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Date : 20030401

Dossier : T-667-01

Référence neutre : 2003 CFPI 387

ENTRE :

                                                               SHAWN CHISHOLM

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Le caporal Chisholm, un membre des Forces canadiennes, fait valoir dans le cadre de la présente action le délit d'atteinte aux rapports économiques, au motif que le défendeur l'aurait privé d'occasions d'emploi dans l'armée tant au sein de son unité qu'en dehors de celle-ci.


[2]                 Le défendeur a demandé la radiation de la déclaration modifiée. Le défendeur a présenté essentiellement une argumentation en trois volets. Le défendeur soutient premièrement que le service au sein des forces armées, comme il relève du pouvoir discrétionnaire de la Couronne et repose sur un engagement unilatéral des militaires, ne donne pas droit à dédommagement fondé sur un contrat. Le défendeur avance comme deuxième argument, lequel est souvent couronné de succès, que le demandeur n'a pas épuisé toutes les voies de recours du processus militaire de règlement des griefs. Le défendeur soutient, troisièmement, que la demande consiste en fait en une demande de pension, et qu'il y a donc lieu d'y surseoir, puis d'en traiter en vertu de la Loi sur les pensions. On n'a pas insisté sur ce dernier argument lors de la plaidoirie. À la simple lecture de la déclaration, cet argument ne saurait prévaloir. J'examinerai donc maintenant les deux prétentions principales du défendeur.

ANALYSE

[3]                 Pour ce qui est des règles de droit concernant la radiation d'une action, je ne ferai pas davantage que déclarer qu'il doit être manifeste et indubitable que le demandeur ne pourra avoir gain de cause avant que son action puisse être radiée, celui-ci perdant de ce fait le droit de se faire entendre.

Nature de la cause d'action

[4]                 Le premier argument du défendeur, réduit à l'essentiel, c'est qu'un membre des forces armées ne peut poursuivre la Couronne pour rupture de contrat. Le défendeur a notamment fait référence à cet égard à Cooke c. Canada (1929), C. Éch. 20, à la page 23, à Levesque c. Canada (1990), 45 F.T.R. 22, à la page 23, ainsi qu'à Carroll c. Canada (Attorney General), [1995] 3 W.W.R. 264 où, à la page 268, le juge Manson de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a renvoyé à Mitchell c. The Queen (1896) 1 Q.B. 121 (C.A.), pour une claire formulation de la règle selon laquelle un militaire ne peut intenter d'action contre la Couronne :


[traduction]

Le lord maître des rôles Ester      Comme le juge Mathew, je suis d'avis que le droit est on ne peut plus clair, et qu'on a statué encore et encore que la règle en la matière c'est que, pour ce qui est des engagements entre les militaires et la Couronne, ils n'ont de caractère volontaire que pour celle-ci, et on ne saurait les faire valoir pour intenter quelque action en responsabilité contractuelle que ce soit.

Le juge Cameron a cité ce passage en l'approuvant dans Fitzpatrick c. The Queen (1959), C. Éch. 405, à la page 411.

[5]                 Assurément, la formulation de la déclaration en l'espèce la rattache à la responsabilité civile délictuelle. L'avocat du défendeur nous renvoie cependant à cet égard à la décision de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) Haswell c. Canada (Attorney General) (1998), 56 O.T.C. 143. Le juge Chadwick a fait observer dans Haswell que l'affaire, bien qu'elle concerne apparemment la libération arbitraire de l'armée du demandeur et qu'on ait tenté de la formuler en termes de responsabilité délictuelle, par le recours à l'expression « négligence » , se rapportait clairement à l'engagement dans l'armée du demandeur et particulièrement à la question de sa retraite obligatoire.


[6]                 Je ne suis pas convaincu qu'en l'espèce la déclaration modifiée adopte la formulation ou prenne le masque, tout simplement, de la responsabilité civile délictuelle. La demande concerne une atteinte aux rapports économiques, au motif que le défendeur aurait, par négligence, nui à l'exécution par le demandeur de son travail et entravé sa carrière au sein de l'armée. À ce titre, il ne s'agit pas d'un subterfuge permettant d'éviter l'obstacle infranchissable dressé devant toute réclamation en matière contractuelle. Il existe en droit canadien un délit reconnu d'atteinte aux rapports économiques (se reporter, par exemple, à cet égard à Fridman on the Law of Torts in Canada, 2e édition, Carswell, aux pages 813 et 814).

[7]                 Le défendeur affirme qu'il n'y a pas dans la déclaration suffisamment de précisions pour étayer une demande fondée sur le délit d'atteinte aux relations économiques. Je signale toutefois que le demandeur a bien fourni, le 3 septembre 2002, des précisions d'assez large portée. Il y a suffisamment de précisions pour un plaidoyer. En outre, bien que la déclaration puisse manquer un peu de consistance, je ne suis pas disposé à conclure que les éléments requis pour le délit d'atteinte aux relations économiques, soit l'intention de nuire, une perte économique ou un préjudice connexe et le recours à un moyen illicite pour nuire, tels qu'ils sont énoncés dans Cheticamp Fisheries Co-operative Ltd. c. Canada (1995), 123 D.L.R. (4th) 121 (C.A. N.-É.), sont absents de la déclaration modifiée et des précisions.

[8]                 J'estime, compte tenu de tous les facteurs, que le défendeur n'a pas réussi à démontrer que, manifestement et hors de tout doute raisonnable, la présente action, fondée sur le délit d'atteinte aux rapports économiques, ne peut avoir une issue positive parce qu'en fait il s'agit d'une réclamation, interdite, en matière contractuelle. Je me pencherai donc maintenant sur un argument plus fondamental, soit que le demandeur devrait suivre la procédure de griefs prévue à la Loi sur la défense nationale.


Processus militaire de règlement des griefs

[9]                 On a statué dans de nombreuses décisions que la procédure de griefs prévue à la Loi sur la défense nationale est une voie de recours appropriée en remplacement d'une instance devant la Cour fédérale. Dans la plupart des cas, ainsi, il faudrait suivre jusqu'à sa conclusion cette procédure de griefs. On pourra consulter, par exemple, Anderson c. Canada (Forces armées canadiennes), [1997] 1 C.F. 273 (C.A.), ainsi que Brown c. Canada (Procureur général) (1998), 148 F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.), dans laquelle on a traité d'Anderson et des décisions antérieures qui lui ont servi de cadre.

[10]            Il existe également des exceptions au principe énoncé dans Anderson. Dans Gayler c. Canada (Directeur de l'Administration des carrières (PNO), Quartier général de la Défense nationale) (1994), 88 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.), par exemple, le juge MacKay a statué que le processus militaire de redressement des griefs devenait, en raison d'une décision déjà prise, une voie inutile; par conséquent, la requérante n'était pas irrecevable à agir en contrôle judiciaire. On peut également se reporter à Loiselle c. Canada (Procureur général) (1998), 161 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.), où la procédure de règlement des griefs se serait avérée un exercice coûteux et long, et dénué de sens puisque aboutissant en fin de piste à la personne même ayant rendu la décision initiale.


[11]            Le processus militaire de règlement des griefs impose à l'auteur d'un grief le fardeau de faire hisser la procédure le long de la chaîne de commandement. Ainsi, après qu'une décision a été prise, la personne qui veut s'en plaindre doit en saisir activement l'échelon suivant. Si l'on ne tient pas compte du plaignant à l'un ou l'autre échelon, pendant la période de temps applicable prévue au paragraphe 19.26(11) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, il peut saisir de son grief l'échelon suivant sans attendre qu'une décision soit prise, en application du paragraphe 19.26(12).

[12]            Le demandeur soutient avoir soumis ses quatre griefs, mais sans obtenir de réponse. Son avocat renvoie à une lettre du 5 janvier 2001 adressée à son commandant par M. Chisholm, dans laquelle ce dernier demandait que l'échelon de commandement suivant soit saisi de tous ses griefs.

[13]            Le défendeur a produit une réponse donnée le 9 avril 2001 à deux griefs, l'un du 23 mai 2000 et l'autre du 5 janvier 2001. Le commandant conclut sa lettre en disant : « [traduction] Si vous êtes en désaccord avec ma décision, vous pourrez demander qu'une autorité supérieure soit saisie de votre affaire » .


[14]            L'avocat du défendeur soutient que trois des quatre griefs étaient devenus périmés lorsque, le 5 janvier 2001, le caporal Chisholm a demandé qu'en soit saisi l'échelon supérieur. Je relève sur ce point Lazar c. Canada (Procureur général) (1999), 168 F.T.R. 11 (C.F. 1re inst.), une décision dans laquelle le juge Evans (tel était alors son titre) a déclaré, à la page 14, que le fait qu'un demandeur soit hors délai pour exercer un recours administratif ne rend pas le recours nécessairement inadéquat. La justification en est qu'il serait anormal, et même injuste, qu'en s'abstenant d'exercer un droit et en le laissant expirer, un demandeur puisse éviter d'avoir à recourir à un droit d'appel prévu par la loi.

[15]            Compte tenu de cette analyse, il reste la décision du 9 avril 2001 du commandant E. A. Brown portant sur le seul grief valide à l'époque. Il y a controverse quant à savoir si le caporal Chisholm a bien reçu la lettre du 9 avril 2001. Malgré tout, les documents joints aux affidavits me convainquent qu'on a pris au sérieux le dernier grief et qu'on y a donné suite. Si ma conviction est erronée, toutefois, c'est au caporal Chisholm, qui encore le 12 avril 2001 adressait des lettres à ses supérieurs, qu'il incombe de demander à nouveau que tout grief qu'il croyait avoir, et alors valide, soit soumis à l'échelon suivant.

[16]            Il ressort clairement de tout ceci que le caporal Chisholm n'a pas tiré valablement profit de la procédure des griefs. Je ne puis conclure qu'il tombe sous le coup d'une exception au recours à cette procédure, comme dans Loiselle ou Gayler (précitées). Il est donc manifeste et indubitable que son action ne peut être couronnée de succès. L'action est radiée.

                                                                                                                                     « John A. Hargrave »            

                                                                                                                                                    Protonotaire                    

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 1er avril 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-667-01

INTITULÉ :                                                 Shawn Chisholm c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                       Le 20 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                            Le 1er avril 2003

COMPARUTIONS :

Robert P Campbell                                                            POUR LE DEMANDEUR

Ward Bansley                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert P Campbell                                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

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