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Date : 20191115


Dossier : IMM-562-19

Référence : 2019 CF 1427

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2019

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

ARIKARAN SENTHIVEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 29 octobre 2019)

I.  Procédure

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 20 décembre 2018, par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a rejeté la demande d’asile du demandeur [la décision] en raison de conclusions défavorables tirées quant à sa crédibilité. La demande a été déposée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR].

[2]  Le demandeur, qui est âgé de 40 ans, est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule. Il est l’un des 10 enfants d’une famille d’agriculteurs établie dans une région tamoule du pays.

[3]  Pendant la guerre civile, son père a emmené la famille en Inde pour des raisons de sécurité, et le demandeur y a vécu, dans un camp de réfugiés, de 1997 à 2003, année où le cessez‑le‑feu a été décrété au Sri Lanka. Il est alors retourné vivre au Sri Lanka, où il a travaillé à la ferme familiale; il y était toujours lorsque le cessez‑le‑feu a pris fin en 2006, de même que lors de la défaite des Tamouls en 2009. Il est parti pour les États‑Unis en 2018, où il a présenté une demande d’asile et a été placé en détention et interrogé [l’entrevue aux États‑Unis]. Après avoir été libéré aux États‑Unis, il est venu au Canada et a présenté une demande d’asile.

II.  Les questions en litige

1.  Les trois conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité, sur lesquelles repose la décision du tribunal, étaient‑elles raisonnables?

[4]  La première question à trancher consiste à déterminer si les trois conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité, sur lesquelles repose la décision du tribunal, étaient raisonnables. Ces conclusions s’appuient sur les incohérences relevées entre le témoignage du demandeur devant la SPR, les déclarations contenues dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] et, dans certains cas, les déclarations qu’il a faites lors de l’entrevue aux États‑Unis. J’examinerai successivement chacune des conclusions tirées quant à la crédibilité.

(1)  L’incident de 2012 (cocotier)

[5]  Le demandeur a déclaré qu’en 2012, des soldats sri‑lankais l’ont harcelé et torturé, le frappant à coups de poing et de pied alors qu’il était attaché à un cocotier. Lors de son témoignage devant la SPR, il a été invité à expliquer la cause de cet incident et à préciser, plus particulièrement, si les militaires lui avaient demandé quoi que ce soit. Il n’arrivait pas à se souvenir. Pourtant, dans son formulaire FDA, il a indiqué que des soldats lui avaient demandé de leur acheter, à ses frais, des rafraîchissements et qu’il avait poliment refusé. Son refus d’accéder à leur demande était ce qui a déclenché l’incident.

[6]  Ne pouvant accepter l’idée qu’une telle demande puisse être oubliée, si tant est qu’elle ait été faite, le tribunal a conclu que l’incident du « cocotier » ne s’était pas produit. À cet égard, le dossier montre que même si le rapport du psychiatre [le rapport] précise qu’au cours de sa rencontre avec le médecin, le demandeur était incapable de se rappeler les dates des événements importants, rien dans ce rapport ne laisse entendre qu’il n’était pas en mesure de se souvenir des événements proprement dits.

(2)  Victime pendant un an d’agressions sexuelles par le chef de police

[7]  Les dates d’arrestation données par le demandeur sont incohérentes. Lors de l’entrevue aux États‑Unis, il a déclaré que l’arrestation à la suite de laquelle il a été agressé sexuellement pendant un an a eu lieu en 2015, alors qu’il a dit, dans son témoignage devant la SPR, que cette arrestation s’était produite en 2016. Cependant, lorsqu’il a été informé qu’il avait indiqué 2015 comme date lors de l’entrevue aux États‑Unis, il a modifié son témoignage et a déclaré que l’arrestation qui a mené aux agressions avait bien eu lieu en 2015. Cette correction après coup a amené le tribunal à tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[8]  Compte tenu du rapport dans lequel il est indiqué que le demandeur a de la difficulté avec les dates, je suis d’avis qu’il était déraisonnable de fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des preuves incohérentes au sujet des dates. D’autres incohérences ont toutefois été relevées en lien avec cet événement.

[9]  Devant la SPR, le demandeur a affirmé avoir été amené au poste de police parce qu’il avait refusé de vendre de la drogue pour le compte de la police. Toutefois, dans son formulaire FDA, il a déclaré qu’il a été arrêté à la demande d’un trafiquant de drogue qu’il avait réprimandé pour avoir vendu de la drogue. En outre, lors de l’entrevue aux États‑Unis, il a déclaré avoir été arrêté parce qu’il était un bel homme comparativement à d’autres Sri‑Lankais. À mon avis, il était raisonnable de tirer de cette preuve incohérente une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, et il était justifié, sur la base de cette preuve, de conclure que les agressions sexuelles qui auraient suivi l’arrestation n’ont pas eu lieu.

(3)  Suicide

[10]  Le demandeur a déclaré avoir tenté de se suicider en août 2016, alors qu’il a indiqué dans son formulaire FDA que sa tentative de suicide remontait à décembre 2016. Là encore, à la lumière du rapport, je conclus qu’il était déraisonnable de s’appuyer sur ce motif pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[11]  Toutefois, là encore, une grave incohérence a été relevée. Dans son témoignage, le demandeur a affirmé avoir utilisé un insecticide liquide et, dans son formulaire FDA, il a déclaré l’avoir ingéré. Or, lors de l’entrevue aux États‑Unis, il a affirmé avoir pris des comprimés. À mon avis, il était raisonnable de tirer de cette incohérence une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

2.  Le profil de risque résiduel

[12]  La deuxième question à trancher consiste à déterminer si le tribunal a considéré le profil de risque résiduel du demandeur comme celui d’un homme tamoul d’âge moyen de retour au pays et n’ayant aucun lien antérieur avec les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul. À mon avis, le renvoi du tribunal à un rapport récent du ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce, qui traite de la position des Tamouls de retour au pays, appuie la conclusion du tribunal selon laquelle le profil du demandeur ne correspond pas au profil de risque actuel. Par conséquent, cette conclusion était raisonnable.

III.  Conclusion

[13]  Étant donné que le demandeur n’a pas été en mesure de rendre un témoignage cohérent à l’égard de questions fondamentales telles que l’événement à l’origine de la torture qu’il aurait subie alors qu’il était attaché à un cocotier, la cause de son arrestation à la suite de laquelle il aurait été agressé sexuellement pendant un an par le chef de police et la méthode qu’il aurait employée pour tenter de se suicider, j’estime qu’il était raisonnable de la part du tribunal de conclure que ces événements ne se sont pas produits et que les autres allégations formulées dans la demande d’asile ne reflètent pas non plus les événements survenus.

IV.  Certification

[14]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-562-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que l’intitulé de la cause doit être modifié pour corriger le nom de famille du demandeur afin qu’il se termine par les lettres « EL » et non « AL ».

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de décembre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-562-19

 

INTITULÉ :

ARIKARAN SENTHIVEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

John M. Guoba

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John M. Guoba

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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