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Date : 20031103

Dossier : IMM-779-03

Référence : 2003 CF 1279

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN             

ENTRE :

                                                                     NABIL TOUMA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Nabil Touma (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 8 janvier 2003 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur, un citoyen syrien, fondait sa demande d'asile sur le fait qu'il est assyrien, qu'il est de religion catholique et qu'il est membre du parti politique Bet Nahrin (le parti).


[3]                 Le demandeur est un avocat assyrien catholique qui était membre du parti depuis 1995. Le gouvernement syrien est opposé à ce parti qui soutient les Assyriens de Syrie.

[4]                 Le demandeur a été mêlé à une poursuite visant à déterminer la légalité de la vente d'un terrain effectuée par son client à une famille arabe musulmane dirigée par un homme appelé Salman. Le tribunal a rendu une décision favorable au client du demandeur à la fin de 1996, mais Salman a interjeté appel. Ce dernier aurait soudoyé le juge d'appel qui a infirmé la décision rendue en première instance. Le demandeur a porté la décision du juge d'appel en appel auprès de la cour suprême à Damas. Il a retenu les services d'un autre avocat dans le but de ne pas attirer l'hostilité des juges de la cour d'appel. La cour suprême a rendu une décision en faveur du client du demandeur en janvier 2000.

[5]                 Le demandeur a indiqué que Salman avait menacé de le tuer à cause de cette décision et de ses tentatives pour l'exécuter. Il a déclaré dans son témoignage qu'une automobile, qu'il a reconnue comme appartenant à la famille de Salman, a tenté de le renverser en mai 2000.

[6]                 Le demandeur a indiqué également qu'un ami lui a appris, le 15 mai 2000, qu'un mandat d'arrestation avait été lancé contre lui et qu'il était accusé d'être un membre du parti. Il croyait que le mandat d'arrestation avait été délivré à la demande des juges qui avaient rendu la décision dont il avait interjeté appel.


[7]                 Le demandeur s'est enfui aux États-Unis, où il est resté pendant six mois environ. Lorsque les autorités américaines ont refusé de renouveler son visa de visiteur, il est venu au Canada et a demandé l'asile.

[8]                 La Commission a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'elle ne disposait pas d'éléments de preuve crédibles suffisants démontrant qu'il craignait avec raison d'être persécuté en Syrie du fait de l'un des motifs prévus par la Convention. Elle a admis que le demandeur était un membre actif du parti, mais elle n'a pas jugé crédible son témoignage selon lequel il avait quitté la Syrie parce qu'il avait appris qu'un mandat d'arrestation avait été lancé contre lui en raison de son appartenance au parti et des activités qu'il menait au sein de celui-ci. La Commission a tiré un certain nombre de conclusions défavorables concernant la crédibilité, notamment au regard du mandat d'arrestation et de la motivation du demandeur à demander l'asile au Canada, en raison des nombreuses tentatives qu'il avait faites dans le passé pour obtenir un visa de visiteur l'autorisant à venir dans ce pays.


[9]                 Quoique le demandeur prétende que la Commission a eu tort de tirer des conclusions défavorables au sujet de sa crédibilité, le dossier renferme suffisamment d'éléments de preuve étayant ces conclusions. La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité qui sont tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable selon la décision Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Compte tenu de cette norme, la Cour n'a aucune raison de modifier les conclusions de la Commission. Cela ne met pas fin à la présente affaire cependant.

[10]            La Commission a conclu que le demandeur est un Assyrien et un membre du parti. Il ressort de la preuve documentaire qui lui a été présentée que des activités politiques antigouvernementales de ce genre sont illégales en Syrie et que les personnes qui s'y livrent sont maltraitées si elles sont appréhendées par le gouvernement. Il ressort également de cette preuve que les droits fondamentaux des migrants qui retournent en Syrie ne sont pas toujours respectés.

[11]            Selon la Commission, la preuve ne démontrait pas que les autorités syriennes étaient au courant de la demande d'asile du demandeur. La Commission n'a cependant pas évalué le risque que celui-ci courrait s'il retournait en Syrie, en raison de son allégeance politique et de son retour dans ce pays. Il faut donc se demander si les autorités s'en prendront à lui à son retour en Syrie. Cette question n'a aucun rapport avec les conclusions de la Commission au sujet du manque d'éléments de preuve crédibles étayant une demande d'asile. Le juge O'Keefe a dit dans la décision Baranyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 16 Imm. L.R. (3d) 142, à la page 147 :

Même lorsque la SSR juge qu'un demandeur n'est pas crédible, elle est tout de même tenue de prendre en compte la preuve documentaire. Dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.), notre Cour a déclaré à la page 132 :

Il est clair que lorsque la seule preuve qui relie le demandeur à la persécution émane de son témoignage, le fait de rejeter ce témoignage signifie que le lien avec la persécution n'existe plus. Il devient donc impossible d'établir un lien entre la revendication de la personne et la preuve documentaire.


La situation est évidemment différente en l'espèce, car il existait une preuve, dont la CIN de la demanderesse principale, émanant d'autres sources que son témoignage et permettant de relier sa demande à la persécution infligée aux jeunes femmes tamoules au Sri Lanka.

La preuve documentaire peut ou peut ne pas avoir établi une crainte fondée de persécution pour ce qui est de la situation de la demanderesse. La SSR aurait dû avoir examiné cette preuve pour déterminer si celle-ci a établi le bien-fondé de la crainte de persécution. J'ai passé en revue la décision de la SSR et je ne trouve aucune référence à des preuves documentaires concernant la persécution dont font ou ont fait l'objet d'autres citoyens roms hongrois. À mon avis, que ce soit à la lumière de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter ou de celle de la décision manifestement déraisonnable, la SSR a commis une erreur de droit susceptible de révision en omettant de tenir compte de cette preuve.

[12]            En l'espèce, la Commission n'a pas examiné la preuve documentaire dont elle disposait concernant la situation des Assyriens, les opposants politiques ou les migrants de retour en Syrie. Me fondant sur la décision Baranyi, précitée, j'estime que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en ne déterminant pas si la preuve documentaire démontrait que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son statut de migrant de retour en Syrie.

[13]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué afin qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision. L'affaire ne soulève aucune question à des fins de certification.


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué afin qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision. L'affaire ne soulève aucune question à des fins de certification.

          « E. Heneghan »          

        Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                     IMM-779-03

INTITULÉ :                                                                     NABIL TOUMA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 12 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 3 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Michael Korman                                                                POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovic                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Korman                                                                POUR LE DEMANDEUR

Otis & Korman

290, rue Gerrard Est

Toronto (Ontario)

M5A 2G4

Marina Stefanovic                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400, casier 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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