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Date : 20030609

Dossier : IMM-2279-02

Référence : 2003 CFPI 719

ENTRE :

                                                               REBECCA HURD

                                                                                                                                     demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                            défendeur

                                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A)         INTRODUCTION ET CONTEXTE

[1]                La demanderesse, Rebecca Hurd, est une citoyenne canadienne née au Kenya qui s'est établie au Canada en 1991. Par la présente demande de contrôle judiciaire, elle conteste la décision du 2 avril 2002 de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rejetant sont appel du refus opposé le 30 août 2001, par une agente des visas attachée au Haut Commissariat à Nairobi (Kenya), à la demande d'établissement présentée par ses deux filles jumelles adoptées, Zebera et Eunice Njilithia, nées en août 1982 qu'elle a parrainées.

[2]                La demanderesse a légalement adopté les deux jumelles le 30 avril 1999. Leur demande d'établissement parrainée a été reçue plus tard la même année.

[3]                L'agente des visas a jugé que l'adoption n'était pas conforme à la législation étrangère vu qu'elle n'avait pas créé un véritable lien de filiation avec les jumelles et que celles-ci n'avaient pas prouvé que l'adoption ne visait pas uniquement leur admission au Canada.

[4]                Le tribunal a conclu que l'adoption était conforme à la législation étrangère, mais il n'était pas convaincu, en fonction de la prépondérance des probabilités, que celle-ci avait créé un lien véritable entre parent et enfants. Ayant ainsi statué, le tribunal a ajouté qu'il n'avait pas besoin de déterminer si l'adoption avait pour objet l'admission des enfants au Canada.

B.         LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[5]                En évaluant l'authenticité du lien de filiation, le tribunal a appliqué les critères énoncés dans la décision Guzman c. Canada (M.C.I.), (1996), 33 Imm.L.R. (2d) 28, qui comprennent, mais sans s'y restreindre, les points suivants :

(a)         la motivation du ou des parents adoptifs;

(b)         dans une moindre mesure, la motivation et la situation des parents naturels;

(c)         l'autorité du ou des parents adoptifs sur l'enfant adopté;

(d)         l'exercice de l'autorité à la place des parents naturels après l'adoption;

(e)         les relations de l'enfant adopté avec ses parents naturels après l'adoption;

(f)          le traitement que le ou les parents adoptifs réservent à l'enfant adopté par rapport aux enfants naturels;

(g)         les relations entre l'enfant adopté avec ses parents naturels avant l'adoption;

(h)         les changements découlant du nouveau statut de l'enfant adopté, tels que ses dossiers, ses droits, etc., y compris la preuve documentée démontrant que l'enfant est devenu le fils ou la fille du ou des parents adoptifs;


(i)          les dispositions prises et les gestes posés par le ou les parents adoptifs en ce qui concerne les soins accordés à l'enfant, les réponses à ses besoins et la préparation de son avenir.

[6]                Voici les motifs que le tribunal a invoqués pour conclure à l'inexistence d'un lien véritable entre la demanderesse et ses deux filles jumelles légalement adoptées :

J'en suis venu à la conclusion que l'appelante a adopté les requérantes pour venir en aide à sa soeur. L'appelante a déclaré que sa motivation dans l'adoption de deux des cinq enfants de sa soeur était qu'elle a voulu l'aider parce qu'elle est veuve et touche peu de revenus. Le père des requérantes est décédé à la fin des années 1980. L'appelante a affirmé qu'elle était près des requérantes depuis leur jeune âge jusqu'à son départ du Kenya en 1991.

De plus, je constate que l'appelante, qui vit seule, a attendu que ses trois enfants, âgés de 27 à 29 ans, soient élevés et établis avant d'adopter les requérantes. Dans son témoignage, elle a déclaré qu'elle est arrivée au Canada en 1991 et qu'après avoir bien établi sa situation financière, elle a fait parvenir de l'argent à sa soeur pour l'aider. C'est en 1996 qu'elle a décidé d'adopter les requérantes, ses enfants étant alors devenus indépendants et ses responsabilités de mère terminées.

J'estime en outre que l'appelante est une tante attentive aux besoins de sa soeur et des enfants de sa soeur. Elle a déclaré qu'un autre de ses motifs a été de fournir aux requérantes l'éducation qu'elles n'avaient pas chez elles puisqu'elles ne fréquentent pas l'école, et qu'elle ne voulait pas qu'elles commencent dans la vie sans être scolarisées. Bien que ce motif puisse traduire une relation parent-enfant authentique, j'estime qu'ici il montre plutôt que l'appelante est une tante qui a décidé de prendre soin de la famille de sa soeur.

Après l'adoption qui a eu lieu en 1999, les requérantes ont continué de vivre avec leur mère. En août 2001, les requérantes ont aménagé dans une maison louée par l'appelante à Nairobi afin d'y fréquenter l'école. L'appelante n'a fourni aucune preuve de l'autorité qu'elle pouvait avoir sur l'éducation des enfants à l'époque où elles vivaient avec leur mère naturelle. Il semble bien que l'appelante est intervenue en 2000 dans le soin des requérantes, mais j'estime qu'il s'agit là d'un geste naturel d'une tante plutôt que celui d'une mère.

A la lumière de ce qui précède, selon la prépondérance des probabilités, l'appelante n'a pas démontré que l'adoption avait créé une relation parent-enfant authentique. [c'est moi qui souligne]

C.         Les dispositions législatives

[7]               La loi a défini en 1993 le mot « adopté » en ces termes au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration (le Règlement) :



... « adopté » Personne adoptée conformément aux lois d'une province ou d'un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée.

..."adopted" means a person who is adopted in accordance with the laws of a province or of a country other than Canada or any political subdivision thereof, where the adoption creates a genuine relationship of parent and child, but does not include a person who is adopted for the purpose of gaining admission to Canada or gaining the admission to Canada of any of the person's relatives; [emphasis mine]


[8]                Avant la modification du Règlement en 1993, l'article 2 du Règlement sur l'immigration, C.R.C. ch. 940 définissait ainsi le terme « adopté » :


... < < adopté > > , par rapport à un enfant, signifie adopté conformément aux lois d'une province du Canada ou aux lois d'un pays autre que le Canada ou d'une subdivision politique de ce pays, lorsque l'adoption a créé entre l'adoptant et l'enfant un lien fictif de filiation et qu'elle a été prononcée avant le 13e anniversaire de naissance de l'enfant;

..."adopted", with respect to a child, means adopted under the laws of any province of Canada or the laws of any country other than Canada or any political subdivision thereof where the adoption created a relationship of parent and child and was completed prior to the 13th birthday of the child;


[9]                On voit donc que les modifications intervenues en 1993 à la définition du mot « adopté » ont ajouté l'exigence voulant que l'adoption crée un véritable lien entre l'adoptant et l'enfant. La nouvelle définition n'a pas inclus la personne adoptée en vue d'obtenir son admission au Canada.

D.        LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            La demanderesse a soulevé deux raisons qui justifient l'annulation de la décision du tribunal. En premier lieu, l'avocat de Rebecca Hurd a soutenu que le tribunal a mal interprété la phrase « l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation, [mais] exclut la personne adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada... » comme il est dit au paragraphe 2(1) du Règlement.

[11]            Ce premier argument s'articule autour du sens exact que revêt la notion « un lien véritable entre l'adoption et l'enfant » . La demanderesse allègue que le tribunal a adopté une attitude statique voulant qu'un lien se soit pleinement tissé entre l'adoptante et ses deux filles jumelles au moment où la demande d'établissement au Canada a été présentée. La demanderesse estime que cette façon de voir est contraire au bon sens lorsqu'il s'agit d'adoption internationale, parce que la relation de filiation n'aura pas eu le temps de pleinement éclore tant que le parent et l'enfant n'auront pas vécu ensemble en tant que famille. De plus, la position du tribunal va à l'encontre du livret intitulé « L'adoption internationale et le processus d'immigration » , publié par Citoyenneté et Immigration Canada en 1997 où il est dit que :

La demande de résidence permanente est approuvée si l'agent des visas croit qu'un véritable lien de filiation est créé par suite de l'adoption.

[12]            Au soutien de son argument, la demanderesse invoque la décision du juge Dubé dans Perera c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. n ° 1443.

[13]            Comme second motif de contestation, la demanderesse déclare que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve qu'elle a présentée à l'étape de l'appel. La plupart des observations écrites de la demanderesse, sinon toutes, se rapportaient aux entrevues que l'agente des visas avait eues avec les soeurs jumelles en août 2001. Elle a soutenu que ces entrevues n'étaient pas équitables pour un certain nombre de raisons.


[14]            Toutefois, au cours d'un argument exposé de vive voix, l'avocat de la demanderesse s'est attardé sur la déposition de sa cliente devant le tribunal et dans son affidavit à l'appui de la procédure de contrôle judiciaire. La demanderesse allègue que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve par elle fournie concernant (1) le motif de son adoption des jumelles - valeurs culturelles au Kenya, grosses familles et son souhait de fonder une nouvelle famille maintenant que ses enfants avaient grandi; (2) la preuve qu'après l'adoption intervenue en 1999, elle a pris sur elle toute la responsabilité de l'éducation et du bien-être des filles pensionnaires dans une école à Meru, leur lieu de naissance et où vivent leur mère naturelle et leurs frères et soeurs; (3) la surveillance du mode de vie des jumelles lorsqu'elles ont déménagé à Nairobi en août 2001 et où elles résident toujours; et (4) le fait qu'elle communique avec elles plusieurs fois par mois.

E.        ANALYSE

a)        Les critères de contrôle

[15]            La demanderesse a soulevé deux points visant à déterminer : (1) si le tribunal a mal interprété le critère énoncé au paragraphe 2(1) à savoir : « l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation » et (2) s'il a passé outre à la preuve fournie par la demanderesse.

[16]            Le premier point soulève une question de droit qui fait appel à la norme de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (M.C.I), [1998] 1 R.C.S. 982, page 1019.

[17]            Le second point se situe dans le cadre établi à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale du fait qu'il est ici allégué que le tribunal « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » .


b)        Analyse

[18]            J'aborde en premier lieu le second point ci-dessus que je rejette sans hésitation.

[19]            Le tribunal a appliqué les critères de l'arrêt Guzman en concluant que :

(1)       la demanderesse a adopté ses deux nièces jumelles pour venir en aide à sa soeur;

(2)       après l'adoption qui a eu lieu en 1999, les deux filles ont continué de vivre avec leur mère naturelle jusqu'en 2001, après quoi elles sont allées vivre à Nairobi. Le tribunal a déclaré que la demanderesse n'a fourni aucune preuve de l'autorité qu'elle exerçait sur l'éducation des filles à l'époque où elles vivaient avec leur mère naturelle;

(3)       un autre motif d'adoption des deux nièces a été de leur fournir une éducation en notant que cela peut indiquer, dans certains cas, une relation parent-enfant authentique, mais en l'espèce, cette initiative s'accorde avec le rôle de la demanderesse en tant que tante plutôt que mère.

[20]            L'examen du texte transcrit me persuade qu'au regard de ces constatations, le tribunal disposait de preuves amplement suffisantes pour conclure comme il l'a fait. Ces preuves comprenaient le propre témoignage de la demanderesse et son contre-interrogatoire. Elle était la seule à témoigner devant le tribunal.

[21]            La raison qui a poussé la demanderesse à adopter ses deux nièces est confirmée par ses déclarations, notamment aux pages 18 et 26 à 30 du dossier certifié.

[22]            Quant à l'absence d'autorité parentale sur les deux filles adoptées, je renvoie aux pages 24 et 40 du même dossier.

[23]            La conclusion disant que la demanderesse est une tante attentive plutôt qu'une mère imprègne l'ensemble du texte dont je signale tout particulièrement les pages 47 et 48.

[24]            Je souscris à l'observation de l'avocate du défendeur concernant les nouveaux éléments détaillés dans l'affidavit de la demanderesse dont le témoignage au tribunal diffère considérablement de ce que contient l'affidavit déposé à l'appui de l'instance. En fait de preuve, je me suis tenu à ce qu'elle a déclaré au tribunal.

[25]            Pour examiner cette question, je me règle sur les propos du juge Laskin, plus tard juge en chef du Canada, dans l'arrêt Boulis c. Canada (M.M.I.), [1974] R.C.S. 875, où il dit à la page 885 ce qui suit :

Il ne faut pas examiner ces motifs à la loupe, il suffit qu'ils laissent voir une compréhension des questions que l'article 15(1)b) soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible aux fins de contrôle des conclusions de la Commission.


[26]            Je note, en passant, que l'avocat de la demanderesse a bien fait de détourner l'attention de la décision de l'agente des visas qui, portée en appel, constituerait une instance de novo où de nouveaux éléments de preuve pourraient être présentés. (Voir Kahlon c. Canada (M.E.I.), [1989] A.C.F. n ° 104 (C.A.F.).)

[27]            La question de l'interprétation judiciaire appropriée de la phrase « lorsque l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation » est peut-être plus difficile à résoudre en raison d'un conflit apparent entre la décision du juge Dubé dans Perera, précitée et celle du juge Nadon prononcée quelques mois plus tard dans Canada (M.C.I.) c. Khosa, [2001] CFPI 1198.

[28]            Je note, en outre, que le tribunal n'a pas discuté cette jurisprudence, mais s'est appuyé sur la décision antérieure de la Section d'appel dans Guzman, précitée.

[29]            Dans Perera, ci-dessus, les deux enfants adoptés qui avaient 13 et 14 ans respectivement étaient les fils de la soeur cadette de Mme Perera qui avait de la difficulté à élever ses trois enfants à la suite du décès de son mari qui était alcoolique. Ils vivaient chez un frère qui devait se marier et qui ne pouvait pas continuer à subvenir à leurs besoins. L'agent des visas a rejeté la demande de parrainage étant d'avis que l'adoption des enfants avait pour but d'obtenir l'admission au Canada. La Section d'appel a jugé qu'il y avait peu d'indices qui indiquaient une relation véritable de filiation avec l'adoptant, tout en signalant que M. et Mme Perera, en leur qualité d'oncle et de tante soucieux des enfants, voulaient les amener au Canada pour qu'ils puissent y poursuivre leurs études. La Section d'appel a conclu que, dans ce cas, aucune tentative n'avait été faite pour séparer les enfants de leur mère naturelle avec qui, comme ils l'ont dit eux-mêmes, ils ont continué de vivre en la considérant comme leur mère.


[30]            Le juge Dubé a annulé la décision de la Section d'appel parce que celle-ci « a adopté un concept erroné en ce qui concerne le véritable lien de filiation » . Voici ce qu'il dit au paragraphe 13 de ses motifs :

¶ 13       En outre, la section d'appel a adopté un concept erroné en ce qui concerne le « véritable lien de filiation » en disant que le fait que les parents adoptifs voulaient amener les garçons au Canada et leur assurer une meilleure vie et une meilleure instruction va à l'encontre de la création d'un véritable lien de filiation. Contrairement à l'interprétation que la section d'appel a donnée à la définition du mot « adopté » , les mots « véritable lien de filiation » n'exigent pas l'existence d'un lien de filiation bien établi entre les parents adoptifs et les enfants au moment où la demande parrainée est présentée. En général, c'est l'adoption qui crée le véritable lien de filiation. Le simple fait que les parents adoptifs veulent amener avec eux les enfants adoptés dans le pays où ils habitent ne permet pas de présumer qu'ils tentent de créer une adoption de convenance. Les parents canadiens se rendent partout au monde pour trouver et adopter des enfants. À coup sûr, les agents de visas ne fermeront pas la porte à ces enfants en se fondant sur le fait qu'aucun véritable lien de filiation n'a encore été créé.

[31]            Il s'est expliqué plus longuement aux paragraphes 15, 16 et 17 que voici :

¶ 15       De toute évidence, les deux enfants adoptés vivent encore avec leur mère naturelle parce qu'on ne les laisse pas joindre leurs parents adoptifs au Canada. Encore une fois, si l'adoption vise à créer un véritable lien entre les nouveaux parents et les enfants adoptés, la création de ce lien ne dépend pas d'événements passés mais d'événements futurs résultant de l'adoption. Le Processus d'immigration en adoption internationale publié par le gouvernement du Canada traite du parrainage; sous le titre « Qui peut être parrainé? » , il est dit ce qui suit :

Les enfants de moins de 19 ans qui ont été adoptés à l'étranger conformément aux lois d'un autre pays peuvent être parrainés pour venir au Canada. La demande de résidence permanente est approuvée si l'agent des visas croit qu'un véritable lien de filiation est créé par suite de l'adoption. La demande peut être refusée si l'agent des visas en arrive à la conclusion que le but réel de l'adoption est de se soustraire aux exigences de l'immigration.

¶ 16      Les mots « un véritable lien de filiation est créé par suite de l'adoption » sont fort significatifs. Ils indiquent un lien futur qui doit être créé plutôt que la confirmation de la situation actuelle. L'adoption donne naissance à un lien orienté vers l'avenir.


¶ 17       En l'espèce, le demandeur et sa conjointe ont délibérément pris des mesures en vue d'établir un lien de filiation. Premièrement, en 1998, les Perera sont allés visiter leurs familles à Sri Lanka; ils se sont rendu compte que la soeur de Mme Perera avait de la difficulté à élever ses trois enfants à la suite du décès de son conjoint. Ils ont alors décidé d'adopter leurs deux neveux avec le consentement de la mère des enfants. Deuxièmement, ils ont pris les mesures nécessaires à Sri Lanka en vue d'adopter leurs neveux. Troisièmement, ils se sont présentés devant Citoyenneté et Immigration Canada et le Ministry for Children and Families en Colombie-Britannique en vue de mener l'adoption à bonne fin. Quatrièmement, M. Perera a apporté une aide financière considérable à la famille de ses neveux. Cinquièmement, ils veulent et désirent ardemment amener les deux enfants chez eux au Canada et leur assurer une bonne instruction et un avenir dans ce pays. Il ne s'agit pas d'une adoption de convenance; un véritable lien a été créé.

[32]            La décision Kwan c. Canada (M.C.I.) (2001), 211 F.T.R. 33 a été portée à son attention et le juge Dubé a convenu avec le juge Muldoon que le simple fait de vouloir un enfant n'établit pas l'existence d'un lien véritable. Toutefois, cela démontre que l'on veut créer pareil lien au moyen de l'adoption.

[33]            Dans la décision Khosa, précitée, le juge Nadon a traité lui aussi du terme « adopté » tel que défini dans le Règlement; il avait affaire à un argument disant que la Section d'appel avait appliqué un critère erroné en statuant sur la validité de l'adoption en cause.

[34]               Voici ce qu'il dit à propos du critère approprié :

¶ 5       Si l'on se fonde sur les motifs donnés par la Section d'appel, il ne peut être mis en doute que celle-ci comprenait bien le critère qu'elle devait appliquer. À la page 5 de la décision, la Section d'appel a déclaré qu'elle avait conclu que l'adoption en Inde était valide et que cette adoption créait un véritable lien de filiation entre l'adopté et l'adoptant. Il s'agit là clairement du critère prévu au Règlement sur l'immigration.

[35]            Le juge Nadon a discuté ensuite la question que le juge Dubé avait certifiée dans Perera, précitée. Il dit :


¶ 8        Mme Shane a prétendu que je devais certifier une question de portée générale que le juge Dubé avait certifiée dans Perera c. Canada (M.C.I.), [2001 A.C.F. n ° 1443, 2001 CFPI 1047 (25 septembre 2001). À la page 4 de ses motifs, au paragraphe 21, le juge Dubé a certifié la question suivante :

       L'avocate du défendeur a soulevé une question de portée générale aux fins de la certification. Puisqu'il ne semble y avoir aucune décision antérieure de cette Cour portant directement sur ce point, il convient de certifier la question, qui est ainsi libellée :

[TRADUCTION] L'expression « véritable lien de filiation » figurant à l'article 2(1) du Règlement sur l'immigration vise-t-elle le lien existant entre un parent adoptif et un enfant au moment où l'agent des visas effectue l'appréciation ou vise-t-elle le lien futur?

¶ 9       Après une brève discussion avec l'avocate, j'ai mentionné à Mme Shane que je n'étais pas disposé à certifier cette question. À mon avis, cette question n'est pas de portée générale et, par conséquent, ne devrait pas être certifiée. La réponse à la question dépend, à mon humble avis, des faits particuliers de l'espèce. De plus, j'ai mentionné à l'avocate que, si j'avais été le juge dans l'affaire Perera, je n'aurais pas accepté cette question aux fins de la certification, contrairement à mon collègue.

¶ 10       Il est évident qu'il n'existe pas une réponse précise à la question que le juge Dubé a certifiée. La réponse dépend de la date de l'adoption et de celle à laquelle l'agent des visas rend sa décision à l'égard de la demande de parrainage. Tout ce que je peux dire, c'est que, dans certains cas, le lien existant entre le parent adoptant et l'enfant pourrait être le facteur déterminant, tandis que, dans d'autres cas, la relation future pourrait être plus pertinente. Dans d'autres situations, il faudrait tenir compte des liens existants comme de ceux futurs. Pour ces motifs, je refuse de certifier la question proposée.

[36]            Je souscris à l'opinion du juge Muldoon dans Kwan, précitée, au sujet des trois objectifs visés par la définition modifiée du terme « adopté » qui figure au Règlement. Il s'est exprimé en ces termes au paragraphe 44 :


44       La Cour conclut qu'il y a trois objectifs visés par la définition modifiée du terme « adopté » au Règlement : d'éviter les adoptions dont l'objectif est de se soustraire aux exigences de la sélection en matière d'immigration; d'éviter les adoptions dont l'objectif est le parrainage de la famille biologique; et de promouvoir l'unification des familles en assurant que les enfants adoptés de moins de 19 ans qui ont réellement besoin d'assistance parentale sont autorisés à immigrer au Canada. Le critère de la loi intègre les objectifs de la législation en exigeant que les agents d'immigration évaluent l'authenticité du lien de filiation avant de conclure que l'enfant peut recevoir le droit d'établissement à titre de membre de la catégorie de la famille.

[37]            Je partage également l'opinion de Mme le juge Sharlow, alors juge à la Section de première instance, dans Jeerh c. Canada (M.C.I.) (1999), 167 F.T.R. 315, disant que le Règlement modifié établit trois conditions qui toutes doivent être remplies :

(1)       La première condition est remplie si les enfants ont été adoptés conformément aux lois du Kenya, ce qui est le cas en l'espèce.

(2)       La deuxième condition est remplie si l'adoption a créé un véritable lien de filiation entre la demanderesse et les filles jumelles. Le tribunal a jugé que cette condition n'a pas été remplie en l'espèce.

(3)       La troisième condition est remplie si les jumelles n'ont pas été adoptées dans le but d'obtenir leur admission au Canada ou celle d'une personne apparentée. Le tribunal n'a formulé dans ce cas-ci aucun commentaire à ce sujet.

[38]            À mon avis, lorsqu'ils évaluent la question de savoir si l'adoption crée un véritable lien de filiation avec l'adoptant, l'agent des visas tout comme la Section d'appel doivent, dans le cadre d'un contrôle de novo, tenir compte d'un large éventail d'éléments pertinents qu'il faut ensuite évaluer pour conclure à l'existence ou à l'absence d'un lien véritable.

[39]            C'est une règle de droit bien connue qu'une instance révisionnelle ne doit pas réévaluer la preuve fournie à un tribunal administratif.

[40]            En l'espèce, le tribunal a adopté les critères énoncés dans Guzman, précité, pour éprouver l'authenticité de la relation.

[41]            J'admets, à l'instar d'autres juges de la Cour, que ces critères peuvent, selon les faits entourant une cause donnée, être pertinents au regard de l'évaluation tout en reconnaissant que d'autres éléments non énumérés peuvent l'être aussi, dépendant de la situation en cause.

[42]            Dans l'arrêt Kwan, précité, le juge Muldoon a expressément rappelé les facteurs énoncés dans Guzman. Le juge Blais, dans Pabla c. Canada (M.C.I.) (2000), 198 F.T.R. 112, a mentionné certains d'entre eux (notamment l'autorité parentale) tout en écartant la conclusion relative à l'absence d'un lien de filiation véritable, du fait que la Section d'appel n'a pas pris en compte d'autres faits prouvant qu'un tel lien existait, par exemple : la cessation quasi totale des rapports entre l'enfant et ses parents naturels, l'appui financier prodigué depuis l'adoption et, surtout, le fait que le demandeur a rendu visite deux fois par an aux enfants adoptés avec qui il a vécu durant ses séjours. Dans Gill c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n ° 1093, le juge Reed a annulé la décision du tribunal parce qu'il avait passé outre à des éléments de preuve pertinents ayant trait à l'autorité parentale.

[43]            En évaluant, dans Kwan, précité, l'authenticité de la relation, le juge Muldoon a considéré comme pertinents les éléments suivants de la cause Guzman :

(1)       les relations de l'enfant adopté avec ses parents naturels après l'adoption attestant ainsi de la responsabilité et de l'autorité parentale à l'égard de l'enfant; et


(2)       la participation active ou l'absence de participation de l'adoptant à la vie de l'enfant après l'adoption; et

(3)       la motivation d'adopter.

[44]            Je partage l'avis du juge Nadon dans Khosa, précité, disant que l'évaluation d'un véritable lien de filiation ne devrait pas dépendre du seul état futur de la relation, pas plus qu'elle n'est nécessairement fonction de la situation qui prévaut entre les adoptants et l'enfant ou les enfants après l'adoption. Il se peut aussi, dépendant des faits qui entourent chaque cas, que les états actuel et futur de cette relation constituent ensemble des éléments importants à considérer.

[45]            Aux termes du Règlement, l'agent des visas est tenu d'évaluer l'authenticité de la relation avant de délivrer un visa, ce qui conforte la proposition voulant que l'authenticité ne puisse être considérée uniquement sous l'angle du futur, permettant ainsi une certaine latitude d'appréciation lorsque la relation ne s'est pas tout à fait établie au moment de l'évaluation de l'agent des visas ou que la Section d'appel est saisie d'un appel dans le cadre d'un contrôle de novo.

[46]            La possibilité de tenir compte tant de la situation actuelle que future de la relation s'accorde bien avec les facteurs énumérés dans Guzman lesquels envisagent aussi bien le présent que l'avenir.

[47]            Pour ces motifs, je ne crois pas que le tribunal se soit trompé dans sa façon d'évaluer l'authenticité de la relation entre l'adoptante et ses filles adoptives.


[48]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. À la clôture de l'audience, les avocats des deux parties ont fait savoir qu'ils proposeront peut-être des questions à certifier dépendant des conclusions exposées dans mes motifs. Les avocats devraient, par conséquent, s'échanger les questions qu'ils envisagent à ce propos au plus tard le vendredi 20 juin 2003. Chaque avocat soumettra ensuite à la Cour et au plus tard le 27 juin, les raisons pour ou contre la certification des questions proposées.

                                                                                                J U G E               

OTTAWA (ONTARIO)

LE 9 JUIN 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    IMM-2279-02

INTITULÉ :                   Rebecca Hurd c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 19 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:               Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS : le 9 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Lawrence Salloum                                        POUR LA DEMANDERESSE

Mme Brenda Carbonell                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet juridique Salloum Dirk                                       POUR LA DEMANDERESSE

Kelowna (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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