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Date : 20030523

Dossier : IMM-3616-02

Référence : 2003 CFPI 643

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                         CHERYL LYNN STANDING

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE


[1]                 Les motifs ci-après d'une ordonnance rendue à Halifax le 30 avril 2003, après audition des avocats des parties, ont été confirmés par écrit le lendemain. Par ladite ordonnance, j'ai accueilli la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse et infirmé, pour des considérations humanitaires (CH), la décision rejetant sa demande d'exemption de l'obligation normalement imposée aux requérants de présenter de l'étranger leur demande d'immigration au Canada. La demanderesse est une femme de 47 ans, citoyenne américaine et mère célibataire de deux enfants. L'aînée, K., 11 ans, qui est également citoyenne américaine, est arrivée au Canada en 1995 avec la demanderesse qui veut échapper, dit-elle, aux violences de son ex-mari et père de sa fille aînée. Une seconde fille, E., âgée de six ans aujourd'hui, est née au Canada.

[2]                 Suite à la dissolution de son mariage aux États-Unis, en 1992, la demanderesse allègue qu'elle a acquis la preuve de mauvais traitements infligés par son ex-conjoint à leur fille aînée. Une enquête a été ouverte à ce sujet et une action en justice était en cours au tribunal de la famille aux États-Unis. Cependant, de crainte que le tribunal ne rétablisse le droit de l'ex-mari à des visites non surveillées à sa fille, Mme Standing a quitté les États-Unis pour le Canada où elle s'est remariée et a donné naissance à une seconde fille.


[3]                 Après quelques années passées en Nouvelle-Écosse, la demanderesse a quitté le domicile conjugal accompagnée de ses deux filles. Une procédure de garde de la seconde fille a donné lieu, au bout du compte, à une demande de la part de l'ex-époux de Mme Standing aux États-Unis visant à obtenir la garde de la fille aînée. Ces instances étaient en appel au moment où la demanderesse a présenté sa requête fondée sur des considérations humanitaires, en mai 2002. Suite à l'entrevue du mois de juillet 2002, l'agente d'immigration chargée de son dossier a alors demandé à l'intéressée de fournir de plus amples renseignements au sujet de sa situation au regard de la loi américaine sur la garde d'enfants, des ordonnances en cours prises contre elle aux États-Unis ainsi que certaines notes et rapports d'ordre psychologique. Quatre jours plus tard, l'avocate de la demanderesse avait communiqué les données qu'elle avait pu rassembler et a informé l'intéressée que les renseignements restants relatifs à sa situation juridique aux États-Unis seraient produits aussitôt qu'elle les obtiendraient. Huit jours après l'entrevue, soit le 16 juillet 2002, l'agente d'immigration a tranché par la négative la demande et communiqué sa décision à l'intéressée par lettre du 17 juillet 2002. La demanderesse n'avait pas eu alors la possibilité de produire tous les renseignements exigés par l'agente, mais le reste des documents qu'elle devait fournir étaient en cours de préparation pour lui être remis.

[4]                 Dans l'exposé des motifs fourni à la demanderesse, l'agente lui a signalé que les circonstances qui ont conduit à la situation où elle se trouvait au Canada n'échappaient pas entièrement à sa volonté. Elle a évoqué en ces termes l'intérêt supérieur des enfants :

[Traduction] ... J'ai voulu savoir s'il était dans l'intérêt supérieur des enfants K. et E. de retourner aux États-Unis avec leur mère pour que celle-ci puisse présenter une demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada. E. restera vraisemblablement au Canada avec son père, ... au cas où Mme Standing et K. devraient retourner aux États-Unis.

Questions en litige

[5]                 À l'audience, l'avocate de la demanderesse a soulevé deux questions, à savoir :

1.          s'il y a eu violation de l'équité procédurale; et

2.          si l'on a dûment tenu compte de l'intérêt supérieur des deux enfants.

Analyse


[6]                 La demanderesse s'est appuyée sur l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, en ce qui concerne l'équité procédurale entourant l'étude de la demande qu'elle a présentée pour des considérations humanitaires. Parmi les facteurs pris en compte dans cet arrêt figure celui des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision eu égard au processus à suivre, comparativement à celui qui a conduit effectivement à prendre la décision.

[7]                 À mon avis, la procédure suivie par l'agente d'immigration ne satisfaisait pas au devoir d'équité, du fait qu'ayant demandé à l'intéressée de lui fournir des renseignements qui seraient pris en compte dans l'étude de sa demande, elle a, quelques jours plus tard, tranché la question avant que la demanderesse n'ait eu la possibilité de les lui procurer. Bien que sa décision soit discrétionnaire, l'agente d'immigration doit exercer ce pouvoir dans le respect de l'équité procédurale. Elle a manqué à cette obligation du fait qu'elle a offert à la demanderesse la possibilité de fournir un complément d'information sans lui accorder ensuite le temps nécessaire à la production de ces renseignements, ce à quoi Mme Standing s'attendait légitimement.

[8]                 Cela suffit, à mon point de vue, à justifier l'annulation de la décision.

[9]                 La seconde question soulevée par la demanderesse porte sur les observations de l'agente d'immigration au sujet de l'intérêt supérieur des enfants qui est évoqué, mais de façon cursive et sans analyse, ou presque, au regard de chaque enfant, ni des retombées qu'aurait sur elles l'expulsion éventuelle de Mme Standing du Canada.

[10]            Je ne me prononce pas plus sur cette question, mais je dirais, en guise d'observation, qu'à mon avis, l'arrêt Baker, précité, invite à un effort d'analyse raisonnable quant à l'intérêt des enfants qui, eux, seront touchés par l'expulsion de la demanderesse.

Conclusion

[11]            Pour les susdits motifs, j'ai, par ordonnance rendue de vive voix à fin de l'audience, et confirmée plus tard par écrit, accueilli la demande de contrôle judiciaire et infirmé la décision en question. La demande présentée par la demanderesse pour des considérations humanitaires sera étudiée une nouvelle fois par un autre agent d'immigration qui tiendra compte des renseignements antérieurement requis de la demanderesse qui les a maintenant fournis.

[12]            Aucune question n'ayant été proposée pour certification en application du paragraphe 74d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, aucune question n'est certifiée.

                                                                           « W. Andrew MacKay »             

                                                                                                             Juge                             

Ottawa (Ontario)

le 23 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                    IMM-3616-02

INTITULÉ :                   CHEYL LYNN STANDING

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le mercredi 30 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              MONSIEUR LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                                     le vendredi 23 mai 2003

COMPARUTIONS :

                                       Lee Cohen

POUR LA DEMANDERESSE

Melissa Cameron

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee Cohen

C.P. 304, CRO

Halifax (Nouvelle-Écosse)

B3J 2N7

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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