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Date : 20191105


Dossier : IMM-2591-18

Référence : 2019 CF 1377

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 5 novembre 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

BASSAM KHOLOOD EL-SAKKA

demandeur

et

Le MINISTRE de la sécurité publique et de la protection civile

défendeur

Jugement et motifs

I.  INTRODUCTION

[1]  Monsieur Bassam Kholood El-Sakka sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 8 mai 2018 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté son appel et confirmé la mesure de renvoi prise contre lui le 17 septembre 2014.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterai la présente demande.

II.  Contexte

[3]  Monsieur El-Sakka est un Palestinien apatride. En 2000, il est arrivé au Canada et a obtenu le statut de résident permanent au Canada à titre de personne à charge inscrite dans la demande présentée par son père, le demandeur principal. En 2005, les membres de la famille de M. El-Sakka ont obtenu la citoyenneté canadienne et, peu de temps après, ils ont quitté le Canada pour les Émirats arabes unis.

[4]  Monsieur El-Sakka n’a pas demandé la citoyenneté canadienne en même temps que les membres de sa famille. Il a plutôt présenté sa propre demande en février 2006, aidé d’un avocat, après avoir atteint l’âge de la majorité. En réponse aux questions sur la résidence dans le formulaire de demande de citoyenneté qu’il a rempli en 2008, M. El-Sakka a indiqué qu’il étudiait à l’étranger, au NY Institute of Technology à Abou Dhabi, depuis octobre 2006. Le traitement de sa demande a pris beaucoup de temps, notamment parce que des précisions devaient être obtenues au sujet de ses antécédents criminels à l’époque où il était mineur.

[5]  Le 17 septembre 2014, M. El-Sakka a demandé d’entrer au Canada afin de se présenter à une entrevue de citoyenneté. Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] l’a interrogé au point d’entrée et, après avoir conclu qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de résidence énoncées à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], il a pris une mesure de renvoi contre lui. Monsieur El-Sakka a ensuite signé un document servant à exposer des circonstances d’ordre humanitaire dans lequel il confirmait avoir quitté le Canada en 2009.

[6]  Devant la SAI, M. El-Sakka n’a pas contesté la légalité de la mesure de renvoi prise contre lui : il a reconnu qu’il n’avait été présent au Canada qu’environ 60 jours au cours de la période quinquennale de référence. Se fondant sur l’alinéa 67(1)c) de la Loi, M. El-Sakka a affirmé que l’appel devait accueilli en raison de l’existence – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant touché – de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[7]  Monsieur El-Sakka, qui était représenté par un consultant en immigration, a déposé des centaines de pages de documents pour démontrer l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, et il a témoigné à l’audience devant la SAI. Ces documents faisaient essentiellement état de sa situation au Canada, avant 2006 et après son retour en 2014. Y figurait, entre autres, une évaluation de ses aptitudes et capacités cognitives, effectuée en 2003 – époque où il était âgé de 16 ans – par le Centre Oxford Learning. Il a obtenu pour l’un des éléments évalués – soit, l’attention auditive et la distractibilité – un résultat sous la moyenne. Les parents de M. El-Sakka étaient présents à l’audience, mais ils sont restés à l’extérieur de la salle d’audience et n’ont pas témoigné.

[8]  Si les renseignements contenus dans la volumineuse documentation susmentionnée produite au dossier de la SAI confirmaient que M. El-Sakka avait quitté le Canada en 2006, il n’en reste pas moins qu’il a confirmé à l’audience qu’il était parti en 2009. De plus, et malgré les renseignements figurant également dans la documentation, M. El-Sakka n’a pas immédiatement fourni les renseignements concernant ses antécédents criminels. En général, ses réponses devant la SAI étaient longues et souvent alambiquées. Il n’est pas contesté que le représentant de M. El-Sakka a affirmé à tort, devant la SAI, que celui-ci avait terminé ses études au Canada avant de partir pour les Émirats arabes unis.

[9]  La SAI a confirmé que la mesure de renvoi était valide en droit et a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant de trancher l’affaire en faveur de M. El-Sakka.

[10]  Devant la Cour, M. El-Sakka attribue le fait qu’il n’a pas eu gain de cause en appel devant la SAI à l’incompétence du consultant qui le représentait à l’époque. Ce représentant a eu l’occasion de répondre aux allégations et il a contredit les observations de M. El-Sakka. Les parties s’entendent pour dire que le protocole établi par la Cour a été respecté.

III.  Décision de la SAI

[11]  Le 8 mai 2018, la SAI a confirmé que la mesure de renvoi était valide en droit et qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant de trancher l’affaire en faveur de M. El-Sakka. Dans sa décision, la SAI a dressé une liste non exhaustive des facteurs pertinents que les décideurs de la SAI ont énoncés dans le passé, et a ensuite examiné (1) l’établissement initial de M. El-Sakka au Canada et les motifs de son départ; (2) ses liens avec le Canada, plus précisément avec les membres de sa famille; et (3) les difficultés que lui causerait le renvoi.

[12]  S’agissant de l’établissement initial de M. El-Sakka au Canada et des motifs de son départ, la SAI a essentiellement conclu : a) que l’établissement initial de M. El-Sakka au Canada était un facteur favorable; b) que les éléments contradictoires quant à l’année où il a quitté le Canada et que son défaut de divulguer ses antécédents criminels initialement lors de son témoignage minaient sa crédibilité générale; c) que sa décision de quitter le pays était motivée par ses propres choix et ses choix familiaux; d) que les raisons pour lesquelles il était resté aux Émirats arabes unis et absent du Canada étaient des facteurs défavorables.

[13]  S’agissant de ses liens avec le Canada, la SAI a fait observer : a) que ses liens avec les membres de sa famille au Canada étaient limités, car un seul frère y était présent pour poursuivre ses études et rien n’établissait que les autres membres de sa famille avaient l’intention de revenir résider au Canada; b) que son établissement économique était limité à des investissements commerciaux et à un emploi non rémunéré; c) que son ex-épouse et sa fille, vivant aux États-Unis, ne lui avaient pas parlé depuis 2015.

[14]  S’agissant des difficultés, la SAI a conclu : a) que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que les membres de la famille de M. El-Sakka – son ex-épouse et sa fille qui vivent aux États-Unis – éprouveraient des difficultés psychologiques si l’appel était rejeté; b) que le fait pour M. El-Sakka d’être un citoyen apatride de Palestine renvoyé du Canada lui causera des difficultés; c) que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour conclure que l’intérêt supérieur de l’enfant serait compromis si l’appel était rejeté.

[15]  Dans sa conclusion, la SAI a souligné que comme le manquement à l’obligation de résidence – M. El-Sakka n’ayant été présent au Canada que pendant 60 jours au cours de la période quinquennale de référence – avait été très important, les motifs d’ordre humanitaire devaient également être très importants. Essentiellement, la SAI a conclu que M. El-Sakka n’avait pas de raisons impérieuses de retourner à Abou Dhabi et d’y demeurer pendant cinq ans, que son degré d’établissement au Canada était modéré, malgré qu’il avait été un résident permanent du Canada pendant 18 ans, et que les nombreux facteurs défavorables l’emportaient sur les difficultés auxquelles il serait exposé.

IV.  THÈSES DES PARTIES

A.  La thèse de M. El-Sakka

[16]  Monsieur El-Sakka soutient que les nombreuses erreurs et omissions du consultant en immigration qui l’a représenté devant la SAI relevaient de l’incompétence, laquelle a donné lieu à un déni de justice, et que l’issue de son appel aurait été différente n’eût été les nombreuses erreurs qui ont été commises. Fondamentalement, M. El-Sakka affirme qu’il en avait beaucoup à dire sur son vécu, que tout n’avait pas été dit, et que l’issue aurait été différente si les éléments de preuve pertinents avaient été soulignés et s’il avait été bien préparé pour rendre témoignage.

[17]  Monsieur El-Sakka soutient essentiellement que son ancien représentant (1) ne l’a pas informé des facteurs et des éléments de preuve nécessaires pour qu’il obtienne gain de cause en appel; (2) n’a pas tenté de rassembler les éléments de preuve nécessaires ou d’en démontrer la force probante; (3) n’a pas préparé d’exposé et n’a pas recommandé qu’un exposé soit rédigé; (4) ne s’est pas appuyé durant l’audience sur le rapport d’aptitudes de 2003 pour expliquer les difficultés qu’il a avec les dates et les événements et pour expliquer pourquoi il était parti faire ses études aux Émirats arabes unis plutôt que de les faire au Canada; (5) n’a pas renvoyé aux documents fournis relativement aux demandes de citoyenneté; (6) n’a pas tenté d’obtenir de confirmation de la part d’associés au sujet des activités commerciales tenues au Canada; (7) n’a présenté aucun élément de preuve étayant son affirmation selon laquelle il ne pouvait pas retourner à Abou Dhabi aux Émirats arabes unis; (8) ne l’a pas aidé à bien se préparer pour l’audience; et (9) aurait dû demander aux membres de sa famille de témoigner.

B.  La thèse du ministre

[18]  Le ministre répond que M. El-Sakka n’a pas démontré que son représentant était incompétent, et que la décision rendue par la SAI n’aurait pas été différente si son représentant avait été autre. Le ministre ajoute qu’en tout état de cause, même si la Cour devait tenir compte uniquement de l’allégation du demandeur, sans la réponse de son ancien représentant, rien au dossier ne justifie son intervention.

[19]  Selon le ministre, l’ancien représentant de M. El-Sakka brosse un tableau très différent de celui de M. El-Sakka, et les allégations de M. El-Sakka n’étant pas clairement étayées par la preuve, l’incompétence n’est pas démontrée (Gambos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850).

Le ministre aborde chacune des allégations dans sa réponse afin de démontrer qu’aucune des nouvelles observations ne permettrait à la SAI de rendre une décision différente.

V.  ANALYSE

[20]  La présente affaire porte sur la question de l’équité procédurale, car il me faut déterminer si la preuve démontre que l’incompétence de l’ancien représentant de M. El-Sakka a donné lieu à un déni de justice. L’équité procédurale n’est pas assujettie à une norme de contrôle précise : lorsqu’il y a iniquité, la décision est généralement renvoyée au décideur initial pour nouvel examen ou nouvelle décision (Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2019 CAF 233, au par. 25).

[21]  Vu que M. El-Sakka reproche à son ancien représentant d’avoir fait preuve d’incompétence, les parties conviennent que le critère qu’il convient d’appliquer est celui qu’a énoncé le juge Diner dans Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092). Par conséquent, le demandeur, à qui incombe le fardeau de preuve, doit établir les éléments suivants :

  1. les omissions ou actes reprochés au représentant relèvent de l’incompétence;

  2. il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite reprochée, il existe une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience initiale ait été différente;

  3. le représentant doit être informé des allégations et doit avoir une occasion raisonnable d’y répondre.

[22]  Cela dit, il n’est pas nécessaire que j’examine les allégations d’incompétence si je conclus que M. El-Sakka n’a pas démontré l’existence d’un préjudice équivalant à un déni de justice (Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605), et qu’il existe une probabilité réelle que l’issue ait été différente n’eût été l’incompétence de son représentant.

[23]  Lors de l’audience devant la Cour, M. El-Sakka a insisté sur certains éléments, notamment le fait que la SAI n’a pas été invitée à tenir compte de l’évaluation susmentionnée (effectuée en 2003 par le Centre Oxford Learning), plus particulièrement du résultat sous la moyenne qu’il a obtenu quant aux éléments d’attention auditive et de distractibilité. Selon lui, ce résultat explique sa difficulté à témoigner, son défaut initial de divulguer ses antécédents criminels et le fait qu’il a confirmé à l’audience avoir quitté le Canada en 2009 alors que certains documents au dossier indiquent qu’il est parti en 2006. Il soutient également que la preuve documentaire dont disposait la SAI indiquait qu’il avait quitté le Canada en 2006, non par choix, mais bien parce qu’il était incapable de poursuivre ses études au Canada en raison de la détresse et des difficultés qu’il éprouvait, lesquelles sont également étayées par l’évaluation de 2003.

[24]  Comme je l’ai souligné à l’audience, cette évaluation a été faite en 2003, soit environ 15 ans avant que la SAI instruise l’affaire et environ trois ans avant le départ de M. El-Sakka du Canada. Il avait 16 ans à l’époque. Par ailleurs, il qualifie d’« habiletés cognitives » sa capacité de retenir des consignes données une seule fois, dans le contexte d’une salle de classe.

[25]  Or, M. El-Sakka n’a pas précisé comment ce rapport laconique permet raisonnablement de justifier ses omissions ou contradictions à l’audience, et ce rapport ne peut expliquer non plus que son départ du Canada en 2006 était attribuable à une certaine forme de détresse, de nature académique ou autre. Aucun élément de preuve n’étaye les allégations présentées à la Cour selon lesquelles il était en proie à la détresse et à des difficultés au Collège Algonquin ou à l’Université Carleton. Par conséquent, M. El-Sakka n’a pas démontré que le défaut de présenter à la SAI des observations au sujet de cette évaluation de 2003 lui a causé un préjudice.

[26]  Monsieur El-Sakka n’a pas précisé quelles parties de son vécu avaient été omises, et l’incidence qu’elles auraient eu sur la décision de la SAI. Il n’a pas démontré l’existence d’une probabilité raisonnable que l’issue de l’audience devant la SAI aurait été différente n’eût été l’incompétence reprochée à son représentant.

[27]  Les observations de M. El-Sakka ne changent rien aux conclusions de la SAI, à savoir qu’il a quitté le Canada par choix, que son absence du Canada était motivée par ses choix familiaux et les préférences qu’il avait à l’époque, que ses liens avec le Canada étaient limités, que son degré d’établissement au Canada et celui de sa famille étaient limités, et que les facteurs défavorables l’emportaient sur les difficultés dont il a fait part à la SAI (Shivan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, au par. 35). Monsieur El-Sakka n’a pas démontré l’existence d’un préjudice, et en conséquence, l’examen des allégations d’incompétence n’est pas nécessaire.


Jugement dans le dossier no IMM-2591-18

La cour statue que :

  • 1) La demande est rejetée.

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de décembre 2019

Claude Leclerc, traducteur


Cour fédérale

Avocats inscrits au dossieR


Dossier :

IMM-2591-18

Intitulé :

BASSAM KHOLOOD EL-SAKKA c le MINISTRE de la sécurité publique et de la protection civile

Lieu de l’audience :

Montréal (Québec)

Date de l’audience :

Le 28 octobre 2019

Jugement et motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

Date DU JUGEMENT ET des motifs :

Le 5 novembre 2019

COMPARUTIONS :

David Berger

Stephen De Four-Wyre

Pour le demandeur

Suzanne Trudel

Pour le défendeur

Avocats inscrits au dossier :

David Berger

Stephen De Four-Wyre

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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