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Date : 20031010

 

Dossier : IMM-4644-02

 

Référence : 2003 CF 1177

 

(Ottawa) Ontario, le 10 octobre 2003

 

Présente :     Lhonorable juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

                                                 MARIO ROBERTO CIRILO RUIZ

 

                                                                                                                                      Demandeur

 

 

                                                                            et

 

 

 

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE LIMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                        Défendeur

 

 

 

                                MOTIFS DE LORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section du statut (le «tribunal») rendue le 6 septembre 2002 selon laquelle il concluait que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention et qu’il était exclu de la Convention en vertu des alinéas 1Fa) et c).

 

[2]               Le demandeur, citoyen du Pérou, et son épouse, Mme Mejia, sont arrivés au Canada, le 16 mars 2001, en compagnie de leurs deux fils mineurs.  Ils ont revendiqué le statut de réfugié au point d’entrée.  Le demandeur allègue une crainte bien fondée de persécution dans son pays en raison d’opinions politiques imputées.

 

[3]               Mme Mejia conteste les conclusions du tribunal dans le dossier portant le numéro IMM-4645-032 du greffe de la Cour fédérale.

 

[4]               Au soutien de sa revendication, le demandeur allègue les faits suivants:

 

[5]               Le demandeur est entré dans la Marine du Pérou en 1984.  Après avoir suivi un entraînement de trois ans au Centre d’instruction technique d’entraînement naval, il a travaillé dans les zones d’urgence instaurées par le gouvernement pour lutter contre le Sentier Lumineux et le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru (le «MRTA»).

 

[6]               Celui-ci aurait connu ses premiers affrontements avec le Sentier Lumineux dans la zone d’Aguaytia en 2000 et 2001.

 


[7]               Le 10 octobre 2000, la patrouille dont il faisait partie aurait capturé trois subversifs qui avouèrent l’existence dans la région d’une base subversive.  Le 15 janvier 2001, la patrouille aurait pris le contrôle de cette base et aurait capturé 10 personnes en possession d’armes, de munitions et de drogues.  M. Ruiz a attribué ses problèmes et ceux de sa famille à cette arrestation.  Il en aurait relaté les circonstances à son commandant et rédigé un rapport qu’il aurait remis au service de l’Intelligence.

 

[8]               Le 16 janvier 2001, M. Ruiz aurait reçu des menaces de mort.  Il en aurait informé le commandant qui lui aurait promis de faire enquête.  Il aurait également été menacé de mort le lendemain s’il ne retirait pas son rapport.

 

[9]               Le 25 janvier 2001, Mme Mejia aurait été interceptée devant la maison par deux individus qui la menacèrent de mort.  Elle a porté plainte le même jour au commissariat.  Cependant, elle n’a pu identifier les individus.  Le 10 février 2001, elle aurait été frappée et violée par trois hommes portant des cagoules; son cousin fut tué.

 

[10]           Le demandeur aurait décidé de se cacher avec sa famille et de prendre les dispositions nécessaires pour quitter le pays le plus rapidement possible après avoir dénoncé les faits survenus auprès des autorités.

 

[11]           M. Ruiz et sa famille ont quitté le Pérou le 15 mars 2001.

 

[12]           Le tribunal a conclu que l’histoire relatée par M. Ruiz n’était pas crédible compte tenu des invraisemblances dans son témoignage quant à des éléments essentiels à sa revendication.  En conséquence, il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, c. I-2.


 

[13]           Le tribunal concluait de plus, que le demandeur principal était exclu de l’application de la Convention, en vertu des alinéas 1Fa) et c).

 

1.         Le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention

 

[14]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable pour les questions de faits est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[15]           Le tribunal a jugé non crédible l’histoire de M. Ruiz.  Il note plusieurs contradictions, incohérences et invraisemblances dans son témoignage lequel est contredit par la preuve documentaire au dossier et pour lesquelles le demandeur n’a pu donner une explication satisfaisante.

 

[16]           Cette conclusion est appuyée par la preuve au dossier et ne peut être écartée puisqu’elle n’est pas manifestement déraisonnable.

 


[17]           Quant à la conclusion du tribunal à l’effet que même si l’histoire de M. Ruiz était crédible sa revendication n’avait aucun lien avec la Convention, la jurisprudence a établi que les victimes de criminalité ou de vengeance personnelle ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention (Chan c. Canada (M.E.I.), [1995] 3 R.C.S. 593; Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689; Calero c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1159 (QL); Karpounin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 92 F.T.R. 219; Wilcox c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1157 (QL); Marincas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1254 (QL)).

 

[18]           Il est vrai que depuis l’arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327, dans les cas où les éléments corrompus sont si répandus au sein du gouvernement qu’ils font partie de la structure de ce dernier, une dénonciation de la corruption constitue l’expression d’une «opinion politique».  Il est évident qu’une personne qui ne fait qu’obéir à des ordres sans dénoncer la corruption ne peut pas déclarer avoir exprimé une «opinion politique».

 

[19]           Le demandeur soutient que lui et sa famille avaient subi des représailles parce qu’il était perçu comme une personne qui combattait la corruption par une alliance de narcotrafiquants et de militaires corrompus.  Hors, cette prétention ne repose sur aucun élément de preuve.  Cette Cour s’est penchée récemment sur une situation semblable dans l’arrêt Stefanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 954 (QL), où le demandeur revendiquait le statut de réfugié parce qu’il avait refusé de modifier un logiciel qu’il avait créé pour aider un groupe de crime organisé bulgare à détourner des fonds.  Au paragraphe 26, le juge Blanchard écrit:


Le demandeur soutient qu’il s’agit d’un cas dans lequel la preuve permet de conclure que la seule ou la principale raison pour laquelle il avait été persécuté était qu’il s’était insurgé contre la corruption, de sorte qu’il existe un lien avec un des motifs reconnus par la Convention.  Je ne suis pas de cet avis.  À mon sens, la preuve ne démontre pas que l’opposition du demandeur à la corruption repose sur des opinions politiques dans lesquelles l’appareil étatique peut être engagé.  Les agissements du demandeur à l’occasion de cet incident isolé ne démontrent pas l’existence d’opinions politiques fondées sur des convictions politiques.

 

 

 

[20]           Ces conclusions sont applicables dans le présent dossier.

 

[21]           En conséquence, le tribunal n’a commis aucune erreur qui justifierait l’intervention de cette Cour.

 

2.         L’exclusion du demandeur

 

[22]           La définition de «réfugié au sens de la Convention» au paragraphe 2(1) de la Loi se lit comme suit:


Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente loi.

 

[...] but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F or Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

 

 

 


 

[23]           La section Fa) de l’article premier de la Convention se lit comme suit:


[...]

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime e guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

 

[...]

 

[...]

 

a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes.

 

[...]

 

 

 


 

[24]           La Cour d’appel fédérale a adopté à maintes reprises la définition de crime contre l’humanité que l’on retrouve à l’article 6 du Statut du Tribunal militaire  international.  Ceux-ci comprennent :

[...]

 

 

c) Les crimes contre l’humanité: c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.

 

 

 

(Voir à cet effet:  Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433;  Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646;  Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 66.)

 

[25]           Dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, la Cour d’appel fédérale a établi que la norme de preuve comprise dans l’expression «raisons sérieuses de penser» en est une bien inférieure à celle qui est requise dans le cadre du droit criminel («hors de tout doute raisonnable») ou du droit civil («selon la prépondérance des probabilités ou prépondérance de preuve»).

 

[26]           Elle a de plus énoncé les critères applicables pour déterminer le degré de participation ou de complicité requis pour l’application de la clause d’exclusion aux pp. 317-18:


[...] À l’évidence, personne ne peut avoir « commis » des crimes internationaux sans qu’il n’y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente.

 

 

Quel est, alors, le degré de complicité requis?  La première conclusion à laquelle je parviens est que la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu’un de l’application des dispositions relatives au statut de réfugié. [...]

 

 

Toutefois, lorsqu’une organisation vise principalement des fins limitées et brutales comme celles d’une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.

 

 

[...]

 

 

Cependant, un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de simple spectateur.  Les membres d’un groupe peuvent à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits.

 

 

Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.  Ce principe est conforme au droit interne (p. ex. le paragraphe 21(2) du Code criminel) et, selon moi, il constitue la meilleure interprétation possible du droit international.

 

 

 

[27]           Ainsi, pour que l’application d’une clause d’exclusion entre en jeu, il faut d’abord démontrer un certain degré de «participation personnelle et consciente» aux crimes internationaux.  Il s’agit de la mens rea nécessaire.  La complicité dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.  Plus la personne occupe une fonction importante au sein d’une organisation qui a commis un ou des crimes, plus sa complicité sera probable.

 

[28]           Cependant, la simple appartenance à une organisation militaire qui commet sporadiquement des actes inhumains envers la population civile ne suffit pas en elle-même pour qu’on puisse invoquer la disposition d’exclusion, à moins que cette organisation ne poursuive des «fins limitées et brutales».  Ainsi, la règle générale connaît une exception lorsque l’existence même de l’organisation repose sur l’atteinte d’objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire (Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298).

 

[29]           En l’espèce, le demandeur s’est enrôlé dans la Marine en 1984 en tant que fantassin.  Il n’est devenu chef de patrouille d’un effectif de 150 soldats seulement qu’en 2000.  On retient de son témoignage qu’il nie avoir eu connaissance de la réputation de brutalité de la Marine.  Comme dans l’affaire Moreno, supra, il n’y a aucune preuve au dossier que le demandeur avait une connaissance préalable des crimes qui devaient être perpétrés.  On ne peut affirmer non plus qu’il a aidé directement ses officiers supérieurs ou qu’il les a encouragés à perpétrer un crime international.  Les actes ou les omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent non plus d’invoquer la disposition d’exclusion;  il faut établir une participation personnelle et consciente.  On ne peut non plus infirmer de par ses fonctions la complicité de celui-ci puisqu’il n’occupe pas de fonctions importantes.  Il n’y a aucune preuve étayant l’existence d’un dessein commun comme celui que partagent «l’auteur» et le «complice».

 

[30]           Bien sûr, sa seule appartenance aurait été suffisante pour conclure à sa participation s’il s’agissait d’une organisation qui poursuivait des fins «limitées et brutales».

 

[31]           Je constate que dans l’arrêt Ramirez, supra, le demandeur était membre de l’armée salvadorienne, une organisation dont les membres avaient commis des crimes contre l’humanité tels la torture et l’exécution de civils.  Le demandeur lui-même avait avoué avoir participé à des atrocités contre les populations.  En tant que soldat, il avait même torturé et tué des personnes désarmées.  Le juge MacGuigan affirme que «la torture et l’exécution de captifs étaient entrées dans les moeurs militaires au Salvador» (à la p. 326).  Plus loin, la Cour constate que «l’un des objectifs communs des militaires en Salvador était la torture de prisonniers pour obtenir des renseignements» (à la p._327).  Cependant, la Cour dans cette affaire n’a pas déterminé que l’armée salvadorienne était une organisation qui visait principalement des “fins limitées et brutales”.

 

[32]           Force m’est de conclure que si une organisation telle l’armée salvadorienne dans Ramirez, supra, ne remplit pas les conditions nécessaires pour être qualifiée d’organisation qui poursuit des fins «limitées et brutales», dans le présent dossier le tribunal n’avait assez d’éléments de preuve pour en arriver à une telle conclusion.

 

[33]           Je suis d’accord avec le défendeur qu’il n’est pas nécessaire que le demandeur ait participé personnellement aux actes de violence.  Toutefois, le tribunal devait analyser de quelle façon le demandeur avait participé à l’intention commune de la Marine péruvienne et avait eu connaissance des crimes commis.

 

[34]           Je conclus donc que le tribunal a commis une erreur de droit et de fait en excluant le demandeur de la protection de la Convention.

 

[35]           Cependant, le tribunal n’a commis aucune erreur quant à la conclusion de non-crédibilité du demandeur de sorte qu’il n’y a aucun motif pour retourner le dossier au tribunal pour une nouvelle audition.

 

[36]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                        ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

 

 

                                                                   «Danièle Tremblay-Lamer» 

J.C.F.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                            IMM-4644-02

 

INTITULÉ :                           MARIO ROBERTO CIRILO RUIZ

                                                                                          demandeur

 

                                                     et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :     Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :   Le 24 SEPTEMBRE 2003

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           L’HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :          Le 10 octobre 2003

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Joffe                                                  Demandeur

 

Me Michel Pépin                                                          Défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alain Joffe

606-10 St-Jacques

Montréal (Qc)

H2Y 1L3                                                                     Demandeur

 

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec                                                        Défendeur


 

 

COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

Section du Statut de réfugié

200, boul. René-Lévesque Ouest

Tour Est, Bureau 102

Montréal (Québec)

H2Z 1X4

Tél: 514-283-7733                                                       Tribunal

 

 

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