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Date : 20030417

Dossier : IMM-2059-02

Référence : 2003 CFPI 455

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 AVRIL 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU                                     

ENTRE :

                                                               ABUBAKAR YASSIN

                                                                     AKBER YASSIN

                                                         IBTISAM (IBISTAN) KHERI

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tranché, en date du 3 avril 2002, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch I-2 (la Loi).


[2]                 Les demandeurs sont des citoyens tanzaniens. Le demandeur principal revendique le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques présumées. Il allègue être un membre actif du Civic United Front (le CUF, Front civique unifié), lequel est considéré comme étant le parti de l'opposition en Tanzanie. La demanderesse et le demandeur mineur prétendent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social, à savoir la famille.

[3]                 Durant l'audience, le demandeur principal a témoigné qu'il était membre du CUF depuis le 10 septembre 1994. Il a déclaré que, après un interrogatoire en 1995, il a réduit ses activités au sein du parti et qu'il n'avait pas eu d'autres difficultés associées à ses activités politiques jusqu'au 6 mars 2000. Il a allégué avoir été arrêté ce jour-là par la police avec d'autres personnes et détenu dans une petite cellule pendant une semaine. Il a affirmé qu'il n'avait jamais été accusé de quelque crime et que les personnes qui n'avaient aucun lien avec le CUF avaient été relâchées, mais que lui et d'autres membres du CUF avaient été détenus. Durant sa détention, il a prétendument été privé de nourriture et il n'avait que de l'eau à boire. Il a été libéré seulement lorsque sa femme a versé une caution. Les autorités ont commencé à le chercher peu de temps après qu'il fut parti pour voyage d'affaires à Dar-Es-Salaam quelques jours après sa remise en liberté. Elles sont allées chez lui, les 15, 16 et 18 mars 2000, où elles ont rencontré son épouse. Cette dernière a déclaré que, à leur dernière visite, les autorités les avaient terrorisés et intimidés, elle et le demandeur mineur. Après ces incidents, ils ont consulté un avocat qui leur a, semble-t-il, conseillé de quitter le pays. Le demandeur principal a donc fait le nécessaire pour quitter le pays avec sa famille, et c'est ce qu'ils ont fait le 5 mai 2000.

[4]                 La Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Elle a commencé son analyse avec les conclusions générales suivantes :

[¼] Le tribunal a de bonnes raisons de douter de la véracité du témoignage des revendicateurs et de le rejeter. Les allégations en question ne satisfont pas au « véritable critère de la véracité du récit d'un témoin » , qui « doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu'une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d'emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions » . En outre, le tribunal a de bonnes raisons de douter que les autorités puissent s'intéresser à l'un ou l'autre des revendicateurs. Il a également de bonnes raisons de croire que la crainte des revendicateurs n'a pas de fondement objectif parce que, selon certains éléments de preuve, les membres du CUF ne sont plus persécutés en Tanzanie.


[5]                 La crédibilité des deux revendicateurs adultes a été le facteur déterminant dans la décision de la Commission. Elle doutait que les autorités puissent s'intéresser aux demandeurs. En des termes clairs et explicites, la Commission a expliqué pourquoi elle avait conclu que le récit des demandeurs n'était pas vraisemblable :

·           La Commission a estimé qu'il était peu vraisemblable que le demandeur principal ait pu reprendre ses activités normales, notamment partir en voyage d'affaires à Dar-Es-Salaam, deux jours seulement après avoir été relâché. La Commission a noté que le demandeur a reçu des soins médicaux minimaux après avoir été détenu pendant une semaine au cours de laquelle il avait été privé de nourriture et avait manqué d'eau.

·           La Commission n'a pas cru le demandeur principal lorsqu'il a témoigné qu'il était allé au bureau du CUF deux jours seulement après avoir été remis en liberté. En tirant cette conclusion, la Commission a noté que le demandeur principal avait été remis en liberté à la condition de ne pas participer à des activités politiques et qu'il avait été averti que la police « continuerait à le surveiller » et pourrait l'arrêter de nouveau.


·           La Commission a accordé peu d'importance à la lettre du CUF produite à l'appui de l'allégation concernant la détention du demandeur. Elle a noté que cette lettre précisait que le demandeur principal avait été détenu « dans des conditions de torture physique et psychologique » et qu'il était allé au bureau du CUF plusieurs fois pour signaler que la police était venue chez lui pour le harceler et l'intimider depuis sa remise en liberté. Aucun élément de cette preuve n'a été corroboré et, par conséquent, la Commission a accordé peu d'importance à cette lettre.

·           La Commission n'a pas cru que les autorités auraient gardé le demandeur principal en détention pendant une semaine sans l'interroger, pour décider deux jours après sa remise en liberté qu'elles voulaient en fait le remettre en détention à tel point qu'elles seraient allées trois fois chez lui pour essayer de le trouver.

·           Aucune preuve n'a été présentée à l'appui de l'allégation selon laquelle le demandeur principal, « un simple membre du CUF » , détiendrait des renseignements susceptibles d'intéresser les autorités à un point tel qu'elles l'auraient recherché activement pour l'arrêter de nouveau aussi rapidement après sa remise en liberté.

·           La Commission n'a pas cru le témoignage de la demanderesse concernant les trois visites des autorités au domicile familial. Elle a observé qu'il n'était pas crédible que les autorités n'aient pas demandé où le demandeur principal se trouvait précisément dès la première visite.


·           La Commission n'a pas trouvé crédible que les autorités n'aient pas arrêté la demanderesse durant leurs visites parce que, selon ce qu'elle prétendait, on l'avait accusée de vouloir renverser le gouvernement et parce qu'elle avait signé le document de remise en liberté sous caution du demandeur principal, lequel contenait une interdiction de quitter la Tanzanie. Bien que la Commission ait reconnu que le demandeur principal ne se trouvait pas, du point de vue juridique, à l'étranger, les autorités n'ont pas été avisées de ce fait avant la troisième visite.

·           Étant donné la gravité des accusations alléguées (le renversement du gouvernement), la Commission a conclu qu'il était peu vraisemblable que les autorités n'aient pas trouvé les documents du CUF lorsqu'elles ont fouillé la maison du demandeur.

·           La Commission a estimé que le contenu de la lettre de l'avocat du demandeur principal, M. Nkuhi, n'était pas crédible. À cet égard, la Commission a noté que la lettre faisait allusion à une poursuite civile contre la police et qu'elle n'abordait pas la question des accusations criminelles contre le demandeur principal. La Commission n'a pas cru non plus que l'avocat ait conseillé au demandeur principal de quitter le pays après l'avoir rencontré une seule fois. Par conséquent, la Commission a également accordé peu d'importance à cette lettre.

·           La demanderesse a témoigné qu'elle n'avait pas eu d'autres problèmes avec la police après la dernière visite du 18 mars 2000. La Commission n'a pas cru que les autorités avaient simplement arrêté leur enquête. En outre, si tel avait été le cas, cela signifierait, selon la Commission, que ni la demanderesse ni le demandeur mineur n'avaient de raisons de craindre les autorités.


·           La Commission n'a pas cru que la demanderesse aurait pu quitter l'aéroport de Zanzibar en utilisant ses propres documents si elle avait véritablement été recherchée par les autorités.

[6]                 Étant donné ces motifs, la Commission n'a pas cru que le demandeur principal avait été arrêté le 6 mars 2000 ni qu'il avait passé du temps en détention. Qui plus est, la Commission n'a pas cru que les autorités s'intéressaient aux demandeurs, tel qu'il est prétendu, ni, par conséquent, qu'elles étaient allées chez les demandeurs les 15, 16 et 18 mars 2000. En fait, la Commission a cru que les demandeurs sont venus au Canada pour des motifs d'ordre économique.

[7]                 La décision de croire ou de ne pas croire un demandeur est au coeur de la compétence de la Commission. La Cour a estimé que la Commission possède une expertise bien établie pour trancher les questions de fait, particulièrement dans l'appréciation de la crédibilité et de la crainte subjective de persécution d'un demandeur (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, paragraphe 38 (C.F. 1re inst.) et Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, paragraphe 14).


[8]                 Qui plus est, il a été reconnu et confirmé que, en ce qui a trait à la crédibilité et à l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer son opinion à celle de la Commission lorsque le demandeur n'est pas parvenu à démontrer que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, paragraphe 14 (C.F. 1re inst.) ( « Akinlolu » ); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, paragraphe 9 (C.F. 1re inst.) ( « Kanyai » ); et les motifs de révision énoncés à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).

[9]                 Normalement, la Commission peut à bon droit conclure qu'un demandeur n'est pas crédible en raison du manque de vraisemblance de la preuve présentée dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et où les motifs sont énoncés en « termes clairs et explicites » (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) ( « Aguebor » ); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.); et Kanyai, précité, paragraphe 10).

[10]            Qui plus est, la Commission peut à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur des manques de vraisemblance, le bon sens et la raison (Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, paragraphe 2 (C.A.F.); et Aguebor, précité, paragraphe 4). La Commission peut rejeter une preuve non contredite si elle n'est pas compatible avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, ou si elle décèle des contradictions dans la preuve (Akinlolu, précité, paragraphe 13; et Kanyai, précité, paragraphe 11).


[11]            Dans la présente affaire, les conclusions de manque de vraisemblance mentionnées précédemment ne sont pas, à mon avis, déraisonnables et elles n'ont pas été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont la Commission disposait. Ces manques de vraisemblance sont liés à des faits importants, lesquels ont amené les demandeurs à craindre avec raison d'être persécutés, et non à des contradictions peu importantes ou périphériques dans leur preuve. Malgré les efforts louables de l'avocat des demandeurs à l'audience, j'estime qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs et que ces conclusions étaient fondées sur la preuve. Bon nombre des conclusions de manque de vraisemblance tirées par la Commission étaient fondées sur le bon sens, ce qu'elle était autorisée à faire. De plus, la Commission a semblé s'être suffisamment appuyé sur les documents dont elle disposait et il est présumé qu'elle a considéré la totalité de la preuve. En raison de la conclusion à laquelle j'en suis venu quant à la question de crédibilité, il n'est pas nécessaire d'analyser les autres questions soulevées par les demandeurs, lesquelles ne modifieraient pas la décision de la Commission de rejeter la demande du statut de réfugié des demandeurs. Les avocats conviennent qu'il n'y a pas de question de portée générale à certifier dans la présente affaire.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a tranché, en date du 3 avril 2002, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, soit rejetée. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

« Luc Martineau »

                                                                                                                                                                                    

                                                                                                       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.             


                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-2059-02

INTITULÉ :                                              Abubakar Yassin et autres c. Le ministre de la Citoyenneté     et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    1er avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                          Le 17 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. Jack MartinPour les demandeurs

M. Martin AndersonPour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Jack MartinPour les demandeurs

Toronto (Ontario)

M. Morris RosenbergPour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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