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Date : 20041117

Dossier : IMM-725-04

Référence : 2004 CF 1612

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 NOVEMBRE 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                                 HARJIT KAUR

                                                         AJAYPAL SINGH RIAR

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANDE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision du 19 décembre 2003 par laquelle Gilles Crête, agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent d'ERAR), a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.


CONTEXTE

[2]                Mme Harjit Kaur est une veuve âgée de 50 ans. M. Ajaypal Singh Riar, son fils, est âgé de 20 ans. Tous deux sont des citoyens de l'Inde. Mme Kaur et M. Riar, les demandeurs, ont été admis au Canada à titre de visiteurs. Ils sont arrivés au Canada le 29 juillet 2000 en vue d'y assister au mariage d'un parent. Deux mois après être arrivés au Canada, les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugiés au sens de la Convention. Leur revendication a été rejetée le 31 octobre 2000. La Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles. Le 9 janvier 2002, les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR. La Cour a rejeté cette demande.

[3]                Le 18 octobre 2001, les demandeurs ont sollicité un examen pour être considérés faire partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Le 16 septembre 2003, on a informé les demandeurs que leur demande de protection liée à la catégorie des DNRSRC avait été convertie en demande d'ERAR. Le 15 octobre 2003, les demandeurs ont transmis leurs nouvelles observations à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

[4]                En l'espèce, les demandeurs soutiennent qu'à la fin des années 80, on a forcé Mme Kaur et son époux maintenant décédé d'apporter leur aide et de donner l'asile à des terroristes liés à Babbar Khalsa. En 1992, la police a appris que les demandeurs avaient apporté leur collaboration aux terroristes. Les policiers ont interrogé les membres de la famille des demandeurs, ils ont arrêté l'époux et ils ont fouillé leur maison de fond en comble.

[5]                Les demandeurs ajoutent qu'en octobre 1994, les terroristes ont de nouveau imposé leur présence dans la maison pendant une période de trois jours. Par suite de cet événement, les demandeurs ont quitté leur maison et ils sont allés demeurer dans une autre partie du pays parce qu'ils craignaient pour leur vie. M. Riar s'est inscrit à une nouvelle école. Mme Kaur a toutefois continué, pour sa part, de travailler au même endroit.

[6]                Les demandeurs ont reçu leurs passeports en 1995 et en 1996. Mme Kaur est venue visiter le Canada en juillet 1999. Elle n'a pas alors revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et est retournée en Inde après cette visite.

[7]                Mme Kaur soutient que, le 18 janvier 2000 en Inde, des policiers l'ont arrêtée et lui ont fait subir de la violence sexuelle. Les demandeurs ajoutent que des policiers ont également arrêté et battu M. Riar. Les demandeurs ont été remis en liberté peu après leur arrestation. Ces derniers ont trouvé refuge chez la soeur de Mme Kaur. Suivant les conseils de leur famille, les demandeurs se sont alors enfuis à destination du Canada.


[8]                Les demandeurs soutiennent qu'il y aurait de graves risques pour leur sécurité s'ils devaient être renvoyés en Inde. Selon Mme Kaur, elle-même n'y bénéficierait pas d'une protection adéquate en tant que femme, et M. Riar en tant que jeune Sikh. Les demandeurs prétendent également que la police les recherche activement en Inde.

[9]                Le 19 décembre 2003, l'agent d'ERAR a conclu que, s'ils devaient retourner en Inde, les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de persécution, à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Les demandeurs demandent qu'on rejette l'ERAR et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci.

MOTIFS DE CONTRÔLE JUDICIAIRE


[10]            Les demandeurs font valoir à la Cour que l'agent d'ERAR a commis une erreur manifestement déraisonnable, ou a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d'éléments dont il disposait, lorsqu'il a conclu que les demandeurs ne couraient pas de risque, qu'ils disposaient d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) ou que l'État indien leur offrirait une protection adéquate s'ils devaient retourner dans leur pays. Les demandeurs prétendent également qu'on n'a pas tenu compte dans la décision contestée de l'ensemble de la preuve documentaire. Les demandeurs citent à cet égard Kalsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 482 (C.F. 1re inst.) (QL), où la juge Tremblay-Lamer a déclaré que, lorsque des éléments de preuve pertinents émanent d'une autre source que le témoignage du revendicateur et établissent un lien entre ce dernier et sa revendication, l'agent d'ERAR doit les prendre en compte.

[11]            Les demandeurs prétendent que l'agent a commis des erreurs flagrantes au sujet de la situation qui prévaut en Inde, particulièrement quant au respect des droits de la personne. La torture aux mains des policiers y sévit toujours et les militants, les membres de leur famille ainsi que les sympathisants, de même que les femmes qui militent pour la justice, y courent toujours de grands dangers. Les demandeurs font valoir Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1826 (C.F. 1re inst.) (QL), où la juge Tremblay-Lamer a conclu, en 1999, que le demandeur dans cette affaire pouvait raisonnablement s'attendre à connaître des difficultés inhabituelles s'il était renvoyé du Canada vers le Punjab, en raison des soupçons erronés de la police envers les militants Sikhs.


[12]            Selon les demandeurs, un autre problème capital découle de l'impunité dont jouissent les auteurs d'actes de torture envers les Sikhs. Au cours de son argumentation, en outre, l'avocat des demandeurs a renvoyé au recueil de jurisprudence et de doctrine de ses clients, particulièrement aux nombreux documents présentés sous la rubrique « doctrine internationale » , soumis à l'appui des allégations de risque. Les demandeurs se fondent essentiellement sur ces décisions et articles de doctrine pour démontrer à la Cour que leur retour en Inde n'est pas envisageable vu la grave situation qui y règne. Ces documents n'ayant pas été soumis à l'agent d'ERAR, j'estime qu'il n'y a pas lieu d'admettre d'office leur teneur générale.

[13]            Les demandeurs soutiennent également que l'agent d'ERAR a commis une erreur de droit en faisant abstraction de toute la preuve personnelle présentée pour étayer leurs allégations de risque en cas de retour en Inde. Ils allèguent finalement que la décision de l'agent enfreint l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte), ainsi que l'article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Rés. AG 39/46, AGNU, supp. no 51, Doc. NU A/39/51 (1984) 197.

ANALYSE

[14]            La Cour conclut que tous les arguments présentés par les demandeurs sont sans fondement.


[15]            Premièrement, je conclus que les éléments de preuve non soumis à l'agent d'ERAR ne peuvent être pris en compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 742 (C.F. 1re inst.) (QL); Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1505 (C.F. 1re inst.) (QL)). Réviser une décision en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve transformerait le contrôle judiciaire en un appel. Par conséquent, notre Cour ne prendra en compte aucun nouvel élément de preuve, tel que l'article Writing the Bones rédigé par Cynthia Keppley Mahmood.

[16]            Deuxièmement, en fonction d'une analyse pragmatique et fonctionnelle qui prenne en compte la décision contestée dans son ensemble, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable simpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1826, par. 13 (C.F. 1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, par. 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39, par. 7). Cela étant dit, lorsque l'agent d'ERAR tire une conclusion de fait particulière, la Cour ne devrait pas substituer sa propre décision à cette conclusion, à moins que celle-ci n'ait été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans que l'agent d'ERAR ait tenu compte d'éléments dont il disposait (alinéa 18.1(4) d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en sa version modifiée; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, par. 14).


[17]            Troisièmement, il importe de souligner le fait que le processus d'ERAR ne constitue pas un appel de la décision de la SSR, mais plutôt une évaluation ayant pour fondements de nouveaux faits et éléments de preuve visant à démontrer que l'intéressé est alors exposé à un risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou à une menace pour sa vie. En bref, on ne vise pas avec la demande d'ERAR à ce qu'un intéressé puisse débattre de nouveau des faits soumis à l'origine à la SSR, ou faire indirectement ce qu'il ne peut faire directement, soit contester les conclusions de celle-ci. La Cour relève à cet égard relativement à la question des « nouveaux éléments de preuve » qu'aux termes de l'alinéa 113a) de la Loi, le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet.

[18]            La Cour conclut quatrièmement qu'en l'espèce, la décision contestée n'est pas susceptible de contrôle judiciaire. L'agent d'ERAR n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d'éléments dont il disposait. En outre, la conclusion générale à laquelle en arrive l'agent d'ERAR est étayée par la preuve et peut résister à l'examen approfondi. La décision de l'agent d'ERAR s'appuie sur de nombreux éléments de preuve. L'agent d'ERAR, en outre, a pris en compte ces éléments de preuve aux fins d'évaluer la situation des demandeurs et les conditions prévalant en Inde, ainsi que de produire une analyse de l'évaluation des risques en cas de renvoi des demandeurs.


[19]            L'agent d'ERAR n'as pas fondé sa décision sur des spéculations, mais bien sur une preuve documentaire à laquelle il renvoie expressément en de nombreuses occasions. L'agent d'ERAR, par exemple, s'est fondé sur l'Évaluation du pays-Inde (Country Assessment of India, ci-après l'Évaluation) d'avril 2001 produit par l'Unité des renseignements et politiques sur les pays, Direction de l'immigration et de la nationalité, ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni (Country Information & Policy Unit, Immigration & Nationality Directorate, Home Office U.K., ci-après l'Unité) pour conclure que la situation générale est maintenant stable en Inde. Il s'est également fondé sur le Rapport de 2001 du Service d'immigration du Danemark et sur les Rapports américains de 2002 sur la situation des droits de la personne dans les pays (2002 US Country Reports on Human Rights) pour conclure que la sécurité des Sikhs est maintenant assurée au Punjab. L'agent d'ERAR a en outre cité l'Évaluation de 2003 produite par l'Unité (l'Évaluation 2003) lorsqu'il a tiré comme conclusion que les tribunaux protégeaient maintenant davantage les citoyens contre les abus de pouvoir des policiers au Punjab. L'agent d'ERAR s'est appuyé finalement sur un avis de M. Ravi Nair, directeur du Centre de documentation sur les droits de la personne de l'Asie du Sud (South Asia Human Rights Documentation Centre ou SAHRDC) et sur le Document de synthèse sur les réfugiés et les demandeurs d'asile en provenance de l'Inde, du Centre de documentation et de recherche du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), Genève, 1997, pour conclure qu'en Inde on était activement en recherche uniquement des militants sikhs et des terroristes en vue. L'agent d'ERAR a conclu en bref, sur la foi de ces documents publics, qu'étaient sans fondement les allégations des demandeurs quant au risque couru en cas de retour en Inde.


[20]            Les demandeurs n'ont pas réussi à prouver, en l'espèce, qu'ils étaient des personnes en vue ou des militants sikhs. En d'autres mots, ils n'ont tout simplement pas réussi à prouver que leur situation personnelle différait de la situation courante en Inde telle qu'est décrite dans les documents publics. La Cour conclut, par conséquent, que la décision de l'agent d'ERAR de rejeter les allégations des demandeurs quant au risque de torture en cas de retour en Inde se fondait clairement sur des éléments de preuve pertinents et qu'elle est raisonnable.

[21]            En l'espèce, l'agent d'ERAR a étudié les « nouveaux documents » soumis par les demandeurs, en particulier une lettre de Jaspal Singh Dhillon, président du Forum sur la démocratie et les droits de la personne (Human Rights & Democracy Forum), datée du 17 octobre 2003 (la lettre du HRDF) et attestant que la fille et le beau-fils de Mme Kaur s'étaient rendus aux bureaux de l'organisme pour se plaindre du harcèlement de policiers qui étaient toujours à la recherche de Mme Kaur. L'auteur de la lettre a également donné son avis sur la situation qui règne en ce moment en Inde. L'agent d'ERAR n'a manifestement pas conclu que cet élément de preuve suffisait pour qu'on prête désormais au récit des demandeurs une crédibilité que la SSR ne lui avait pas reconnue. D'ailleurs, si la fille de Mme Kaur est allée se plaindre auprès du Forum du harcèlement des policiers à l'endroit de sa mère, elle a refusé de présenter une plainte officielle aux tribunaux ou à la Commission des droits de la personne (Human Rights Commission) bien que le Forum lui ait offert son appui. L'agent d'ERAR a conclu qu'en de telles circonstances il ne pouvait accorder un grand poids à cette lettre, laquelle donnait également un aperçu de la situation politique en Inde incompatible avec la documentation à jour sur laquelle il se fondait.

[22]            Pour ce qui est de la lettre du 5 octobre 2003 de Sarayit Singh, un avocat, ainsi que de la lettre du 7 octobre 2003 de Nari Chetna, elles renvoient clairement aux lettres initiales déposées auprès de la SSR et que la Commission a rejetées. À ce titre, elles ne constituaient pas vraiment des « nouveaux éléments de preuve » et il ne valait pas la peine que l'agent d'ERAR les mentionne dans ses motifs (Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 331). Pour ce qui est maintenant du mandat d'arrestation daté du 17 janvier 2004 et figurant à la page 51 du dossier des demandeurs, il s'agit manifestement d'un fait nouveau qu'on n'a pas porté à l'attention du décideur en l'espèce, étant donné que l'agent d'ERAR a rendu sa décision en décembre 2003.

[23]            En ce qui concerne la possibilité d'un refuge intérieur, il aurait fallu que l'agent d'ERAR soit convaincu, par prépondérance des probabilités, compte tenu de l'ensemble de la situation, y compris la situation particulière des demandeurs, qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse de persécution des demandeurs à l'extérieur du Punjab et qu'il était raisonnable, au plan objectif, de s'attendre à ce que les demandeurs cherchent un lieu sûr ailleurs en Inde avant de venir chercher refuge au Canada (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.)).


[24]            Les demandeurs avaient le fardeau de démontrer qu'ils avaient raison de craindre d'être exposés, dans chaque partie de l'Inde, à un risque de persécution ou de traitements cruels et inusités ou à une menace pour leur vie. Ils devaient aussi démontrer qu'il était déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, de s'attendre à ce qu'ils cherchent refuge dans les régions sûres de l'Inde. La situation a changé depuis 1999 au Punjab. La Cour conclut qu'en l'espèce, l'agent d'ERAR a appliqué le critère approprié et a tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait, y compris ceux liés à la situation particulière des demandeurs. L'agent d'ERAR a conclu que les demandeurs disposaient d'une possibilité de refuge intérieur parce qu'ils pouvaient se rendre dans d'autres parties de l'Inde où ils seraient en sécurité, par exemple dans de grandes villes comme New Delhi et Mumbai. L'agent d'ERAR a cité la Constitution de l'Inde au soutien de sa décision. Aux termes de celle-ci, en effet, tous les citoyens de l'Inde disposent de la liberté de mouvement partout au pays. L'agent d'ERAR fonde également sa décision sur des rapports publics, comme l'Évaluation 2003, lesquels confirment qu'il y a possibilité de refuge intérieur en Inde. Cette possibilité existe pour tous les citoyens de l'Inde, y compris les Sikhs. En outre, les demandeurs ont déjà réussi à trouver un refuge, soit chez la soeur de Mme Kaur. Toutefois, malgré l'habilité dont a fait preuve l'avocat des demandeurs pour démontrer le caractère déraisonnable de la conclusion de l'agent d'ERAR, je conclus que celle-ci n'avait pas un tel caractère en l'espèce.


[25]            Pour ce qui est de la crainte d'un risque allégué par Mme Kaur de par sa situation de femme en Inde, l'agent d'ERAR a conclu que les demandeurs n'avaient pas prouvé le bien-fondé d'une telle allégation. L'agent d'ERAR a fondé cet élément de sa décision sur le fait qu'en Inde, une organisation nationale reconnue a été fondée pour y assurer la protection des femmes et y protéger leurs intérêts. L'agent d'ERAR n'a tout simplement pas prêté foi au témoignage de la demanderesse. Il est bien établi en jurisprudence que l'agent d'ERAR dispose de compétences particulières pour ce qui est d'apprécier la crédibilité du témoignage d'un demandeur ainsi que la preuve dont il est saisi (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1303; Hassan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.) (QL)). La Cour conclut que la décision de l'agent d'ERAR sur cette question n'est pas déraisonnable ni fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'agent disposait.

[26]            Pour ce qui est maintenant de l'allégation des demandeurs relative à la protection de l'État, il est de jurisprudence constante que l'agent d'ERAR doit apprécier la preuve en relation avec le pays d'origine des demandeurs (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Malgorzat, [1991] A.C.F. no 337 (C.A.F.) (QL)). L'agent d'ERAR peut, en vue de rendre sa décision, examiner l'ensemble de la preuve relative aux efforts consentis par l'État pour protéger les Sikhs. La Cour suprême du Canada a ainsi déclaré dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725 :

Toutefois [...], il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.

[27]            La Cour conclut qu'en l'espèce, les demandeurs n'ont pas démontré l'incapacité de l'État d'assurer leur protection. Les demandeurs, en outre, n'ont pas même démontré qu'ils étaient bien des militants sikhs. Ils n'ont tout simplement pas prouvé que les autorités indiennes sont activement à leur recherche, ni qu'ils sont des personnes bien en vue. L'agent d'ERAR pouvait assurément tenir compte du fait que les demandeurs ne s'adonnaient à aucune activité politique ou militante, et qu'ils n'avaient rien de militant types (Sidhu, précitée). D'après tous les rapports publics, en outre, les Sikhs jouissent d'une situation stable en Inde. L'agent d'ERAR a conclu, en bref, que la preuve documentaire n'étayait pas l'allégation des demandeurs non plus que la teneur de la lettre du HRDF. Il n'y a donc pas lieu à ce que la Cour intervienne, puisque la conclusion de l'agent est raisonnable et n'est entachée d'aucune erreur révisable.

[28]            En conclusion, l'agent d'ERAR a pris en compte l'ensemble de la preuve dont il disposait avant de rendre sa décision. Par conséquent, même si la Cour eût pu apprécier la preuve différemment, elle ne peut intervenir puisque la décision de l'agent d'ERAR se fonde sur les éléments de preuve pertinents qui lui ont été présentés (Linaogo c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 335, [2004] A.C.F. no 336 (QL)). La Cour en vient à la conclusion que la décision de l'agent d'ERAR n'est pas illogique. Les demandeurs n'ont pas réussi à prouver que la décision de l'agent d'ERAR est déraisonnable ou fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte d'éléments dont il disposait.

[29]            L'avocat des demandeurs a proposé les trois questions suivantes en vue de leur certification :

1)         Est-il obligatoire de prendre en compte l'article 3 la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Rés. AG 39/46, AGNU, supp. no 51, Doc. NU A/39/51 (1984) 197 (la Convention) lors des audiences de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et de la prodécure d'ERAR, en soi et en application de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada 1982, ch. 11 (R.-U.)? Cette prise en compte est-elle obligatoire aux fins de l'analyse du risque en cas de retour dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi (ERAR)?

2)         La situation du moment en Inde peut-elle étayer la conclusion portant que la protection de l'État peut-être obtenue au Punjab à l'encontre d'abus de pouvoir de policiers?


3)          L'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada 1982, ch. 11 (R.-U.) a-t-il pour effet de garantir qu'on ne peut faire retourner une personne vers une situation de torture et que, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour fédérale doit recourir à l'information la plus à jour pour suivre les principes établis par la Cour suprême du Canada dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3?

[30]            L'alinéa 97(1)a) de la Loi renvoie expressément à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture et, par conséquent, fait siens les principes énoncés à l'article 3 de la Convention. Par conséquent, la réponse à la première question proposée par les demandeurs se trouve dans la loi elle-même et une certification n'est donc par requise (Sidhu, précitée). En outre, le risque de torture constitue essentiellement une question de fait selon le contexte de chaque affaire. En l'espèce, l'agent d'ERAR a apprécié la preuve pertinente et il a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités ni à une menace pour leur vie en cas de retour en Inde. Dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a déclaré qu'il n'y a lieu de certifier une question que si elle transcende les intérêts des parties au litige, ou qu'elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Tel n'est assurément pas le cas en l'espèce.


[31]            En ce qui concerne la seconde question proposée par les demandeurs, je désire souligner que la situation en Inde, ainsi que dans tout autre pays, à un moment donné constitue une question de fait. Bien que la preuve sur les conditions dans le pays soumise à l'agent d'ERAR ne soit pas assujettie aux règles strictes de la preuve, l'on ne peut quand même dire que les faits allégués par les demandeurs sont si notoires qu'ils sont reconnus sans conteste par toute personne raisonnable (Abdul Khaliq c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1561). En raison des décisions Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100 et Schnell c. BC Electric Rly Co. (1910), 14 W.L.R. 586, on a déclaré dans Sopinka, Lederman, Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., que les tribunaux devraient admettre d'office, sans preuve, ce que [traduction] _ chacun sait » . Chaque revendication, toutefois, se rapporte à des faits particuliers. Or, en l'espèce, la Cour n'est pas disposée à admettre d'office ce que les demandeurs semblent qualifier de faits notoires quant à la situation qui prévaut en Inde. Cela étant dit, il arrive que le ministre, qui connaît bien mieux que la Cour les conditions dans un pays donné, estime que la situation qui règne dans un pays donné est horrifiante et prononce un moratoire sur le renvoi de ses ressortissants. Cela ne s'est pas produit dans le cas qui nous occupe.


[32]            Pour ce qui est de la troisième question, la Cour conclut qu'est applicable en l'espèce le principe de base de droit administratif selon lequel la preuve qui n'a pas été soumise au décideur n'est pas pertinente aux fins d'un contrôle judiciaire. La jurisprudence de la Cour d'appel fédérale sur ce point est sans équivoque (Zsoldos c. Canada, 2003 CAF 305; Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees' Union (C.A.), [2000] 1 C.F. 135). La décision Suresh ne change en rien ce principe fondamental. D'autant plus que, dans l'affaire Suresh, la Cour avait à se pencher sur la décision d'expulsion Suresh vers un lieu où il pourrait être exposé à la torture, alors que tel n'est pas le cas en l'espèce. En outre, M. Suresh était un terroriste connu et ce qui était en litige ce n'était pas la question de savoir s'il y avait ou non risque qu'il soit exposé à la torture en cas de retour au Sri Lanka. Ce qui était en litige, c'était plutôt de savoir s'il devait ou non y être renvoyé en tout état de cause. La décision ici sous examen n'est pas celle de renvoyer les demandeurs hors du Canada. En outre, les allégations des demandeurs selon lesquelles ils seraient exposés à la torture en cas de retour en Inde sont ici contestées, contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Suresh. En outre, il n'est pas interdit aux demandeurs de demander en tout état de cause à CIC d'examiner de nouveaux éléments de preuve par suite d'une première évaluation des risques défavorable. À l'article 165 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (le Règlement), le législateur a prévu le cas d'une personne ayant fait l'objet d'une première évaluation défavorable et demeurée au Canada et pouvant ensuite demander une seconde évaluation à la CIC. Il est toujours loisible aux demandeurs de déposer une nouvelle demande d'ERAR s'ils estiment que de nouveaux éléments de preuve péremptoires devraient être évalués avant qu'ils ne soient renvoyés, tout en demandant à la Cour fédérale un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi dans l'attente de l'examen, puisqu'il est clairement énoncé dans le Règlement que les demandes subséquentes d'ERAR n'entraînent pas en elles-mêmes une telle suspension.

[33]            Compte tenu des commentaires qui précèdent, par conséquent, y compris ceux relatifs à Liyanagamage, précitée, la Cour ne certifiera aucune question de portée générale.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                                                                                                              

                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-725-04

INTITULÉ :                            HARJIT KAUR ET AL. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 3 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

DATE DE L'ORDONNANCE :                    LE 17 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

STEWART ISTVANFFY                                POUR LES DEMANDEURS

LUCIE ST-PIERRE                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART ISTVANFFY                                POUR LES DEMANDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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