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Date : 20011210

Dossier : IMM-1982-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1354

ENTRE :

                                                           AMRIK SINGH SEKHON

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 30 mars 2001 dans laquelle la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel) a rejeté son appel.

[2]                 Il faut se demander si la section d'appel a manqué aux principes de justice naturelle en invitant le demandeur à présenter des observations et en privant celui-ci de la possibilité d'être entendu.


LES FAITS

[3]         Les faits de la présente espèce sont au mieux source de confusion. Le 27 août 1997, la section d'appel a rejeté l'appel qu'a interjeté le demandeur contre la décision de rejeter la demande de résidence permanente de son fils adoptif, concluant que l'appelant n'avait pas « démontr[é] l'existence d'un véritable lien de filiation ou que « [l'adoption avait] un autre but que celui d'obtenir [l']admission » de son fils adoptif au Canada.

[4]         Le 9 janvier 1998, le demandeur a déposé une deuxième demande de parrainage à l'égard de son fils adoptif et, le 5 mai 1999, il a déposé un avis d'appel à l'égard du rejet de sa deuxième demande. Le 12 janvier 2000, le ministre a écrit au greffier de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, demandant que la Commission ne réexamine pas l'adoption, et ce, en application du principe de la chose jugée. Le représentant du ministre a également demandé que [TRADUCTION] « la Commission considère cette lettre comme une requête et examine cette question en son cabinet. »

[5]         L'audition de l'appel devait avoir lieu le 5 avril 2000. L'avocat du demandeur a écrit à la Commission le 23 janvier 2000, indiquant que son client avait subi d'énormes dépenses et proposant qu'on lui permette de présenter des observations écrites sur la question de la chose jugée dès réception des observations écrites du ministre. Il a ensuite ajouté : [TRADUCTION] « Je demande que la Commission examine la question de la chose jugée avant l'audience » .


[6]         Le 28 janvier 2000, la Commission a accusé réception de cette lettre ainsi que de la lettre du ministre datée du 12 janvier 2000, et elle a affirmé :

[TRADUCTION]

Cette question sera traitée sur la base d'observations présentées par écrit :

L'avocat de l'appelant déposera sa réponse au plus tard le 20 février 2000

L'avocat du ministre déposera sa réponse au plus tard le 2 mars 2000

Pour une raison que j'ignore, l'avocat du demandeur n'a jamais reçu de copie de cette lettre. En conséquence, le 14 mars 2000, l'avocat du demandeur a envoyé par fax une lettre urgente à la Commission, indiquant qu'il n'avait pas reçu de réponse à sa lettre du 23 janvier 2000. Il affirme également :

[TRADUCTION] [...] La présente affaire soulève des questions juridiques relatives à la chose jugée. Je demande la tenue d'urgence d'une conférence téléphonique pour que nous puissions discuter de la manière dont nous procéderons compte tenu du fait que je n'ai pas encore reçu de réponse à ma lettre du 23 janvier 2000.

Le 16 mars 2000, la Commission a répondu à cette lettre, affirmant qu'elle avait répondu et indiqué :

[TRADUCTION] Compte tenu de l'écoulement du temps et du fait que la Cour d'appel fédérale a maintenant rendu sa décision dans Kaloti c. MCI (copie ci-jointe), la Commission demande le dépôt d'observations écrites sur la question de la chose jugée et sur celle du recours abusif, et ce, dans l'ordre suivant :

Le demandeur, l'avocat du ministre, a jusqu'au 30 mars 2000 pour déposer ses observations                                                                                                                          Le défendeur, M. Sekhon, a jusqu'au 13 avril 2000, pour déposer sa réponse.             Le demandeur, l'avocat du ministre, a jusqu'au 20 avril 2000 pour répondre.


[7]         Le 30 mars 2000, le ministre a déposé des observations écrites sur la question de la chose jugée et sur celle du recours abusif, et le demandeur en l'espèce a déposé des observations le 9 avril 2000. Le demandeur a affirmé notamment :

[TRADUCTION] 2.. [...] le demandeur note que l'audience devant la section d'appel est conforme à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Kahlon. Ainsi, il s'agit d'une nouvelle audience et il est donc loisible au défendeur de présenter des éléments de preuve relatifs à la création d'un véritable lien de filiation jusqu'au moment de l'audience. En conséquence, en ce qui concerne les paragraphes 16, 17 et 18, le défendeur [le demandeur en l'espèce] prétend qu'il n'est pas possible pour le demandeur d'affirmer sans audition préalable de la preuve que l'affaire devrait être rejetée pour abus de procédure, parce que le défendeur n'a pas encore eu la possibilité de présenter sa preuve. Le défendeur soutient donc que la requête du demandeur est à ce stade prématurée.

[8]         Par la suite, le demandeur a présenté des observations particulières sur le devoir d'entendre la preuve :

[TRADUCTION]                                                                                                                     22. Le défendeur soutient que si la section d'appel est autorisée à examiner l'application du principe de la chose jugée, elle peut le faire seulement après être parvenue à une décision sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, et ce, avant d'avoir entendu des témoignages et avant d'avoir examiné le fondement probatoire du deuxième appel. Cette question ne semble pas avoir été soulevée dans Kolati c M.C.I.

23. Comme nous l'avons noté précédemment, la Cour dans Vasquez c M.C.I. a reconnu que bien que le principe de la chose jugée puisse s'appliquer, il fallait au préalable qu'elle détermine, au vu de la preuve dont elle était saisie, si la situation avait changé de telle sorte que le pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande en raison d'un refus antérieur ne devait pas être exercé pour rejeter la deuxième demande. En l'espèce, le défendeur prétend que la Commission doit entendre la preuve avant de conclure à l'application du principe de la chose jugée.


[9]         Le ministre a déposé une réponse le 27 avril 2000. La section d'appel de la Commission n'a rendu sa décision que le 30 mars 2001. Cependant, le 30 août 2000, le juge Nadon de la Section de première instance de la Cour fédérale a exposé ses motifs dans Kular c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1393, où il a affirmé que relativement à l'intention de l'une des parties au mariage, de nouveaux éléments de preuve pouvaient être produits avant qu'il soit statué sur la question de la chose jugée. Il déclare expressément aux paragraphes 6 et 7 :

6. Dans l'affaire Kaloti, la Cour d'appel n'a pas décidé si un demandeur pouvait présenter une deuxième demande fondée sur une nouvelle preuve, c'est-à-dire une preuve pertinente et admissible. Autrement dit, un demandeur peut-il déposer une deuxième demande pour démontrer l'intention de la conjointe qui fait l'objet du parrainage au moment du mariage, comme l'exige le paragraphe 4(3) du Règlement? Je suis d'avis que le dépôt d'une telle demande est permis.

7. Il appartient à la SAI de trancher la question de savoir si la deuxième demande constitue un abus des procédures ou si elle devrait être rejetée au motif qu'elle a déjà été jugée. Cependant, il me semble que la SAI doit donner l'occasion à la demanderesse de présenter sa preuve avant de trancher ces questions. Si la SAI est d'avis que la preuve présentée ne constitue pas une nouvelle preuve, il lui sera alors certainement loisible de rejeter la demande au motif qu'il s'agit d'un recours abusif. Si la preuve constitue effectivement une preuve nouvelle, la Commission peut alors décider si les questions soulevées ont qualité de chose jugée.

ANALYSE

[10]       Bien que je ne sache pas très bien si la décision Kular devrait s'appliquer dans le cas d'un enfant adoptif, j'estime que la Commission était liée par celle-ci. Dans ses motifs, la section d'appel s'est référée ainsi la décision Kular, précitée :

L'intimé prétend qu'il est prématuré d'examiner tout nouvel élément de preuve à ce stade au motif que l'audition d'un appel constitue une nouvelle audition et qu'il a donc le droit de présenter de la preuve jusqu'à l'audience. Il fait en outre valoir qu'à défaut d'entendre la preuve, il est impossible de déterminer si l'appel doit être rejeté pour abus de procédure, puisqu'il n'a pas eu la possibilité de présenter sa preuve. Le tribunal n'oublie pas que Cour fédérale, Section de première instance, a statué dans l'affaire Kular que la SAI doit permettre à l'intimé de présenter sa preuve avant de décider si elle comporte des éléments nouveaux ou si l'appel constitue un recours abusif. À mon avis, cela ne signifie pas que la SAI doit accorder une audience à l'intimé, mais plutôt qu'il faut lui donner la possibilité de présenter des éléments de preuve. La décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Kaloti indique clairement que la SAI peut entendre « des requêtes préliminairesdemandant qu'on rejette de façon sommaire un appel qui est un abus de procédure visant le réexamen de ce qui a déjà été tranché dans un appel précédent » . La Cour d'appel a statué qu' « [i]l Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin et d'entendre l'affaire au fond » . En l'espèce, la SAI a entendu une requête demandant qu'on rejette l'appel pour défaut de compétence en invoquant l'abus de procédure et l'autorité de la chose jugée.


L'intimé aurait pu présenter de la preuve au moyen d'un affidavit, comme le prévoit le paragraphe 27(5) des Règles de la section d'appel de l'immigration, mais il a instamment demandé que son appel fasse l'objet d'une audience en bonne et due forme et qu'on lui donne la possibilité de présenter de « nouveaux » éléments de preuve éventuels (postérieurs à la requête). Selon moi, la requête du Ministre est analogue à une requête en jugement sommaire. Un intimé doit « faire de son mieux » et ne pas adopter une attitude passive ou se tourner les pouces. L'intimé doit communiquer à la SAI un résumé des faits qui seraient nouveaux et justifieraient que le second appel soit autorisé. La SAI supposerait alors que ces faits sont exacts et devrait décider s'ils constituent une nouvelle preuve et si ces éléments de preuve n'auraient pas pu être obtenus au moment du premier appel en exerçant une diligence normale, ou si le nouvel appel constitue un abus de procédure. [...]

[11]       Je conviens avec la section d'appel qu'elle n'était aucunement tenue d'accorder une audience complète, mais j'ai des réserves en ce qui a trait à la question de savoir si elle a donné à l'avocat du demandeur pleinement l'occasion de se faire entendre. À mon avis, la section d'appel aurait dû fournir aux avocats une copie de la décision Kular et leur demander de déposer leurs observations relativement à l'application de cette décision en l'espèce. L'avocat du demandeur a également commis une erreur en ne fournissant pas à la section d'appel un sommaire des nouveaux éléments de preuve qu'il se proposait de soumettre. Les seuls éléments de preuve qu'a mentionnés la Commission, et dont elle avait connaissance, étaient contenus dans la phrase suivante :

[TRADUCTION] Même la visite de M. Sekhobn en Inde a eu lieu après le dépôt de la deuxième demande.


[12]       Compte tenu de l'omission de la section d'appel de permettre aux avocats de commenter la décision Kular, je renvoie la présente affaire à la section d'appel. Cependant, le demandeur doit soumettre tout nouvel élément de preuve par voie d'affidavit. Rien n'exige qu'une audience soit tenue. En outre, le ministre doit être autorisé à déposer des affidavits en réponse s'il le désire. La section d'appel devra décider si cette deuxième demande constitue un recours abusif ou si elle devrait être rejetée en raison du principe de la chose jugée. Si elle décide que les éléments de preuve soumis ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve, la section d'appel pourra certainement rejeter la demande au motif qu'il s'agit d'un recours abusif. Si les éléments de preuve soumis constituent effectivement de nouveaux éléments de preuve, la section d'appel peut alors décider si les questions soulevées ont qualité de chose jugée.

[13]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que la section d'appel a rendue le 30 mars 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre tribunal pour qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

« W.P. McKEOWN »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Date : 20011210

Dossier : IMM-1982-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 DÉCEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

                                 AMRIK SINGH SEKHON

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que la section d'appel a rendue le 30 mars 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre tribunal pour qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

« W.P. McKEOWN »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                             IMM-1982-01

INTITULÉ :                                                       Amrik Singh Sekhon c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 27 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :                                     Le 10 décembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman                                                                        POUR LE DEMANDEUR

M. Michael Butterfield                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jackman, Waldman & Associates                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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