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Date : 20040504

Dossiers : T-865-00

T-1488-00

Référence : 2004 CF 483

Toronto (Ontario), le 4 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                              ALAN GARDINER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

ET ENTRE :

                                                              ALAN GARDINER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

                                                    LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                                                                            défendeurs


                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE MODIFIÉS ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit de deux demandes distinctes en vertu de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21 (la Loi).

[2]                La première demande, dossier numéro T-865-00, vise la révision de la décision prise par le Bureau de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels du ministère de la Justice (AIPRP - Justice) de refuser de communiquer une partie des renseignements personnels versés dans les dossiers relevant du bureau régional de l'Ontario du ministère de la Justice du Canada demandés par le demandeur. L'AIPRP - Justice a refusé de communiquer les renseignements au motif qu'ils étaient exemptés en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) et des articles 26 et 27 de la Loi.

[3]                La deuxième demande, dossier numéro T-1488-00, vise la révision de la décision prise par la Division de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels de Revenu Canada (AIPRP - Revenu Canada) de refuser de communiquer une partie des renseignements relevant de Revenu Canada demandés par le demandeur. L'AIPRP - Revenu Canada a refusé de communiquer les renseignements au motif qu'ils étaient exemptés en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) et des articles 26 et 27 de la Loi.


[4]                Lorsque l'accès à une partie des renseignements demandés lui a été refusé, le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. Le Commissaire a rejeté les plaintes du demandeur en vertu de la Loi. Il a conclu que les renseignements qui n'avaient pas été communiqués étaient exemptés, à juste titre, par la Loi.

[5]                Les demandes déposées par le demandeur en vertu de l'article 41 soulèvent trois questions distinctes en matière d'accès à la justice. Premièrement, le demandeur sollicite la révision des décisions prises par AIPRP - Justice et AIPRP - Revenu Canada; deuxièmement, il demande que le paragraphe 46(2) de la Loi soit interprété de manière à ce que la révision débouche sur une enquête touchant des infractions criminelles perpétrées pendant des événements entourant les documents visés par la révision; troisièmement, il a signifié un avis de questions constitutionnelles en vertu de l'article 56 de la Loi sur les Cours fédérales et il soutient que la Loi enfreint la Charte des droits et libertés. Chaque élément de l'argument du demandeur fait l'objet d'un examen dans une partie distincte des présents motifs.

I. Régime législatif et contexte factuel

A. Le régime législatif

[6]                L'objet de la Loi est énoncé à l'article 2 :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

2. The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada that protect the privacy of individuals with respect to personal information about themselves held by a government institution and that provide individuals with a right of access to that information.


[7]                Comme le déclare le juge Dubé dans Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [1998] A.C.F. no 1527, l'article 2 énonce en termes clairs que la Loi a pour objet de protéger les renseignements personnels des individus ainsi que leur droit d'avoir accès aux renseignements personnels qui les concernent. Le juge Dubé mentionne que la Loi complète la Loi sur l'accès à l'information, qui comporte également une disposition fondée sur l'objet d'accorder l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées. La divulgation est donc la règle et l'exemption est l'exception.

[8]                En vertu de l'article 12 de la Loi, un individu a le droit de se faire communiquer les renseignements personnels le concernant qui relèvent d'une institution fédérale :

12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande :

12. (1) Subject to this Act, every individual who is a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of the Immigration Act has a right to and shall, on request, be given access to

a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels;

(a) any personal information about the individual contained in a personal information bank; and

b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux.

[...]

(b) any other personal information about the individual under the control of a government institution with respect to which the individual is able to provide sufficiently specific information on the location of the information as to render it reasonably retrievable by the government institution.

...


[9]                Les institutions fédérales auxquelles la Loi s'applique sont énumérées à l'annexe I de la Loi.

[10]            En sus de relever d'une institution fédérale, les renseignements demandés doivent être des « renseignements personnels » . L'expression « renseignements personnels » est définie en ces termes à l'article 3 de la Loi :

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

"personal information" means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

(a) information relating to the race, national or ethnic origin, colour, religion, age or marital status of the individual,

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

(b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved,

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

(c) any identifying number, symbol or other particular assigned to the individual,

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

(d) the address, fingerprints or blood type of the individual,

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l'exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle-ci visée par règlement;

(e) the personal opinions or views of the individual except where they are about another individual or about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to another individual by a government institution or a part of a government institution specified in the regulations,

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l'institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l'expéditeur;

(f) correspondence sent to a government institution by the individual that is implicitly or explicitly of a private or confidential nature, and replies to such correspondence that would reveal the contents of the original correspondence,

g) les idées ou opinions d'autrui sur lui;

(g) the views or opinions of another individual about the individual,

h) les idées ou opinions d'un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à l'alinéa e), à l'exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

(h) the views or opinions of another individual about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to the individual by an institution or a part of an institution referred to in paragraph (e), but excluding the name of the other individual where it appears with the views or opinions of the other individual, and

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d'autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,

toutefois, il demeure entendu que, pour l'application des articles 7, 8 et 26, et de l'article 19 de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d'une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,

(i) le fait même qu'il est ou a été employé par l'institution,

(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(ii) the title, business address and telephone number of the individual,

(iii) la classification, l'éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu'il a établi au cours de son emploi,

(iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and

(v) les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de son emploi;

(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,

k) un individu qui, au titre d'un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l'individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu'il a exprimées au cours de la prestation;

(k) information about an individual who is or was performing services under contract for a government institution that relates to the services performed, including the terms of the contract, the name of the individual and the opinions or views of the individual given in the course of the performance of those services,

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d'un permis ou d'une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages;

(l) information relating to any discretionary benefit of a financial nature, including the granting of a licence or permit, conferred on an individual, including the name of the individual and the exact nature of the benefit, and

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.

(m) information about an individual who has been dead for more than twenty years;


[11]            Une institution fédérale peut refuser de communiquer des renseignements personnels si elle est en mesure de se prévaloir d'une des exceptions visées aux articles 19 à 28. Les trois exceptions sur lesquelles AIPRP - Justice et AIPRP - Revenu Canada s'appuient en l'espèce se trouvent au sous-alinéa 22(1)a)(ii) ainsi qu'aux articles 26 et 27. J'en traiterai ci-après.

[12]            Aux termes de la Loi, le Commissaire à la protection de la vie privée procède à l'examen des plaintes d'individus à qui on a refusé l'accès aux renseignements personnels demandés en conformité avec le paragraphe 12(1). S'il détermine que la plainte est fondée, le Commissaire remet un rapport sur les résultats de son enquête au responsable de l'institution fédérale dont relève les renseignements personnels demandés. Lorsque le Commissaire a examiné une plainte relative au refus de permettre à une personne d'avoir accès aux renseignements la concernant en conformité avec la Loi et que le plaignant n'est toujours pas autorisé à avoir accès aux renseignements personnels, le plaignant peut, en vertu de l'article 41 de la Loi, exercer un recours en révision devant la Cour fédérale.

[13]            Aux termes de l'article 47 de la Loi, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communiquer les renseignements personnels demandés incombe à l'institution fédérale concernée. (Voir l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 47.) L'article 47 prévoit :


47. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la charge d'établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels ou le bien-fondé du versement de certains dossiers dans un fichier inconsultable classé comme tel en vertu de l'article 18 incombe à l'institution fédérale concernée.

47. In any proceedings before the Court arising from an application under section 41, 42 or 43, the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose personal information requested under subsection 12(1) or that a file should be included in a personal information bank designated as an exempt bank under section 18 shall be on the government institution concerned.

B. Le contexte factuel

1. Les documents du ministère de la Justice (dossier du greffe T-865-00)

[14]            Dans une demande datée du 8 avril 1998, le demandeur a sollicité la communication en application de la Loi.

[15]            Les dossiers concernés par la demande du demandeur se trouvaient au bureau régional de l'Ontario du ministère de la Justice du Canada. La plupart des dossiers visaient une poursuite intentée par le ministère de la Justice à la fin des années 1980 et au début des années 1990.


[16]            AIPRP - Justice a constaté que 209 pages étaient pertinentes à la demande (mentionné aux paragraphes 5, 6, 16 et 18 de l'affidavit confidentiel d'Anne Brennan, souscrit le 30 mai 2001). Le ministère de la Justice, Revenu Canada et la GRC ont été consultés concernant la communication de ces documents au demandeur.

[17]            AIPRP - Justice a répondu au demandeur en lui faisant parvenir 12 pages complètes de renseignements pertinentes à sa demande. Plus de 150 pages n'ont pas été communiquées ou n'ont été communiquées qu'en partie, au motif que le sous-alinéa 22(1)a)(ii) et les articles 26 et 27 de la Loi s'appliquaient.

[18]            AIPRP - Justice a ensuite communiqué d'autres renseignements après avoir consulté Revenu Canada à leur sujet. Sur les 23 autres pages de renseignements, plus de la moitié ont été entièrement communiquées; les autres n'ont été communiquées qu'en partie en conformité avec l'alinéa 22(1)a) et les articles 26 et 27 de la Loi.

[19]            Dans une lettre datée du 10 août 1998, le demandeur a déposé une plainte en vertu de la Loi devant le Commissaire à la protection de la vie privée, alléguant le refus de communication des documents.

[20]            Dans une lettre datée du 19 avril 1999, le Commissaire à la protection de la vie privée a indiqué qu'un examen avait été effectué et qu'il était convaincu que l'accès aux documents avait été refusé à bon droit, conformément aux dispositions de la Loi mentionnées par AIPRP - Justice.


[21]            AIPRP - Justice a tenté de retrouver la lettre que le demandeur alléguait avoir remise au procureur de la Couronne, Gerald McCraken. AIPRP- Justice n'a pas retrouvé ce document et ce fait a été signalé au Commissaire à la protection de la vie privée.

[22]            Dans une lettre datée du 5 avril 2000, le Commissaire à la protection de la vie privée a réitéré que la plainte du demandeur n'était pas fondée et il a affirmé que l'examen de la plainte du demandeur en matière de vie privée était terminé.

2. Les documents de Revenu Canada (dossier T-1488-00)

[23]            Dans une demande datée du 8 avril 1998, le demandeur a sollicité la communication, en vertu de la Loi, des documents suivants :

[traduction]

Tous les dossiers depuis 1982, y compris les dossiers relevant des Enquêtes spéciales de Revenu Canada, une copie de toute la correspondance entre Revenu Canada et le ministère fédéral de la Justice, le cabinet d'avocats Goodman et Goodman et la GRC, et tout dossier contenant des renseignements provenant d'une tierce partie depuis 1982.

[24]            Parmi les documents pertinents à la demande, on trouve 809 pages tirées des dossiers de la GRC (les 809 pages de la GRC) qui avaient été remises à l'Unité des enquêtes spéciales de Revenu Canada. Après consultation auprès de la GRC concernant la communication de ces documents, le demandeur s'est vu refuser l'accès aux 809 pages de la GRC en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) de la Loi (mentionné aux paragraphes 9, 10, 23 et 27 de l'affidavit confidentiel de Suzanne LaFrance, souscrit le 30 mai 2001).


[25]            Il a également été décidé qu'outre les 809 pages de la GRC, les documents numérotés pages 1 à 1 943 (les 1 943 pages) étaient pertinents à la demande. Toutes ou une partie de ces pages se trouvaient au Bureau des services fiscaux de Toronto-Centre, Section des enquêtes spéciales de Revenu Canada et elles auraient visé une enquête concernant les infractions de nature fiscale commises par M. Gardiner. Certaines des 1 943 pages de renseignements ont été exclues de la divulgation, en tout ou en partie, en vertu de l'alinéa 22(1)a) et des articles 26 et 27 de la Loi (mentionné aux paragraphes 11, 12 à 15, 21, 22 et 26 de l'affidavit confidentiel de Suzanne LaFrance, souscrit le 30 mai 2001 ). En sus, d'autres documents ont été exclus de la communication au motif qu'il ne s'agissait pas de « renseignements personnels » concernant le demandeur (mentionné au paragraphe 35 de l'affidavit confidentiel de Suzanne LaFrance, souscrit le 30 mai 2001).

[26]            En mars 1999, le demandeur s'est plaint au Commissaire à la protection de la vie privée en vertu de la Loi, suite au refus de lui communiquer les documents. Le demandeur a contesté les exceptions invoquées, mais il s'est également plaint du fait que les documents qu'il avait reçus étaient postérieurs à 1991 et qu'on avait refusé de lui communiquer les documents relatifs à la période mentionnée dans sa demande, c'est-à-dire tous les renseignements dans son dossier fiscal depuis 1982.


[27]            En réponse aux observations du Commissaire à la protection de la vie privée, 34 pages supplémentaires numérotées de 1 à 34 ont été communiquées en partie au demandeur, le 31 mars 2000. Certains renseignements personnels n'ont pas été communiqués en vertu des articles 26 et 27 de la Loi (mentionné aux paragraphes 17 à 19 et 24 de l'affidavit confidentiel de Suzanne LaFrance, souscrit le 30 mai 2001).

[28]            Dans une lettre datée du 30 juin 2000, le Commissaire à la protection de la vie privée a avisé l'Agence des douanes et du revenu du Canada (autrefois Revenu Canada) qu'un examen avait été effectué et qu'il était convaincu que les documents avaient été correctement exemptés en vertu de la Loi et que les renseignements qui n'avaient pas été traités n'étaient pas des « renseignements personnels » concernant le demandeur.

3. Les recours en révision en vertu de la Loi

[29]            Le demandeur a déposé des avis de requête datés du 15 mai 2000 et du 11 août 2000 en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, et des avis de questions constitutionnelles datés du 1er juin 2000, du 28 janvier 2001 et du 22 juillet 2003.

[30]            Par ordonnances datées du 1er mars 2001 et du 4 janvier 2001, les demandes ont été transformées en demandes en vertu de l'article 41 de la Loi.


                II. Exceptions invoquées et décisions rendues

A. Les exceptions invoquées en vertu de la Loi

1. L'article 26

[31]            Les articles 26 et 8 de la Loi doivent être lus en parallèle. Ces deux articles sont ainsi rédigés :

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

8. (1) Personal information under the control of a government institution shall not, without the consent of the individual to whom it relates, be disclosed by the institution except in accordance with this section.

(2) Sous réserve d'autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

(2) Subject to any other Act of Parliament, personal information under the control of a government institution may be disclosed

...

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l'avis du responsable de l'institution :

(m) for any purpose where, in the opinion of the head of the institution,

(i) des raisons d'intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

(i) the public interest in disclosure clearly outweighs any invasion of privacy that could result from the disclosure, or

(ii) l'individu concerné en tirerait un avantage certain.

(ii) disclosure would clearly benefit the individual to whom the information relates.

26. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l'article 8.

26. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) about an individual other than the individual who made the request, and shall refuse to disclose such information where the disclosure is prohibited under section 8.

[32]            Avec l'article 8, l'article 26 empêche un gouvernement de divulguer des renseignements personnels concernant une tierce personne sans le consentement de celle-ci sauf si l'une des circonstances visées au paragraphe 8(2) s'applique. (Voir l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589, aux paragraphes 115 à 117 (C.A.F.), modifié sans mention de l'article 26, [2002] 4 R.C.S. 3.)

[33]            Les alinéas 8(2)a) à 8(2)l) précisent les circonstances particulières dans lesquelles des renseignements personnels concernant un tiers peuvent être communiqués; cependant, aucune de ces dispositions ne s'applique en l'espèce.

[34]            Il est permis, en conformité avec l'alinéa 8(2)m), de communiquer des renseignements concernant un tiers dans l'intérêt public ou si l'individu concerné en tirerait un avantage certain.


[35]            Aux termes de l'alinéa 8(2)m), une institution fédérale doit, en application de son pouvoir discrétionnaire, comparer l'intérêt public et/ou l'avantage pour le demandeur à la communication avec les droits des tiers à la protection de leur vie privée. Dans l'arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général) (C.A.F.), la Cour a dit, au paragraphe 121 :

[...] L'article 26 visait clairement à protéger les tiers contre la communication de renseignements confidentiels les concernant. Cette disposition confère au responsable de l'institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de faire preuve de jugement en comparant les intérêts d'un tiers en matière de vie privée et les droits d'accès de la partie requérante. Le sous-alinéa 8(2)m)(i) a été édicté pour qu'un équilibre discrétionnaire similaire soit maintenu entre les raisons d'intérêt public justifiant la communication et le droit à la vie privée.

[36]            La Cour a dit, au paragraphe 119, qu'il fallait tenir compte du sous-alinéa 8(2)m)(i) en appliquant l'exception prévue à l'article 26. Toutefois, la Cour a mentionné qu'il n'était pas nécessaire de procéder ainsi par rapport à chaque élément d'information concernant chaque personne pour que le responsable de l'institution refuse de divulguer l'information.

[37]            Dans Kelly c. Canada (Solliciteur général), [1992] A.C.F. no 302 (1re inst.), le juge Strayer a décrit l'approche en deux temps que le responsable d'une institution fédérale doit utiliser lorsqu'il fait valoir une exception discrétionnaire en vertu de la Loi :

Comme on peut le voir, ces exemptions exigent que le responsable d'un établissement prenne deux décisions : 1) une décision de fait sur la question de savoir si les renseignements en question correspondent à la description de renseignements susceptibles de ne pas être divulguées; et 2) une décision discrétionnaire sur la question de savoir s'il convient néanmoins de divulguer lesdits renseignements.

Le premier type de décision est, je crois, révisable par la Cour et celle-ci peut y substituer sa propre conclusion, sous réserve, à mon avis, de la nécessité de faire preuve d'une certaine déférence envers les décisions des personnes qui, de par les responsabilités institutionnelles qu'elles assument, sont mieux placées pour juger la question. [...]

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devrait pas tenter elle-même d'exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l'entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé en bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.


[38]            Les défendeurs soutiennent que les renseignements qui n'ont pas été communiqués en conformité avec l'article 26 sont des « renseignements personnels » concernant des tiers et qu'aucun de ces tiers n'a consenti à ce que les renseignements personnels le concernant soient communiqués au demandeur. Les défendeurs font valoir que le pouvoir discrétionnaire a été exercé correctement, en conformité avec l'article 26, et qu'il n'y a aucune preuve de mauvaise foi.

2. Le sous-alinéa 22(1)a)(ii)

[39]            L'article 22 est ainsi rédigé :

22. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

22. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1)

a) soit qui remontent à moins de vingt ans lors de la demande et qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d'une institution, qui constitue un organisme d'enquête déterminé par règlement, au cours d'enquêtes licites ayant trait :

(a) that was obtained or prepared by any government institution, or part of any government institution, that is an investigative body specified in the regulations in the course of lawful investigations pertaining to

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

(i) the detection, prevention or suppression of crime,

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(ii) the enforcement of any law of Canada or a province, or

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

[...]

(iii) activities suspected of constituting threats to the security of Canada within the meaning of the Canadian Security Intelligence Service Act,

if the information came into existence less than twenty years prior to the request;

...

[40]            L'alinéa 22(1)a) est une exception discrétionnaire et, par conséquent, le critère en deux temps de Kelly, susmentionné, s'applique.

[41]            Les défendeurs soutiennent qu'il est clair que les documents dont la communication a été refusée en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) étaient des documents obtenus par un organisme d'enquête officiel au cours d'enquêtes licites ayant trait à des activités destinées à faire respecter les lois fédérales et qui remontent à moins de vingt ans de la demande d'accès du demandeur. Les défendeurs soutiennent également que le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication des documents en cause a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de la Loi.


[42]            Les défendeurs soulignent que, dans l'affaire Longaphy c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 1429 (1re inst.), la Cour a dit que le droit de chacun d'avoir accès aux renseignements personnels qui le concernent doit être exercé en tenant compte de multiples considérations : le droit d'autrui à la protection des renseignements qui le visent, le respect de leur caractère confidentiel, et la réalisation licite des enquêtes ayant trait à la prévention du crime et à l'application des lois au Canada.

3. L'article 27

[43]            L'article 27 prévoit que :

27. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

27. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that is subject to solicitor-client privilege.

[44]            À l'instar de l'alinéa 22(1)a), l'article 27 est une exception discrétionnaire assujettie au critère susmentionné de Kelly.

[45]            Les défendeurs font valoir que la Cour doit également tenir compte de la définition de la common law en déterminant si les documents en cause sont réellement protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client (Stevens c. Canada (Premier ministre), [1997] A.C.F. no 228, confirmé [1998] A.C.F. no 794 (C.A.F.)). Ils soutiennent que les communications faites par un client qui consulte un conseiller juridique ès qualité, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d'obtenir un avis juridique font l'objet d'une protection permanente contre toute divulgation, sauf si le client renonce à la protection.


[46]            Les défendeurs affirment que les renseignements qui ont été exemptés sont des communications entre le procureur de la Couronne, la GRC et Revenu Canada dans le cadre d'échanges visant à obtenir ou à donner des avis juridiques et des communications concernant un litige en cours. Les défendeurs soutiennent que les renseignements qui, selon eux, sont protégés par l'article 27, tombent sous le coup de la définition donnée par la common law au secret professionnel qui lie un avocat à son client. Ils affirment en outre qu'en l'espèce, le pouvoir discrétionnaire a été exercé correctement en vertu de l'article 27.

B. Les décisions rendues relativement aux exceptions

[47]            En fin de compte, le défendeur n'a communiqué au demandeur aucun document pour lequel il a fait valoir une exception.

[48]            À l'audience, j'ai accepté, à la demande du demandeur, que toute ordonnance relative aux exceptions demandées soit assujettie à un examen, par moi-même, de tous les documents pour décider si l'argument invoqué par le demandeur en rapport avec le paragraphe 46(2) de la Loi était fondé. La nature de l'argument ainsi que les conclusions que j'ai tirées à cet égard sont exprimées à la partie II des présents motifs.


1. Les documents de Revenu Canada (dossier T-1488-00)

a. « Les 1 943 pages »

[49]            À l'audience, compte tenu de la preuve contenue au paragraphe 26 de l'affidavit confidentiel de Suzanne LaFrance, souscrit le 30 mai 2001, selon lequel les pages suivantes font partie du dossier de Revenu Canada concernant l'application des lois fiscales au demandeur, j'ai décidé que l'exception prévue au sous-alinéa 22(1)a)(ii) a été appliquée à bon escient aux pages :

180 à 213, 247, 248, 276 à 278, 280, 334, 338, 340, 342 à 345, 348 à 351, 357, 360, 362, 364, 388, 441 et 442, 508, 511 à 517, 519, 521, 537, 564, 582 à 584, 588 et 589, 591, 593, 595, 597, 599 à 605, 620, 624, 632, 634, 653, 700, 706, 750 et 751, 754 et 755, 807, 816, 818, 820, 860, 862 et 863, 865 et 866, 868 et 869, 875, 922 et 923, 927 et 928, 930 et 931, 934, 936, 938, 940, 942, 944, 946 et 947, 964, 975, 977 à 999, 1000, 1002, 1004, 1023, 1025, 1074, 1078, 1080, 1393, 1398 et 1399, 1400 à 1403, 1405 à 1413, 1415 à 1440, 1443 et 1444, 1446 à 1449, 1452, 1454 et 1455, 1458 à 1467,1476, 1479 à 1490, 1492 et 1493, 1495 et 1496, 1498 à 1530, 1604 à 1617, 1715 à 1750, 1812 à 1822, 1852 à 1861, 1930, 1935, 1937 à 1940 à 1943, et 9044.

[50]            En outre, j'ai reconnu la pertinence d'autres exceptions concernant les pages suivantes : en vertu de l'article 26, les pages 028 et 234 et, en vertu de l'article 27, la page 375.


b. « Les 809 pages de la GRC »

[51]            À l'audience, compte tenu de la preuve contenue au paragraphe 27 de l'affidavit confidentiel de Suzanne LaFrance, souscrit le 30 mai 2001, selon lequel l'ensemble de la pièce « S » , soit les 809 pages de la GRC, fait partie du dossier de Revenu Canada relatif à l'application des lois criminelles au demandeur, j'ai décidé que l'exception prévue au sous-alinéa 22(1)a)(ii) avait été appliquée à bon escient à l'ensemble des 809 pages de la GRC.

[52]            Par suite des décisions concernant les 1 943 pages et les 809 pages de la GRC susmentionnées, l'avocat du défendeur n'a pas demandé que soit rendue une décision relativement aux autres exceptions invoquées en rapport avec les documents. Également par suite des décisions et à cause de la difficulté que pourrait poser la tenue d'audiences supplémentaires permettant de déposer certains documents qui n'étaient pas disponibles et pour clarifier les exceptions soulevées en rapport avec d'autres documents, le demandeur s'est désisté de sa demande relative à la communication de tout autre document de Revenu Canada.

2. Les documents du ministère de la Justice (dossier T-865-00)


[53]            Quant aux 209 pages du dossier du ministère de la Justice pour lesquelles des exceptions avaient été invoquées, j'ai reconnu à l'audience que, puisque toutes ces pages visaient une enquête criminelle, si l'exception prévue au sous-alinéa 22(1)a)(ii) avait été invoquée au vu d'une page en particulier, je ferais droit à la demande. Plusieurs documents étaient ambigus sur ce point, de même que par rapport à d'autres exceptions invoquées. Ces documents ont été mis de côté pour examen et arguments supplémentaires.

[54]            Toutefois, des décisions distinctes ont été prises selon lesquelles les pages suivantes étaient bien visées par une exception : 01, 27, 30, 32, 33, 34, 35, 02, 08, 09, 37, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49 à 185, 190 à 201, 39 et 186 à 189 (Transcription, 3 novembre 2003, pages 134 à 209).

[55]            En fin de compte, encore une fois compte tenu que des audiences supplémentaires seraient nécessaires afin de trancher les exceptions invoquées en rapport avec les documents mis de côté, le demandeur s'est désisté de sa demande de communication de ces documents.

III. Interprétation du paragraphe 46(2) de la

Loi sur la protection des renseignements personnels

et

de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre


[56]            Au tout début de l'audience, le demandeur a affirmé très clairement que, pour l'essentiel, ses demandes ne visaient pas à contester les exceptions invoquées, mais à ce qu'on lui rende justice à cause de la manière inéquitable dont il prétend avoir été traité par les autorités publiques, notamment le procureur général, le ministre de la Justice, la GRC et le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada. De son point de vue, pour que justice lui soit rendue, le demandeur soulève un argument en matière d'accès à la justice en vertu du paragraphe 46(2) de la Loi, ainsi rédigé :

46. (1) À l'occasion des procédures relatives aux recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la Cour prend toutes les précautions possibles, notamment, si c'est indiqué, par la tenue d'audiences à huis clos et l'audition d'arguments en l'absence d'une partie, pour éviter que ne soient divulgués de par son propre fait ou celui de quiconque :

46. (1) In any proceedings before the Court arising from an application under section 41, 42 or 43, the Court shall take every reasonable precaution, including, when appropriate, receiving representations ex parte and conducting hearings in camera, to avoid the disclosure by the Court or any person of

a) des renseignements qui justifient un refus de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) ou de renseignements contenus dans un document demandé sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information;

(a) any information or other material that the head of a government institution would be authorized to refuse to disclose if it were requested under subsection 12(1) or contained in a record requested under the Access to Information Act; or

b) des renseignements faisant état de l'existence de renseignements personnels que le responsable d'une institution fédérale a refusé de communiquer sans indiquer s'ils existaient ou non.

(b) any information as to whether personal information exists where the head of a government institution, in refusing to disclose the personal information under this Act, does not indicate whether it exists.

(2) Dans les cas où, à son avis, il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d'infractions aux lois fédérales ou provinciales par un cadre ou employé d'une institution fédérale, la Cour peut faire part à l'autorité compétente des renseignements qu'elle détient à cet égard.

(2) The Court may disclose to the appropriate authority information relating to the commission of an offence against any law of Canada or a province on the part of any officer or employee of a government institution, if in the opinion of the Court there is evidence thereof.


[57]            Le demandeur a expliqué les raisons pour lesquelles il présente un argument fondé sur le paragraphe 46(2) :

[traduction]

La seule raison pour laquelle je suis ici, après avoir passé cinq ans et demi sous la Loi sur la protection des renseignements personnels, c'est parce que j'avais épuisé tous mes autres recours. J'avais parlé - nous avions contacté la police, nous avions sollicité l'aide de tout le monde. Ainsi donc, j'ai tout un enchaînement de preuves qui m'amène ici aujourd'hui.

Selon moi, j'ai suivi le violeur qui administre des drogues Duane Tough dans cette Cour. Le gouvernement vous demande de me le cacher. Je crois que le paragraphe 46(2) vous confère une compétence discrétionnaire quasi-criminelle parce que le Code criminel du Canada est la loi du Canada. Les personnes que j'accuse d'avoir commis un crime sont des fonctionnaires et employés d'institutions fédérales et provinciales. Donc, uniquement en tant que dernière chance, comme mécanisme. Ce n'est pas ce que j'aurais voulu faire.

En rapport avec les documents, j'ai écrit une lettre, comme je l'ai dit, et j'ai renoncé à mon droit de voir les documents. Je voulais que la Cour voie les documents à la lumière de mon argumentation (Transcription, 3 novembre 2003, pages 22 et 23).

Pendant les quatre jours d'audience, entre ses arguments et ses observations juridiques, le demandeur a décrit en détail ses plaintes relatives au comportement criminel qu'il aurait perçu.


[58]            Donc, dès le début de l'audition des demandes, à part le processus habituellement suivi pour prendre une décision en vertu de l'article 41 de la Loi, la principale question à trancher est celle de l'interprétation correcte du paragraphe 46(2). La décision sur cette question comporte deux aspects : un engagement de ma part d'examiner à la loupe tous les documents en cause dans chaque demande de révision afin de déceler la preuve de la perpétration d'une infraction comme l'exige clairement le paragraphe 46(2) et l'échange d'observations écrites et la possibilité d'une plaidoirie sur la question de savoir si l'interprétation du paragraphe 46(2) avancée par le demandeur peut être retenue. Sur cette dernière question, il est entendu que si le demandeur devait avoir gain de cause pour ce qui touche son argument relatif à l'interprétation, la preuve qu'il a déposée dans ses plaintes en matière d'accès à la justice serait prise en compte afin de décider des mesures à prendre.

[59]            Nonobstant le fait que je suis impressionné par le travail et la détermination du demandeur je ne puis lui donner raison quant à l'interprétation à donner au paragraphe 46(2).

[60]            Le demandeur soutient qu'en vertu du paragraphe 46(2), la Cour jouit d'un pouvoir d'enquête très large dans la recherche d'un comportement criminel pour examiner les actions de tous les employés du gouvernement qui ont participé à la création ou au traitement des renseignements qu'il tente d'obtenir, et les défendeurs doivent prouver le caractère licite de toutes les actions de leurs employés. À mon avis, le demandeur n'a cité aucun texte faisant autorité à l'appui de son argument.


[61]            En réponse, l'avocat des défendeurs présente trois arguments : la révision prévue à l'article 41 est un examen de décisions précises prises par le responsable d'une institution fédérale et elle ne devrait pas être utilisée pour attaquer indirectement ou de façon abusive les décisions d'autres organismes ou tribunaux administratifs, mais seulement pour que la Cour signale les infractions si elles deviennent apparentes pendant une audience ex parte ou à huis clos en vertu du paragraphe 46(1); et même si l'institution fédérale a la charge de convaincre la Cour du bien-fondé des exceptions à la communication, ce fardeau ne l'oblige pas à convaincre la Cour que les documents avaient par ailleurs été créés et conservés de façon appropriée et en toute légalité.

[62]            Au soutien du deuxième volet de son argument, l'avocat des défendeurs mentionne le principe contextuel de l'interprétation législative en vertu duquel, dans un exercice d'interprétation, le sens ordinaire des termes d'une disposition doit être élargi pour tenir compte du contexte (Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., page 197, Submissions in Reply, onglet 9).

[63]            En sus des termes de la disposition visée par l'examen pris dans leur contexte, il n'y a aucune règle précise dans la Loi qui facilite une prise de décision sur la question d'interprétation. En outre, il y a absence de jurisprudence sur la question d'interprétation. Cependant, à l'appui de son argument relatif à l'interprétation du paragraphe 46(2), l'avocat du défendeur mentionne la déclaration ci-dessous faite par Francis Fox, alors Secrétaire d'État et ministre de la Justice, concernant le sens du paragraphe 46(2) proposé pendant les délibérations de 1981 du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, après la seconde lecture du projet de loi qui a été suivi par l'adoption de la Loi (le 19 novembre 1981, pages 54:34, 54:35):

Il y a deux aspects dans cette affaire. Je pense que le peuple du Canada peut être assuré que, même si un document ne doit pas être rendu public, il existe une révision judiciaire indépendante qui permet à la cour d'avoir accès aux documents qui ne seront jamais publiés car ils ont été dispensés, à bon escient, de publication.

Mais il existe une autre garantie. Si, après avoir lu le document, la cour conclut qu'une infraction a été peut-être perpétrée, celle-ci dispose des pouvoirs discrétionnaires pour en saisir l'autorité compétente. Je pense que cette partie de l'article s'impose car elle indique clairement ce que les cours peuvent faire.


[64]            Selon moi, l'avocat du défendeur fait valoir l'interprétation qu'il convient de donner au paragraphe 46(2). J'en décide donc ainsi.

[65]            Il s'ensuit qu'en l'espèce, l'examen indépendant de la Cour ne vise que les documents qui, selon les défendeurs, font l'objet d'une exception. Comme je l'ai dit plus haut, l'examen des documents relativement aux deux recours en vertu de l'article 41 inclurait également une recherche de la preuve de la perpétration d'une infraction. Je n'ai trouvé aucune telle preuve.

[66]            Le demandeur prétend également que les dispositions de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre prévoient d'autres moyens par lesquels il peut obtenir justice. Je conclus que cette loi pénale ne peut servir à cette fin. Elle ne confère aucune compétence en matière d'enquête.

[67]            Après avoir entendu les observations détaillées du demandeur pendant les quatre jours d'audience, j'ai bien saisi le sens de ses préoccupations en matière d'accès à la justice. Toutefois, à cause des conclusions que je viens de tirer, je n'ai pas compétence pour examiner la preuve en matière d'accès à la justice soumise par le demandeur ni de prendre des mesures à cet égard.


IV. Questions constitutionnelles

[68]            Le demandeur a signifié un avis de questions constitutionnelles : dans la question déposée le 15 juin 2000 au dossier T-865-00, le demandeur fait valoir que lorsque les défendeurs se fondent sur le sous-alinéa 22(1)a)(ii) et sur les articles 26 et 27 de la Loi, ils portent atteinte à ses droits garantis par les alinéas 2b), 11b) et 11d) et des articles 7, 9, 10, 12 et 15 de la Charte; dans la question déposée le 29 janvier 2001 aux dossiers T-865-00 et T-1488-00, le demandeur soutient que l'article 41 et le paragraphe 67(1) de la Loi portent atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte; et, dans la question déposée le 29 juillet 2003, aux dossiers T-865-00 et T-1488-00, le demandeur soutient que l'article 41 de la Loi et les Règles de la Cour fédérale ont pour effet de porter atteinte à ses droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte.

[69]            Pendant les plaidoiries, le demandeur s'est désisté de la question du 29 juillet 2003. Quant aux deux autres questions, je dois décider que, même si je sais comme il l'a déclaré que le demandeur est très mécontent des décisions rendues relativement aux demandes visées par la révision, il n'y a selon moi aucune preuve que ses droits garantis par la Charte auraient été violés. Puisqu'il incombe au demandeur de fournir cette preuve, je conclus qu'il ne s'est pas acquitté de son fardeau. Par conséquent, je rejette les arguments du demandeur fondés sur la Charte.


                                        ORDONNANCE

                                                                           Dossiers : T-865-00

                                                                                           T-1488-00

Ayant effectué la révision en vertu de l'article 41 de la Loi relativement aux exceptions invoquées en rapport avec les documents visés par chacune des demandes en l'espèce et ayant conclu que les exceptions ont été régulièrement invoquées pour chaque document examiné, je rejette chacune des demandes de communication du demandeur.

Il n'y aura pas de dépens.

                                                                      _ Douglas R. Campbell _            

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                        T-865-00

T-1488-00               

INTITULÉ :                         ALAN GARDINER

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                           

ET ENTRE :

ALAN GARDINER                                       

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :     TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE : LE 3 NOVEMBRE 2003 ET LES 8, 9 ET 10 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

MODIFIÉS ET ORDONNANCE :                      LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :          LE 4 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Alan Gardiner                        POUR SON PROPRE COMPTE

Chris Leafloor                       POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alan Gardiner                        POUR SON PROPRE COMPTE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                  POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


             COUR FÉDÉRALE

Date : 20040504

Dossiers : T-865-00

T-1488-00

ENTRE :

ALAN GARDINER

                                          demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                           défendeur

ET ENTRE :

ALAN GARDINER

                                          demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                          défendeurs

                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                               


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