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                                                                                                                                 Date : 20040331

                                                                                                                    Dossier : IMM-1684-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 490

ENTRE :

                                                              DAWOOD SIDDIQ

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Il s'agit en l'espèce de la possibilité de refuge intérieur. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Siddiq avait été victime de persécution dans sa ville natale au Pakistan mais qu'il ne pouvait se prévaloir de la protection internationale en tant que réfugié au sens de la Convention des Nations Unies, dont l'article premier est incorporé dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, parce que ce ne serait pas, de sa part, s'exposer à des difficultés excessives que de s'installer à Lahore ou à Karachi. M. Siddiq a obtenu l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                Le tribunal de la Section de la protection des réfugiés a relevé que M. Siddiq avait allégué craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Plus particulièrement, il était membre du Parti du peuple pakistanais et, par conséquent, la Ligue musulmane du Pakistan et une famille rivale l'avaient pris pour cible. Le demandeur a été menacé, battu et l'on a porté des accusations contre lui. Il a réclamé l'aide de la police, mais sans succès.

[3]                D'après la preuve, le village du demandeur était dominé par deux familles rivales : la sienne et la famille Randhawa. Les deux familles étaient engagées sur le plan politique et appuyaient des partis rivaux. Le tribunal a relevé que le cousin de M. Siddiq, candidat du Parti du peuple pakistanais, vivait toujours au village sans ennuis. Le tribunal a conclu que la véritable raison pour laquelle la famille Randhawa s'en était prise à M. Siddiq était que les deux familles se disputaient les mandats gouvernementaux pour percevoir les impôts de petits propriétaires terriens. Puisque le litige principal portait sur les mandats du gouvernement, le tribunal était d'avis que, si le demandeur devait vivre ailleurs au Pakistan, la famille rivale ne s'en prendrait pas à lui.

[4]                En ce qui concerne le fait qu'une première dénonciation avait été dressée et qu'un mandat d'arrestation avait été lancé contre le demandeur, le tribunal était d'avis que le demandeur jouissait de la protection de la règle de droit, c'est-à-dire que, selon la prépondérance des probabilités, le système judiciaire du Pakistan permettrait au demandeur d'obtenir justice.

[5]                On a certes vu la possibilité de refuge intérieur mais comme on voit un vieux tableau pendu au même mur depuis toujours. On a vu cette possibilité, mais on ne l'a pas examinée.

[6]                Il y a une contradiction inhérente dans le raisonnement du tribunal. Si les seuls ennuis de M. Siddiq sont ceux causés par la famille Randhawa, il n'a donc vraiment pas qualité de réfugié au sens de la Convention à moins que l'on puisse prétendre que la source de la persécution soit son appartenance à un groupe social, c'est-à-dire la famille Siddiq. Si l'on ne tient pas compte de la connotation politique, le demandeur, une personne qui n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention, mais qui a néanmoins besoin d'être protégée, pourrait bien s'installer à Karachi ou à Lahore pour échapper aux griffes de la famille rivale. Cependant, il faut tenir pleinement compte du fait qu'un mandat d'arrestation a bien été lancé contre le demandeur. Il faut également examiner la pertinence du fait que son cousin, un candidat politique, semble continuer à vivre dans le village natal de M. Siddiq sans ennuis.

[7]                La situation du cousin a peu ou pas d'importance. C'est M. Siddiq qui demande à être protégé et non son cousin. Tel que relevé par le juge Beaudry dans Anwar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),_[2002] A.C.F. no 1434 (QL), aux paragraphes 55 et suivants, il est facile d'exagérer la portée de la situation des autres membres de la famille.

[8]                Même si la famille rivale du village de M. Siddiq peut avoir été la source de ses ennuis, on ne saurait séparer la rivalité des familles et la politique. Comme le dit M. Siddiq : [traduction] « Au Pakistan, les familles importantes sont toutes liées à des partis politiques » .


[9]                La dénonciation contre M. Siddiq était clairement de nature politique et il y était allégué que le demandeur et d'autres personnes avaient été les instigateurs d'émeutes contre le gouvernement. C'est pour ces motifs que le mandat d'arrestation a été lancé.

[10]            Si l'on tient compte de la possibilité de refuge intérieur, on doit se demander à qui le fugitif veut échapper. En l'espèce, il faut penser que M. Siddiq veut échapper à la police. Pourrait-il être en sécurité dans une autre région du Pakistan?

[11]            Dans Soopramanien c. Canada (Procureur général), [1993] A.C.F. no 1002 (QL), le juge Pinard a annulé la décision de la Section du statut de réfugié au motif que rien dans la preuve ne permettait de conclure que le pouvoir du gouvernement des Seychelles ne s'étendait pas à l'intégralité du pays. Je rejette l'observation du demandeur en l'espèce, observation selon laquelle la décision Soopramanien est différente de l'affaire en instance parce que les Seychelles sont un petit territoire et que le Pakistan ne l'est pas.


[12]            L'avocate du défendeur s'est fondée sur la décision Bukhari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994) 87 F.T.R. 134. Cependant, une grande partie de ce litige se rapportait à la disponibilité du cautionnement au Pakistan, point qui n'a pas été pris en compte en l'espèce. Le juge Richard, aujourd'hui juge de la Cour d'appel fédérale, a tenu compte non seulement de l'accès à un système judiciaire équitable, mais aussi de la possibilité d'une enquête sur le cautionnement. Plus récemment, dans Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1102 (QL), le juge Rothstein, membre ex officio de la Section de première instance, s'est penché sur une décision de la Commission selon laquelle la crainte qu'entretenait le demandeur d'être persécuté en raison de ses opinions politiques était fondée mais qu'il existait une possibilité de refuge intérieur à l'extérieur de l'Azad Cachemire. Dans l'ensemble les motifs de la Commission ont été confirmés. La Commission a conclu que le système juridique de l'Azad Cachemire était distinct de celui du reste du Pakistan et que le demandeur pourrait être repéré par les autorités policières pakistanaises à l'extérieur de l'Azad Cachemire, mais qu'il ne s'agissait là, tout au plus, que d'une simple possibilité. Le juge a mentionné la décision antérieure du juge MacKay dans Khan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (2000), 6 Imm. L. R. (3d) 119, dans laquelle ce dernier a conclu que ne pas examiner la question de la persécution par les autorités nationales lors d'un examen de la possibilité de refuge intérieur était une erreur susceptible de contrôle.

[13]            Puisque la Commission ne s'est pas attardée à ces questions qui sont le fondement même de la définition d'une personne qui a qualité de réfugié au sens de la Convention, je dois accueillir le contrôle judiciaire.


[14]            Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                              « Sean Harrington »                

                                                                                                                                                     Juge                            

Montréal (Québec)

Le 31 mars 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-1684-03

INTITULÉ :                                                                DAWOOD SIDDIQ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 23 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 31 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Éveline Fiset                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Michèle Joubert                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Éveline Fiset                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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