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Date : 20030619

Dossier : IMM-5198-02

Référence : 2003 CFPI 758

ENTRE :

                                              SHARAREH MOHSENI DINEHROODI

                                               MOHAMMAD ALI MAHROOZADEH

                                                                                                                                                   demandeurs

ET :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 9 octobre 2002 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]                 La demanderesse principale, Sharareh Mohseni Dinehroodi (la demanderesse), est une citoyenne de l'Iran. Elle et son fils sont arrivés au Canada le 11 avril 2000. Ils ont revendiqué le statut de réfugié, invoquant la crainte d'être persécutés à cause de leurs opinions politiques et de leur religion telles qu'elles sont perçues.

[3]                 Selon l'exposé circonstancié dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse faisait l'objet de harcèlement et d'insultes à l'école parce que sa famille n'adhère pas au Hezbollah. La demanderesse déclare qu'en 1993, elle a épousé un homme qui n'y adhérait pas non plus et qui ne soutenait pas le régime iranien. Elle affirme qu'il était actif au plan politique, mais qu'elle n'en était pas au courant à l'époque.

[4]                 La demanderesse déclare que son époux a quitté le pays après avoir appris que le Sepah avait fait une descente dans leur maison pour l'y trouver. Il est arrivé au Canada en janvier 1998 et il a demandé le statut de réfugié; sa revendication a été rejetée le 29 septembre 1999.

[5]                 Peu après que son époux a quitté l'Iran à destination du Canada en décembre 1997, la demanderesse a appris que le Sepah était à sa recherche et qu'elle devait se présenter à eux, ce qu'elle a fait. La demanderesse déclare qu'on l'a détenue pendant une semaine, qu'on l'a interrogée sur son époux et sur ses activités politiques, qu'on l'a menacée et battue et qu'on lui a fait signer un engagement.

[6]                 Quelques mois plus tard, selon la demanderesse, le Sepah a fait une descente au domicile de ses parents, où elle demeurait, et on l'a détenue pendant trois semaines, on l'a battue, on l'a menacée, on lui a fait subir de la violence sexuelle et on l'a interrogée sur son époux et sur le lieu où il se trouvait.

[7]                 La demanderesse déclare que la maison de ses parents était surveillée et qu'on y faisait des descentes lorsque des amis et des membres de la famille y rendaient visite. Elle affirme avoir été de nouveau interrogée au printemps de 1998. Elle a dû signer un engagement portant qu'elle n'était membre d'aucune organisation politique et n'était pas en communication avec son époux. Elle devait se présenter toutes les deux semaines aux Services de renseignement et ne pouvait quitter Téhéran sans autorisation.

[8]                 La demanderesse déclare qu'à l'automne de 1998, elle a déménagé dans son propre appartement, où elle s'est liée d'amitié avec deux femmes. Ces amies lui ont fait connaître le christianisme évangélique. À la fin de 1999, la demanderesse a appris qu'il y avait eu une descente dans son immeuble et que ses amies avaient été arrêtées. Elle est donc allée demeurer chez un ami à Ispahan. La demanderesse a appris quelques jours plus tard qu'il y avait eu une descente au domicile de ses parents, que ceux-ci avaient été détenus et qu'on leur avait dit qu'elle était un apostat, anti-islamique et anticléricale.


[9]                 Par suite, des arrangements ont été pris pour que la demanderesse et son fils puissent s'enfuir d'Iran. Ils ont revendiqué le statut de réfugié à leur arrivée au Canada. Le 9 octobre 2002, la Commission a statué que la demanderesse et son fils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, déclarant notamment ce qui suit dans ses motifs :

La demandeure d'asile prétend avoir été continuellement harcelée et placée en détention par le Sepah à cause des activités politiques de son époux, mais le cas même sur lequel elle fonde sa demande, c'est-à-dire les activités politiques de son époux et sa fuite d'Iran, a été rejeté par la Commission pour manque de crédibilité. Dans ses motifs de décision détaillés et bien exposés, la Commission précise pourquoi elle ne croit pas à l'histoire de l'époux de la demandeure d'asile. Même si nous croyions (ce qui n'est pas le cas) que l'époux de la demandeure d'asile s'est enfui d'Iran à cause de ses activités politiques, il n'est pas plausible que le gouvernement iranien consacre autant de temps à cette dernière, à mettre son téléphone sur écoute, à placer son appartement sous surveillance, à l'arrêter à de nombreuses reprises et à faire constamment des descentes au domicile de ses parents (ce qu'elle prétend) pour découvrir où se trouve son époux. D'après son propre témoignage, l'époux en question n'était ni un dirigeant politique ni un militant connu dont la fuite lui vaudrait autant d'attention. Par conséquent, selon moi, la demandeure d'asile n'a jamais été arrêtée ou harcelée par le Sepah à cause des prétendues activités politiques de son époux. Je ne crois donc pas qu'elle ait jamais été placée en détention, qu'elle ait fait l'objet de menaces ou qu'elle ait subi des violences sexuelles de la part du Sepah ou d'autres autorités.

[10]            La demanderesse prétend que la Commission a en fait traité comme chose jugée le rejet de la revendication de son époux, ne prêtant pas foi en raison d'une décision antérieure à son propre récit. La demanderesse soutient que la Commission a préjugé de sa revendication et n'a pas tenu compte de sa preuve.

[11]            Le défendeur soutient pour sa part que la Commission avait le droit de se fonder sur la décision antérieure de la SSR, puisqu'elle était saisie de ses motifs. Il soutient également que la Commission a tiré une conclusion indépendante, outre le fait de s'appuyer sur le rejet de la revendication de l'époux de la demanderesse.


[12]            Il ressort clairement des motifs de la Commission que sa conclusion quant à la crédibilité ne se fondait pas uniquement sur la décision antérieure de la SSR relative à l'époux de la demanderesse. La question, par conséquent, n'est pas de savoir si la Commission a commis une erreur en traitant la décision antérieure comme ayant un effet déterminant, mais plutôt de savoir si la Commission avait le droit de tenir compte d'une manière quelconque de cette décision comme preuve étayant la conclusion que le récit de la demanderesse n'était pas crédible.

[13]            Dans Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 311 (C.F. 1re inst.), récemment, le juge O'Reilly a statué, au paragraphe 25, qu' « un tribunal ne peut s'appuyer sur les conclusions d'un autre tribunal que d'une manière restreinte, réfléchie et justifiée » . Il déclare que, par exemple, un tribunal peut « adopter les conclusions d'un autre tribunal en ce qui a trait à la situation qui prévaut dans le pays d'origine du demandeur ou à la faisabilité de trouver refuge à l'intérieur de ce pays : Olah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 382 [...]; Koroz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1593 (QL)(C.A) » .

[14]            Le juge O'Reilly a conclu, en outre, qu'un « tribunal peut également admettre en preuve et lire les motifs qu'un tribunal précédent a rédigés au sujet du même demandeur : Lahai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 119 [...] » .


[15]            En l'espèce, nous avons affaire au recours par la Commission aux motifs d'un autre tribunal ayant pour effet de rejeter la revendication d'un autre demandeur du statut de réfugié, soit l'époux de la demanderesse. Le défendeur soutient que la Commission avait le droit de se fonder sur d'autres motifs parce que la demanderesse savait qu'ils avaient été admis en preuve et ne s'y était pas objectée. À mon avis, sur le fondement de la jurisprudence précitée, quoique la Commission avait le droit de s'appuyer sur la décision du tribunal précédent dans une certaine mesure, par exemple en ce qui concerne des conclusions de fait tirées relativement à la situation dans le pays, tel que le prévoit Olah, elle ne pouvait se fonder sur les conclusions générales de la Commission comme preuve de la fabrication de la revendication de l'époux de la demanderesse puis, à son tour, de cette dernière. La conclusion ainsi tirée avait manifestement un effet déterminant sur la conclusion de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs, soit un élément assurément important de sa décision. Ainsi, la Commission s'étant fondée à tort sur la conclusion quant à la crédibilité du tribunal précédent pour étayer sa propre conclusion défavorable en la matière, cette dernière conclusion était à mon avis manifestement déraisonnable et la Commission a fondé sa décision sur un élément de preuve non pertinent.

[16]            Pour ces motifs, la demande est accueillie, la décision du 9 octobre 2002 de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                                                                « P. Rouleau »                

                                                                                                                                                                 Juge                         

OTTAWA (Ontario)

Le 19 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           IMM-5198-02

INTITULÉ :                                        SHARAREH MOHSENI DINEHROODI

MOHAMMAD ALI MAHROOZADEH et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 14 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                          Le 19 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Michael Crane                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Mme Ursula Kaczmarczyk                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                                                               POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               POUR LE DÉFENDEUR


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