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Date : 20030131

Dossier : IMM-4996-01

Référence neutre : 2003 CFPI 110

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                  JOSEMAR MONTEIRO (alias JOSEMAR LOURENCO MONTEIRO),

ISABEL PAULO (alias ISABEL MARIA FRANCISCO PAULO),

INDIRA MONTEIRO (alias INDIRA VISOLELA PAULO MONTEIRO),

représentée par son tuteur à l'instance, JOSEMAR MONTEIRO

demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C (1985), ch. I-2, et ses modifications, qui vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, en date du 26 septembre 2001, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention aux demandeurs.


[2]                 Les demandeurs demandent à la Cour d'annuler la décision de la SSR et de renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci l'entende et statue de nouveau sur elle.

Contexte

[3]                 Les demandeurs sont Josemar Monteiro (alias Josemar Lourenco Monteiro) (le demandeur principal), son épouse, Isabel Paulo (alias Isabel Maria Francisco Paulo) (la demanderesse), et leur fille, Indira Monteiro (alias Indira Visolela Paulo Monteiro) (la demanderesse mineure).

[4]                 Les demandeurs, des citoyens de l'Angola, prétendent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social et de leurs opinions politiques, deux motifs prévus par la Convention. Ils prétendent craindre d'être persécutés par le gouvernement du Mouvement populaire de libération de l'Angola (le MPLA), parce que celui-ci soupçonne le demandeur principal de faire partie d'un groupe de guérilleros appelé l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (l'UNITA). Les demandeurs affirment qu'ils seront arrêtés à l'aéroport, sauvagement torturés et exécutés sans autre forme de procès par le gouvernement du MPLA s'ils retournent en Angola.

[5]                 Les demandeurs ont vécu à Caala City, dans la province de Huambo, en Angola, du 7 février 1996 au 25 octobre 1999. À l'époque, le demandeur principal exploitait une épicerie dont il était propriétaire. Au début de 1999, le gouvernement aurait accusé le demandeur principal de vendre de la nourriture aux membres de l'UNITA et de leur fournir des renseignements. Le gouvernement lui a ordonné de cesser de le faire et de l'aider plutôt à obtenir de l'information sur l'UNITA. Il s'est mis à le harceler continuellement pour lui soutirer de l'information sur le groupe de guérilleros. Comme le demandeur principal ne lui a fourni aucune information, le gouvernement l'a considéré comme un membre de l'UNITA.

[6]                 Selon le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur principal, la police est venue chez lui le 25 octobre 1999 pour en savoir plus sur ses liens avec l'UNITA. Le père, la mère et le frère du demandeur principal, Augusto Josefina Monteiro (Augusto), ont tous été interrogés par la police. Celle-ci les a battus et a tout détruit parce qu'elle n'arrivait pas à obtenir de l'information. Le père et la mère du demandeur principal ont alors été tués.

[7]                 Pendant cet incident, les demandeurs se trouvaient dans l'annexe de la maison principale. Cette annexe est située dans la cour arrière de la maison principale, de laquelle elle est séparée par un [traduction] « petit espace » . Augusto a réussi à s'échapper de la maison et a conseillé aux demandeurs de prendre la fuite. Les demandeurs et Augusto se sont enfuis à Namibie, où ils sont restés un mois avant d'aller en Afrique du Sud, aux États-Unis et, finalement, au Canada.

[8]                 Augusto est retourné en Angola pour confirmer le décès de ses parents. Selon le demandeur principal, Augusto est demeuré à Luanda, la capitale, pendant qu'il était en Angola.

Décision de la SSR

[9]                 Le 27 août 2001, un tribunal composé d'un seul membre de la SSR a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. La SSR a considéré qu'il y avait des aspects fondamentaux du récit des demandeurs qui n'étaient pas crédibles et que, pris cumulativement, ils minaient la crédibilité de ce récit. La SSR a notamment relevé ce qui suit :

1.          Les certificats de décès des parents du demandeur principal ne concordent pas avec les renseignements contenus dans le FRP de ce dernier relativement à l'âge des parents à la date de décès présumée. Selon le demandeur principal, cette divergence était attribuable à une erreur de l'agent des registres de l'état civil. Cette explication n'était pas satisfaisante aux yeux de la SSR.

2.          Dans une lettre qu'il a écrit au demandeur principal le 16 juillet 2001, Augusto fait référence à la [traduction] « disparition » de ses parents le 25 novembre 1999. Cette lettre soulevait deux problèmes :

(a)         Selon le témoignage du demandeur principal et la date figurant sur les certificats de décès, ses parents ont été tués le 25 octobre 1999. L'explication donnée par le demandeur selon laquelle Augusto a fait une erreur quant à la date n'était pas acceptable aux yeux de la SSR.


(b)         Selon la SSR, l'emploi du terme [traduction] « disparition » plutôt que celui d'[traduction] « assassinat » par Augusto n'était pas qu'une question de sémantique. La SSR ne croyait pas que le décès des parents était un cas de disparition, en particulier parce que le demandeur principal a fait état dans son témoignage du retour d'Augusto en Angola pour confirmer l'assassinat de leurs parents.

3.          Aux yeux de la SSR, il n'était pas crédible qu'Augusto retourne dans la province de Huambo, en Angola, pour confirmer l'assassinat de ses parents, compte tenu en particulier du fait qu'il aurait échappé à la mort le jour où ses parents ont été tués. La SSR a aussi considéré que la preuve du demandeur principal selon laquelle Augusto l'avait appelé de Luanda, la capitale de l'Angola, était incompatible avec d'autres éléments de sa preuve.

4.          Selon la SSR, il n'était pas crédible non plus qu'après avoir confirmé l'assassinat de ses parents Augusto soit resté en Angola où il était en danger.

Prétentions des demandeurs

[10]            Les demandeurs soutiennent que la Cour doit annuler les motifs de la SSR où celle-ci a rendu, relativement à la crédibilité, une décision défavorable fondée sur des conclusions tirées de façon arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[11]            Les demandeurs soutiennent que la SSR a commis une erreur de droit en interprétant mal la preuve qui lui avait été présentée, en tirant des conclusions de façon arbitraire et en rendant une décision défavorable concernant la crédibilité en se fondant sur cette mauvaise interprétation et ces conclusions arbitraires. Ils font valoir en particulier que la SSR a mal interprété la preuve relative au retour d'Augusto en Angola, l'emploi du terme [traduction] « disparition » par ce dernier dans sa lettre du 16 juillet 2001, l'erreur de calcul concernant l'âge des parents à leur décès et le statut de l'enfant mineur.

Prétentions du défendeur

[12]            Sans traiter directement de la norme de contrôle, le défendeur prétend que la Cour ne devrait pas intervenir si la preuve étaye logiquement la conclusion défavorable tirée par la SSR relativement à la crédibilité.

[13]            Selon le défendeur, la SSR n'a pas mal interprété la preuve. Il fait valoir cependant que, même si la SSR avait mal interprété certains éléments de preuve, les autres faits et éléments appuient logiquement la décision défavorable relative à la crédibilité.

[14]            Questions en litige

1.          Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions de la SSR concernant la crédibilité?


2.          Les conclusions tirées par la SSR relativement à la crédibilité étaient-elles étayées par la preuve?

Analyse et décision

[15]            Question no 1

Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions de la SSR concernant la           crédibilité?

Il est bien établi en droit que les conclusions relatives à la crédibilité sont au coeur de la compétence de la SSR et doivent être l'objet d'une grande retenue. Monsieur le juge Kelen, de la Cour, a dit ce qui suit dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1194, A.C.F. no 1611 (QL) (1re inst.), au paragraphe 4 :

La Commission est un tribunal spécialisé en ce qui a trait aux revendications du statut de réfugié. En 2001, la Commission a instruit plus de 22 000 revendications du statut de réfugié, elle en a admis 13 336 et elle en a refusé 9 551. Par ailleurs, la Commission a un accès direct aux dépositions des témoins, et elle est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale s'était exprimée ainsi :

Qui, en effet, mieux que la section du statut de réfugié, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

Je suis aussi de cet avis.

[16]            Question no 2

Les conclusions tirées par la SSR relativement à la crédibilité étaient-elles étayées par la         preuve?

La SSR a considéré que le témoignage du demandeur principal, qui a été le seul à témoigner, n'était pas crédible. Elle a expliqué pourquoi elle arrivait à cette conclusion et a écrit, à la page 4 de sa décision :

Le tribunal estime que l'effet cumulatif des incohérences et des invraisemblances dans la preuve nuit à la crédibilité du récit du revendicateur. En conséquence, le tribunal ne croit pas au récit des événements que le revendicateur a fait. Le tribunal conclut au rejet des revendications en raison d'un manque de crédibilité.

[17]            La SSR a indiqué que ce sont les éléments suivants qui l'ont amenée à conclure au manque de crédibilité :

1.          la preuve relative au retour d'Augusto en Angola;

2.          l'emploi, par Augusto, du terme [traduction] « disparition » dans sa lettre du 16 juillet 2001;

3.          l'erreur figurant dans les certificats de décès des parents;

4.          le [traduction] « drame » survenu le 25 novembre 1999.

Les demandeurs ont contesté chacun de ces éléments. Je me propose de les examiner un par un.

[18]            1.         La preuve relative au retour d'Augusto en Angola


La SSR a indiqué, dans sa décision, qu'Augusto était retourné à Huambo pour confirmer l'assassinat de ses parents. En fait, il ressort de la preuve qu'Augusto est retourné en Angola pour enquêter sur la disparition de ses parents. Il n'est pas allé à l'endroit où ses parents ont été tués. Les demandeurs soutiennent que la SSR a commis une grave erreur de droit en interprétant mal la preuve et en s'appuyant sur celle-ci pour conclure qu'ils n'étaient pas crédibles. La SSR a écrit, à la page 3 de sa décision, au sujet du retour d'Augusto en Angola :

Le tribunal n'estime pas digne de foi non plus le retour d'Augusto en Angola afin de confirmer l'assassinat de ses parents.

et

Le tribunal n'estime pas non plus digne de foi que, après avoir confirmé les meurtres de ses parents, Augusto reste en Angola, continuant ainsi de mettre sa vie en péril.

Je ne suis pas convaincu que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard.

[19]            2.         L'emploi, par Augusto, du terme [traduction] « disparition » dans sa lettre du 16 juillet 2001

Augusto a écrit dans sa lettre du 16 juillet 2001 qu'il se sentait mal au sujet de la disparition de ses parents. Or, le demandeur principal a affirmé que ses parents ont été tués le 25 octobre 1999. La SSR s'est fondée sur cette divergence pour conclure que le témoignage du demandeur principal n'était pas crédible. J'estime que, comme Augusto était présent lorsque l'attaque est survenue, il n'était pas déraisonnable que la SSR s'appuie sur l'emploi du terme [traduction] « disparition » pour tirer sa conclusion au sujet de la crédibilité. Les demandeurs ont prétendu qu'il n'y a pas réellement de différence entre une [traduction] « disparition » et un [traduction] « assassinat » . Je ne suis pas d'accord avec eux.

[20]            3.         L'erreur figurant dans les certificats de décès des parents

Le demandeur principal a écrit dans son FRP que son père est né en 1945 et sa mère, en 1951. Ils avaient donc 54 et 48 ans en 1999. Or, les certificats de décès indiquent qu'ils étaient âgés de 50 et de 56 ans au moment de leur décès. Le demandeur principal a expliqué cette différence en faisant valoir que les autorités avaient dû faire une erreur. Je suis convaincu que la SSR n'a pas mal interprété la preuve et qu'elle n'a pas commis d'erreur en se fondant sur cette différence pour conclure au manque de crédibilité des demandeurs.

[21]            4.         Le [traduction] « drame » survenu le 25 novembre 1999

Dans sa lettre du 16 juillet 2001, Augusto fait référence au [traduction] « drame » survenu le 25 novembre 1999 lorsqu'il parle de la disparition de ses parents. Le demandeur principal a indiqué dans son témoignage et dans son FRP que ses parents ont été tués le 25 octobre 1999. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer les dates différentes, il a répondu que son frère avait dû faire une erreur. Je suis d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en utilisant cette divergence pour conclure au manque de crédibilité des demandeurs.

[22]            Les demandeurs ont aussi invoqué, dans l'exposé de leurs arguments, le fait que la SSR a parlé de l'enfant mineure du demandeur principal et de son épouse comme d'une enfant adoptée, alors qu'il s'agit de leur enfant biologique. J'admets que la SSR s'est trompée, mais cette erreur n'a eu aucune incidence sur sa décision.

[23]            En conclusion, je suis d'avis que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en concluant que « l'effet cumulatif des incohérences et des invraisemblances dans la preuve nuit à la crédibilité du récit du revendicateur » .

[24]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]            Les parties n'ont pas demandé qu'une question grave de portée générale soit certifiée.

ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 31 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                     IMM-4996-01

INTITULÉ :                   JOSEMAR MONTEIRO (alias JOSEMAR LOURENCO MONTEIRO), ISABEL PAULO (alias ISABEL MARIA FRANCISCO PAULO), INDIRA MONTEIRO (alias INDIRA VISOLELA PAULO MONTEIRO), représentée par son tuteur à l'instance, JOSEMAR MONTEIRO

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le jeudi 3 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS : Le vendredi 31 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell                                       POUR LES DEMANDEURS

Steven Jarvis                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates                           POUR LES DEMANDEURS

74, rue Victoria

Bureau 300

Toronto (Ontario) M5C 2A5

Ministère de la Justice                              POUR LE DÉFENDEUR

The Exchange Tower

130, rue King Ouest

Bureau 3400, casier 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6

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