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Date : 20191211


Dossier : T‑1551‑18

Référence : 2019 CF 1592

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 11 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

JENNY DESIREE EVANS

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET MARY‑JO MCDONALD

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Le contexte

[1]  Le différend sous‑jacent concerne deux demandes de pension de survivant concurrentes présentées en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 [le RPC].

[2]  En mars 2007, la défenderesse, Mary‑Jo McDonald, a présenté une demande de pension de survivant en vertu du RPC à titre de conjointe de fait d’un cotisant décédé, Terry Evans. En avril 2007, la demanderesse, Jenny Desiree Evans, a présenté une demande relativement à la même pension au motif qu’elle était l’épouse séparée de M. Evans.

[3]  Le RPC alloue une pension au survivant d’un cotisant décédé. Le paragraphe 42(1) prévoit que le « survivant » est l’époux du cotisant au décès de ce dernier si le cotisant n’a pas de conjoint de fait. L’article 2 définit le « conjoint de fait » comme la personne qui vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an au moment du décès du cotisant.

[4]  Pendant un certain nombre d’années, Mme McDonald et Mme Evans ont vivement contesté la question de l’admissibilité à la pension de survivant devant le ministre de l’Emploi et du Développement social, la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [la division générale] (et son prédécesseur), la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [la division d’appel] (et son prédécesseur) et la Cour d’appel fédérale. Au bout du compte, l’affaire a été renvoyée à la division générale en vue d’une nouvelle audience.

A.  La décision de la division générale du 17 mars 2018

[5]  Le 17 mars 2018, la division générale a conclu que Mme McDonald était la conjointe de fait de M. Evans et qu’elle était admissible à la pension de survivant. La division générale a conclu que Mme McDonald avait établi, selon la prépondérance des probabilités, que M. Evans et elle avaient commencé à vivre ensemble comme conjoints de fait en juin 2005 et que leur union de fait s’était poursuivie jusqu’au décès M. Evans. La division générale a fondé sa décision sur les témoignages de Mme McDonald, de sa fille et de sa mère, témoignages qu’elle a comparés à ceux de Mme Evans, de sa fille et de deux amis de M. Evans.

[6]  La division générale s’est appuyée sur des éléments de preuve documentaire qui, selon elle, confirmaient le témoignage de Mme McDonald, y compris une déclaration de prestations d’assurance signée par M. Evans, qui précisait que Mme McDonald était sa conjointe de fait, et des lettres de la caisse de retraite de M. Evans, selon lesquelles Mme McDonald était sa conjointe de fait et la fille de celle-ci était l’une de ses personnes à charge.

B.  La décision de la division d’appel du 19 juillet 2018

[7]  Le 14 juin 2018, Mme Evans a présenté une demande de permission d’en appeler devant la division d’appel. Dans sa lettre manuscrite de deux pages, elle a fait valoir que, au moment de rendre sa décision, la division générale avait commis des erreurs : a) en ne tenant pas compte du fait que Mme McDonald avait utilisé de faux renseignements; b) en écartant des éléments de preuve selon lesquels, même si son défunt époux et elle étaient séparés, leur mariage et leur famille étaient intacts jusqu’en juillet 2006; et c) en l’empêchant de témoigner en lui coupant la parole deux fois.

[8]  Le 19 juillet 2018, la division d’appel a rejeté la demande de permission d’en appeler de Mme Evans au motif que celle-ci n’avait soulevé aucun moyen d’appel aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [la LMEDS], qui aurait une chance raisonnable de succès.

[9]  Premièrement, la division d’appel a établi que l’allégation de Mme Evans selon laquelle Mme McDonald avait menti et que la division générale avait commis une erreur en ne détectant pas ces mensonges, ne démontrait pas qu’il existait une cause défendable. Elle a conclu qu’il fallait faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de la façon dont la division générale avait évalué la qualité de la preuve à sa disposition.

[10]  Deuxièmement, la division d’appel a conclu que les allégations générales de Mme Evans selon lesquelles la division générale n’avait pas tenu compte des éléments de preuve montrant que son mariage et sa famille étaient intacts en juillet 2006 revenaient à demander une nouvelle instruction de sa demande. En outre, en l’absence d’une allégation d’erreur plus précise, Mme Evans ne soulevait aucun moyen d’appel. La division d’appel a conclu que Mme Evans lui demandait de réévaluer la preuve, ce qu’elle n’est pas autorisée à faire.

[11]  Troisièmement, après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale, la division d’appel a établi que Mme Evans n’avait pas été privée de la possibilité de témoigner. Elle a reconnu que la division générale s’était souvent interposée, mais elle était convaincue que ces interventions visaient à obtenir des précisions relativement à la preuve et à mettre Mme Evans en garde contre la présentation d’éléments de preuve non pertinents ou de preuve par ouï‑dire. La division d’appel a également souligné que, à l’époque, ni Mme Evans ni son avocat n’avaient soulevé d’objection au sujet de la conduite de la division générale.

II.  Analyse

[12]  Mme Evans, qui agit pour son propre compte, demande le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel.

[13]  Dans son mémoire de deux pages déposé à l’appui de la présente demande, Mme Evans n’aborde pas la question de la norme de contrôle applicable à la décision de la division d’appel de rejeter une demande de permission d’en appeler.

[14]  À l’audience, Mme Evans a déclaré qu’elle ne comprenait pas très bien la procédure, ajoutant qu’elle s’attendait à comparaître devant trois membres et à répondre à des questions. L’audience a été suspendue pendant quelques minutes afin de permettre à l’avocat du défendeur, le procureur général du Canada, d’expliquer à Mme Evans le déroulement des contrôles judiciaires.

[15]  À la reprise de l’audience, Mme Evans a affirmé être prête à aller de l’avant, mais il est apparu clairement à la lumière de ses observations qu’elle ne comprenait pas que c’était la décision de la division d’appel qui faisait l’objet du contrôle et non celle de la division générale.

[16]  La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la division d’appel de refuser la permission d’en appeler est celle de la décision raisonnable (Andrews c Canada (Procureur général), 2018 CF 606, au par. 17; Griffin c Canada (Procureur général), 2016 CF 874, aux par. 13 et 14). Il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’analyse de la preuve menée par la division d’appel, et, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour ne consiste pas à réévaluer la preuve ni à substituer une conclusion qui serait à son avis préférable à celle tirée par le décideur désigné.

[17]  Conformément au paragraphe 58(2) de la LMEDS, la demande de permission d’en appeler sera rejetée si la division d’appel « est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ». La seule question soulevée par la présente demande est celle de savoir si la division d’appel a refusé de façon déraisonnable la demande de permission d’en appeler de la décision de la division générale présentée par Mme Evans.

[18]  Il incombait à Mme Evans de montrer à la division d’appel que son appel avait une chance raisonnable de succès. La division d’appel a examiné les allégations de Mme Evans et les a évaluées à la lumière des paragraphes 58(1) et 58(2) de la LMEDS.

[19]  Je ne suis pas convaincu que la division d’appel ait commis une erreur en concluant que la première allégation de Mme Evans — soit que la division générale n’a pas tenu compte du fait que Mme McDonald avait utilisé de faux renseignements — ne saurait être assimilée à une cause défendable. La division générale a évalué les témoignages et tenu compte des éléments de preuve contradictoires dont elle disposait. La division d’appel n’est autorisée à intervenir que lorsque la décision de la division générale est abusive ou arbitraire. Mme Evans n’a pas établi que la division d’appel a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve en question.

[20]  Mme Evans n’a pas prouvé que ses allégations selon lesquelles la division générale n’a pas tenu compte des éléments de preuve montrant que son mariage et sa famille étaient intacts en juillet 2006 lui permettaient d’invoquer un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS. Au moment d’octroyer une permission d’en appeler, la division d’appel joue un rôle limité et ne peut pas accorder une permission si l’allégation formulée ne soulève pas un des moyens d’appel prévus. Je ne vois aucune erreur dans la conclusion de la division d’appel selon laquelle les allégations générales de Mme Evans ne soulevaient aucun moyen d’appel.

[21]  En outre, Mme Evans n’a pas prouvé que la division d’appel a commis une erreur en concluant que sa troisième allégation — soit qu’elle s’était vu refuser la possibilité de témoigner — ne saurait être assimilée à une cause défendable. La division d’appel a écouté les extraits pertinents de l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale et n’a rien trouvé qui corrobore l’allégation de Mme Evans. À plusieurs reprises, le membre de la division générale a averti Mme Evans de ne pas fournir d’éléments de preuve non pertinents ni de preuve par ouï‑dire, mais la division d’appel n’a rien trouvé d’inapproprié dans ses interventions. Je ne vois dans cette conclusion aucune erreur susceptible de contrôle.

[22]  Même si j’ai de la sympathie pour Mme Evans, en l’absence d’une erreur susceptible de contrôle de la part de la division d’appel, mon intervention n’est pas justifiée.

[23]  En conclusion, je suis d’avis que la décision de la division d’appel de rejeter la demande de permission d’en appeler était raisonnable, car elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

III.  Les dépens

[24]  Les parties n’ont pas demandé de dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.

IV.  Conclusion

Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier T‑1551‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de janvier 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1551‑18

INTITULÉ :

JENNY DESIREE EVANS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MARY‑JO MCDONALD

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 11 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Jenny Desiree Evans

LA DEMANDERESSE POUR SON PROPRE COMPTE

Matthew Vens

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Mary‑Jo McDonald

LA DÉFENDERESSE MARY‑JO MCDONALD

POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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