Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031209

Dossiers : IMM-1993-02

IMM-2386-03

Référence : 2003 CF 1430

ENTRE :

                                                          JOCELYN ADVIENTO

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

LE JUGE MARTINEAU

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE


[1]                Ces motifs d'ordonnance se rapportent à deux demandes de contrôle judiciaire. En premier lieu, par une demande qui a été présentée le 1er mai 2002 en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision que l'agente chargée du renvoi a prise le 2 mai 2002, laquelle lui avait antérieurement été communiquée et dans laquelle l'agente chargée du renvoi avait fait savoir que le renvoi de la demanderesse ne serait pas différé et que la mesure d'expulsion serait exécutée. En second lieu, par une demande présentée le 3 avril 2003 en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la demanderesse sollicite un jugement déclaratoire fondé sur l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte) portant qu'elle ne devrait pas être renvoyée du Canada étant donné que son renvoi irait à l'encontre de l'article 7 de la Charte.

LES FAITS

[2]                La demanderesse n'a pas de famille au Canada. Toute sa famille, y compris son fils et sa fille, vit aux Philippines. La demanderesse est arrivée au Canada au mois de juillet 1990 dans le cadre du Programme concernant les employés de maison étrangers, maintenant connu sous le nom de Programme concernant les aides familiaux résidants (le PAFR). Elle a exercé un emploi rémunérateur au Canada à titre d'aide familiale depuis son arrivée. Le dernier permis de travail de la demanderesse a expiré le 13 novembre 1998. La demanderesse est néanmoins restée au Canada pour y travailler. Elle envoie régulièrement de l'argent aux Philippines pour aider à subvenir aux besoins de ses deux adolescents, qui fréquentent une école privée.

[3]                En 1994, la demanderesse a fait l'objet d'un diagnostic d'insuffisance rénale. Si une greffe de rein n'est pas effectuée, la demanderesse devra continuer à subir des dialyses pour le reste de sa vie. En outre, même si la dialyse peut éliminer les déchets et l'eau excédentaire, des médicaments sont également nécessaires pour contrôler la quantité de minéraux et pour remplacer les hormones.


[4]                En l'absence de dialyse, la demanderesse mourrait en moins d'une semaine ou deux. Deux types de dialyses sont utilisées pour traiter une insuffisance rénale chronique qui en est au dernier stage :

a)          Dans le cas de l'hémodialyse, le sang est retiré du corps au moyen d'un appareil et passe par un rein artificiel. L'hémodialyse peut être effectuée dans un centre de dialyse (c'est-à-dire à l'hôpital), dans un centre de dialyse semi-autonome (c'est-à-dire dans certains centres communautaires) ou à domicile, à condition que le patient ait acquis l'équipement nécessaire et ait reçu la formation requise pour l'utiliser. Chaque hémodialyse dure normalement de trois à cinq heures. Au moins trois traitements sont nécessaires chaque semaine.


b)          La dialyse péritonéale fonctionne selon le même principe que l'hémodialyse, mais le sang du patient est nettoyé pendant qu'il est encore dans le corps du patient plutôt que dans un appareil. Le liquide pénètre dans la cavité péritonéale au moyen d'un cathéter qui doit être inséré par chirurgie dans l'abdomen du patient. L'eau excédentaire et les déchets passent par le péritoine dans le liquide de dialyse. La solution est ensuite évacuée du corps du patient et jetée, et le processus est répété. Il y a différents types de dialyse péritonéale. Dans la dialyse péritonéale continue ambulatoire (la DPCA), le patient transporte tout le temps environ au moins deux litres de liquide de dialyse dans la cavité péritonéale. Il faut habituellement moins de trois semaines pour apprendre comment procéder à une DPCA. Le patient fait un échange quatre ou cinq fois par jour. Il faut environ 30 à 45 minutes pour procéder à chaque échange. Cette procédure peut avoir lieu à domicile ou ailleurs. Toutefois, la responsabilité de commander les produits nécessaires et de les emmagasiner dans un endroit où ils ne gèleront pas incombe au patient.

[5]                La demanderesse s'occupe elle-même de la gestion de sa maladie rénale depuis le 17 avril 1994. Un cathéter permanent a été implanté dans son estomac. La demanderesse a reçu la formation nécessaire pour procéder à une DPCA au centre de dialyse péritonéale à domicile, au Toronto Hospital. Elle est entièrement autonome dans la gestion de sa DPCA. Cette procédure lui permet de mener une vie presque normale sans l'empêcher de travailler, de voyager ou de s'occuper d'elle-même. La vie de la demanderesse n'est pas en danger, à condition qu'elle ait accès aux produits et médicaments nécessaires.


[6]                En 1995, la demanderesse a demandé à résider en permanence au Canada. Il n'a pas alors été expressément fait mention de son état de santé. De fait, dans sa demande, la demanderesse déclare ne jamais avoir eu de maladie sérieuse ou d'affection physique (demande du 1er mars 1995, réponse à la question 23-D, dossier du tribunal, page 231). Sa demande a été refusée le 26 octobre 1995 pour le motif que son ex-conjoint, M. Fathe Majdha, un citoyen israélien, faisait l'objet d'une mesure de renvoi définitive. Ce dernier était entré au Canada le 7 mai 1992 et s'était vu refuser le statut de réfugié. Par la suite, le couple s'était séparé et leur divorce est devenu définitif au mois d'avril 2000. La demanderesse ne satisfaisait donc pas aux conditions applicables au PAFR. Elle a été informée que le permis de travail en vigueur expirerait le 23 mai 1996. Elle devait donc quitter le Canada au plus tard ce jour-là. Toutefois, il semble qu'elle ait subséquemment pu obtenir un permis du ministre.

[7]                Au mois de mars 1996, pendant qu'ils habitaient encore ensemble, les conjoints ont présenté une demande initiale fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en invoquant l'état de santé de la demanderesse ainsi que d'autres motifs d'ordre humanitaire. Des observations écrites ont été soumises par l'entremise de leur avocat (qui était alors Arnold Bruner). Ce dernier a notamment soutenu que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne était reconnu à la demanderesse à l'article 7 de la Charte. Il a été allégué que la vie de la demanderesse dépendait de ce qu'elle puisse demeurer au Canada, où elle avait accès à la DPCA. En particulier, il a été soutenu que la DPCA n'était pas disponible aux Philippines. L'hémodialyse était disponible aux Philippines, mais à un prix exorbitant (soit environ 9 000 $ par mois, comme l'atteste une lettre du docteur Daniel R. Ynzon, fils, de la Kidney Foundation, aux Philippines). Il a également été souligné que, grâce à la solution d'importance vitale, la demanderesse pouvait bien fonctionner en suivant les traitements quotidiens. Il a été affirmé que l'on ne pouvait donc pas raisonnablement s'attendre à ce que, par suite de son état de santé, l'admission de la demanderesse entraîne un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.


[8]                Par suite de sa demande, le couple a subi un examen médical au mois de septembre 1996. Il a été conclu que la demanderesse n'était pas admissible sur le plan médical en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi, parce que son admission au Canada entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Toutefois, aucune mesure immédiate n'a été prise. L'agente d'immigration chargée du dossier a alors été informée que la demanderesse envisageait de se rendre aux Philippines à la fin du mois de novembre 1997. La demanderesse a déclaré effectuer ce voyage pour des raisons d'ordre médical, puisqu'elle avait l'intention de trouver un rein compatible. La demanderesse s'est de fait rendue aux Philippines au mois de décembre 1997, où elle est restée pendant un mois. Elle a pu continuer à effectuer sa DPCA quotidienne grâce aux solutions et aux médicaments qu'elle avait apportés du Canada. Elle n'a pas eu de problèmes à cet égard.

[9]                Pendant l'hiver 1998, l'agente d'immigration a demandé des renseignements supplémentaires au sujet de l'accessibilité des services médicaux aux Philippines. Valerie Hindle, médecin principal à Manille, a informé l'agente d'immigration que les greffes de rein et l'hémodialyse étaient facilement disponibles aux Philippines et qu'il en coûtait de 5 555 à 6 666 $US pour une greffe de rein et 111 $US pour une séance d'hémodialyse. Le 11 juin 1998, l'agente d'immigration N. Sharma a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour justifier une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi, qui permet le traitement d'une demande de résidence permanente depuis le Canada. Par une lettre en date du 27 juillet 1998, la demanderesse a été informée que sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire était rejetée, qu'un rapport avait été rédigé conformément à l'article 27 de la Loi et que, par suite de ce rapport, la tenue d'une enquête avait été ordonnée. La demanderesse a apparemment été mise au courant du refus au mois de janvier 1999 seulement, lorsqu'elle a demandé une prorogation de son permis de travail, qui était déjà expiré.


[10]            Au mois de mars 1999, il y a eu un changement d'avocat, la demanderesse ayant décidé d'être représentée par les experts-conseils en immigration O'Brien Carpenter et King. Par suite de l'intervention de ces conseillers dans le dossier de la demanderesse, une deuxième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été soumise au mois de mars 2000. Encore une fois, l'avocat a invoqué l'état de santé de la demanderesse comme motif d'ordre humanitaire. Pendant que cette deuxième demande était encore à l'étude, une mesure de renvoi définitive a été prise le 9 juin 2000. Des avis de convocation à des entrevues au Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain, lesquelles devaient d'abord avoir lieu le 19 juin, puis le 26 juillet 2000, ont été envoyés à la demanderesse, qui ne s'est présentée à aucune des entrevues.

[11]            La deuxième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été refusée le 9 janvier 2002. Avant de rendre sa décision, l'agente d'immigration a procédé à une mise à jour des renseignements portant sur l'accessibilité des services de santé aux Philippines. Compte tenu des renseignements obtenus à cet égard, l'agente d'immigration a conclu que la demanderesse avait accès à des établissements de santé appropriés aux Philippines, et plus particulièrement que la DPCA était disponible partout sur l'île de Luçon (et notamment à Dagupan), d'où venait initialement la demanderesse. Il a également été noté que des fonds de l'État étaient disponibles pour le traitement. Si un patient n'est pas en mesure de payer, il existe un service subventionné qui ne coûte rien ou presque rien. La demanderesse a présenté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire de cette décision défavorable. Toutefois, elle n'a pas poursuivi la demande.


[12]            Le 19 février 2002, la demanderesse devait avoir une entrevue à Toronto avec l'agente chargée du renvoi, Mme Sindi Pannu. Elle ne s'est pas présentée. L'examen du dossier de la demanderesse révèle qu'elle ne s'était pas conformée par le passé, puisqu'elle avait omis au moins à quatre reprises de comparaître (deux fois à une enquête et deux fois à des entrevues préalables au renvoi). L'examen du dossier indique également que la demanderesse a changé d'adresse domiciliaire à sept reprises. Enfin, elle a continué à travailler illégalement au Canada et n'a fait aucun préparatif afin de quitter le pays. Un mandat d'arrestation a donc été délivré.

[13]            La demanderesse a encore une fois changé d'avocat, pour retenir cette fois les services de Lorne Waldman. Une troisième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été présentée pour son compte au mois de mars 2002. La demanderesse blâme maintenant son ancien avocat pour ne pas avoir réfuté la preuve sur laquelle l'agente d'immigration s'était fondée pour effectuer une évaluation défavorable, au mois de janvier 2002. Au mois d'octobre 2001, on a expressément donné à l'avocat la possibilité de réfuter ladite preuve dans un délai de 30 jours.


[14]            Dans l'intervalle, la demanderesse a été arrêtée le 1er mai 2002. Pendant qu'elle était détenue, le nouvel avocat de la demanderesse a demandé à l'agente chargée du renvoi de différer l'exécution de la mesure de renvoi tant qu'il n'était pas statué sur la demande la plus récente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Même si les deux demandes antérieures fondées sur des raisons d'ordre humanitaire avaient été rejetées, le nouvel avocat de la demanderesse a affirmé à l'agente chargée du renvoi qu'elle devait examiner la nouvelle preuve documentaire soumise par sa cliente, laquelle montrait que cette dernière n'obtiendrait probablement pas de dialyses adéquates aux Philippines.

[15]            En particulier, il a été fait mention du courriel du docteur Tan, en date du 15 février 2002, qui est ainsi libellé :

[TRADUCTION] Madame,

Je ne suis pas trop convaincu qu'il lui soit possible d'obtenir un appui financier pour la dialyse péritonéale. Quant à l'hémodialyse, il peut y avoir deux sources de financement. En premier lieu, la Philippine Charity Sweepstakes Organization offre de l'aide financière pour environ huit traitements tous les 6 à 12 mois. Philhealth (autrefois Medicare) finance chaque année environ 45 traitements. Toutefois, étant donné que la patiente n'est plus au pays depuis un certain nombre d'années, je ne sais pas trop si elle est admissible. De toute façon, les patients comme la patiente ici en cause ne peuvent survivre longtemps à moins de subir une hémodialyse hebdomadaire et ils auraient besoin de fonds supplémentaires pour être traités au moins deux fois par semaine. De plus, il n'a pas été tenu compte des médicaments, de l'hospitalisation et des autres dépenses.

[16]            Toutefois, l'agente chargée du renvoi estimait que ce « nouvel » élément de preuve n'était pas concluant. Après avoir examiné le Système de soutien aux opérations des bureaux locaux et les renseignements versés au dossier, et compte tenu du fait que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) est tenu, en vertu de l'article 48 de la Loi, d'exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent, l'agente chargée du renvoi a conclu, le 1er mai 2002, qu'il n'était pas justifié de différer l'exécution de la mesure de renvoi.


[17]            Une demande de contrôle judiciaire de cette décision défavorable a été présentée le même jour, et un sursis a été accordé le 3 mai 2002 par le juge MacKay. Cette demande de contrôle judiciaire devait être entendue à Toronto au mois d'avril 2003. Toutefois, à la demande de la demanderesse et avec le consentement des avocats, j'ai ajourné l'audience afin de permettre à la demanderesse de présenter une demande distincte en vue de solliciter, entre autres, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte, un jugement déclaratoire portant que l'article 7 de la Charte lui reconnaît le droit de rester au Canada. La chose a entraîné des retards supplémentaires.

LES POINTS LITIGIEUX

[18]            La présente instance soulève les questions ci-après énoncées :

a)          Quelle est la norme de contrôle applicable lorsque la décision de l'agent chargé du renvoi de ne pas différer le renvoi est examinée?

b)          L'agente chargée du renvoi a-t-elle omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire, a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ou a-t-elle agi de toute autre façon contraire à la loi?

c)          En l'espèce, l'argument fondé sur la Charte peut-il être invoqué devant la présente cour?

d)          De toute façon, les droits reconnus à la demanderesse à l'article 7 de la Charte entrent-ils en ligne de compte eu égard aux circonstances de l'affaire?


ANALYSE

A)         Quelle est la norme de contrôle applicable lorsque la décision de l'agent chargé du renvoi de ne pas différer le renvoi est examinée?

[19]            Afin d'examiner de la façon appropriée la décision de l'agente chargée du renvoi, il faut d'abord établir la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer. L'appréciation de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer prête quelque peu à controverse puisque le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, énonce les motifs précis que le demandeur doit établir pour que sa demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Cette disposition prescrit ce qui suit :


4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.


[20]            En décidant d'énumérer six motifs distincts d'examen, le législateur a délibérément opté pour une approche plutôt formaliste à l'égard du contrôle judiciaire, l'accent étant principalement mis sur la nature particulière ou sur la gravité de l'erreur alléguée par le demandeur.


[21]            Une conclusion de fait erronée tirée par un tribunal n'est pas en soi exclue de l'examen judiciaire, mais elle ne devient une erreur susceptible de révision au sens de l'alinéa 18.1(4)d) que si le demandeur est en mesure de convaincre la Cour que cette conclusion a été tirée « de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [le tribunal] dispos[ait] » . Comme nous pouvons le voir, l'emploi d'attributs tels que « abusive » et « arbitraire » , à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, donne à entendre que le législateur a déjà énoncé la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux conclusions de fait tirées par un tribunal.

[22]            Dans l'arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 108, paragraphe 14 (C.A.F.), le juge Décary note que « c'est l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui établit [la] norme de contrôle, qu'en d'autres juridictions on définit par l'expression " manifestement déraisonnable " » . Devrait-on faire preuve d'une moins grande retenue à l'égard des questions de compétence ou de droit, ou des questions mixtes de fait et de droit?

[23]            Je note que les mots « abusive » et « arbitraire » qui figurent à l'alinéa 18.1(4)d) ne figurent pas dans les autres alinéas du paragraphe 18.1(4). Selon un point de vue formaliste, les questions de droit et de compétence sont généralement examinées selon la norme de la « décision correcte » , alors que les questions mixtes de fait et de droit sont examinées selon la norme de la « décision raisonnable simpliciter » .


[24]            Lorsqu'une demande d'examen soulève des motifs d'examen précis en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, on peut se demander si la Cour doit vraiment toujours se fonder sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer la norme de contrôle à appliquer. Je sais bien que dans l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, paragraphe 21, la juge en chef McLachlin, au nom de la Cour, a dit que « le juge de révision doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle » . L' « analyse pragmatique et fonctionnelle » a d'abord été appliquée dans l'arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, et a par la suite été appliquée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. Je sais bien également que dans l'affaire Pushpanathan, précitée, le contrôle judiciaire était effectué en vertu de la Loi sur la Cour fédérale.


[25]            Ceci dit, un arrêt plus récent de la Cour suprême a mis en doute l'emploi de l'analyse pragmatique et fonctionnelle dans les affaires où des normes précises de contrôle judiciaire sont prévues par la loi. Dans l'arrêt R. c. Owen, 2003 CSC 33, la Cour examinait l'annulation par la Cour d'appel de l'Ontario d'une décision rendue par la Commission ontarienne d'examen. La Commission d'examen avait conclu que l'intimé Owen présentait un danger important pour la sécurité du public et elle avait ordonné le maintien de sa détention dans un hôpital psychiatrique. Devant la Cour d'appel, le ministère public avait cherché à renforcer la décision de la Commission en produisant de nouveaux éléments de preuve par affidavit montrant que, depuis l'audition tenue devant la Commission, l'intimé avait frappé un patient et menacé de tuer un autre patient, en plus d'avoir été trouvé en possession de drogues interdites. La Cour d'appel a refusé d'admettre ces nouveaux éléments de preuve et a révisé l'ordonnance de la Commission en se fondant sur la preuve disponible à l'audience initiale; elle a annulé l'ordonnance de la Commission pour le motif qu'elle était déraisonnable et elle a ordonné la libération inconditionnelle de l'intimé. La Cour suprême (la juge Arbour étant dissidente) a accueilli le pourvoi et a statué que l'ordonnance de la Commission d'examen n'était pas déraisonnable et devait être rétablie.

[26]            Le juge Binnie, qui a rédigé les motifs au nom de la majorité de la Cour, a expliqué qu'il n'était pas nécessaire, dans le cas de la Commission d'examen, d'employer la « méthode fonctionnelle et pragmatique » étant donné que le législateur avait énoncé en toutes lettres, à l'article 672.78 du Code criminel, la norme de contrôle à appliquer. Il a ensuite conclu que le libellé de l'alinéa 672.78(1)a) correspondait à ce que les tribunaux appellent la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

[27]            En particulier, aux paragraphes 31, 32 et 33, le juge Binnie a dit ce qui suit :

L'appelante a soumis une analyse approfondie des décisions de notre Cour en droit administratif, de U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, p. 1087, à Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, relativement à l'application de la « méthode fonctionnelle et pragmatique » pour déterminer la norme de contrôle applicable. Cependant, le législateur a pris la peine d'énoncer dans le Code criminel la norme précise de contrôle judiciaire qui s'applique à ces commissions d'examen, à savoir que la cour ne peut annuler une ordonnance rendue par la commission d'examen que si elle est d'avis que, selon le cas :

a)              la décision est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve;

b)              il s'agit d'une erreur de droit [sauf si aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s'est produit];

c)              il y a eu erreur judiciaire. [C.cr., art. 672.78]

Il ne faut pas perdre de vue que, [TRADUCTION] « [d]ans une large mesure, l'examen judiciaire d'un acte administratif est une division spécialisée de l'interprétation des lois » : Bibeault p. 1087. Si le législateur a révélé son intention dans le libellé explicite de l'art. 672.78 C.cr., c'est cette norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'absence de contestation constitutionnelle.


Le premier volet du critère correspond à ce que les tribunaux appellent la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, c'est-à-dire que la cour d'appel devrait se demander si l'évaluation du risque et l'ordonnance de la Commission étaient déraisonnables en ce sens qu'elles n'étaient étayées par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 56, Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, et Dr. Q. c. The College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19. En règle générale, la cour devrait s'abstenir d'intervenir si la décision de la Commission est telle que les membres de la Commission ayant une bonne connaissance des faits et une perception juste du droit applicable pourraient raisonnablement se trouver en désaccord.

[Non souligné dans l'original.]

[28]            Sur ce point, la juge Arbour note que le libellé de l'article 672.8 du Code criminel s'apparente à la norme de la décision manifestement déraisonnable, plutôt qu'à celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, la juge a appliqué l'analyse pragmatique et fonctionnelle et elle a conclu que la norme de la décision manifestement déraisonnable commanderait une trop grande retenue et que la norme de la décision raisonnable simpliciter est celle qu'il convient d'appliquer. Son raisonnement est exprimé comme suit aux paragraphes 87 et 88 :

Je conviens, essentiellement pour les motifs exposés par le juge Binnie, que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable simpliciter. Je voudrais toutefois signaler que l'emploi par le législateur d'un libellé presque identique à l'art. 672.78 et au sous-al. 686(1)a)(i) donne lieu à une anomalie manifeste, car les mêmes mots figurant dans différents articles de la même loi - le Code criminel - révèlent des sens tout à fait différents. Comme l'a souligné le juge Binnie, le terme « déraisonnable » employé à l'art. 672.78 signifie « déraisonnables en ce sens qu'elles n'étaient étayées par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (par. 33), alors que la même expression employée à l'art. 686 renvoie à une décision qu'aucun juge des faits raisonnable ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière judiciaire n'aurait pu rendre (voir R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 36; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, p. 185). À mon avis, c'est là une norme qui s'apparente à celle de la décision manifestement déraisonnable plutôt qu'à celle de la décision raisonnable simpliciter, telles qu'on les interprète en droit administratif.


En définitive, malgré l'anomalie créée par le législateur du fait qu'il a employé un libellé identique dans différents articles d'une même loi pour exprimer des concepts différents, j'estime que la norme de contrôle applicable sous le régime de l'art. 672.78 est celle de la décision raisonnable simpliciter. La similarité du libellé est trompeuse, car il existe d'importantes différences quant au fond entre les deux articles. L'article 686 s'applique à une cour d'appel qui examine le verdict rendu par une cour (composée d'un juge seul ou d'un juge et d'un jury) alors que, sous le régime de l'art. 672.78, l'examen en appel vise la décision d'un organisme administratif. La différence est également bien illustrée par le fait que le caractère déraisonnable d'un verdict constitue une question de droit (Biniaris, précité) et que le pouvoir de redressement de la cour d'appel qui conclut au caractère déraisonnable d'un verdict de culpabilité se limite à celui d'inscrire un verdict d'acquittement. En revanche, dans le cadre d'un appel prévu à l'art. 672.78, la cour d'appel peut, en présence d'une « décision déraisonnable » , accueillir l'appel et substituer sa propre décision à celle de la Commission, ou lui renvoyer l'affaire (par. 672.78(3)). Pour les motifs exposés par le juge Binnie, je suis d'avis qu'il y a lieu de recourir à la méthode fonctionnelle et pragmatique pour déterminer la norme de contrôle qui s'applique. Suivant cette méthode, il convient en l'espèce d'appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter, la norme de la décision manifestement déraisonnable commandant une trop grande retenue à l'égard de la Commission.

[Non souligné dans l'original.]


[29]            En l'espèce, l'agente chargée du renvoi a pris une décision essentiellement factuelle. Conformément à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la décision devrait uniquement être examinée si elle a été rendue de façon « abusive » ou « arbitraire » ou sans que l'agente chargée du renvoi tienne compte des éléments dont elle disposait. Comme il en a déjà été fait mention, les termes forts de cette disposition, « abusive » et « arbitraire » , donnent à entendre que les décisions factuelles doivent être examinées selon la norme de la « décision manifestement déraisonnable » (Harb, précité, paragraphe 14, et Owen, précité, paragraphe 87). Ceci dit, je reconnais qu'il est possible de se demander si la norme de contrôle est peut-être celle de la « décision raisonnable simpliciter » , du moins lorsqu'il est allégué que le tribunal a rendu une décision « sans tenir compte des éléments dont il dispo[sait] » , mais comme l'a récemment souligné le juge LeBel dans l'avis concourant qu'il a exprimé dans l'arrêt Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 79 (SCFP), 2003 CSC 63, il est maintenant plus difficile en pratique de faire une distinction entre ces deux normes. La chose a rendu encore plus complexe la tâche des juges chargés de l'examen, en particulier si la Cour est invitée à examiner une conclusion factuelle (voir en particulier Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 79 (SCFP), précité, paragraphes 100 à 134).

[30]            Quoi qu'il en soit, tant que les questions qui ont récemment été soulevées dans les arrêts Owen, précité, et SCFP, précité, n'auront pas été clarifiées et réexaminées par la Cour suprême, j'estime être obligé d'appliquer la « méthode pragmatique et fonctionnelle » même si le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale semble énoncer la norme de contrôle appropriée. Ce faisant, quatre facteurs contextuels doivent être soupesés. Il s'agit des facteurs suivants : l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi; l'expertise du tribunal sur la question en litige par rapport à celle de la cour de révision; l'objet de la loi et de la disposition particulière; et la nature de la question : à savoir s'il s'agit d'une question de droit, d'une question de fait ou d'une question mixte de fait et de droit.

[31]            En l'espèce, la décision contestée qui a été prise par l'agente chargée du renvoi n'est pas protégée par une clause privative. La Loi ne prévoit aucun droit d'appel de la décision de l'agente chargée du renvoi de différer ou de ne pas différer la mesure de renvoi. En outre, conformément au paragraphe 82.1(1) de la Loi, la présentation d'une demande de contrôle judiciaire peut se faire avec l'autorisation d'un juge de la Cour. Comme il a déjà été noté, le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale énumère une vaste gamme d'erreurs susceptibles de révision.


[32]            La vie ou la sécurité de la demanderesse peut être directement mise en danger par suite de l'exécution de la mesure de renvoi, mais l'agente chargée du renvoi n'avait aucune connaissance spéciale de la situation qui existait dans le pays en question à l'égard de l'accessibilité de la demanderesse aux services de santé et de l'existence d'une protection ou d'un financement par un régime public d'assurance. À cet égard, l'agente chargée du renvoi se trouve dans la même situation que la cour de révision. La chose exige une moins grande retenue.

[33]            Il est certain que l'agente chargée du renvoi, en vertu de l'article 48 de la Loi, possède un certain pouvoir discrétionnaire en s'acquittant du mandat qui lui est conféré par la loi lorsqu'il s'agit d'exécuter une mesure de renvoi. Toutefois, selon une politique clairement énoncée, une mesure de renvoi devrait être exécutée « dès que les circonstances le permettent » . Par conséquent, conformément au but de la Loi et à l'article 49 en particulier, le pouvoir discrétionnaire de l'agente chargée du renvoi est clairement restreint aux considérations portant sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936, paragraphe 12 (1re inst.) (QL)).

[34]            Ceci dit, la décision de l'agente chargée du renvoi est fortement fondée sur des conclusions de fait. Cela donne clairement à entendre que la présente cour devrait faire preuve d'une plus grande retenue. Comme la Cour suprême l'a souligné dans l'arrêt Dr. Q., précité, au paragraphe 34 :

Enfin, sur les questions mixtes de fait et de droit, ce facteur appelle une déférence plus grande si la question est principalement factuelle, et moins grande si elle est principalement de droit.


[35]            Par conséquent, si j'applique la méthode pragmatique et fonctionnelle décrite dans l'arrêt Dr. Q., précité, je conclus que les quatre facteurs mènent à l'application de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

B)         L'agente chargée du renvoi a-t-elle omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire, a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ou a-t-elle agi de toute autre façon contraire à la loi?

[36]            La demanderesse soutient que l'agente chargée du renvoi a omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux principes applicables, qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents ou qu'elle a par ailleurs agi de façon contraire à la loi. Je conclus que ces allégations sont dénuées de fondement.

[37]            Il est bien établi en droit que le pouvoir discrétionnaire de différer une mesure de renvoi est fort restreint. Il serait contraire aux buts et objectifs de la Loi d'étendre, au moyen d'une déclaration judiciaire, le pouvoir discrétionnaire restreint que possède l'agent chargé du renvoi, de façon à exiger un « mini » examen des raisons d'ordre humanitaire avant le renvoi (Davis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1628, paragraphe 4 (1re inst.) (QL); John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 A.C.F. no 583 (1re inst.) (QL)). Il ne suffit tout simplement pas de jeter le blâme sur l'ancien avocat de la demanderesse.


[38]            La présente cour a déjà statué qu'en déterminant si la mesure de renvoi doit être différée, l'agent peut à bon droit tenir compte d'une gamme de facteurs tels que la question de savoir s'il manque des documents de voyage nécessaires, si le demandeur fait l'objet d'une ordonnance judiciaire exigeant sa présence au Canada ou si l'état de santé du demandeur l'empêche de voyager. Tous ces facteurs pourraient entraîner le report de la mesure de renvoi (Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 805, paragraphe 32 (1re inst.) (QL)). Lorsque l'omission de différer le renvoi ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inadéquat, le report semble également justifié (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 204 F.T.R. 5, paragraphe 48 (C.F. 1re inst.); John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précité, paragraphe 14). Il faut se rappeler que le renvoi est habituellement la dernière étape d'une procédure qui peut être fort longue. Dans la présente demande, deux évaluations portant sur l'accessibilité des services de santé ont déjà été effectuées.


[39]            Dans l'affaire John, précitée, la demanderesse avait présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agente chargée du renvoi, qui avait refusé de différer son renvoi du Canada. La demanderesse était citoyenne de Saint-Vincent; elle avait demandé le report de son renvoi du Canada en alléguant que sa fille née au Canada avait besoin de médicaments qui n'étaient pas disponibles à Saint-Vincent ou qui coûteraient trop cher. La demanderesse avait antérieurement présenté sans succès une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. En appréciant le pouvoir discrétionnaire de l'agente chargée du renvoi, la juge Snider a souligné que la question du pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé du renvoi avait été examinée par le juge McKeown dans la décision Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1802 (1re inst.) (QL), où il avait été statué que les pouvoirs de l'agent ne sont pas analogues à ceux d'un arbitre.

[40]            Aux paragraphes 18 et 19, le juge McKeown a expliqué son raisonnement comme suit :

Je ne suis pas d'accord avec l'avocate du demandeur lorsqu'elle prétend que le pouvoir discrétionnaire conféré à un agent de renvoi en vertu de la Loi sur l'immigration actuelle est aussi étendu que celui qui était conféré à un arbitre par le paragraphe 27(3) et d'autres dispositions de la Loi sur l'immigration, S.C. 1976-77, ch. 52, et ses modifications. En conséquence, les décisions Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560 et Nesha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1982] 1 C.F. 42 (1re inst.), [...], ont peu d'incidence sur l'affaire dont je suis saisi.

Essentiellement, l'avocate du demandeur n'interprète pas correctement le régime créé par la Loi sur l'immigration actuelle, sous lequel c'est l'agent chargé de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui doit examiner tous les facteurs invoqués au soutien de cette demande, et non l'agent de renvoi. À mon avis, l'agent de renvoi peut se fonder sur ce que l'avocat du demandeur considère être le facteur prépondérant justifiant le report du renvoi. L'avocat doit choisir avec soin ce qu'il décide de soumettre à l'agent de renvoi. Je préfère que la Loi actuelle ne confère pas à un agent de renvoi le pouvoir discrétionnaire de prendre en considération les différents facteurs d'ordre humanitaire lorsqu'il décide de reporter ou non le renvoi d'un demandeur.

[Non souligné dans l'original.]


[41]            Compte tenu de ce qui précède, il n'existe probablement pas d'exigence voulant que l'agente chargée du renvoi tienne compte des facteurs d'ordre humanitaire. Cette obligation, lorsqu'elle existe déjà au stade de la présentation de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, serait inutilement redondante. L'agente chargée du renvoi ne possédait pas l'expertise de l'agent qui examinait les raisons d'ordre humanitaire et elle n'était pas tenue d'examiner tous les documents que la demanderesse avait antérieurement soumis en vue d'une évaluation fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Ces documents avaient dûment été examinés par les agents d'immigration, qui avaient pris des décisions défavorables en 1998 et en 2002. Dans ce dernier cas, la demanderesse a décidé de ne pas poursuivre sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Elle a préféré présenter une troisième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été présentée en temps opportun, mais n'a pas encore été réglée à cause de l'arriéré existant dans le système.

[42]            Quant à l'affaire qui nous occupe, je note que la demanderesse a entièrement eu la possibilité de faire part de ses préoccupations au stade de la présentation de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Néanmoins, l'agente chargée du renvoi a de fait lu les documents soumis avec les observations de l'avocat de la demanderesse, y compris le courriel et l'article du docteur Tan, et elle savait parfaitement bien que quelqu'un qui est atteint d'une insuffisance rénale meurt s'il n'est pas traité. Ceci dit, la substance de ces allégations avait déjà été examinée par l'agent qui examinait les raisons d'ordre humanitaire et il avait déjà été conclu que la demanderesse aurait accès au traitement. L'agente chargée du renvoi s'est donc fondée, entre autres choses, sur les conclusions de l'agent qui examinait les raisons d'ordre humanitaire, comme elle pouvait à bon droit le faire (Harry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 195 F.T.R. 221 (1re inst.); Keppel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1532, paragraphe 10 (1re inst.) (QL)).


[43]            La demanderesse affirme également que la troisième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire renferme de « nouveaux » renseignements qui n'ont pas encore été examinés. À mon avis, les « nouveaux renseignements » mentionnés par l'avocat ne portent pas sur la situation personnelle de la demanderesse, mais expliquent plutôt les conditions générales qui s'appliquent au traitement aux Philippines, dans le cas du Philippin moyen. Ces renseignements auraient pu être soumis plusieurs mois plus tôt. En outre, il était avec raison loisible à l'agente de se demander qui était le docteur Tan, étant donné que le texte du courriel n'était pas complet et que les qualités d'expert du docteur Tan dans ce domaine n'étaient pas mentionnées. Ceci dit, à part le fait que le courriel du docteur Tan est postérieur à la deuxième décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce courriel n'apporte réellement aucun nouvel élément. Au contraire, il corrobore les décisions qui avaient déjà été prises en 1998 et en 2002, à savoir que la demanderesse peut obtenir, aux Philippines, des traitements appropriés pour son insuffisance rénale.


[44]            La demanderesse a strictement invoqué sa situation financière comme obstacle l'empêchant d'avoir accès, aux Philippines, aux produits et médicaments nécessaires. À cet égard, la demanderesse avait la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi, qu'elle se verrait probablement refuser l'accès. La demanderesse a clairement omis de s'acquitter de l'obligation qui lui incombait lorsqu'il s'agissait de prouver ce que la DPCA coûtait aux Philippines et d'établir qu'elle ne serait pas en mesure d'engager pareils frais. La demanderesse n'a jamais allégué être une Philippine moyenne, et elle n'a pas corroboré au moyen de sources directes qu'elle ne serait pas admissible aux programmes gouvernementaux, y compris le programme Philhealth, ou au financement accordé par les services sociaux. De fait, même le docteur Tan, sur l'avis duquel la demanderesse se fonde fortement, ne savait pas trop si la demanderesse était admissible à un traitement subventionné aux Philippines.

[45]            Je conclus également que l'agente chargée du renvoi n'a pas agi de façon contraire à la loi. Il importe de noter que la demanderesse ne conteste pas la mesure de renvoi dont elle fait l'objet, mais qu'elle conteste plutôt la « décision » de Shari Fidlin, agente chargée du renvoi, qui a refusé de différer son renvoi du Canada. Or, la Loi autorisait clairement l'agente chargée du renvoi à différer le renvoi. L'article 48 de la Loi prévoit ce qui suit : « Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent. » Les articles 49 et 50 traitent des sursis à l'exécution dans certaines circonstances précises : par exemple, lorsque le demandeur a interjeté appel et que l'appel n'a pas encore été entendu et réglé, ou lorsque d'autres procédures sont en instance. Or, aucune de ces conditions n'existe en l'espèce, de sorte que ces dernières dispositions ne s'appliquent pas.

[46]            En l'espèce, la demanderesse ne demandait pas à l'agente chargée du renvoi de reporter le départ de quelques jours ou de quelques semaines afin de lui permettre de prendre elle-même des dispositions au Canada et aux Philippines lorsqu'il s'agissait d'apporter les produits et médicaments nécessaires ou d'y accéder. À cet égard, la preuve révèle qu'en 1997, la demanderesse a pu se rendre aux Philippines et y séjourner pendant un mois complet sans éprouver de problèmes d'ordre médical. Dans ce cas-ci, la demanderesse voulait faire surseoir à la mesure de renvoi en attendant qu'il soit statué sur sa troisième demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.


[47]            En conclusion, la demanderesse n'a pas établi qu'il existe un motif approprié fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale permettant d'accorder une réparation. Je ne suis pas convaincu que l'agente chargée du renvoi ait commis une erreur de droit, qu'elle ait rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait, ou qu'elle ait agi de toute autre façon contraire à la loi. En outre, la décision de l'agente chargée du renvoi n'est pas déraisonnable. L'agente chargée du renvoi n'a pas omis de tenir compte de facteurs pertinents dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. La décision de l'agente chargée du renvoi est fondée sur la preuve. Les motifs donnés par l'agente chargée du renvoi étayent clairement la conclusion tirée et ils résistent à un examen assez poussé. La Cour ne devrait donc pas entreprendre une nouvelle appréciation de la preuve ou substituer son avis à celui de l'agente chargée du renvoi (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] A.C.S. no 17, paragraphe 55).

C)         En l'espèce, l'argument fondé sur la Charte peut-il être invoqué devant la présente cour?


[48]            Dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1776, paragraphe 20 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale dit que, si une personne est inquiète au sujet du pays vers lequel elle pourrait être renvoyée, quatre recours sont possibles : (1) elle peut quitter volontairement le pays pour se rendre à un endroit où elle n'entretient aucune crainte; (2) elle peut solliciter le contrôle judiciaire; (3) elle peut présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire; et (4) elle « pourrait » présenter une contestation fondée sur la Charte. La Cour a en outre dit ce qui suit : « Il n'appartient pas à la Cour de décider ici si certains de ces recours sont vraiment possibles dans un cas particulier et s'ils peuvent être accueillis ou non. »

[49]            Les conditions préalables àl'octroi d'une mesure de redressement déclaratoire sont énoncées par la Cour d'appel dans l'arrêt Bande indienne de Montana c. Canada, (1991), 120 N.R. 200 (C.A.). La Cour d'appel a appliqué le critère énoncé dans l'arrêt Russian Commercial and Industrial Bank c. British Bank for Foreign Trade Limited, [1921] 2 A.C. 438 : [TRADUCTION] « La question doit être réelle et non théorique, celui qui la soulève doit avoir un intérêt réel à le faire et il doit présenter un adversaire valable, c'est-à-dire quelqu'un ayant un intérêt véritable à s'opposer àla déclaration sollicitée. » Ce critère a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.

[50]            Dans l'arrêt Kourtessis c. Ministre du Revenu national, [1993] 2 R.C.S. 53, au paragraphe 96, la Cour suprême du Canada dit qu'une cour peut à juste titre refuser d'entendre une demande visant l'obtention d'un jugement déclaratoire s'il est possible de recourir à une autre procédure ou si le législateur voulait que l'autre procédure soit suivie :


Le pouvoir discrétionnaire de la cour supérieure de refuser d'exercer sa compétence pour le motif exposé dans les arrêts Mills et Smith, précités, est renforcé par la nature discrétionnaire du jugement déclaratoire en vertu de laquelle le tribunal peut refuser d'entendre une telle action pour diverses raisons. La cour est justifiée de refuser d'entendre l'action s'il est possible de recourir à autre procédure permettant d'obtenir un redressement plus efficace ou si la cour décide que le législateur voulait que l'autre procédure soit suivie. Voir E. Borchard, Declaratory Judgments (2e éd. 1941), à la p. 303, et I. Zamir dans The Declaratory Judgment (1962), à la p. 226. Voir également City of Lethbridge c. Canadian Western Natural Gas, Light, Heat and Power Co., [1923] R.C.S. 652, à la p. 659, et Terrasses Zarolega Inc. c. Régie des installations olympiques, [1981] 1 R.C.S. 94, aux pp. 103 et 106.

[Non souligné dans l'original.]

[51]            En l'espèce, la demanderesse n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision défavorable fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (affidavit de Jocelyn Adviento, paragraphe 8). La demanderesse a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] J'ai présenté une demande d'autorisation visant le contrôle judiciaire de la décision défavorable qui a été prise au sujet des raisons d'ordre humanitaire. Toutefois, j'ai décidé de ne pas poursuivre l'affaire; j'ai plutôt présenté une nouvelle demande d'établissement depuis le Canada en invoquant des raisons d'ordre humanitaire.

[52]            Selon le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, 2002/06/14 Gazette du Canada, partie II, volume 136, Édition spéciale, page 251, le législateur a conféré au ministre le pouvoir de lever tout ou partie des critères et obligations prévus par la Loi si des circonstances d'ordre humanitaire le justifient. Cela indique l'intention d'assurer une certaine souplesse dans l'application et l'administration de la Loi. Un mécanisme est également prévu pour permettre au ministre de s'assurer qu'il n'est pas porté atteinte aux droits reconnus à l'article 7 de la Charte dans le contexte de l'immigration. En l'espèce, il faut se rappeler que le renvoi est habituellement la toute dernière étape dans ce qui constitue souvent une procédure fort longue.

[53]            En général, les tribunaux judiciaires hésitent à régler une affaire en se fondant sur un motif d'ordre constitutionnel lorsque le litige peut être réglé autrement (Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, paragraphes 6 à 11; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 11).


[54]            En l'espèce, la demanderesse a décidé de mettre fin au contrôle judiciaire de la procédure que le législateur avait prévue pour assurer une certaine souplesse dans l'application de certaines exigences prévues par la Loi. Cela étant, la présente cour s'est vu refuser la possibilité d'examiner la décision du fonctionnaire même qui a le pouvoir de lever les critères et obligations, soit essentiellement la réparation même que la demanderesse sollicite maintenant. En conclusion, il ne convient pas pour la demanderesse d'omettre d'épuiser les réparations possibles selon le régime législatif applicable avant de s'adresser à la Cour pour obtenir une réparation fondée sur la Charte.

[55]            Au cas où cette conclusion est erronée, j'examinerai au fond les arguments que la demanderesse a soumis en se fondant sur l'article 7 de la Charte.

D)         De toute façon, les droits reconnus à la demanderesse à l'article 7 de la Charte entrent-ils en ligne de compte eu égard aux circonstances de l'affaire?

[56]            L'article 7 de la Charte prévoit ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[57]            Dans l'arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, le juge Sopinka a dit, à la page 584, que l'approche ci-après énoncée doit être adoptée lorsqu'il s'agit d'apprécier une présumée violation de cette disposition :

L'article 7 comporte deux éléments d'analyse. Le premier se rapporte aux valeurs en jeu en ce qui concerne l'individu. Le second se rapporte aux restrictions éventuelles de ces valeurs sous l'angle de leur conformité avec les principes de justice fondamentale.


[58]            En appréciant le premier élément, il faut se demander si les droits reconnus à la demanderesse à l'article 7 de la Charte entrent en ligne de compte. S'il y a atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, il faut déterminer si cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.

[59]            La demanderesse soutient qu'elle n'aura pas les moyens d'engager les frais élevés des dialyses aux Philippines. En outre, la demanderesse fait savoir qu'elle ne sait pas trop si elle est admissible à l'aide financière qui est offerte par Philhealth, étant donné qu'il y a bien des années qu'elle ne vit plus aux Philippines. La demanderesse affirme également que l'aide financière accordée aux personnes admissibles permet uniquement à ces dernières de suivre environ trois hémodialyses tous les mois, et qu'afin de survivre, il lui faut trois traitements hebdomadaires. La demanderesse se fonde essentiellement sur les éléments de preuve qui ont été présentés à l'agente chargée du renvoi.

[60]            D'autre part, le défendeur a présenté devant la Cour des éléments de preuve se rapportant à la Loi no 7875 de la République, intitulée [TRADUCTION] « Loi créant un programme national d'assurance-maladie à l'intention des Philippins et constituant à cette fin la Société d'assurance-maladie des Philippines » . Cette loi a été édictée le 14 février 1995. Les principes directeurs sont ainsi libellés :

[TRADUCTION] Article I. Principes directeurs

Article 2. Déclaration de principes. La section 11 de l'article XIII de la Constitution de 1987 de la République des Philippines prévoit que l'État doit adopter une approche globale unifiée en matière de santé, en vue de tenter de mettre à la disposition de tous les particuliers, à faible coût, les produits essentiels ainsi que les services de santé et autres services sociaux. Les besoins des personnes démunies, malades, âgées ou invalides ainsi que ceux des femmes et des enfants doivent se voir accorder la priorité. De même, l'État aura comme politique de fournir gratuitement des soins médicaux aux personnes indigentes.


[61]            La preuve fournie par le défendeur démontre que le Programme national d'assurance-maladie est destiné à offrir un régime d'assurance-maladie et à fournir, à peu de frais, des services de santé acceptables et accessibles à tous les citoyens des Philippines (article 5). L'article 6 de ladite loi traite de ce qui est couvert par le programme d'assurance; il est ainsi libellé :

[TRADUCTION] Article 6. Couverture. - Tous les citoyens des Philippines sont couverts par le Programme national d'assurance-maladie. Conformément aux principes d'universalité et de couverture obligatoire énoncés aux alinéas 2b) et 2i) de la Loi, le Programme sera en outre mis en oeuvre graduellement sur une période d'au plus quinze ans; toutefois, dans certaines provinces et dans certaines villes, le Programme ne sera pas obligatoire tant que la Société ne sera pas en mesure d'assurer aux membres de ces localités un accès raisonnable à des services de santé adéquats et acceptables.

[Non souligné dans l'original.]

[62]            En outre, l'article premier de la Loi no 8344 de la République, intitulée [TRADUCTION] « Loi interdisant dans certains cas de demander un acompte ou une avance aux patients admis ou traités dans les hôpitaux et dans les cliniques médicales » est ainsi libellé :

[TRADUCTION] Article 1. En cas d'urgence ou dans les cas sérieux, il est illégal pour un propriétaire, président, administrateur, directeur ou autre représentant, pour un médecin ou un employé ou pour un hôpital ou une clinique médicale de demander, de solliciter, d'exiger ou d'accepter un acompte ou une autre forme d'avance comme condition de l'admission ou du traitement médical d'un patient dans pareil hôpital ou dans pareille clinique médicale ou de refuser d'administrer un traitement médical et des soins, comme l'exigent les règles de l'art, en vue d'empêcher un décès ou une invalidité permanente. Toutefois, si la capacité médicale de l'hôpital ou de la clinique médicale est inadéquate, le médecin traitant peut transférer le patient à une installation dans laquelle les soins appropriés peuvent être fournis, si le patient ou un proche parent a consenti au transfert et si l'hôpital ou la clinique médicale d'accueil a consenti au transfert. Si le patient est sans connaissance ou incapable de donner son consentement ou si personne ne l'accompagne, le médecin peut transférer le patient même sans son consentement. Le transfert est effectué uniquement après que les soins et traitements d'urgence nécessaires ont été fournis pour stabiliser le patient et après qu'il a été établi que le transfert comporte moins de risques que l'admission du patient. Aucun hôpital ou aucune clinique, après avoir été informé des conditions du transfert sur le plan médical, ne peut refuser de recevoir le patient ou demander au patient ou à son proche parent de verser un acompte ou une avance. L'observation stricte de la procédure prescrite dans la présente disposition ou le transfert ne sont pas interprétés comme constituant un refus punissable en vertu de la présente loi.

[Non souligné dans l'original.]


[63]            Compte tenu des remarques qui précèdent, la Loi no 8344 de la République offre une certaine protection aux gens qui sont trop pauvres pour payer des soins d'urgence et fait en sorte qu'une personne ne se verra pas refuser des soins d'importance vitale parce qu'elle n'a pas les moyens de payer les frais initiaux du traitement.

Dialyse péritonéale continue ambulatoire et hémodialyse

[64]            La demanderesse déclare avoir besoin, chaque semaine, de trois hémodialyses et elle affirme en outre qu'elle devra subir une intervention chirurgicale pour recevoir le traitement par hémodialyse étant donné qu'elle fait actuellement une dialyse péritonéale. La demanderesse déclare en outre avoir déjà subi l'opération qui lui permet de recevoir la DPCA, qui est une forme de dialyse autonome. Par conséquent, la demanderesse, tant qu'elle a accès à la solution de dialyse nécessaire, peut s'occuper elle-même de la dialyse qui lui permet de vivre (affidavit de Jocelyn Adviento, dossier de la demanderesse, page 7; affidavit d'Angie Rehal, onglet F, page 3-13, 3-15). L'hémodialyse mentionnée par la demanderesse est une forme différente de dialyse exigeant un appareil qui nettoie le sang du patient en dehors de l'organisme.


[65]            La demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve démontrant qu'elle devrait subir une intervention chirurgicale afin de suivre le traitement par hémodialyse. En outre, rien ne montre que la demanderesse ne peut pas continuer à faire la DPCA. La demanderesse invoque la preuve du docteur Tan à l'appui de l'allégation selon laquelle il y a une pénurie d'appareils de dialyse aux Philippines. De fait, l'Institut national de greffe de rein déclare que la DPCA comme forme de dialyse est disponible aux Philippines (affidavit d'Angie Rehal, onglet S).

[66]            Compte tenu des remarques qui précèdent, la demanderesse n'a pas démontré qu'elle a besoin ou qu'elle aura éventuellement besoin d'une hémodialyse. La mention des frais mensuels de 22 700 pesos pour l'hémodialyse n'est donc pas pertinente (lettre de l'ex-consul général des Philippines relative au coût de l'hémodialyse).

[67]            La demanderesse n'a pas établi ce qu'il lui en coûtera pour continuer à bénéficier d'une DPCA. Comme l'a signalé le défendeur, le Formulaire pharmaceutique national des Philippines mentionne, à la page 59, la solution de dialyse péritonéale comme médicament couvert par le Programme national d'assurance-maladie (le PNAM). Selon les circulaires nos 14 et 20 (s-2003) de Philhealth, les services aux patients externes qui sont fournis dans les cliniques semi-autonomes de dialyse sont maintenant inclus dans le PNAM. Or, la demanderesse n'a pas parlé de cette protection accrue.

La greffe

[68]            Les reins peuvent provenir d'un donneur vivant ou d'un donneur décédé (affidavit d'Angie Rehal, onglet F, page 4-2 du manuel des patients atteints d'une maladie rénale publié par la Fondation canadienne du rein). Les donneurs vivants qui sont les plus compatibles sont les membres de la famille immédiate, tels que les frères et soeurs, les enfants ou les parents. Or, la famille immédiate de la demanderesse vit aux Philippines et rien ne montre qu'un membre de la famille n'est pas compatible.


[69]            Il n'y a pas lieu de croire qu'il se peut que la demanderesse meure pendant que son nom figure sur une liste en attendant que l'on trouve un donneur, et il n'est pas établi que la demanderesse a immédiatement besoin d'un rein.

[70]            Comme l'a fait remarquer le docteur Agnes D. Mejia, médecin à l'Institut national de greffe de rein, la liste d'attente pour une greffe à cet endroit (soit la principale installation au pays) est fort brève lorsqu'il existe un donneur compatible.

[71]            En outre, la Cour note que même si la demanderesse a obtenu de l'aide du Toronto Western Hospital lorsqu'il s'est agi d'obtenir l'opération nécessaire pour lui permettre d'avoir une DPCA, c'est elle qui paie certains de ses médicaments à l'heure actuelle :

[TRADUCTION] À l'heure actuelle, je prends les médicaments ci-après mentionnés : Norvase et Monopril pour l'hypertension, Atarax pour mes allergies, Ranitidine pour l'estomac, et Rocltrol pour accroître la quantité de vitamine D afin de contrôler le calcium dans mon organisme. Je paie moi-même ces médicaments au Canada et cela me coûte environ 500 $ par mois. Je prends également un autre médicament important, de l'Eprex pour le fer, mais le Toronto Western Hospital me fournit gratuitement ce médicament.

[Non souligné dans l'original.]

[72]            La preuve dont la Cour dispose ne montre pas clairement quels sont les coûts mensuels pour la demanderesse au Canada. Il est certain que la demanderesse doit payer une partie des médicaments qu'elle prend. Cela étant, rien ne montre que l'hôpital absorberait le coût d'une greffe si celle-ci s'avérait nécessaire.

La capacité financière

[73]            Dans son affidavit, la demanderesse déclare qu'elle n'aurait pas les moyens de payer ses médicaments aux Philippines. Ainsi, elle a déclaré ce qui suit au sujet des médicaments susmentionnés :


[TRADUCTION] J'ai parlé à ma belle-soeur aux Philippines; elle s'est renseignée sur le prix des médicaments susmentionnés aux Philippines. Elle m'a dit qu'un comprimé de Norvase coûte 66,25 P, qu'un comprimé de Ranifidine coûte 32,25 P et qu'un comprimé de Rocaltrol coûte 22,20 P. Je prends chaque jour un comprimé de Norvase, de Ranifidine, de Monopril et d'Atarax. Je prends quatre comprimés de Rocaltrol deux fois par jour. Je prends de l'Eprex, sous forme d'injection, deux fois par semaine.

[Non souligné dans l'original.]

[74]            Dans son affidavit, la demanderesse déclare qu'elle n'aura pas les moyens de payer le traitement médical dont elle a besoin. La demanderesse ne prend pas en considération la législation des Philippines. Le 14 février 1995, la Loi no 7875 de la République, intitulée [TRADUCTION] « Loi créant un Programme national d'assurance-maladie à l'intention de tous les Philippins et constituant à cette fin la Société d'assurance-maladie des Philippines » a été édictée. L'un des objectifs généraux de cette loi consiste à assurer l'accès aux services de santé à tous les citoyens des Philippines.

[75]            En outre, l'article 6 de ladite loi prévoit que le PNAM s'applique à tous les citoyens des Philippines. L'article 12 prévoit que même si un membre omet de verser ses cotisations, il peut néanmoins être couvert. L'article 10 prévoit que les soins aux patients internes et externes sont couverts, y compris les médicaments délivrés sur ordonnance.

[76]            Malgré tous les éléments de preuve fournis par la demanderesse, aucun élément ne montre qu'à l'heure actuelle, elle n'est pas inscrite au PNAM ou qu'elle ne pourrait pas s'y inscrire dans l'avenir. La demanderesse affirme plutôt simplement qu'elle n'est pas certaine qu'elle sera admissible.


[77]            En outre, la Loi no 8344 de la République, intitulée [TRADUCTION] « Loi interdisant dans certains cas de demander un acompte ou une avance aux patients admis ou traités dans les hôpitaux et dans les cliniques médicales » , protège les gens qui sont trop pauvres pour payer les soins d'urgence, et assure à la demanderesse qu'elle ne se verra pas refuser des soins d'importance vitale parce qu'elle n'a pas les moyens de payer les frais initiaux du traitement.

[78]            Il règne par ailleurs une certaine confusion au sujet de la situation financière personnelle de la demanderesse. D'une part, la demanderesse affirme être indigente. Elle affirme ne pas avoir suffisamment d'argent pour payer ses frais médicaux. D'autre part, la demanderesse déclare que ses deux enfants sont inscrits dans une école privée aux Philippines. Or, la preuve indique que les frais de scolarité des écoles privées sont fort élevés et que l'instruction publique est gratuite jusqu'au secondaire.

[79]            La Cour suprême du Canada a réitéré à maintes reprises que les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel étant donné que la chose aurait pour effet de banaliser la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation d'un fondement factuel solide est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte (Danson c. Procureur général de l'Ontario, [1990] 2 R.C.S. 1086, page 1099; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, pages 361 et 362; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, paragraphe 16).


[80]            Je conclus enfin que la demanderesse n'a pas présenté à la Cour un fondement factuel solide permettant d'examiner d'une façon appropriée la question liée à la Charte. Quoi qu'il en soit, en appréciant la preuve soumise à la Cour, je conclus que la demanderesse n'a pas satisfait à l'exigence préliminaire voulant qu'elle établisse qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte. Par conséquent, la demanderesse ne peut affirmer que l'agente chargée du renvoi a contrevenu aux droits qui lui sont garantis par la Charte.

[81]            Puisque j'ai conclu que les droits reconnus à la demanderesse à l'article 7 de la Charte ne sont pas en cause eu égard aux faits de la présente espèce, il n'est pas nécessaire d'examiner la question de savoir si la décision de renvoyer la demanderesse a été prise conformément aux règles de justice fondamentale.

CONCLUSION


[82]            Pour les motifs susmentionnés, des ordonnances rejetant les deux demandes de contrôle judiciaire et un jugement déclaratoire fondé sur l'article 24 de la Charte seront rendus. Le défendeur n'a pas réussi à me convaincre que les dépens devraient être adjugés et, plus particulièrement, qu'il est justifié de condamner l'avocat de la demanderesse à payer personnellement les dépens relatifs à la deuxième demande. Étant donné que les avocats n'ont pas proposé de questions à certifier et que l'affaire est principalement axée sur des conclusions factuelles, aucune question ne sera certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

QUÉBEC (QUEBEC)

LE 9 DÉCEMBRE 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   IMM-1993-02

IMM-2386-03

INTITULÉ :                                                    JOCELYN ADVIENTO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 5 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

LORNE WALDMAN                                      POUR LA DEMANDERESSE

KRASSINA KOSTADINOV

MARCEL LAROUCHE                                   POUR LE DÉFENDEUR

LISA HUTT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WALDMAN ET ASSOCIÉS                           POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.