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Date : 20191217


Dossier : T-1803-16

Référence : 2019 CF 1613

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

PRODUCTIONS GFP (III) INC.

partie demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire par Productions GFP (III) Inc. (GFP) à l’encontre de deux décisions prises au nom de la Ministre de Patrimoine canadien (la Ministre) refusant la demande de certificat de production cinématique ou magnétoscopique canadienne présentée par la demanderesse pour le pilote et la première saison de la production intitulée « Sur Invitation Seulement » (la Production). En l’absence de ces certificats, la demanderesse ne peut pas obtenir un crédit d’impôt pour les productions canadiennes.

[2]  La Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch 1 (5e suppl) [la Loi] confère à la Ministre le pouvoir de délivrer des certificats donnant droit au crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne (CIPC) à l’égard de productions télévisuelles, à la condition notamment qu’elles ne soient pas d’un genre exclu. Les genres exclus sont définis par l’article 1106 du Règlement de l’impôt sur le revenu, CRC, ch 945 [le Règlement].

[3]  La demande de certificat de production par GFP en l’instance a été refusée au motif que la Production serait une « production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours » et donc une production exclue au sens de l’alinéa 1106(1)(b)(iii) du Règlement.

[4]  La demanderesse prétend que les décisions refusant le certificat sont déraisonnables parce que la Ministre a pris les décisions en se fondant sur une nouvelle interprétation du Règlement sans préavis. Il n’est pas raisonnable pour la Ministre de refuser les certificats, après avoir donné lieu à la demande de la demanderesse pour un avis préliminaire pour la production. De plus, la nouvelle interprétation du Règlement a été appliqué de façon arbitraire et discriminatoire.

[5]  Pour les motifs suivants, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Les faits

[6]  Le CIPC est un programme qui a pour objet d’encourager la programmation canadienne et de stimuler le développement d’un secteur national de production, en accordant un crédit d’impôt pour la main-d’œuvre canadienne engagée pour travailler sur des productions télévisuelles canadiennes. Le CIPC est administré conjointement par le ministère du Patrimoine canadien et l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (le BCPAC) est l’unité au sein du ministère du Patrimoine canadien qui administre le CIPC.

[7]  En vertu de la Loi, une société canadienne qui répond aux exigences du Règlement peut réclamer un CIPC qui correspond à 25 % des dépenses de main-d’œuvre professionnelle canadienne à l’égard d’une production « admissible ». En vertu de l’article 125.4 de la Loi, pour obtenir le CIPC, une société admissible doit présenter à l’ARC un certificat de production cinématographique ou magnétoscopique canadienne.

[8]  En pratique, c’est le BCPAC qui détermine si une production répond aux exigences de la Loi et du Règlement et qui délivre les certificats au nom de la Ministre. Pour bénéficier du CIPC, les producteurs doivent faire une demande de crédit d’impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne au BCPAC afin d’obtenir de la Ministre un certificat partie A, ainsi qu’un certificat d’achèvement, certificat partie B. Le certificat de la partie A peut être obtenu avant qu’une production ne soi entreprise ou complétée, alors que le certificat de la partie B est seulement émis suite à l’achèvement de celle-ci, après que la Ministre ait pu procéder à son visionnement.

[9]  La définition d’une production cinématographique ou magnétoscopique canadienne dans le Règlement restreint l’accès au CIPC. Les productions d’un genre exclu en vertu du paragraphe 1106(1) du Règlement sont inadmissibles au CIPC. Parmi les productions d’un genre exclu se trouvent celles « comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle[s] qui s’adresse[nt] principalement aux personnes mineures ». C’est de ce genre exclu qu’il est question dans la présente affaire.

[10]  Le ministère du Patrimoine canadien a émis des Lignes directrices du Programme du CIPC (Lignes directrices), publiées par le BCPAC, pour clarifier l’administration du programme. Les Lignes directrices définissent les genres exclus, incluant au paragraphe 3.03(c) celui qui est appliqué en l’instance :

Une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures : Émission présentant des jeux d’adresse et de chance ainsi que des jeux-questionnaires.

[11]  La demanderesse, GFP, est une filiale de production de la société Groupe Fair-Play Inc., (Fair-Play), une société de production télévisuelle. Depuis sa création, Fair-Play a produit des milliers d’heures de télévision, et se déclare l’une des chefs de file de la production télévisuelle et cinématographique au Québec. Depuis l’ouverture de leurs bureaux en 1999, GFP et Fair-Play ont déposé plus de 200 demandes de CIPC et n’ont jamais essuyé de refus, toutes leurs demandes de CIPC ayant été accordées par la Ministre.

[12]  Le 6 janvier 2014, avant d’entreprendre le tournage de la Production, Fair-Play a demandé un avis d’admissibilité préliminaire du BCPAC, comme le permet l’article 1.12 des Lignes directrices. La demande d’avis préliminaire était accompagnée d’un synopsis de la Production la décrivant comme une « émission de variétés moderne, innovatrice et nouveau genre ». Comme le synopsis est un aspect central de la question, il sera discuté plus en détail ci-dessous. Pour l’instant, il suffit de dire qu’il inclut une description du format de l’émission qui indique clairement qu’elle impliquera des performances par des artistes et des personnalités qui seront divisés en deux équipes qui s’affronteront. Le synopsis présente le concours comme un prétexte aux performances divertissantes des invités, dont la prestation est le but principal de l’émission. Le 9 janvier 2014, soit trois jours après le dépôt de la demande, le BCPAC a transmis un avis préliminaire à GFP, indiquant :

Selon l’évaluation préliminaire du BCPAC, la production SUR INVITATION SEULEMENT ne semble pas être un genre non admissible au CIPC. Cette évaluation préliminaire n’est pas révélatrice de la recommandation finale du BCPAC au ministre du Patrimoine canadien pour la certification en vue du CIPC. Nous exigerons la présentation d’une copie de la version finale d’un ou de plusieurs épisodes de cette série avec votre partie A ou partie A/B demande afin de rendre une décision définitive de l’admissibilité de la production pour le CIPC en ce qui concerne son genre.

(En gras dans l’original.)

[13]  En se fiant à l’avis préliminaire, GFP a débuté la production d’un épisode pilote de la Production, ainsi que des dix épisodes de la première saison, qui ont été produits entre le 27 mai et le 26 novembre 2014. Le 26 septembre 2014, GFP a déposé deux demandes auprès du BCPAC afin d’obtenir les certificats partie A pour le pilote et la première saison de la Production. Le 8 juillet 2015, à la demande du BCPAC, GFP a envoyé un DVD du pilote et des épisodes deux et trois de la première saison de la Production. (J’observe en passant que GFP a aussi produit les dix épisodes de la deuxième saison de la Production en 2015, et a déposé une autre demande afin d’obtenir un certificat partie A, mais au moment de l’audience GFP n’avait reçu aucune réponse du BCPAC à cette demande.)

[14]  Les deux demandes de GFP ont été confiées à un agent de crédit d’impôt qui a fait une analyse après avoir visionné les DVD de la Production. L’agent a constaté que la Production possédait les caractéristiques d’un jeu. L’analyse de l’agent a été révisée par le comité de conformité au sein du BCPAC. Le comité est composé de gestionnaires et d’analystes séniors du BCPAC, et les dossiers dans lesquels le BCPAC entend recommander un refus du certificat font automatiquement l’objet d’une révision par le comité de conformité.

[15]  Dans l’instance, le comité s’est réuni à trois reprises pour étudier la demande de GFP, et à la fin, le comité a confirmé l’analyse de l’agent et a exprimé l’avis que cette Production comporte des jeux ou des défis qui donnent lieu à des résultats objectifs, et que la Production est d’un genre exclu. Le 26 juillet 2016, GFP a reçu du BCPAC deux préavis de refus visant le pilote et la première saison, l’informant que le BCPAC est d’avis que la Production est inadmissible au motif qu’elle posséderait les caractéristiques d’un « jeu, questionnaire ou concours » et serait donc une production exclue au sens de l’alinéa 1106(1)(b)(iii) du Règlement. Le préavis explique le raisonnement du BCPAC qui est essentiellement le même pour le pilote ainsi que pour la première saison :

Votre société de production a produit un document détaillant le traitement de la Production (ci-après le « synopsis »). Le synopsis insiste sur l’aspect spectacle de la Production en indiquant que la Production comporte effectivement des jeux et un système de pointage mais que ceux-ci servent de prétexte pour faire performer les différents artistes invités au cours de l’émission. Or, le visionnement de la production SUR INVITATION SEULEMENT (PILOTE) par le BCPAC a révélé que les mises en situations décrites dans le synopsis ne sont pas reproduites aux fins de prétexte pour engager la performance des invités, mais que ces jeux sont plutôt l’objet principal de l’émission. Ainsi, l’épisode pilote visionnée par le BCPAC met en scène un concours présentant un face-à-face entre deux équipes qui s’affrontent dans des jeux d’adresse, de chance ou dans des jeux-questionnaires dans le but de gagner.

[16]  Le 2 août 2016, GFP a répondu aux préavis de refus, en soutenant que la Production n’est pas d’un genre exclu, et que l’interprétation de l’alinéa 1106(1)(b)(iii) par le BCPAC va à l’encontre de l’interprétation traditionnellement appliquée et les pratiques établies depuis des années dans l’industrie. Dans sa réponse, GFP a affirmé que la Production n’est pas un jeu, un questionnaire ou un concours :

Comme le démontre le visionnement de la production, il n’y a aucun « affrontement » entre les participants; l’émission regroupe des artistes qui, dans l’ambiance d’une soirée festive, mettent de l’avant leur répartie et leur personnalité pour offrir aux téléspectateurs un accès intime et privilégié à des performances déjantées. Les règles qui encadrent ces performances sont quasi inexistantes et l’attribution du pointage se fait de façon subjective et arbitraire. De plus, les participants ne s’affrontent pas pour « gagner », puisqu’aucun prix n’est attribué à l’équipe désignée « victorieuse »; seul L’honneur des participants est en jeu et la chance de faire une blague de plus au détriment de l’équipe adverse ou d’un autre ami artiste.

[17]  GFP a demandé au BCPAC de recommander à la Ministre de délivrer les certificats partie A, compte tenu de l’avis préliminaire, de l’historique entourant l’accessibilité au CIPC pour ce type d’émission, du délai de traitement inexpliqué de deux ans de sa demande, et des conséquences financières qui découlent du refus de reconnaître que la Production est une production admissible au CIPC.

[18]  Le 23 septembre 2016, GFP a reçu deux avis de refus, l’informant que la Production est une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, qu’elle est exclue du CIPC et qu’aucun certificat ne peut être émis à une production qui ne rencontre pas les exigences de la Loi et du Règlement.

[19]  GFP demande contrôle judiciaire à l’encontre de ces décisions.

III.  Questions en litige

[20]  Il y a trois questions en litige dans l’affaire en l’espèce :

  1. La nouvelle preuve déposée par GFP, est-elle admissible?
  2. Les décisions de la Ministre sont-elles raisonnables?
  3. Est que les règles d’équité procédurale sont respectées?

[21]  Les règles concernant l’admissibilité de la nouvelle preuve dans le contexte d’un contrôle judiciaire sont établies par les arrêts de la Cour d’appel fédérale ainsi que les décisions de cette Cour, et il n’y a pas de question de norme de contrôle.

[22]  La norme de contrôle qui s’applique à la deuxième question est celle de la décision raisonnable : Canada (Procureur général) c Zone 3-XXXVI Inc, 2016 CAF 242 au para 26 [Zone 3].

[23]  La question clé dans un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable est résumée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, [2016] 2 RCS 80 :

[18]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit. Le raisonnement doit démontrer « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Le résultat concret et les motifs, examinés ensemble, doivent servir à démontrer que le résultat appartient aux issues possibles (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-NeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Si l’insuffisance des motifs d’un tribunal administratif ne justifie pas à elle seule le contrôle judiciaire, il faut néanmoins que les motifs « expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (Newfoundland Nurses, par. 18, citant Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, par. 163 (le juge Evans, dissident), inf. par 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572).

[24]  En ce qui concerne la question d’équité procédurale, il est généralement admis que la norme de la « décision correcte » est la norme de contrôle qui doit s’appliquer : Canadian Pacific Railway c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paras 34 à 36 [CPR]. J’adopte les précisions sur cette question du juge Denis Gascon dans Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 :

[16]  Dans l’arrêt CPR, la Cour d’appel fédérale a insisté sur le fait que la « décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale devrait être envisagée dans une optique différente, une optique qui s’écarte quelque peu de l’analyse habituelle de la norme de contrôle. Dans ce contexte particulier, la « décision correcte » signifie simplement que la cour de révision doit conclure que l’obligation d’équité procédurale a été satisfaite. Selon la Cour d’appel, lorsque l’obligation d’un décideur administratif d’agir équitablement est mise en doute, l’équité procédurale doit être examinée en tenant compte de l’ensemble des circonstances (CPR, au para 54), y compris les cinq facteurs contextuels non exhaustifs définis dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux paras 25 et 26). Il appartient à la cour de révision de prendre cette décision et, dans la conduite de cet exercice, de se demander [traduction] « si le processus suivi était juste et équitable, en se concentrant sur la nature des droits fondamentaux en cause et sur les conséquences en résultant pour la personne » (CPR, au para 54). Autrement dit, la cour de révision doit déterminer si le processus administratif suivi par le décideur présente le degré d’équité requis compte tenu des circonstances de l’espèce (Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445, au para 21). Comme l’a éloquemment souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CPR, [traduction] « [p]eu importe le degré de déférence qui est accordé aux tribunaux administratifs dans l’exercice de leurs pouvoirs discrétionnaires de choisir la procédure, la question ultime demeure de savoir si le demandeur a été informé de la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité d’y répondre pleinement et équitablement » (CPR, au para 56).

[17]  Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt de déterminer si, en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur était équitable et a donné aux parties touchées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre (Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au para 35).

[25]  Dans le cas en l’instance, les arguments fondés sur le caractère raisonnable de la décision et le bris d’équité procédurale s’entrecoupent. Je vais les traiter ensemble, soit dans le résumé des positions des parties et dans l’analyse.

IV.  Analyse

A.  Question préliminaire sur l’admissibilité de la preuve

[26]  Le défendeur s’oppose au dépôt par GFP des éléments de preuve qui contiennent de l’argumentation parce qu’ils n’étaient pas devant la Ministre au moment où celle-ci a rendu la décision contestée, et ils n’ont aucune pertinence pour les fins du présent litige. En particulier, le défendeur demande à la Cour de ne pas considérer quelques paragraphes de l’affidavit de Guy Villeneuve soumis par GFP dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire.

[27]  En règle générale, le dépôt de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire est interdit : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263. Comme l’explique le juge David Near dans Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8 [Sharma], cette règle « respecte le rôle différent joué par les juridictions de révision et les tribunaux administratifs ». Le juge Near a aussi confirmé le but des exceptions à cette règle, au paragraphe 8 :

Les trois exceptions reconnues qui permettent à une partie de présenter de nouveaux éléments de preuve dans une instance en contrôle judiciaire respectent ces divers rôles, comme doit le faire toute autre exception éventuelle. De nouveaux éléments de preuve peuvent être admis (1) lorsqu’ils contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui ne vont pas plus loin en fournissant de nouveaux éléments de preuve se rapportant au fond de la question (2) lorsqu’ils font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée, ou (3) lorsqu’ils portent à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif : Access Copyright, par. 20; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; TsleilWaututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 116. Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Access Copyright, au paragraphe 20, « en fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif ».

[28]  Les objections du défendeur visent trois types de preuve : la preuve qui n’était devant le décideur; la preuve contenant de l’argumentation; et la preuve concernant des lettres transmises à la Ministre par des tiers.

[29]  GFP prétend que la plupart de ces documents sont admissibles pour donner du contexte ou parce qu’ils sont adressés au décideur par des tiers. Le fait que d’autres organismes n’aient pas traité la Production comme un jeu, mais l’ont plutôt libellée comme étant une « performance » est pertinent. Le fait que le BCPAC se soit engagé dans une consultation publique est pertinent en ce qui concerne leur point de vue sur les demandes d’équité procédurale dans ce contexte. Finalement, le fait que des tiers aient envoyé des lettres au décideur exprimant leurs craintes concernant la nouvelle interprétation de genres exclus adoptée par le BCPAC est aussi pertinent en ce qui concerne le contexte décisionnel.

[30]  Je suis d’accord avec le défendeur que la preuve contenant de l’argumentation ainsi que celle concernant des lettres transmises à la Ministre par des tiers ne doivent pas être acceptées parce qu’elles ne relèvent d’aucune exception reconnue dans Access Copyright ou Sharma. Toutefois, je ne suis pas d’accord en ce qui concerne l’autre preuve déposée dans l’affidavit de M. Villeneuve. Dans la mesure où les éléments de preuve établissent le fondement de l’argument de GFP selon lequel il y a eu un bris d’équité procédurale, ils relèvent des exceptions à la règle et peuvent être utiles à la Cour.

[31]  Par conséquent, je ne m’appuierai sur aucun élément de preuve au sujet des parties de l’affidavit qui contiennent des arguments, ou qui réfèrent aux lettres soumises à la Ministre par des tierces parties. Comme la preuve portant sur l’approbation de la Production par d’autres agences et l’avis du BCPAC concernant l’interprétation des règles peut être pertinente à l’argument lié à l’équité procédurale, elle est admissible.

B.  Arguments des parties

(1)  GFP

[32]  GFP affirme que les décisions sont arbitraires, et donc sont déraisonnables, parce que : le BCPAC a changé son interprétation habituelle de ce genre exclu sans préavis; l’avis préliminaire est fondé sur le synopsis, qui indique clairement que des éléments de jeu figurent dans la Production; et il n’est pas raisonnable de donner l’approbation en principe par l’avis préliminaire et ensuite de refuser d’accorder le certificat partie A, parce que la Production est substantiellement similaire à celle décrite dans le synopsis; et, BCPAC a appliqué de façon rétroactive la nouvelle définition qu’ils ont annoncée dans le contexte de leur consultation sur les changements aux Lignes directrices. Selon les pratiques passées, le BCPAC considérait que l’exclusion prévue pour les productions comportant un jeu, un questionnaire ou un concours visait des « jeux-questionnaires » où les règles du jeu sont suivies rigoureusement et sont de première importance, dans lesquelles les participants sont généralement des membres du public, et où une importance particulière est accordée aux prix pouvant être attribués aux participants. Dans la décision en l’instance, le BCPAC a appliqué une interprétation radicalement différente et nouvelle de ce genre exclu par le biais d’un arbre décisionnel, le « Decision Tree ».

[33]  Ce n’est qu’en janvier 2016 que GFP a appris, par une autre décision de la Cour fédérale impliquant une autre décision du BCPAC, de l’existence d’un « Decision Tree » que le BCPAC utiliserait pour déterminer s’il s’agit d’une « production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours » au sens du Règlement (Zone 3). En février 2016, le BCPAC a sollicité par voie d’avis public les commentaires de l’industrie sur des modifications proposées aux définitions de genres inadmissibles au CIPC. Dans l’avis public, le BCPAC propose de modifier la définition d’une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours » et la nouvelle définition correspond en tous points à celle dans la « Decision Tree ».

[34]  L’argument de GFP sur cette question est décrit dans les représentations écrites déposées en l’instance :

Il est inéquitable, injuste et déraisonnable de décider, en 2016, que la Production dont le tournage et la diffusion ont été terminés en 2014 et qui avait fait l’objet d’un avis préliminaire favorable, est inadmissible au CIPC sur la base d’une proposition de définition révisée rendue publique en 2016, d’autant que l’Avis public prévoit expressément que les définitions révisées, si elles sont adoptées, n’entreront en vigueur qu’à une date ultérieure qui sera basée sur la date du début des travaux de prise de vue .

[35]  Qui plus est, GFP prétend que la décision est déraisonnable parce que le synopsis fait clairement ressortir la présence des éléments sur lesquels s’appuie le BCPAC pour conclure qu’il s’agit d’une « production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours ». Le synopsis laissait voir que chaque émission de la Production présenterait deux équipes qui allaient se prêter à quatre rondes de jeux, que certains de ces jeux appelleraient des résultats objectifs et qu’une équipe gagnante serait identifiée à la fin de l’émission. Il n’est pas raisonnable pour le BCPAC de fonder son refus sur des éléments qui sont clairement identifiés dans le synopsis.

[36]  Finalement, GFP affirme que la décision a été prise d’une façon arbitraire et discriminatoire. La Production a été reconnue comme une « émission de variétés » par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), les Fonds des médias du Canada, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) ainsi que l’Académie du cinéma (Gémeaux). Bien que les décisions de ces autres organismes spécialisés ne lient pas la Ministre, elles sont importantes dans l’analyse du caractère de la Production. Le BCPAC est le seul organisme à considérer que la Production constitue un « jeu, questionnaire ou concours ».

[37]  GFP observe que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Zone 3 invite ceux qui désirent profiter du crédit CIPC à déposer une demande pour un avis préliminaire pour avoir le point de vue de la Ministre avant le tournage d’une production. La Ministre ayant choisi d’adopter cet outil administratif, il faut lui accorder une certaine importance. Il n’est pas raisonnable de donner aucun poids à l’avis préliminaire. Le processus décisionnel ne peut être fait de la même façon quand un producteur ne fait pas de demande pour cet avis.

[38]  Le droit exige qu’une discrétion soit exercée dans le cadre du contexte législatif, avec cohérence et de bonne foi. Dans le contexte des matières fiscales, comme en l’instance, la jurisprudence est constante sur l’importance de la prévisibilité pour les comptables : Hypothèques Trusco Canada c Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601 à la p 609; Altus Group Ltd c Calgary (Ville), 2015 ABCA 86 au para 28. De plus, il y a une présomption contre l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une loi fiscale (Sous-ministre du revenu du Québec c Ciba-Geigy Canada Ltd, [1981] RDFQ 156 (QCCA) à la p 8), ou des effets d’une mesure législative subordonnée (Bell Canada c Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 RCS 884, au para 47).

[39]  La décision est déraisonnable, parce que le BCPAC l’a prise d’une façon arbitraire, discriminatoire, en appliquant une nouvelle interprétation de la définition du genre exclu d’une façon rétroactive.

[40]  GFP affirme aussi que le BCPAC n’a pas respecté les règles d’équité procédurale en appliquant une nouvelle interprétation aux productions achevées ou en cours de production. Comme indiqué dans le « Decision Tree », qui est leur outil de travail, le BCPAC a décidé d’appliquer une définition limitée, et ils sont liés par cette approche.

[41]  Une indication de cette approche est révélée dans le document que le BCPAC a publié dans la consultation publique sur les modifications proposées aux définitions de genres exclus dans les Lignes directrices, publiée le 18 février 2016, soit avant la décision finale en l’instance. Le document de consultation contient la définition suivante :

(iii) Une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures

Une production dans laquelle on retrouve :

- des individus ou des équipes qui participent à un jeu, à un questionnaire ou à un concours, ou qui réalisent une tâche ayant un résultat objectif (p. ex. : vrai ou faux, complet ou incomplet, le meilleur temps, la note la plus élevée) pour déterminer un gagnant.

Pour clarifier

-Le fait qu’un prix soit remis ou non au gagnant n’est pas pris en considération pour déterminer si la production est admissible.

-Les productions qui répondent à cette définition mais qui incluent aussi l’évolution de personnages au cours d’une série (par exemple, commençant avec un groupe de concurrents qui rivalisent les uns contre les autres et qui sont éliminés au cours de la série) seront généralement considérées admissibles.

-Les productions qui répondent à cette définition mais qui s’adressent principalement aux personnes mineures sont aussi admissibles.

Exemples de productions qui seraient considérées inadmissibles : Des chiffres et des lettres, Tout le monde veut prendre sa place, Jeopardy, The Price is Right, Who Wants to be a Millionaire? Family Feud, Let’s make a Deal, Deal or No Deal, American Gladiators, Wipeout, Fear Factor, The Singing Bee et The Dating Game.

(En gras et en italique dans l’original.)

[42]  Les exemples donnés par le BCPAC sont une indication de leur interprétation d’un jeu, un questionnaire ou un concours, et aucune de ces émissions n’est semblable à la Production en l’instance à la Production en l’instance.

[43]  De plus, dans le contexte d’une consultation sur une modification de l’interprétation d’un autre genre exclu (le genre « interview-variétés »), le BCPAC a reconnu que les principes d’équité procédurale lui dictent de ne pas appliquer une nouvelle interprétation aux productions achevées ou en cours de production. Le même principe doit être respecté dans l’affaire en l’espèce.

[44]  Finalement, GFP note que dans le contexte du programme, ceux qui veulent obtenir un CIPC s’attendent raisonnablement à ce que les décisions soient prises par le BCPAC dans un délai relativement court, parce que les compagnies doivent dépenser leur argent pour entamer les productions avant d’être déterminés admissible pour le crédit. Dans l’affaire en l’instance, il y a un délai déraisonnable. GFP a obtenu l’avis préliminaire positif du BCPAC quelques jours après le dépôt de sa demande. Ensuite, GFP a déposé une demande pour les certificats partie A le 26 septembre 2014, et n’a reçu une réponse du BCPAC (les préavis de refus) que le 26 juillet 2016. Dans le contexte de ce programme, c’est déraisonnable. GFP a une attente légitime à ce que la décision soit prise dans un délai plus court que celui en l’instance.

[45]  Pour toutes ces raisons, GFP soutient que la décision doit être cassée et retournée à la Ministre pour reconsidération.

(2)  La Ministre

[46]  La Ministre soutient que les décisions en l’instance appartiennent à la gamme des issues possibles, compte tenu des provisions de la Loi et du Règlement, et de la jurisprudence, en particulier de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Zone 3, une affaire qui implique aussi une décision du BCPAC concernant l’interprétation de ce même genre exclu.

[47]  Les décisions en l’instance sont fondées sur la conclusion que la Production est d’un genre exclu, soit le « jeu, questionnaire ou concours » en vertu de l’alinéa 1106(1)(b)(iii) du Règlement. La disposition emploie le mot « comporte » (en anglais « in respect of »), qui a une portée très large, tel que reconnue par la jurisprudence : Sarvanis c Canada, 2002 CSC 28 au para 20; Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29 à la p 39; Zone 3 au para 32. Cette disposition confirme la nature discrétionnaire de la décision de la Ministre, ce qui exige ainsi un haut degré de déférence de la part d’une cour de révision.

[48]  La Ministre prétend que les reproches de GFP à l’encontre de la décision sont mal-fondés. Le BCPAC n’a pas changé son interprétation du genre exclu. GFP fait référence à des décisions antérieures sur d’autres productions, mais cet argument a été explicitement rejeté dans Zone 3. La Cour d’appel a précisé que chaque affaire doit être considérée sur ses propres faits et circonstances.

[49]  Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a aussi confirmé, au paragraphe 44, que les exigences requises par l’équité procédurale dans le contexte d’une demande de CIPC sont minimales. La seule obligation d’équité qui incombe à la Ministre est de faire parvenir un préavis de refus et de donner la possibilité de fournir de l’information additionnelle au producteur. C’est exactement ce que la Ministre a fait ici.

[50]  En ce qui concerne l’avis préliminaire, soit sur le droit ou les faits, la décision en l’instance est raisonnable. Le processus de préavis d’admissibilité repose strictement sur les renseignements présentés par le producteur à cette étape. Fondé sur cette information, le préavis donne une indication sur la façon dont le BCPAC pourrait envisager de traiter la demande subséquente pour un certificat partie A. Une réponse positive du BCPAC à la demande d’avis préliminaire ne garantit pas la délivrance subséquente d’un certificat de production à la production en cause. Les lignes directrices et la réponse donnée en l’instance prévoient spécifiquement : « Notez qu’il ne s’agit que d’un avis préliminaire, fondé strictement sur l’information reçue par le BCPAC à ce moment précis. La demande de production complète doit être soumise pour que le BCPAC rende une décision finale sur son admissibilité ».

[51]  L’essentiel de la soumission de la Ministre se résume dans son mémoire :

[B]ien que le document de présentation du concept de la série fournie à l’appui de la demande d’avis préliminaire ait inclus certaines indications que l’émission comporterait des jeux, il n’en demeure pas moins qu’il présentait l’émission d’abord et avant tout comme une émission de variétés, en insistant fortement sur l’aspect spectacle. S’il indique que la production comporte des mises en situation, il indique aussi que ceux-ci servent de prétexte pour faire performer les différents artistes invités au cours de l’émission.

C’est sur la base de ces représentations teintant la production d’abord et avant tout comme une émission de variétés et insistant sur l’aspect spectacle que les représentants du BCPAC ont jugé, sur une base préliminaire et sans avoir le bénéfice des DVD des émissions, que la production n’apparaissait pas d’un genre exclu.

[52]  La Ministre souligne que la décision en l’instance est fondée sur une discrétion très large, impliquant une évaluation des faits et l’application de l’expertise de la Ministre, une situation qui appelle généralement un degré élevé de retenue de la part de la Cour de révision : Zone 3, au para 29. La Ministre s’appuie sur l’approche indiquée dans le « Decision Tree », tout comme le BCPAC l’a fait dans l’affaire traitée dans Zone 3. Ce n’est pas déraisonnable, et ce n’est pas une application rétroactive d’une nouvelle interprétation.

(3)  Discussion

[53]  Au départ, il convient de souligner qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire. Comme énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au paragraphe 47 :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[54]  Pour déterminer si la décision en l’instance appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, il faut commencer avec le cadre juridique, et ensuite regarder l’analyse des faits faite par la Ministre. Il faut souligner que le but de cet exercice n’est pas pour la Cour de faire sa propre analyse, mais plutôt d’appliquer les normes de contrôles aux issues dans l’affaire en l’instance : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 59.

a)  Le cadre juridique

[55]  Les décisions en l’espèce sont fondées sur la conclusion que les productions en cause sont d’un genre exclu, en vertu de l’alinéa 1106(1)(b)(iii) du Règlement :

production exclue Production cinématographique ou magnétoscopique d’une société canadienne imposable visée (appelée « société donnée » à la présente définition), qui, selon le cas :

excluded production means a film or video production, of a particular corporation that is a prescribed taxable Canadian corporation,

[…]

b) est une production qui est, selon le cas :

(b) that is

[…]

(iii) une production comportant un jeu, un questionnaire ou un concours, sauf celle qui s’adresse principalement aux personnes mineures,

(iii) a production in respect of a game, questionnaire or contest (other than a production directed primarily at minors),

[56]  L’interprétation de cette disposition a été traitée très récemment par la Cour d’appel fédérale dans Zone 3, une cause impliquant un contexte factuel similaire à celui en l’espèce. Il est donc nécessaire de traiter cette décision dans un certain détail.

[57]  Dans Zone 3, le producteur a déposé une demande au BCPAC afin d’obtenir un certificat pour la production « On passe à l’histoire », qu’il décrivait comme un « magazine » et « un nouveau jeu-questionnaire de culture générale ». Après avoir visionné la production, et suite aux discussions à l’interne, le BCPAC a émis un préavis de refus, étant d’avis que la production est d’un genre exclu puisqu’elle comporte un jeu, questionnaire ou concours. En réponse au préavis, le producteur a déposé un argument voulant que la production constituait une émission de type « magazine » avec un « contenu informatif lequel est présenté de manière divertissante et enjouée » (Zone 3, au para 12). Après avoir examiné ces représentations, la Ministre a néanmoins décidé que la production est du genre exclu.

[58]  Le producteur a entamé une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Celle-ci a eu gain de cause devant la Cour fédérale, mais la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision.

[59]  La Cour d’appel a commencé son analyse en notant la structure des dispositions de Règlement :

[30]  Tel que mentionné précédemment, le Règlement ne précise pas quels types de production peuvent se voir accorder un CIPC, mais procède plutôt par voie d’exclusion. Le paragraphe 1106(4) prévoit qu’une « production cinématographique ou magnétoscopique canadienne » s’entend d’une production cinématographique ou magnétoscopique, « à l’exception d’une production exclue », d’une société canadienne imposable visée à l’égard de laquelle le Ministre a délivré un certificat. Le paragraphe 1106(1) définit par ailleurs la notion de « production exclue », et l’alinéa b) de cette définition énumère onze types de production qui entrent dans cette catégorie.

[31]  Compte tenu de cette architecture du Règlement, le Ministre n’était donc pas requis de se demander si la Production pouvait être assimilée à un « documentaire » ou à un « magazine », et encore moins de prendre en considération le traitement de la Production par la SODEC. Non seulement les motifs qui sous-tendent cette décision et les textes réglementaires ou législatifs applicables ne sont-ils pas en preuve, mais au surplus le Ministre n’était pas lié par cette décision, comme le reconnaît d’ailleurs le Juge au paragraphe 61 de la décision sous appel. Qui plus est, et au risque de me répéter, le rôle du Ministre ne consistait pas à qualifier la Production mais plutôt à s’assurer qu’elle n’entrait pas dans l’une des catégories de production exclues par le Règlement.

[60]  En se référant au texte du Règlement, la Cour d’appel observe que l’exclusion d’une production « comportant » (en anglais « in respect of ») un jeu, un questionnaire ou un concours a une portée très large, comme « comporter » « constituait probablement la plus large parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes » (Zone 3, au para 32). Dans ce contexte législatif, le Ministre jouit d’un large pouvoir discrétionnaire, et ce n’est pas le rôle de la cour de révision de restreindre l’ampleur de ce pouvoir.

[61]  La Cour d’appel a conclu que la décision du Ministre était intelligible, et que l’analyse dans la décision répondait aux arguments soulevés par le producteur. De plus, le processus se conformait aux exigences de l’obligation d’équité procédurale applicable, que la Cour d’appel qualifie comme « minimale » compte tenu du fait que c’est une décision de nature purement administrative, impliquant les intérêts économiques (au para 44). La Cour d’appel note, dans cette analyse, que le producteur « aurait pu demander un avis d’admissibilité préliminaire, conformément à l’article 1.12 des Lignes directrices. Un tel avis, s’il avait été sollicité, aurait permis à l’intimée de connaître la position du Ministre avant d’engager des fonds dans la Production » (au para 44).

[62]  La Cour d’appel a rejeté l’argument du producteur voulant que le Ministre ait manqué à ses obligations d’équité procédurale en se référant au « Decision Tree », parce que ce document n’a jamais été divulgué. La Cour a noté que ce document est seulement un outil de travail qui ne restreint pas le Ministre dans l’exercice de sa discrétion. Qui plus est, la Cour a observé que l’application de cet outil « aura normalement pour effet de favoriser les producteurs puisqu’il vient limiter la portée de l’exclusion prévu au Règlement » (au para 48).

[63]  Finalement, la Cour d’appel n’a pas accepté les prétentions du producteur à l’effet qu’il avait des attentes légitimes à cause des décisions favorables prises par le Ministre dans des productions similaires :

[49]  Enfin, j’ajouterais en terminant que le traitement réservé à d’autres productions ne pouvait créer des attentes légitimes pour l’intimée. Tel que précédemment mentionné, la doctrine des attentes légitimes ne peut donner naissance qu’à des droits de nature procédurale […]. À tout évènement, l’on ne peut présumer sur la seule base de la preuve soumise par l’intimée que le BCPAC a changé ses pratiques et modifié son interprétation du Règlement. Les conclusions que peut tirer l’intimée du fait que des productions à ses yeux similaires à celle qui est en cause ici ont été jugées admissibles au programme du CIPC ne lient évidemment pas le Ministre. Si l’intimée voulait s’assurer que sa lecture des décisions prises par le Ministre eu égard à d’autres productions était la bonne et l’autorisait à réclamer un crédit d’impôt pour sa propre production, elle n’avait qu’à présenter un avis d’admissibilité préliminaire. Ne s’étant pas prévalue de cette possibilité, elle ne peut maintenant s’appuyer sur sa propre évaluation de quelques décisions antérieures pour soutenir que l’exclusion de sa Production résulte d’un changement d’approche du Ministre.

(Citations omises.)

[64]  Avec ce contexte en tête, il faut examiner si l’analyse dans la décision en l’instance est raisonnable, et si le processus a respecté les normes d’équité procédurale applicables.

b)  La décision en l’instance

[65]  GFP affirme que la question primordiale dans l’affaire en l’instance est à savoir à quel moment une décision devient  arbitraire. GFP a suivi le conseil de la Cour d’appel dans Zone 3 en faisant une demande pour un avis d’admissibilité préliminaire. Suite à l’obtention d’une réponse positive, GFP a entamé la production du pilote ainsi que de la première saison de la Production. Sans réponse de la Ministre, et après avoir fait le suivi à plusieurs reprises avec le BCPAC, GFP a continué avec la deuxième saison de la Production. Le cœur de leur argument est qu’il est arbitraire et inéquitable que la défenderesse suive le même processus que celui suivi dans Zone 3, sans égard à l’impact de l’avis préliminaire.

[66]  D’un autre côté, la Ministre affirme que Zone 3 établit que les exigences d’équité procédurale sont minimes et que le traitement d’autres productions n’est pas pertinent – chaque production doit être évaluée selon ses propres circonstances. Dans ce cas, le BCPAC a suivi le processus, considéré les représentations en réponse au préavis de refus et a pris une décision raisonnable. La décision de la Cour d’appel dans Zone 3 établit que la Ministre a une large discrétion en vertu des dispositions pertinentes, que la décision implique l’application d’une expertise spécialisée aux faits et que les cours de révision doivent faire preuve de retenue face à de telles décisions.

[67]  Après avoir considéré les représentations orales et écrites des parties et avoir étudié la jurisprudence pertinente soigneusement, je ne suis pas persuadé que la décision en l’espèce est déraisonnable, ou qu’il y a eu un bris d’équité procédurale. Quoique que je comprenne l’argument de GFP, en fin de compte, le droit ne supporte tout simplement pas une conclusion en leur faveur dans ce cas.

[68]  Premièrement, ce n’est pas le rôle d’une cour en révision judiciaire de se prononcer sur le différend au niveau factuel en ce qui concerne le synopsis. Un premier examen montre que les deux arguments ont du mérite : le synopsis indique clairement que le programme impliquerait des artistes divisés en équipe qui s’affronteront pendant l’émission. D’un autre côté, il est aussi vrai que le synopsis présente ceci comme un prétexte à des prestations par les artistes. Il fait partie des issues raisonnables de considérer que ceci soit ou non une production exclue, et il revient au BCPAC, et ultimement à la Ministre, de faire cette évaluation.

[69]  Le contexte juridique est clair à l’effet que ceci est une décision administrative discrétionnaire qui implique l’application d’une expertise spécialisée à un ensemble particulier de faits. Ceci attire un degré de déférence élevé de la part d’une cour en révision judiciaire.

[70]  De plus, quoique GFP ait demandé et obtenu un avis préliminaire, il est évident à la lecture du document, ainsi que de la description dans les Lignes directrices, que cet avis ne lie pas la Ministre. Dans le contexte juridique, il est clair que l’avis ne donne qu’une indication préliminaire, fondée uniquement sur les renseignements fournis par le producteur, et que la décision finale reste sur une évaluation de la production elle-même.

[71]  Il n’est pas contesté que le BCPAC ait fait une analyse de la Production et l’a comparée avec le synopsis que GFP a déposé dans sa demande d’avis préliminaire.

[72]  Rien dans la preuve n’indique que la décision n’aurait pas été prise de bonne foi, qu’elle constitue un abus de pouvoir ou qu’elle est par ailleurs contraire aux objectifs de la législation. Tel qu’indiqué dans Zone 3, « l’architecture » du régime législatif exige que la Ministre détermine si une production est exclue; c’est précisément ce qui a été fait. En l’espèce, la preuve démontre que le BCPAC a examiné le matériel soumis et que la question a été considérée par le comité de conformité au sein du BCPAC qui a confirmé la recommandation d’exclure la production. Ceci a été communiqué à GFP dans le préavis de refus et GFP a eu l’occasion de faire des représentations supplémentaires avant la prise d’une décision finale. Ce processus n’a pas de marques d’une décision arbitraire ou abusive.

[73]  En ce qui concerne le délai dans le processus, GFP prétend avoir subi un préjudice financier considérable, parce que la première et la deuxième saison de la Production ont été entamées en se fiant à l’avis préliminaire. Une réponse en temps opportun du BCPAC à leur demande pour le certificat partie A, aurait permis à GFP de s’organiser d’une autre façon. Ce préjudice est une autre indication du caractère arbitraire et discriminatoire de la décision dans l’instance.

[74]  Je ne suis pas d’accord. J’accepte que, compte tenu de l’architecture du système, pour reprendre l’expression du juge Yves de Montigny dans Zone 3 au paragraphe 31, ceux qui veulent obtenir un certificat doivent dépenser de l’argent pour entamer une production, sans garantie qu’ils recevront le bénéfice d’un crédit d’impôt. De plus, dans l’affaire en l’instance, avant de commencer à payer les frais de la Production, GFP a suivi l’approche mentionnée par la Cour d’appel dans Zone 3 en cherchant un avis préliminaire, et a obtenu une réponse « positive » à leur demande.

[75]  Dans de telles circonstances, on peut s’attendre à ce que le BCPAC traite la demande pour un certificat partie A dans un délai raisonnable, mais il n’y a pas une obligation de le faire. Comme il a été affirmé dans Zone 3, la doctrine des attentes légitimes est seulement de nature procédurale et, dans l’instance, il n’y a pas une date limite – ni explicite ou implicite – pour le traitement des demandes par le BCPAC.

[76]  En effet, GFP a décidé de prendre le risque de ne pas recevoir un crédit d’impôt, et la décision n’est pas déraisonnable ni inéquitable à cause du délai. J’observe que d’autres compagnies de production ont pris le même risque, et les décisions de refuser ou de révoquer les certificats n’ont pas été écartées : voir Tricon Television29 Inc c Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 435; Serdy Vidéo II Inc c Canada (Patrimoine canadien), 2018 CF 413. Voir aussi, par contre : Productions Tooncan (XIII) Inc c Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 1520.

[77]  Il est compréhensible que GFP se sente lésée par cette décision à la lumière de la pratique passée du BCPAC et ayant reçu une réponse positive dans l’avis préliminaire. Il serait tout à fait différent si GFP avait ignoré une réponse négative dans l’avis.

[78]  Je suis d’accord avec GFP que c’était la décision de la Ministre d’adopter un processus permettant à un producteur de demander un avis préliminaire. Cependant, je ne peux accepter que ceci ait donné lieu à des attentes légitimes ou ait autrement restreint la discrétion de la Ministre en vertu du Règlement. La Cour d’appel est claire dans Zone 3 que la doctrine des attentes légitimes s’applique seulement à la procédure à être suivie, et dans ce cas, GFP a eu un préavis de refus ainsi que l’occasion de faire des représentations avant la décision finale de la Ministre. C’est tout ce que l’équité procédurale exige.

[79]  Je ne suis pas non plus persuadé que la Ministre ait appliqué une interprétation nouvelle et différente fondée sur le document de consultation portant sur la mise-à-jour des Lignes directrices. Dans ce cas, comme dans l’arrêt Zone 3, il semble que les fonctionnaires impliqués dans la recommandation faite à la Ministre ont utilisé le « Decision Tree ». Ceci n’est pas, en soi, un bris d’équité procédurale, puisqu’il ne s’agit que d’un outil décisionnel administratif visant à aider les fonctionnaires à appliquer les facteurs du Règlement de manière constante. Dans la mesure où cet outil cherche à améliorer la cohérence du processus décisionnel, il est difficile de voir pourquoi GFP s’y opposerait. Il faut aussi souligner que cette analyse ne lie pas la Ministre, et que GFP a eu l’occasion de déposer des représentations sur cette question en réponse au préavis de refus.

[80]  Le simple fait que le BCPAC ait décidé de faire des consultations sur leur proposition d’incorporer le « Decision Tree » dans les Lignes directrices après que ce dernier ait été rendu public dans le contexte de l’arrêt Zone 3 ne soulève pas d’iniquité. GFP savait, grâce au préavis de refus, le fondement de la recommandation proposée et a eu la possibilité d’y répondre. GFP n’a pas été pris au dépourvu et le BCPAC n’a pas appliqué les modifications proposées aux Lignes directrices de façon rétroactive. Les faits n’appuient tout simplement pas cette conclusion.

[81]  J’accepte que la cohérence de l’interprétation législative, particulièrement l’interprétation de lois fiscales, est un objectif de politique publique valide et important et qu’il peut, dans certains cas, influencer un décideur. Cependant, tel qu’il a été souligné dans Zone 3, la Loi et le Règlement imposent à la Ministre une obligation d’évaluer chaque cas selon ses propres circonstances. De plus, il aurait été nécessaire d’avoir une base juridique étayée par une preuve importante afin de permettre à une cour d’examiner la cohérence générale du processus décisionnel en fonction des décisions prises par ce même processus par le passé. Cette preuve n’a pas été apportée dans ce cas, en partie parce que la preuve pertinente n’était pas devant la Ministre au moment de prendre la décision.

V.  Conclusion

[82]  Je conviens qu’à la lumière des faits et du droit, la décision appartient aux issues raisonnables. La décision elle-même répond aux arguments de GFP et explique clairement pourquoi la Ministre a conclu que la Production était exclue. C’est ce que le droit exige de la Ministre.

[83]  Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[84]  Quoique la Ministre ait réclamé les dépens, dans l’exercice de ma discrétion en vertu de la Règle 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et considérant les circonstances de cette affaire, je n’attribue pas les dépens à la Ministre. Chaque partie supportera ses propres dépens.


JUGEMENT au dossier T-1803-16

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Chaque partie supportera ses propres dépens.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1803-16

INTITULÉ :

PRODUCTIONS GFP (III) INC. c LA PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 17 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Me Frédéric Massé

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Nadine Dupuis

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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