2.          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis d'informer le demandeur de ses doutes et de lui donner la possibilité de les dissiper ou lorsqu'elle a omis de faire des vérifications subséquentes qui auraient permis de faire disparaître ses doutes?


ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[22]            La Cour a statué que la décision d'un agent des visas est une décision de nature discrétionnaire. Même si je devais conclure que j'aurais tiré une conclusion différente de celle de l'agente des visas, je ne suis pas autorisé à intervenir à moins que l'agente des visas ait agi d'une façon manifestement déraisonnable.

[23]            Dans la décision Al-Rifai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1703 (C.F. 1re inst.), M. le juge Beaudry a mentionné ce qui suit :

[29] Je fais miens les principes dégagés dans les arrêts Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.) (QL) et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, dans lesquels il a été statué que la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires des agents des visas est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[30] Pour ce qui est des moyens de fond invoqués par le demandeur, il est important de signaler que la capacité de la Cour d'intervenir dans les décisions des agents des visas est très limitée, comme la Cour l'a rappelé à plusieurs reprises. Dans le jugement Skoruk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1220, le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel) souligne que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives comportant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi est celui qui a été posé dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité. Si le pouvoir discrétionnaire est exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle, le tribunal n'interviendra pas. Cette norme s'applique aux décisions des agents des visas.

[24]            Dans la décision de la Cour fédérale Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 351, M. le juge Linden (juge de la Cour d'appel agissant d'office) a confirmé cette norme de contrôle en déclarant ce qui suit :

[6] Suivant la jurisprudence de notre Cour, la norme de contrôle applicable à ce type de décision administrative correspond au critère énoncé dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, selon lequel les cours ne devraient pas intervenir « [l]orsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi » (voir : Skoruk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1220; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 330; Al-Rifai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1236; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 312).

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle?

[25]            Le demandeur prétend que les notes consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) au Haut-commissariat du Canada à New Delhi mentionnent clairement que l'agente des visas disposait de la lettre soumise à l'égard de l'expérience et du curriculum vitæ du demandeur. Le demandeur prétend que l'agente des visas n'a pas remarqué que son curriculum vitæ mentionne expressément que le titre de son emploi était [TRADUCTION] « Chargé de production (Agri.) » . Le demandeur prétend que l'agente des visas avait l'obligation de le convoquer à une entrevue officielle avant que les points d'appréciation à l'égard du facteur de l'expérience puissent lui être attribués.


[26]            Le demandeur fait remarquer qu'un point d'appréciation lui avait au départ été attribué à l'égard du facteur professionnel et qu'au total soixante-cinq points lui avaient été attribués. Le demandeur prétend que l'attribution de 65 points lors de l'évaluation initiale justifie que soit tenue une entrevue afin qu'il y ait une évaluation des points devant lui être attribués à l'égard du facteur de l'expérience.

[27]            Le demandeur ajoute qu'il était employé en tant que « spécialiste en agriculture » et que le titre de son emploi était [TRADUCTION] « Chargé de production (Agri.) » . Il prétend qu'il avait été employé pour sa capacité à gérer ou sa capacité à encadrer. Il prétend que, étant donné que des points lui avaient au départ été attribués à l'égard du facteur professionnel, il incombait à l'agente des visas de vérifier d'autres aspects de son comportement et de ses antécédents, notamment d'entrer en communication avec l'employeur, afin de déterminer la nature de son expérience. Le demandeur prétend que rien de tout cela n'a été fait.

[28]            Le demandeur prétend que les erreurs commises par l'agente des visas lorsqu'elle a fait son évaluation de sa demande, notamment celles touchant l'attribution de points à l'égard du facteur professionnel, constituent une erreur de droit. Le demandeur prétend en outre que l'agente ne lui a pas donné la possibilité de dissiper les doutes qu'elle avait à l'égard de son expérience dans le domaine de « spécialiste en agriculture » (voir à cet égard la décision Saggu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 87 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.), ce qui équivaut à une erreur de droit.

[29]            La position du demandeur est que les agents des visas sont tenus par la loi à l'obligation de traiter équitablement les demandeurs. Le demandeur prétend qu'il n'a jamais eu la possibilité d'être reçu en entrevue afin de réfuter tous les renseignements défavorables contenus au dossier ou de traiter des doutes. Il prétend que, question d'équité, il aurait dû avoir la possibilité de fournir des renseignements au soutien de son expérience actuelle. Le demandeur prétend que les notes du STIDI du Haut-commissariat du Canada à New Delhi ne mentionnent pas qu'il a eu une telle possibilité (voir à cet égard la décision Hajariwala v. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 222 (C.F. 1re inst.)).

[30]            Le demandeur prétend que l'arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 F.C. 205 (C.A.F.), montre que, lorsqu'une loi utilise le mot « convaincre » , l'agent des visas a l'obligation de mentionner à un demandeur qu'il ne l'a pas convaincu et de lui donner la possibilité de le faire.

[31]            Le demandeur prétend en outre que, si l'agente des visas avait l'impression que la preuve présentée par le demandeur était déficiente, elle avait l'obligation de lui donner une certaine possibilité de dissiper toute impression défavorable qu'elle avait à son égard. L'obligation d'équité à l'endroit du demandeur exige qu'une telle possibilité lui soit offerte (voir à cet égard la décision Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 205 (C.F. 1re inst.)).

[32]            Le défendeur prétend qu'il appartient au demandeur de fournir au soutien de sa demande de résidence permanente suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi pour convaincre l'agent des visas qu'il ne serait pas contraire à la Loi sur l'immigration ou au Règlement de délivrer un visa au demandeur.

[33]            Le défendeur prétend que l'agente des visas n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a omis d'informer le demandeur que la documentation qu'il avait fournie à l'égard de son expérience ne l'avait pas convaincue.

[34]            Le défendeur prétend que, à l'étape de la sélection administrative, il est bien établi que l'agent des visas n'a pas l'obligation d'informer un demandeur que sa documentation n'est pas convaincante. Comme M. le juge Rothstein a déclaré dans la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1239 :

4       Un agent des visas peut pousser ses investigations plus loin s'il le juge nécessaire. Il est évident qu'il ne peut délibérément ignorer des facteurs dans l'instruction d'une demande, et il doit l'instruire de bonne foi. Cependant, il ne lui incombe nullement de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C'est au demandeur qu'il incombe de déposer une demande claire avec à l'appui les pièces qu'il juge indiquées. Cette charge de la preuve ne se transfère pas à l'agent des visas, et le demandeur n'a aucun droit à l'entrevue pour cause de demande ambiguë ou d'insuffisance des pièces à l'appui.


[35]            Le défendeur prétend que la jurisprudence établit qu'il appartient au demandeur de présenter au soutien de sa demande toute la documentation pertinente et que le demandeur devait présenter « la meilleure cause possible » (voir à cet égard la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1123 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 26).

[36]            Le défendeur prétend que l'agente des visas a examiné les fonctions énumérées dans le curriculum vitædu demandeur et la lettre à lgard de son expérience. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas exécuté un nombre important des fonctions principales énoncées dans la description de « spécialiste en agriculture » de la CNP. Le défendeur prétend que l'agente des visas ne disposait pas dléments de preuve démontrant que le demandeur ait exécuté une seule des fonctions énoncées.

[37]            Le défendeur fait remarquer que l'employeur du demandeur ne mentionne nullement, dans le certificat délivré par Dipak Rose Nursery à l'égard de l'expérience du demandeur, qu'il avait été employé pour sa capacité à gérer.

[38]            Le défendeur prétend que, dans les circonstances, l'agente des visas n'avait pas l'obligation de faire d'autres vérifications. En outre, le défendeur prétend que l'agente des visas pouvait conclure que le demandeur n'avait pas exécuté un nombre important des fonctions principales. Le défendeur renvoie aux commentaires de Mme la juge Tremblay-Lamer dans la décision Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1354 :


8       [...] Il incombe au demandeur de déposer une demande accompagnée de tout document justificatif pertinent. L'agent des visas n'a aucune obligation de s'efforcer de parfaire une demande incomplète. De toute évidence, l'agent des visas peut faire enquête lorsque cela est justifié, mais lorsque le demandeur se contente de fournir un simple titre de poste et ne se donne même pas la peine de fournir l'un ou l'autre des documents justificatifs disponibles, je trouve qu'il est choquant de laisser entendre que le fardeau est renversé et de prétendre qu'en l'espèce, l'agente des visas aurait dû faire davantage.

[39]            Le demandeur prétend que l'agente des visas aurait dû le convoquer à une entrevue officielle avant de rejeter sa demande, du moins en partie parce qu'aucun point d'attribution ne lui avait été attribué à l'égard du facteur de l'expérience ou que l'agente des visas, dans les cas où elle a l'impression que les éléments de preuve fournis par le demandeur ne sont pas suffisants, a l'obligation de lui donner une certaine possibilité de dissiper cette impression cruciale.

[40]            Comme M. le juge McNair a déclaré au nom de la Cour dans la décision Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 641 (Q.L.) (C.F. 1re inst.) :

16.     Il me semble que tout le débat se ramène à la question de savoir si l'agent des visas a commis une erreur de droit dans la manière dont il a mené l'entrevue, en n'approfondissant pas suffisamment son examen de l'expérience connexe du requérant [page 715] pour n'accorder aucun point d'appréciation à ce chapitre ou, dans le cas contraire, s'il a manqué à son obligation d'agir avec équité.

17.     Tant dans l'affaire Fung que dans l'affaire Wang, les requérants n'avaient pas réussi à convaincre les agents des visas qu'ils possédaient l'expérience nécessaire pour la profession envisagée, après un examen et une évaluation approfondis de tous les facteurs pertinents. De fait, dans ces deux affaires, les agents des visas avaient équitablement signalé aux requérants les lacunes précises que leur dossier présentait en ce qui concernait les professions envisagées et ils leur avaient donné amplement l'occasion de réagir.


18.     Dans le jugement Hajariwala c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 79 (1re inst.), le requérant a réussi à obtenir un bref de certiorari annulant le rejet de sa demande et un bref de mandamus ordonnant que la demande soit réexaminée conformément à la loi au motif que l'agent des visas avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'expérience connexe que le requérant avait acquise dans d'autres professions par rapport à la profession qu'il entendait exercer, et en raison du manquement à l'obligation d'agir avec équité que l'agent avait commis en n'offrant pas au requérant la possibilité de présenter des renseignements faisant valoir l'expérience qu'il possédait actuellement à l'égard de chacune des professions comprises. [...]

[...]

19.     À mon avis, il n'y a pas de preuve convaincante en l'espèce pour démontrer que l'agent des visas est allé au-delà de la description de la profession envisagée de directeur de chaîne de production et de la définition que la CCDP en donne et qu'il a orienté de façon précise ses questions sur l'expérience réelle de travail du requérant dans l'industrie du vêtement en la décomposant selon ses éléments constitutifs dans le but de bien évaluer la possibilité de les adapter et de les appliquer à la profession envisagée. Il ressort à l'évidence de son affidavit que M. Thornton n'a pas fait cet effort. À mon avis, son refus de le faire constituait une erreur de droit. Je suis également d'avis que l'agent des visas a manqué à son obligation d'agir avec équité en n'accordant pas au requérant une possibilité suffisante de répondre aux allégations précises formulées contre lui sur la question de l'expérience connexe par rapport à l'offre d'emploi de directeur de chaîne de production, ce qu'il aurait pu et aurait dû faire en orientant comme il se doit ses questions lorsqu'il est devenu évident que la demande de résidence permanente échouerait probablement à ce chapitre. C'est l'attitude qu'ont adoptée les agents des visas dans les affaires Fung et Wang.

[41]            Le défendeur me renvoie à une jurisprudence bien connue qui établit qu'il appartient au demandeur de présenter sa meilleure cause afin de fournir à l'agente des visas tous les renseignements nécessaires à sa prise de décision. Les déclarations qui suivent sont des déclarations typiques de cette position :

1.    Un agent des visas peut pousser ses investigations plus loin s'il le juge nécessaire. Il est évident qu'il ne peut délibérément ignorer des facteurs dans l'instruction d'une demande, et il doit l'instruire de bonne foi. Cependant, il ne lui incombe nullement de pousser ses investigations plus loin si la demande est ambiguë. C'est au demandeur qu'il incombe de déposer une demande claire avec à l'appui les pièces qu'il juge indiquées. Cette charge de la preuve ne se transfère pas à l'agent des visas, et le demandeur n'a aucun droit àl'entrevue pour cause de demande ambiguë ou d'insuffisance des pièces à l'appui.

Lam, précitée.


2.     L'article 11.1 du Règlement prévoit que l'agent des visas n'est pas obligé de tenir une entrevue sauf si l'immigrant, d'après l'étude de sa demande de visa et des documents à l'appui, se voit accorder au moins un point d'appréciation pour chacun des facteurs de l'expérience et de la demande dans la profession. Je souligne ce passage pour bien insister sur la nécessité pour les requérants de produire des documents complets à l'appui de leur demande. Ils doivent présenter la meilleure cause possible. Sinon, ils ne peuvent s'attendre à ce que l'agent des visas fasse le travail à leur place.

Chen, précitée, au paragraphe 26.

[42]            Cependant, la pertinence de cette jurisprudence en l'espèce est discutable. L'agente des visas n'affirme pas que le demandeur ne lui a pas fourni les renseignements nécessaires pour permettre d'établir que les critères de la CNP avaient été satisfaits. Plutôt, elle a expressément déclaré dans son affidavit, assermenté le 7 janvier 2002, au paragraphe 35, qu'elle n'avait pas exigé d'autres éclaircissements :

[TRADUCTION]

35. Au paragraphe 12 de son affidavit, le demandeur a déclaré que si l'agente d'immigration avait besoin de toute autre éclaircissement ou détail à l'égard de sa demande, elle aurait pu communiquer avec ses employeurs. Je fonde ma décision sur les renseignements fournis par le demandeur dans sa demande qui comprenait un certificat à l'égard de l'expérience soi-disant délivré par son employeur le 21 mai 2001. C'était évident pour moi, selon les fonctions énumérées dans ces deux documents, que le demandeur n'avait pas exécuté les fonctions des spécialistes en agriculture énoncées dans la CNP sous la cote 2123.0. Je n'ai pas demandé d'autre éclaircissement.


[43]            En examinant la documentation à laquelle renvoie l'agente de visas en tant que fondement de sa décision, il est difficile de voir de quelle façon l'agente des visas pouvait catégoriquement déclarer que [TRADUCTION] « [c]'était évident pour moi, selon les fonctions énumérées dans ces deux documents, que le demandeur n'avait pas exécuté les fonctions des spécialistes en agriculture énoncées dans la CNP sous la cote 2123.0. Je n'ai pas demandé d'autre éclaircissement » .

[44]            Dans son propre curriculum vitæ, le demandeur se décrit comme un [TRADUCTION] « Chargé de production (Agri) » et le certificat à l'égard de l'expérience (qui est en fait daté du 21 avril 2001) ne fait qu'une affirmation quelque peu ambiguë selon laquelle le demandeur [TRADUCTION] « s'occupe » de certaines affaires.

[45]            À mon avis, l'affirmation catégorique de l'agente des visas selon laquelle elle avait dans cette documentation tous les renseignements requis pour prendre sa décision était un exercice de la sorte de l'ignorance délibérée mentionnée par M. le juge Rothstein dans la décision Lam, précitée. Le fondement de la preuve que l'agente des visas mentionne n'était pas suffisant pour appuyer les conclusions qu'elle a tirées. Il était justifié que d'autres vérifications soient faites afin que son évaluation soit significative selon la description pertinente de la CNP.


[46]            Je ne dis pas qu'il appartient à l'agente des visas de parfaire une demande incomplète. Elle peut affirmer qu'une demande est incomplète et que le demandeur n'a pas fourni suffisamment d'éléments de preuve pour satisfaire aux critères de la description de la CNP. Mais dans les cas où, comme en l'espèce, l'agente des visas affirme catégoriquement qu'une décision est fondée sur des renseignements particuliers qui n'ont pas besoin d'être clarifiés, à mon avis, il est loisible à la Cour de déclarer qu'une telle conclusion était manifestement déraisonnable, et c'est je que je déclare en l'espèce.

[47]            Le demandeur fait en outre remarquer qu'un point d'appréciation lui a été attribué à l'égard du facteur professionnel et que 65 points lui ont été attribués lors de l'évaluation initiale. Le demandeur prétend que ces facteurs exigent qu'une entrevue soit tenue afin qu'il y ait une évaluation des points devant lui être attribués à l'égard du facteur de l'expérience.

[48]            Il faut, pour que le demandeur soit reçu en entrevue, qu'au moins soixante points d'appréciation lui soient attribués et qu'au moins un point d'appréciation lui soit attribué à l'égard de chacun des facteurs énumérés sous la colonne I, aux numéros 3 et 4. Le défendeur prétend que, lors de l'évaluation initiale du demandeur, aucun point d'appréciation ne lui a été attribué à l'égard du facteur de l'expérience et que par conséquent il n'était pas justifié qu'il soit reçu en entrevue. Le défendeur prétend que le fait que soixante-cinq points d'appréciation aient été attribués au demandeur lors de l'évaluation initiale n'est pas pertinent.


[49]            Le sous-alinéa 11.1a)(i) du Règlement n'appuie pas la prétention du demandeur selon laquelle il aurait dû être reçu en entrevue puisque soixante-cinq points d'appréciation lui avaient été attribués, y compris un point à l'égard du facteur professionnel, étant donné qu'aucun point d'appréciation ne lui avait été attribué à l'égard du facteur de l'expérience. Cependant, la décision Fong, précitée, sert le demandeur lorsqu'il prétend qu'il devait y avoir d'autres vérifications étant donné qu'aucun point d'appréciation ne lui avait été attribué à l'égard de son expérience. L'agente des visas devait respecter l'obligation d'équité et, compte tenu de la nature des prétentions du demandeur, elle aurait dû faire d'autres vérifications.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision datée du 5 février 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'elle soit examinée à nouveau.

2.         Aucune question ne sera certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1144-02

INTITULÉ :                                        DIPAKKUMAR NATAVARLAL GANDHI

                                                                                           demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE MARDI 5 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 10 SEPTEMBRE 2003                   

COMPARUTIONS :             

Mario Bellissimo                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

M. Bellissimo

1000, avenue Finch Ouest, bureau 900

Toronto (Ontario)    M3J 2V5                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                        POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

      Date : 20030910

      Dossier : IMM-1144-02

ENTRE :

DIPAKKUMAR NATAVARLAL GANDHI   

                                      demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                         défendeur

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                 


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