Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19980910


Dossier : T-164-98

ENTRE


ALI TAHMOURPOUR,


demandeur,


et


LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]      Dans la plainte qu"il a déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne (la " CCDP "), M. Tahmourpour a allégué que le ministère du Revenu national avait commis à son endroit un acte discriminatoire qui était fondé sur son origine nationale ou ethnique et sur sa race, en omettant de lui assurer un milieu de travail où il n"y avait pas de harcèlement, en critiquant d"une façon injuste son rendement professionnel et en le contraignant à quitter son poste d"inspecteur des douanes étudiant, le 4 août 1995.

[2]      En ce qui concerne cette plainte, la décision de la CCDP, datée du 23 décembre 1997, est ainsi libellée :

     [TRADUCTION]         
     La présente vise à vous informer de la décision à laquelle est arrivée la Commission canadienne des droits de la personne à la suite de la plainte que vous avez déposée contre le ministère du Revenu national (E35339).         
     Avant de rendre leur décision, les commissaires ont examiné le rapport qui vous avait été communiqué ainsi que les observations qui avaient été déposées en réponse. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé de rejeter la plainte, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et ce, pour les motifs suivants :         
         la preuve n"étaye pas les allégations du plaignant, à savoir que le défendeur ne lui a pas assuré un milieu de travail où il n"y avait pas de harcèlement, et qu"il a fait à son endroit une distinction illicite, fondée sur son origine nationale ou ethnique ou sur sa race;             
         la preuve montre que plusieurs événements dans lesquels le plaignant et des collègues étaient en cause se sont produits, que le défendeur a fait enquête à cet égard et que deux collègues ont été convoqués à des séances de counselling au sujet de leur conduite. La preuve ne montre pas que ces événements aient été liés à l"origine nationale ou ethnique du plaignant, ou à sa race;             
         la preuve montre que le plaignant a été réprimandé pour avoir omis de suivre la procédure et, à un moment donné, pour avoir fait preuve d"insubordination en répondant à un superviseur. Par suite de cet événement, le plaignant a fait l"objet d"une évaluation insatisfaisante.             
     La Commission se rend bien compte que tel n"est pas le résultat que vous recherchiez. Toutefois, je tiens à vous assurer que les commissaires ont examiné votre plainte avec énormément de minutie avant d"en arriver à cette décision.         
     Pour votre gouverne, toute partie concernée peut demander à la Section de première instance de la Cour fédérale d"examiner une décision de la Commission en vertu de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale . La demande doit normalement être déposée dans les 30 jours de la réception de la décision de la Commission.         

[3]      M. Tahmourpour a agi pour son propre compte à l"audience relative au contrôle judiciaire et il a présenté avec compétence ses arguments au sujet de l"erreur que la CCDP avait, selon lui, commise dans sa décision. Il a principalement soutenu que la CCDP n"avait pas tenu compte de tous les éléments de la façon appropriée. En donnant des explications à ce sujet, M. Tahmourpour a mis l"accent sur le fait que, dans sa décision, la CCDP ne cite pas les éléments de preuve sur lesquels elle se fonde, qu"elle semble uniquement tenir compte de la position du défendeur, qu"elle ne mentionne pas les faits, qu"elle ne répond pas aux faits à l"aide d"autres faits, et que la décision est brève, fort vague et générale et que, pour ces motifs, elle n"est pas suffisamment motivée.

[4]      La décision est de fait brève, mais il s"agit de savoir si la CCDP a commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire. J"ai examiné la décision, le rapport d"enquête sur lequel la décision est fondée ainsi que les arguments de M. Tahmourpour et de l"avocate du défendeur et, à mon avis, aucune erreur susceptible de révision n"a été commise en l"espèce.

[5]      La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, (la " LCDP ") prévoit qu"une plainte peut être déposée par tout individu qui a des motifs raisonnables de croire qu"il a été victime d"actes discriminatoires.

[6]      En vertu des paragraphes 41(1) et 43(1) de la LCDP, la CCDP a le pouvoir discrétionnaire de renvoyer une plainte à un enquêteur. Une fois que ce pouvoir discrétionnaire a été ainsi exercé, en vertu du paragraphe 43(1), les dispositions du paragraphe 44(1) s"appliquent :

     44. (1) L"enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l"enquête.         
     (2) La Commission renvoie le plaignant à l"autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :         
         a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d"appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;         
         b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.         
     (3) Sur réception du rapport d"enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :         
         a)      peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer, en application de l"article 49, un tribunal des droits de la personne chargé d"examiner la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :         
             (i)      d"une part, que, compte tenu des circonstances relatives, l"examen de celle-ci est justifié,         
             (ii)      d"autre part, qu"il n"y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c ) à e);         
         b)      rejette la plainte, si elle est convaincue :         
             (i)      soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l"examen de celle-ci n"est pas justifié,         
             (ii)      soit que la plainte doit être rejetée pour l"un des motifs énoncés aux alinéas 41c ) à e).         

[7]      La norme reconnue que cette cour a établie, lorsqu"il s"agit de savoir si une enquête a été menée d"une façon appropriée, est celle de la neutralité et de l"exhaustivité. En ce qui concerne ce critère et la retenue dont il faut faire preuve envers la CCDP lorsqu"elle exerce son pouvoir discrétionnaire en vue de faire enquête, le juge Wetston, dans la décision Jennings c. Canada (Ministre de la Santé) (1995), 97 F.T.R. 10 (1re inst.), à la page 29, cite les remarques que le juge Nadon a faites dans la décision Slattery c. la Commission canadienne des droits de la personne [1994] 2 C.F. 574, aux pages 600 et 605 :

     Pour déterminer le degré de rigueur de l"enquête qui doit correspondre aux règles d"équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l"intimé à l"égard de l"équité procédurale, et l"intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif.         
     [...]         
     Il faut faire montre de retenue judiciaire à l"égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n"est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu"un enquêteur n"a pas examiné une preuve manifestement importante, qu"un contrôle judiciaire s"impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l"égard des activités d"appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l"affaire Canada (Procureur général) c. Mossop [...].         
     [...]         
     Le fait que l"enquêteuse n"ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l"enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n"ont pas non plus de conséquence absolue.         

[8]      Le critère relatif à l"exhaustivité nécessaire, lorsque la CCDP fait enquête, est énoncé dans le passage suivant de la décision que le juge Dubé a rendue dans l"affaire Miller c. Commission canadienne des droits de la personne , (1996) 112 F.T.R. 195, à la page 201 :

     Les principes de l"arrêt SEPQA ont été suivis et développés dans plusieurs décisions de la Cour fédérale. Selon ces décisions, le principe de l"équité procédurale exige que la Commission se fonde sur des éléments valables et objectifs pour déterminer si la preuve justifie la constitution d"un Tribunal. Les enquêtes que l"enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l"exhaustivité. En d"autres termes, l"enquête doit être menée de façon qu"elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d"iniquité et elle doit être exhaustive, c"est-à-dire qu"elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. L"enquêteur n"est pas tenu d"interroger chaque personne que proposent les parties. Il n"est pas tenu non plus, dans son rapport, de commenter chacun des incidents de discrimination reprochés, surtout lorsque les parties ont la possibilité de combler les lacunes dans leurs réponses.         

[9]      En l"espèce, le rapport d"enquête a été rédigé d"une façon fort exhaustive. Pendant l"audience, M. Tahmourpour a convenu que les explications fort détaillées qu"il a données au sujet des circonstances, et sur lesquelles la plainte est fondée sont citées avec exactitude dans le rapport d"enquête. De fait, le rapport énonce non seulement la version des faits donnée par M. Tahmourpour, mais il renferme aussi une analyse minutieuse de la position prise par le défendeur. En plus d"examiner les éléments de preuve en se fondant sur les documents présentés par M. Tahmourpour et par le défendeur, l"enquêteur a interrogé six témoins. Je conclus donc que le rapport d"enquête satisfait certainement au critère juridique précité.

[10]      Il n"est absolument pas soutenu en l"espèce que le rapport d"enquête ou la décision de la CCDP n"étaient pas neutres. Il n"est pas soutenu qu"il y a eu manquement à l"application régulière de la loi. La décision correspond tout à fait au contenu du rapport d"enquête.

[11]      Puisque je ne puis constater l"existence d"aucune erreur susceptible de révision, la demande de M. Tahmourpour est donc rejetée.


" Douglas R. Campbell "

Juge

Edmonton (Alberta)

Le 10 septembre 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :              T-164-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ali Tahmourpour c. le ministre du Revenu national et le
                     procureur général du Canada
LIEU DE L"AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 9 septembre 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge Campbell.

ONT COMPARU :

Ali Tahmourpour              pour le demandeur
Lorraine Neill              pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ali Tahmourpour              pour le demandeur

Edmonton (Alberta)

George Thomson              pour les défendeurs

Sous-procureur général

du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.