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                                                                                                                                           Date : 20030930

                                                                                                                               Dossier : IMM-384-02

                                                                                                                         Référence : 2003 CF 1124

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                   FRANK CHRISTIAN IKEGWUONU

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 2 janvier 2002.


Historique

[2]                 Frank Christian Ikegwuonu est un citoyen du Nigéria âgé de 29 ans. Il allègue une crainte fondée d'être persécuté en raison de son appartenance à un certain groupe social, celui des hommes gais du Nigéria.

[3]                 Le demandeur dit avoir été humilié étant enfant dans la ville de Jos, lorsqu'il a été surpris avec un autre garçon dans une situation compromettante. La chose a été rapportée à la mère du garçon qui, à son tour, a averti le prêtre du quartier. Par conséquent, le père du demandeur, un membre du clergé, a dû s'installer dans une autre ville, soit à Kaduna.

[4]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur écrit que lorsque son père a appris que son fils était gai, il l'a renié publiquement. Le demandeur allègue également dans son FRP, que le chef du clergé dans sa ville a dit à tous qu'ils devraient éviter le demandeur et qu'il représentait le mal pour la culture africaine.


[5]                 Le demandeur dit qu'il a terminé ses études secondaires, mais il ne s'est pas rendu à l'université parce qu'il avait reçu des lettres de menaces homophobes. Il a témoigné avoir lancé sa propre entreprise à Jos en 1998 parce qu'il avait grandi là-bas et que les gens le connaissaient et connaissaient son père. Il a ajouté qu'il pouvait vivre confortablement à Jos et que personne là ne connaissait son partenaire, Peter. Il travaillait avec Peter dans un atelier de mécanique automobile. Les deux hommes ont été harcelés par des gens du quartier et se sont plaints à la police qui n'est pas intervenue. Le demandeur dit que les policiers leur ont dit de quitter les lieux sous peine d'être détenus.

[6]                 Le demandeur s'est installé à Kaduna dans l'espoir d'améliorer sa situation. Il allègue qu'au mois de février 2000, des islamistes intégristes les ont attaqués, lui et sa famille à Kaduna. Il dit qu'il est parvenu à s'échapper et que son père, qui s'oppose fortement à l'imposition de la shari'a, s'est réfugié dans la caserne militaire et manque toujours à l'appel.

[7]                 Dans son récit, le demandeur dit que lui et son partenaire ont fui Kaduna à destination de Lagos, mais qu'ils ont subi un harcèlement continuel et, en moins d'un mois, le propriétaire de l'immeuble où ils habitaient les a avisés qu'ils devaient quitter leur appartement. Ils ont rapporté l'incident à la police, et le demandeur affirme que non seulement la police n'a rien fait, mais a menacé de les inculper s'ils ne quittaient pas la ville. Le demandeur a entrepris des démarches pour quitter le Nigéria.

La décision de la Commission

[8]                 La Commission n'a pas trouvé crédibles les allégations du demandeur selon lesquelles il était gai, et a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. La Commission a fondé sa conclusion sur les incohérences dans la déposition du revendicateur et les omissions constatées dans son FRP.


[9]                 La Commission a conclu que le demandeur avait fourni des versions contradictoires de l'incident qui s'est produit au mois de février 2000, au cours duquel il a participé à une manifestation. La Commission a relevé que dans son FRP, le demandeur a dit que « lui et son ami avaient été agressés par des islamistes intégristes lors d'une manifestation à laquelle 5 000 personnes avaient pris part en février 2000 » . Il paraît y avoir une erreur sur ce point, puisque les renseignements contenus dans cette phrase sont tirés du témoignage du demandeur à l'audience, et non de son FRP. Toutefois, dans son FRP, le demandeur a dit que [traduction] « en février 2000, ma famille et moi avons été attaqués par les islamistes intégristes à Kaduna » et n'a aucunement fait allusion à la manifestation. Lorsqu'on l'a interrogé, le demandeur, à prime abord, n'a pas parlé de sa famille. Par conséquent, la Commission a conclu que son témoignage au sujet de l'agression n'était pas digne de confiance. De plus, la Commission a trouvé qu'il n'était pas plausible que le demandeur et son ami aient été distingués parmi 5 000 personnes et agressés, puisque la preuve documentaire montre que des incidents violents ont éclaté à Kaduna en février 2000 pendant une manifestation contre l'imposition de la shari'a. Par conséquent, la Commission a conclu qu'il n'était pas plausible que des musulmans intégristes aient identifié le demandeur comme étant un homosexuel, puisque la violence à la manifestation avait éclaté à cause de divergences sur le plan religieux.


[10]            La Commission a dit que le code criminel du Nigéria interdit « des rapports sexuels contre-nature » . La Commission a conclu que l'idée que la mère de son petit copain ait rapporté ses activités homosexuelles au prêtre du quartier n'était pas plausible, puisqu'elle exposerait ainsi l'enfant à des poursuites criminelles. La Commission n'a pas accepté l'explication du demandeur selon laquelle la mère n'aimait pas son fils.

[11]            La Commission a dit que le demandeur a prétendu avoir été lapidé par des compagnons de classe qui avaient découvert son orientation sexuelle malgré ses efforts de la garder secrète. La Commission n'a pas trouvé plausible que le demandeur se plaigne ensuite à la police de harcèlement en raison de son orientation sexuelle, puisqu'il l'avait préalablement gardée secrète, et parce qu'il s'exposerait alors à des poursuites. De plus, la Commission n'a pas trouvé crédible que le demandeur se soit réinstallé à Jos, là où les gens « le connaissent et connaissent son père » et où il pouvait vivre confortablement, puisque ces témoignages sont incompatibles avec son récit initial selon lequel il avait été obligé de quitter Jos à la suite d'un scandale sexuel qui a eu lieu lorsqu'il était enfant.

[12]            La Commission a également mis en doute le récit du demandeur selon lequel il s'était plaint à la police d'être victime de harcèlement en raison de son orientation sexuelle lorsque son propriétaire les a expulsés, lui et Peter, de leur appartement à Lagos. Vu la conclusion de la Commission que la manifestation à Kaduna a été déclenchée pour des motifs religieux et non pour protester contre le comportement du demandeur, la Commission a dit qu'elle ne croyait pas que le demandeur soit allé à Lagos.

[13]            La Commission a dit ne pas croire que le demandeur ait été homosexuel comme il le prétendait, et a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


Question en litige

[14]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en rendant une décision défavorable sur la crédibilité?

Norme de contrôle

[15]            La norme de contrôle pour les conclusions sur la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Il n'y a pas lieu de modifier les conclusions de la Commission en l'absence d'une conclusion de fait manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. M.C.I., [1998] 1 R.C.S. 982.

Analyse


[16]            À mon avis, la Commission a tiré une conclusion abusive concernant la plausibilité du récit selon lequel la mère de l'ami d'enfance du demandeur avait rapporté au prêtre du quartier l'incident concernant les activités homosexuelles. Pour justifier sa conclusion, la Commission dit que, vu l'âge des garçons, il était déraisonnable de croire qu'une mère rapporterait de telles activités, exposant l'enfant à des poursuites. D'abord, la Commission a commis une erreur en disant que le garçon avait dix ans lorsque l'incident s'est produit. La preuve révèle que le garçon avait alors douze ans. De plus, il n'existe aucun élément de preuve pour appuyer la conclusion de la Commission que le fait de rapporter l'incident au prêtre mènerait à des poursuites criminelles. Aucun élément de preuve ne permet de penser que le prêtre est un agent de l'État ou de la police. Il n'y avait aucune raison de déduire que les garçons feraient l'objet de poursuites parce que la mère aurait communiqué avec le prêtre du quartier. La conclusion sur la crédibilité est abusive et la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion.

[17]            Bien que la Commission ait commis une erreur en tirant la conclusion susmentionnée sur la crédibilité, je suis d'avis que cette erreur est sans conséquence en ce qui a trait à la décision finale. L'ensemble de la preuve appuie la conclusion de la Commission que le demandeur n'est pas crédible.

[18]            Malgré l'énoncé apparemment erroné de la Commission, dont il est fait mention au paragraphe 9 des présents motifs, soit que la première référence au FRP devrait en réalité être une référence au témoignage du demandeur, il y avait de nombreuses divergences entre le FRP du demandeur et son témoignage sur cette question. Il est de jurisprudence constante que les divergences entre le récit que contient le FRP et le témoignage oral peuvent servir de fondement pour une décision défavorable sur la crédibilité, voir Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (1re inst.) (QL).

[19]            Je suis convaincu que, malgré l'énoncé erroné de certains faits par la Commission, qui ressort de l'analyse qui précède, il existait plusieurs raisons pour que la Commission tire la conclusion que le demandeur n'était pas crédible et qu'elle rejette sa demande.


[20]            Un examen de la transcription de l'interrogatoire et le FRP du demandeur montre clairement que celui-ci a aussi exclu plusieurs autres événements-clés de son FRP. Son FRP ne mentionne pas son ami Peter qui a joué un rôle important dans les événements qu'il a décrits dans son témoignage. Le FRP ne mentionne pas non plus le départ de sa famille de la ville de Jos pour s'installer à Kaduna au cours des années 1980, qui, selon le demandeur, a été rendu nécessaire à cause de son comportement homosexuel.

[21]            De plus, des portions du témoignage du demandeur étaient contradictoires. Il prétend être retourné à Jos avec son ami à la fin des années 1990 pour y lancer une entreprise parce qu'il était bien connu à Jos. Il était loisible à la Commission de trouver qu'il n'était pas crédible que le demandeur soit retourné à Jos, avec son ami, alors qu'il avait été forcé de quitter Jos à cause de son homosexualité. Il était raisonnable que la Commission conclue que le demandeur n'avait pas eu de problèmes à Jos et que lui et sa famille ne s'étaient pas installés à Kaduna dans les années 1980.

Conclusion

[22]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[23]            Ni l'une ni l'autre partie n'a soulevé de question pour certification. La Cour ne certifiera aucune question.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 2 janvier 2002, est rejetée.

2.          Aucune question d'intérêt général n'est certifiée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »

                                                                                                                                                                 Juge                     

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.

                                                                                                                                                                       


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-384-02

INTITULÉ :                                                        FRANK CHRISTIAN IKEGWUONU

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

                                                                                   

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 27 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                     LE 30 SEPTEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                              POUR LE DEMANDEUR

Claire LeRiche                                                     POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Kingsley Jesuorobo                                              POUR LE DEMANDEUR

318 - 1280, avenue Finch Ouest

Toronto (Ontario) M3J 3K6

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous- procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                                Dossier : IMM-384-02

ENTRE :

          FRANK CHRISTIAN IKEGWUONU

demandeur

                                       - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                      défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                         


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