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Date : 20030718

Dossier : T-1993-01

Référence : 2003 CF 898

Montréal (Québec), le 18 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

ENTRE :

                                                         INTEL CORPORATION

                                                                            demanderesse (défenderesse reconventionnelle)

                                                                             et

                                                       3395383 CANADA INC. et

                                                        9047-9320 QUÉBEC INC.

                                                                       défenderesses (demanderesses reconventionnelles)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie de deux requêtes présentées l'une par la demanderesse et l'autre par la défenderesse 3395383 Canada Inc. (la défenderesse) visant des questions demeurées en souffrance suite à l'interrogatoire préalable des représentants des parties.


Contexte

[2]                La demanderesse s'est pourvue en justice contre la défenderesse en alléguant notamment que celle-ci, ayant utilisé la marque de commerce enregistrée PENTIUM CONSTRUCTION ainsi que le nom de domaine pentiumconstruction.com et Pentium.ca, a contrefait les marques de commerce TMA428,593 et TMA534,128 propriété de la demanderesse et déprécié par là même sa valeur d'achalandage au regard desdites marques.

[3]                La défenderesse, loin de reconnaître une contrefaçon quelconque des marques de commerce de la demanderesse, réclame, par demande reconventionnelle, l'annulation de l'enregistrement n ° TMA534,128 de la demanderesse pour motif d'abandon et défaut d'utilisation au Canada dans le cours normal de l'activité commerciale.

L'interrogatoire préalable et la règle de droit

[4]                Il a été statué qu'en dépit des déclarations de principe concernant la portée générale du droit d'interroger, l'interrogatoire préalable est assujetti à certaines limites. La Cour ne permettra pas que l'on s'en serve à l'aveuglette, pas plus qu'elle n'exigera d'une partie qu'elle réponde à une question qu'elle n'a pas les moyens de connaître. Crestbrook Forest Industries Ltd. c. Canada, [1993] 3 C.F. 251 (C.A.).

[5]                Il a été statué en outre que si les tribunaux sont portés à étendre le droit d'interrogation préalable, il faut que ce droit vienne compenser la tendance qu'ont les parties de se livrer à des interrogatoires à l'aveuglette. Il ne sied pas de poser des questions dans le dessein de mettre au jour quelque chose dont la partie à l'instance ne connaît actuellement rien, dans le seul espoir de trouver un élément sur lequel échafauder des arguments. Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Berglund Industrial Supply Co. (1984), 81 C.P.R. (2d) 251, page 254 (C.F.P.I.).

Analyse

I            Requête de la demanderesse

[6]                J'aborderai en premier lieu cette requête.

[7]                Dans ladite requête, les parties se sont appuyées sur une série de questions réparties en trois catégories, à savoir :

a)         l'identité des fournisseurs et acheteurs de la défenderesse;

b)         les communications électroniques;

c)         la connaissance de l'utilisation au Canada.


[8]                Dans la catégorie a), la demanderesse réclame des réponses à deux questions portant sur des sujets qui concernent l'autre partie à l'instance, soit 9047-9320 Québec Inc. Tout spécialement, la demanderesse, par la question 242, veut savoir si la défenderesse peut demander à M. Kotler, une tierce partie liée à l'autre défenderesse à l'instance, s'il peut produire des documents concernant les fournisseurs des matériaux dont Québec Inc. s'est servie pour construire la maison-témoin. En second lieu, par la question 245, elle désire que la défenderesse indique les sous-traitants qui ont participé à la construction par Québec Inc. de la maison-témoin en question.

[9]                Je suis d'avis qu'en vertu de la règle 241 des Règles de la Cour fédérale de 1998, la défenderesse n'est pas tenue de se renseigner auprès de M. Kotler, vu qu'il n'est pas et n'a pas été un fonctionnaire, agent ou employé de la partie, dont on peut espérer qu'il puisse détenir, en l'espèce, des renseignements au sujet de toute question en litige. De plus, le représentant de la défenderesse déclare dans un affidavit qu'il n'a pas un droit d'accès aux dossiers de 9047-9320 Québec Inc.

[10]            Par conséquent, point n'est besoin de répondre aux questions 242 et 245.


[11]            Quant aux autres questions de cette catégorie ainsi que celles de la catégorie suivante, j'estime qu'elles ont été posées en vue de susciter des réponses concernant l'identité des fournisseurs, des sous-traitants et des clients de la défenderesse et de Québec Inc., l'autre partie défenderesse dans cette action, en vue d'aider la demanderesse à déterminer si leur association avec les marques de commerce de la défenderesse a effectivement donné lieu à de la confusion ou a nui à la réputation de la demanderesse.

[12]            Il semble, cependant, que celle-ci ne soit au courant d'aucun cas de confusion réelle puisque, en réponse à une question posée par la défenderesse au cours de l'interrogatoire préalable, elle a répondu qu'elle n'avait connaissance d'aucun cas de cette sorte sinon que par les réponses recueillies d'une enquête. Une confusion réelle a lieu lorsqu'un individu, dans le cours de ses tractations ou transactions, se méprend sur l'origine de certaines marchandises ou de certains services. Par conséquent, l'enquête ne révélerait pas si une confusion réelle est survenue, puisqu'elle reflète seulement les réponses aux questions posées par la demanderesse à des individus étrangers à de telles tractations ou transactions.

[13]            M'appuyant donc sur la décision Burnaby Machine, précitée, je suis d'avis que la demanderesse se livrerait à un interrogatoire à l'aveuglette si elle était autorisée à poser les questions restantes des catégories a) et b).


[14]            Par ailleurs, je suis d'accord pour dire que si la défenderesse fournissait les renseignements demandés et que la demanderesse prenait contact avec les clients, fournisseurs et sous-traitants de celle-ci pour savoir si leur association avec les marques de commerce de la défenderesse a réellement donné lieu à de la confusion ou a nui à la réputation de la demanderesse, pareille intrusion dans les affaires de la défenderesse pourrait provoquer des tensions, voire même perturber ses relations d'affaires.

[15]            Les cas de Remo Imports Limited c. Jaguar Canada Inc. (2000), 6 C.P.R. (4th) 62, pages 70-71 (C.F.P.I.) et Canadian Olympic Assn./Association Olympique Canadienne c. Olympic Life Publishing Ltd. (non publié, 4 mars 1987, T-1126-84, C.F.P.I.), cités par la demanderesse, se distinguent de l'espèce puisqu'ils traitent apparemment de faits différents.

[16]            Il n'est pas nécessaire, par conséquent, de répondre aux questions restantes de la catégorie a) ni à celles de la catégorie b).


[17]            L'unique question de la catégorie c) demande à la défenderesse de s'engager à rapporter, si elle en prend connaissance, toute restriction émise par la demanderesse à la vente au Canada d'articles autres que des microprocesseurs en liaison avec la marque de commerce PENTIUM. Vu que la défenderesse maintient qu'elle ignore l'existence de telles ventes et qu'elle cherche à annuler l'enregistrement de la marque de commerce de la demanderesse, je conviens avec celle-ci qu'elle a le droit d'être informée de tout renseignement qui parviendrait à la défenderesse au sujet de la présente allégation et de la demande reconventionnelle au cours de la présente instance. L'engagement demandé est approprié et il y aurait lieu de répondre à la question advenant une tentative d'achat. Je ne crois pas que cet engagement appelle la divulgation de renseignements privilégiés. Toute tentative d'achat constitue un élément de fait qui devrait être révélé.

[18]            Je ne vois pas la nécessité de convoquer une nouvelle fois le représentant de la défenderesse, sauf si les parties en décident autrement.

[19]            Les dépens afférents à la présente requête suivront l'issue de la cause.

[20]            J'aborderai maintenant la requête de la défenderesse.

II          Requête de la défenderesse

[21]            La défenderesse a, semble-t-il, réparti ses questions en sept groupes que la Cour, par souci de commodité, désignera comme suit :

a)         questions dites de « confiance » ;

b)         détails de la confusion réelle;

c)          préjudices/profits et dépréciation de l'achalandage;

d)          perte du caractère distinctif et enquête sur la dépréciation de l'achalandage;

e)         signification du mot « pente » ;

f)           copies des licences; et


g)          façons dont l'utilisation porte à inférer que les services de la défenderesse sont fournis, offerts, publicisés et approuvés par la demanderesse.

[22]            À l'audition de la requête, l'avocat de la défenderesse a retiré certaines questions dont il ne sera plus fait mention ici et sur lesquelles il ne sera pas statué.

a)         questions dites de « confiance »

[23]            Il n'est jamais permis, dans le cadre d'un interrogatoire préalable, de demander à un témoin de révéler la façon dont son avocat entend prouver des allégations au cours d'un procès. Dans Kun Shoulder Rest Inc. c. Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 488, page 495 (C.F.P.I.), le protonotaire Hargrave s'est expliqué en ces termes :

Dans le cadre d'un interrogatoire préalable, il est possible de demander à un témoin de parler de tous les faits entourant un certain incident et dont il a connaissance ou dont il doit normalement s'informer. Il n'est toutefois jamais permis de poser à un témoin des questions sur des faits invoqués au soutien d'une allégation donnée car cela exige du témoin qu'il choisisse les faits et révèle comment son avocat pourrait prouver une allégation donnée. Même s'il se peut qu'un témoin connaisse la démarche générale que son avocat entend suivre, il ne peut savoir quels faits seront utiles à moins de connaître les règles de droit applicables. Les faits particuliers qui seront invoqués sont fondés sur l'opinion du droit qu'a l'avocat. L'interrogatoire préalable d'un témoin vise à découvrir des faits et non des arguments sur ce qui est pertinent pour prouver un argument donné.


[24]            Les questions 1 et 4 de cette catégorie visent à savoir quels sont les faits invoqués dans la déclaration de la demanderesse que celle-ci se propose d'établir au moyen de tous les documents présentés. Cela équivaut à lui demander de quelle façon elle compte s'appuyer sur ces documents. Comme il est dit dans la décision Kun Shoulder, ce n'est pas la sorte de question à laquelle le représentant de la demanderesse serait tenu de répondre; en fait, s'il en allait autrement, on la poserait à tout coup et l'avocat serait alors tenu d'établir et de révéler à son homologue adverse, à l'étape de l'interrogatoire préalable, la démarche qu'il entend suivre au procès. Pareille question est déraisonnable, indûment exigeante et s'immisce démesurément dans l'exposé de l'avocat qui est privilégié.

[25]            Par conséquent, il n'est pas nécessaire de répondre aux questions 1 et 4.

b)          détails de la confusion réelle

[26]            Des réponses suffisantes ont été données aux questions 30 et 57.

c)          préjudices/profits et dépréciation de l'achalandage

[27]            Dans Montana Band c. Canada, 2001 CFPI 297, au paragraphe 4 (C.F.P.I.), Monsieur le juge Hugessen s'est exprimé en ces termes :

Cela m'amène à la requête dont je suis saisi aujourd'hui relativement à la communication de documents et à l'interrogatoire préalable. À mon sens, il est fondamental de s'assurer que, lorsqu'il existe une ordonnance de séparation des chefs, les questions séparées qui ne seront pas instruites dans le cadre du premier procès ne soient d'aucune pertinence au regard de ce premier procès. Le fait de mettre le tout dans un contexte très familier, dans lequel la responsabilité et les dommages-intérêts constituent des questions séparées liées aux dommages-intérêts, n'est d'aucune pertinence relativement au procès sur la question de la responsabilité.

[28]            Partant, lorsque des questions concernant l'étendue de l'ingérence ainsi que les préjudices/profits ont été dissociées des questions de responsabilité, il ne faudrait pas, à l'étape du procès sur la responsabilité, exiger des réponses à celles qui portent sur l'étendue des dommages et/ou des profits, sinon, on porterait atteinte à l'objectif même de la règle 107.

[29]            Je suis d'avis que les questions 32 à 34, 64 et 66 se rapportent toutes à l'allégation générale que « la demanderesse a subi un préjudice » . En raison de l'ordonnance de séparation en vigueur, il n'est pas nécessaire de répondre à ces questions.

d)          perte du caractère distinctif et enquête sur la dépréciation de l'achalandage

[30]            Une réponse a été donnée à la question 37 qui ne nécessite pas de plus amples explications.

e)         signification du mot « pente »

[31]            La question 40 vise à savoir si, de l'avis de la demanderesse, le mot « pentium » tire son origine du grec « pente » qui signifie « cinq » . C'est là une question qu'il faut poser à un spécialiste en linguistique ou en étymologie. Comme le représentant de la demanderesse n'a pas été interrogé en tant que spécialiste, son opinion importe peu et n'est par conséquent pas pertinente.


[32]            On a clairement et complètement répondu par la négative à la question 41.

[33]            Quant à la question 42, la demanderesse a consenti à y répondre dans sa teneur reformulée et ce, dans un délai de dix (10) jours à compter de la date de la présente ordonnance.

f)           copies des licences

[34]            En ce qui concerne la question 52, la Cour note que la demanderesse a consenti à fournir à la défenderesse des copies des contrats de licences passés avec Compaq, si elles sont disponibles.

g)          façons dont l'utilisation porte à inférer que les services de la défenderesse sont fournis, offerts, publicisés et approuvés par la demanderesse

[35]            La question 60 de cette catégorie étant contestée a été retirée.

[36]            Quant aux dépens relatifs à la présente requête, ils sont adjugés à la demanderesse selon la colonne III du tarif B.

          Richard Morneau          

Protonotaire               

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                               COUR FÉDÉRALE

Date : 20030718

Dossier : T-1993-01

ENTRE :

INTEL CORPORATION

                                                                        demanderesse

                                         (défenderesse reconventionnelle)

et

3395383 CANADA INC. et

9047-9320 QUÉBEC INC.

                                                                        défenderesses

                                    (demanderesses reconventionnelles)

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                               


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-1993-01

INTEL CORPORATION

                                                               demanderesse

                                   (défenderesse reconventionnelle)

et

3395383 CANADA INC. et

9047-9320 QUÉBEC INC.

                                                               défenderesses

                              (demanderesses reconventionnelles)


LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :Le 14 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

DATE DES MOTIFS :Le 18 juillet 2003

COMPARUTIONS :


M. Mark G. Biernacki

Pour la demanderesse (défenderesse reconventionnelle)

M. Hugues G. Richard

Pour les défenderesses (demanderesses reconventionnelles)


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse (défenderesse reconventionnelle)

Léger Robic Richard   

Montréal (Québec)

Pour les défenderesses (demanderesses reconventionnelles)

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