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Date : 20030225

Dossier : IMM-2029-02

                                                                                              Référence neutre : 2003 CFPI 242

ENTRE :        

                                                                 SAIRA ALI

                                                              TEHREEM ALI

                                                                                                                               demanderesses

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE RUSSELL

Réparation demandée

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi) à la suite de la décision par laquelle la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 4 avril 2002, que les demanderesses n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]                 La demanderesse principale allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa religion, en ce sens qu'elle est une musulmane chiite de naissance. Elle déclare que les agents persécuteurs sont membres du Sipah-e-Sahaba Pakistan (le SSP).

Exposé des demanderesses

[3]                 Les demanderesses sont une mère et sa fille; elles sont citoyennes du Pakistan.

[4]                 La demanderesse principale allègue qu'elles ne peuvent pas bénéficier de la protection de l'État.

[5]                 La demanderesse principale a témoigné que son conjoint et elle étaient des musulmans chiites de naissance. Son conjoint est devenu secrétaire trésorier de leur Imam Bargah local au mois de décembre 1999.

[6]                 Au mois de février 2000, le conjoint a été attaqué par des membres du SSP. Il a été blessé et il a dû être hospitalisé pendant cinq jours. Ils ont avisé en vain la police.

[7]                 Au mois d'avril 2000, la demanderesse principale a été battue en rentrant chez elle à la suite d'une activité chez l'Imam Bargah. Elle a expliqué qu'elle avait été giflée au visage et qu'on l'avait insultée. Ils ont encore une fois avisé la police sans succès.


[8]                 Au mois de juillet 2000, un majlis qui se déroulait chez la demanderesse principale a été interrompu par des membres du SSP, qui ont battu les visiteurs et qui ont pillé et saccagé la maison. Des agents de police sont arrivés et ont arrêté quelques malfaiteurs, qui ont ensuite été mis en liberté sur paiement d'un pot-de-vin.

[9]                 Au mois d'octobre 2000, des membres du SSP sont entrés de force chez la demanderesse principale et ont battu la demanderesse principale et son conjoint. Ce dernier a dû être hospitalisé. La maison a encore une fois été saccagée et détruite. Le couple a informé la police qui, toutefois, n'a procédé à aucune arrestation.

[10]            Au mois de décembre 2000, le magasin du conjoint a été saccagé et détruit par le SSP. La demanderesse principale a déclaré avoir, avant cet événement, reçu des appels téléphoniques de menace du SSP. Le couple a informé la police, mais aucune arrestation n'a été effectuée.

[11]            Au mois de janvier 2001, le conjoint a été arrêté par la police. La demanderesse principale a déclaré que la police arrêtait des musulmans chiites dans le seul but d'obtenir des pots-de-vin. Elle a déclaré qu'on avait battu et humilié son conjoint et qu'on l'avait menacé pour le forcer à verser un pot-de-vin. Le conjoint a été mis en liberté quatre jours plus tard sur paiement de 40 000 roupies.


[12]            Le conjoint de la demanderesse principale, qui craignait pour leurs vies, a retenu les services d'un passeur qui a fait venir la demanderesse principale et sa fille au Canada. La demanderesse principale a témoigné que le passeur n'avait pas pu prendre de dispositions pour son conjoint, qui attend encore en Arabie saoudite d'avoir la possibilité de venir au Canada.

Décision de la Commission

[13]            La Commission a statué que la demanderesse principale n'était pas un témoin crédible et que l'histoire qu'elle avait racontée au sujet des persécutions dont elle avait été victime par le passé n'était pas convaincante. La Commission a également conclu que les allégations de la demanderesse principale selon lesquelles la protection fournie par l'État n'était pas adéquate n'étaient pas étayées par la documentation.


[14]            En ce qui concerne l'allégation de la demanderesse principale selon laquelle il n'était pas possible de se réclamer de la protection de l'État, la Commission a noté qu'il y avait de la violence sectaire au Pakistan, mais que le gouvernement avait fait de sérieux efforts pour contrer pareille violence. Selon la preuve documentaire, les autorités considéraient comme criminelles les organisations militantes sunnites que la demanderesse principale craignait et l'État faisait de sérieux efforts pour sévir contre ces organisations et les actes de violence auxquels elles se livraient. Dès le mois de février 2001, il y avait eu une augmentation des arrestations de membres du SSP et, au mois d'août 2001, le gouvernement avait interdit tant le Sipa-e-Mohammed que le Lashkar-e-Jhangvi. En outre, l'État avait pris de plus en plus de mesures pour contrer la violence sectaire depuis les événements du 11 septembre 2001. Par suite de ces conclusions, la Commission a statué que l'État fournissait une protection adéquate aux demandeurs au Pakistan.

Arguments des demanderesses et motifs invoqués

[15]            Les demanderesses allèguent qu'en rendant sa décision, la Commission :

1.         a commis une erreur de droit en faisant une inférence défavorable sans tenir compte de la totalité de la preuve et en interprétant mal la preuve dont elle disposait;

2.         a commis une erreur en n'accordant pas d'importance aux documents justificatifs présentés à l'audience; et

3.         a tiré une conclusion de fait arbitraire qui n'était pas étayée par la preuve, selon laquelle les demanderesses ne risquent pas d'être persécutées au Pakistan.


Position du défendeur

[16]            Le défendeur soutient que la Commission n'a pas tiré de conclusions abusives et que les conclusions tirées par la Commission étaient toutes étayées par la preuve dont cette dernière disposait.

Analyse

[17]            La Commission doutait de la crédibilité de la demanderesse principale en ce qui concerne les persécutions commises par le passé et elle croyait que le témoignage de la demanderesse principale ne s'accordait pas avec la probabilité caractérisant l'ensemble de l'affaire.

[18]            Dans sa décision, la Commission a cité la preuve documentaire recueillie par un collègue dans le cadre d'une audience antérieure qui se rapportait à une demande similaire et elle s'est fondée sur cette preuve. Pareille preuve documentaire donnait à entendre que le Pakistan prenait des mesures efficaces rigoureuses pour contrer le genre de violence sectaire que craignait la demanderesse principale et pour lutter contre cette violence.

[19]            La Commission a apprécié les craintes de la demanderesse principale par rapport à cette preuve documentaire et elle a conclu que la demanderesse principale n'avait pas présenté « une preuve crédible et fiable sur laquelle elle pouvait se baser pour conclure que les demanderesses [étaient] des réfugiées au sens de la Convention » .


[20]            Les demanderesses remettent à maints égards en question la décision de la Commission :

Crédibilité

La demanderesse principale soutient que la Commission a commis une erreur en disant qu'aucun élément de preuve ne corroborait l'allégation selon laquelle la police, à Guranwala, avait arrêté des chiites avec l'intention de leur extorquer de l'argent à l'occasion d'une campagne menée pour des motifs religieux. Elle cite le United States Department of State Report on Human Rights Practices in Pakistan, qui indique que la police est généralement corrompue et que de fausses accusations sont portées à des fins d'extorsion. En outre, la demanderesse principale soutient qu'à cause de l'atmosphère d'intolérance religieuse envers les sectes musulmanes minoritaires telles que les chiites, il est vraisemblable que la police s'en prenne expressément aux chiites à des fins d'extorsion, puisque ceux-ci constituent un élément vulnérable de la société. La demanderesse principale affirme que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve dans son ensemble et que cela constitue une erreur de droit.


La demanderesse principale affirme également que la Commission a commis une erreur en faisant une inférence défavorable au sujet de sa crédibilité pour le motif qu'elle ne peut pas établir les allées et venues de son conjoint. Elle signale qu'elle a fourni à la Commission l'adresse et le numéro de téléphone de son conjoint en Arabie saoudite. Elle a expliqué qu'elle avait utilisé des cartes d'appel prépayées pour communiquer avec lui et qu'elle n'avait donc pas de relevé des appels téléphoniques. Elle a fait savoir qu'elle ne pouvait pas non plus obtenir d'affidavit de la personne chez qui son conjoint habitait étant donné qu'en Arabie saoudite, il est illégal d'héberger des immigrants illégaux. La demanderesse principale affirme que la Commission n'a pas tenu compte de l'explication raisonnable qu'elle avait donnée et que cela constitue une erreur de droit.

Documents justificatifs

La demanderesse principale affirme que la Commission a commis une erreur en décidant de ne pas accorder d'importance à ses documents justificatifs. La Commission a statué qu'il est facile de se procurer des documents frauduleux au Pakistan et que les documents auraient pu être rédigés pour corroborer de fausses déclarations. La demanderesse principale affirme que la Commission n'a pas de connaissances spéciales dans le domaine de la science légale et qu'elle aurait dû renvoyer pour vérification les documents à la GRC ou aux organisations compétentes au Pakistan. La demanderesse principale soutient qu'étant donné qu'il n'existe pas de preuve digne de foi montrant que les documents étaient frauduleux, la conclusion tirée par la Commission était abusive.


Risque de persécution

La demanderesse principale soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'elle ne risquait pas d'être persécutée au Pakistan. Elle cite le document intitulé United States Department of State Report on Human Rights Practices for Pakistan, publié au mois de février 2001, qui indique que la persécution des minorités religieuses telles que les chiites pose un problème sérieux.

La demanderesse principale affirme également que la Commission a commis une erreur en se fondant sur des déclarations dans lesquelles le général Musharaff avait annoncé que l'on tentait de contrer la violence sectaire. Elle signale que le président a prononcé son discours le 12 janvier 2002, un mois à peine avant la date de l'audience, et qu'il est prématuré de conclure que les tentatives qu'il avait annoncées étaient efficaces lorsqu'il s'agissait de contrer la violence dont les chiites étaient victimes. De fait, la preuve documentaire soumise par la demanderesse principale indique que la violence contre les chiites a continué même après que ce discours à la nation eut été prononcé.


La demanderesse principale affirme que même si la Commission a conclu qu'elle n'était pas crédible, il fallait néanmoins déterminer si elle craignait avec raison d'être persécutée par suite de son appartenance à un groupe religieux et social particulier. La demanderesse principale affirme que, cela étant, la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve relative à la persécution dont les chiites étaient victimes et en fondant ses conclusions sur des hypothèses prématurées selon lesquelles la situation avait changé dans le pays.

[21]            La décision de la Commission, en ce qui concerne le fait que les demanderesses n'ont pas fourni de documentation corroborante compte tenu du fait que le témoignage de la demanderesse principale n'est pas intrinsèquement cohérent, suscite à certains égards des préoccupations; il existe bon nombre de décisions émanant de la Cour dans lesquelles il est dit qu'en l'absence de preuve contredisant le témoignage d'un demandeur, la Commission ne devrait pas exiger de documents corroborants.

[22]            Toutefois, la décision de la Commission est axée sur l'invraisemblance de l'histoire que la demanderesse principale a racontée au sujet de la persécution religieuse passée, en particulier si elle est examinée à la lumière de la preuve documentaire concernant le caractère adéquat de la protection fournie par l'État. À cet égard, la Commission peut à bon droit soupeser l'histoire de la demanderesse principale par rapport à la preuve documentaire mise à sa disposition et conclure que la version de la demanderesse principale laisse à désirer. Or, c'est ce que la Commission a fait.


[23]            La Commission doutait du témoignage de la demanderesse principale parce qu'il « s'écart[ait] de la probabilité qui caractérise l'ensemble [de l']affaire » et, en particulier, parce que la Commission n'était pas d'accord avec la demanderesse principale en ce qui concerne le fait que l'État offrait une protection et que cette protection était efficace, comme le montrait la documentation mise à sa disposition. Il faut donc absolument s'assurer que la Commission a correctement examiné toute la preuve documentaire disponible qui se rapportait à sa décision.

[24]            À cet égard, l'avocate des demanderesses mentionne divers documents dont disposait la Commission et allègue que la Commission [TRADUCTION] « a commis une erreur en interprétant mal la preuve documentaire disponible se rapportant à la situation dans le pays » .

[25]            Toutefois, cela revient simplement à dire que la Commission a accordé plus d'importance à certains éléments de preuve documentaire dont elle disposait. Rien ne donne à entendre que la Commission [TRADUCTION] « n'ait fait aucun cas de la preuve démontrant qu'au Pakistan, les chiites étaient persécutés » , ainsi que d'autres [TRADUCTION] « éléments de preuve pertinents versés au dossier » , comme l'allègue l'avocate des demanderesses. Au contraire, la Commission dit expressément dans sa décision qu' « [elle] ne veu[t] certes pas laisser entendre que le problème de la violence sectaire au Pakistan est mineur [...] » .


[26]            Comme l'a souligné l'avocate du défendeur, la Commission n'est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve et elle peut à bon droit retenir certains éléments de la preuve documentaire plutôt que d'autres éléments mis à sa disposition. De plus, comme la Cour d'appel fédérale l'a fait remarquer dans l'arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 946, « [l]e fait que la Commission n'a pas mentionné dans ses motifs une partie quelconque de la preuve documentaire n'entache pas sa décision de nullité » .

[27]            Dans l'arrêt Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, la Cour d'appel fédérale a statué qu'il existe une présomption selon laquelle toute la preuve documentaire est prise en considération :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.

[28]            L'examen de la décision dans son ensemble montre que la Commission a soupesé la preuve disponible et qu'elle a conclu que l'histoire de la demanderesse principale n'était pas convaincante. Il s'agissait à coup sûr d'une conclusion que la Commission pouvait à bon droit tirer et, ce faisant, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision.

[29]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[30]            Les avocates devront signifier et déposer leurs arguments en ce qui concerne la certification d'une question de portée générale dans les sept jours qui suivront la date de la réception de ces motifs. Chaque partie disposera d'un délai additionnel de trois jours pour signifier et déposer une réponse aux arguments de la partie adverse, à la suite de quoi une ordonnance sera rendue.

« James Russell »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 25 février 2003.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-2029-02

INTITULÉ :                                                                     SAIRA ALI ET AUTRE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE MARDI 18 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                                  le 25 février 2003

COMPARUTIONS :

Mme Lani Gozlan                                                               POUR LES DEMANDERESSES

Mme Patricia MacPhee                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Lani Gozlan                                                                POUR LES DEMANDERESSES

Avocate

Max Berger et associés

1033, rue Bay

Bureau 207

Toronto (Ontario)

M5S 3A5

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR        

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                       Date : 20030225

                                       Dossier : IMM-2029-02

ENTRE :        

SAIRA ALI

TEHREEM ALI

                                                        demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                  

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