Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031010

Dossier : IMM-4617-02

Référence : 2003 CF 1187

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                          

ENTRE :

                                                 SUNAY PAMUK et TURKAN PAMUK

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Sunay Pamuk et Mme Turkan Pamuk (les demandeurs) sont mari et femme. Ils sont tous deux nés en Bulgarie et ils ont tous deux des origines ethniques turques. Les demandeurs ont obtenu la citoyenneté turque après avoir déménagé en Turquie en 1989; ils ont également la citoyenneté bulgare.

[2]                 Mme Pamuk, la demanderesse principale, a présenté une demande d'asile au Canada en raison de sa religion, savoir la religion alevie, et de son appartenance à un groupe social, savoir les Turcs nés en Bulgarie. M. Pamuk est musulman sunnite. Il a fondé sa demande d'asile sur celle de son épouse.

[3]                 Les demandeurs sont arrivés au Canada le 16 décembre 2000 et ils ont présenté leur demande d'asile le même jour. L'audience a eu lieu le 22 juillet 2002.

[4]                 Dans sa décision, la Commission a conclu que les expériences vécues par les demandeurs équivalaient à de la discrimination, et non pas à de la persécution. La Commission a également conclu que leur compte rendu n'était pas crédible, et qu'il n'y avait ni fondement subjectif ni fondement objectif à leur crainte alléguée de persécution.

[5]                 Pour les mêmes motifs, la Commission a conclu qu'il n'existait pas une possibilité sérieuse que les demandeurs soient exposés au risque d'être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de peines cruelles ou inusitées. Par conséquent, ils n'étaient pas des personnes à protéger.


[6]                 Ayant entendu les arguments des parties et examiné les documents déposés, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, et ce, parce que la Commission a traité inéquitablement les demandeurs à l'audience, ce qui l'a amenée à tirer une conclusion défavorable à leur égard.

[7]                 À titre d'exemple, la Commission a parlé de « procédures [...] en cours » entre l'organisation alevie à laquelle la demanderesse prétend avoir appartenu et le gouvernement de la Turquie. La Commission n'a pas dit à quelles procédures ou à quel conflit elle faisait référence lorsqu'elle a abordé cette question avec la demanderesse. Elle s'est par la suite fondée sur le fait que la demanderesse ne savait rien de ces « procédures » pour remettre en question son appartenance à l'organisation alevie.

[8]                 Dans ses motifs, la Commission affirme avoir des « connaissances spécialisées » sur la Turquie et sur Haci Bektashi. À l'audience, la Commission n'a pas dit à la demanderesse à quelles « procédures » elle faisait référence. J'estime qu'en conséquence, la Commission n'a pas appliqué ses connaissances spécialisées de manière équitable, ce qui a ainsi empêché la demanderesse de répondre de façon éclairée.

[9]                 L'alinéa 170i) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), prévoit :



Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

[...]

i) peut admettre d'office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

...

(i) may take notice of any facts that may be judicially noticed, any other generally recognized facts and any information or opinion that is within its specialized knowledge.


[10]            L'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles) prévoit :


Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre - si celui-ci est présent à l'audience - et leur donne la possibilité de :

Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;

(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

(b) give evidence in support of their representations.


[11]            Le défendeur soutient que la Commission a respecté les exigences prévues à l'alinéa 170i) de la LIPR et à l'article 18 des Règles lorsqu'elle a utilisé ses connaissances spécialisées en l'espèce. Je ne suis pas d'accord. Un examen de la transcription montre que la Commission n'a pas fourni aux demandeurs des renseignements suffisants sur les « procédures [...] en cours » et sur le conflit « très publicisé » entre l'organisation alevie et le gouvernement turc, dont elle a fait état dans ses motifs. La transcription, aux pages 266 et 267, se lit comme suit :

[traduction]

PRÉSIDENT : Quel est la situation actuelle du groupe?

DEMANDEUR no 2 [la demanderesse] : Je ne le sais pas.

PRÉSIDENT : Comment se fait-il que vous ne le sachiez pas? N'étiez-vous pas membre du groupe?


DEMANDEUR no 2 : Parce que je ne sais pas si la maison de réunion (cem) a cessé d'exister ou si elle existe encore. Voilà pourquoi.

PRÉSIDENT : Y a-t-il des procédures en cours contre le groupe en Turquie?

DEMANDEUR no 2 : Je n'en sais rien.

PRÉSIDENT : Je sais, de par mes connaissances spécialisées, qu'il pourrait y avoir des procédures en cours contre lui, et vous n'en avez pas entendu parler?

DEMANDEUR no 2 : Parce que je ne pouvais parler à personne. Voilà pourquoi.

[12]            À mon avis, cela ne respecte pas les exigences de l'article 18 des Règles. La Commission n'a pas fourni aux demandeurs des renseignements suffisants de façon à ce qu'ils puissent raisonnablement comprendre à quelles « procédures » elle faisait référence.

[13]            De plus, la Cour ne peut que se demander de quelles « procédures » parle la Commission et si ces procédures ont de fait été si largement publicisées. Ces facteurs, s'ils étaient connus, aideraient la Cour à déterminer si la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission relativement au fait que la demanderesse ne savait rien des procédures en cours s'appuyait raisonnablement sur la preuve.

[14]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il rende une nouvelle décision. Aucune question à certifier n'a été soulevée.


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il rende une nouvelle décision. Il n'y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                    COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4617-02

INTITULÉ :                                                       SUNAY PAMUK ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                             LE 26 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                        POUR LES DEMANDEURS

Bridget A. O'Leary                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                        POUR LES DEMANDEURS

166, rue Pearl, pièce 100

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

         Date : 20031010

        Dossier : IMM-4617-02

ENTRE :

SUNAY PAMUK ET AL.

                                           demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                        


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.