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Date : 20191217


Dossier : T‑1783‑18

Référence : 2019 CF 1610

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ROBERT MCILVENNA

demandeur

et

LA BANQUE DE NOUVELLE‑ÉCOSSE

(LA BANQUE SCOTIA)

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], rendue au titre du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi], de rejeter la plainte de Robert McIlvenna et d’empêcher ainsi l’affaire d’être jugée sur le fond. M. McIlvenna demande que la décision de la Commission soit infirmée et que sa plainte soit renvoyée directement au Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal] pour qu’il instruise la plainte.

[2]  La Commission est saisie de cette affaire depuis août 2010. Tout a commencé en 2009 lorsque la défenderesse, la Banque de Nouvelle‑Écosse [la Banque], a décidé de rappeler le prêt hypothécaire consenti à M. McIlvenna pour une propriété résidentielle située à Val Therese, en Ontario.

[3]  Au cœur de l’affaire se trouve un désaccord factuel sur la raison pour laquelle la Banque a rappelé le prêt. M. McIlvenna affirme que la décision a été prise parce que son fils et sa belle‑fille avaient utilisé la maison pour cultiver de la marijuana à des fins médicales et avaient l’intention de continuer à le faire. La Banque prétend que sa décision était attribuable aux rénovations non divulguées que M. McIlvenna avait effectuées à la maison, qui, lorsque la Banque a été approchée pour un financement additionnel, avait été réduite à une carcasse. Selon la Banque, les rénovations de M. McIlvenna n’avaient pas été autorisées et contrevenaient aux modalités de l’hypothèque. La Banque soutient également que, dans la mesure où la décision reposait sur l’utilisation de la maison pour cultiver de la marijuana, c’était seulement parce que le fils de M. McIlvenna avait déclaré son intention de cultiver de la marijuana à des fins commerciales.

I.  L’historique procédural

[4]  La cause de M. McIlvenna a déjà fait l’objet de deux demandes de contrôle judiciaire. Le 14 mars 2012, la Commission a rejeté la plainte de M. McIlvenna au titre de l’article 41 de la Loi. La décision a été maintenue par le juge Roger Hughes de la Cour fédérale, mais, en appel, la décision a été annulée pour les motifs suivants :

[16]  À cette étape du processus, la Commission ne peut pas, de façon acceptable ou défendable, régler le conflit entre M. McIlvenna et le récit de l’avocate interne de la banque en faveur de cette dernière, du moins jusqu’à ce qu’elle procède à une enquête plus approfondie aux termes de l’article 43. Cependant, en l’espèce, la Commission a tout de même voulu régler le conflit de cette façon. Ce faisant, elle doit s’être engagée dans un certain processus d’appréciation qui l’a amenée à favoriser le récit de l’avocate interne de la Banque, chose qu’elle ne peut pas faire. Au cours de l’enquête prévue à l’article 41, un processus d’appréciation semblable à celui dont il est question ici ne relève pas des devoirs de la Commission.

[17]  Ce n’est qu’après avoir mené l’enquête prévue à l’article 43 de la Loi ‒ par exemple, en interrogeant les employés de la Banque qui ont rappelé le prêt et en examinant si des motifs discriminatoires leur ont été signalés et s’ils se sont fondés sur ces motifs ‒ que la Commission peut apprécier la preuve pour déterminer si « un examen est justifié » : Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, au paragraphe 49. Cependant, même lors de l’enquête prévue à l’article 43 bien après l’étape où s’est rendue la Commission en l’espèce ‒ la Commission ne peut pas aller plus loin et « juger si la plainte est fondée » : Cooper, au paragraphe 53.

[18]  En l’espèce, la Commission ne s’était pas rendue aussi loin. Elle était seulement à l’étape de l’article 41.

[19]  Par conséquent, la décision de la Commission de rejeter la plainte de M. McIlvenna sur le fondement de l’article 41 est déraisonnable et doit être annulée.

Voir McIlvenna c La Banque de Nouvelle‑Écosse, 2014 CAF 203, 246 ACWS (3d) 159.

[5]  Lorsque l’affaire a été renvoyée à la Commission, une enquête a été entreprise. La Commission a de nouveau rejeté la plainte, agissant en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[6]  Encore une fois, M. McIlvenna a contesté avec succès la décision de la Commission. La décision du juge Keith Boswell dans McIlvenna c Banque de Nouvelle‑Écosse (Banque Scotia), 2017 CF 699, [2017] ACF no 728, examine en profondeur les éléments de preuve contextuels pertinents, qui n’ont pas besoin d’être répétés ici. Après avoir déterminé que l’enquête de la Commission était inadéquate et, par conséquent, inéquitable sur le plan procédural, le juge Boswell s’est demandé si la décision était raisonnable à la lumière de la preuve. Il a conclu qu’elle ne l’était pas pour les motifs suivants :

[51]  La décision de la Commission de souscrire à la recommandation de l’enquêteuse était déraisonnable, car, pour les motifs déjà énoncés, son rapport n’a pas suffisamment traité de la politique de la Banque sur les installations de culture de stupéfiants, pas plus qu’il n’a fait état en détail du contenu crucial et contradictoire des courriels de Mme Joliat. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley : « [l]orsqu’une enquête appropriée n’a pas été faite pour examiner la plainte, une décision de la Commission fondée sur cette enquête ne peut être raisonnable puisque le défaut découle de la preuve même utilisée par la Commission pour prendre sa décision » (par. 112).

[52]  Dans le cas qui nous occupe, la Commission était tenue de déterminer s’il y avait dans la preuve un fondement raisonnable pour procéder à un examen devant le Tribunal. La Commission avait pour tâche d’évaluer le caractère suffisant de la preuve (Keith, au par. 43). L’analyse de la Commission, comme en témoigne le rapport d’enquête, fait essentiellement abstraction de la preuve contenue dans les deux courriels de Mme Joliat, lesquels montrent que la Banque avait tenu compte du fait que le fils du demandeur avait l’intention d’utiliser la maison comme lieu de culture de stupéfiants quand elle a refusé d’augmenter la marge de crédit du demandeur et qu’elle a décidé de demander le remboursement du prêt hypothécaire. Ces courriels ajoutent également foi au récit qu’a fait le demandeur des commentaires faits par Mme Joliat lors de leur réunion, en juillet 2010. Malgré cette preuve, il a été conclu dans le rapport d’enquête que la preuve recueillie [traduction] « n’indique pas que l’intimée a demandé le remboursement du prêt hypothécaire du plaignant à cause de la déficience de son fils et de la forme particulière du traitement de cette déficience ». À tout le moins, ces courriels montrent que l’intention de Ryan McIlvenna de bâtir une [traduction] « installation de culture de stupéfiants “plus grande et améliorée” » a pu avoir joué dans la décision de la Banque.

[7]  La plainte de M. McIlvenna a une fois de plus été renvoyée à la Commission, et une enquête supplémentaire a été amorcée. L’enquêteuse affectée au dossier, Jennifer Huber, a recommandé que la plainte soit renvoyée devant le Tribunal pour que celui‑ci instruise la plainte, parce que [traduction] « […] la preuve donne à penser que l’intimée, dans la prestation de services bancaires, a peut‑être défavorisé le plaignant et sa famille en raison des circonstances liées aux déficiences de son fils et de sa belle‑fille ».

[8]  Le rapport d’enquête de Mme Huber a confirmé que M. McIlvenna et un agent de prêts de la Banque avaient tenu une première rencontre le 15 décembre 2009 pour discuter de la possibilité d’un financement additionnel pour la maison hypothéquée. Les parties ne s’entendent pas sur ce qui a été dit exactement lors de cette rencontre, mais M. McIlvenna a peut‑être retenu qu’un financement additionnel pour les rénovations proposées serait vraisemblablement accordé.

[9]  Selon le rapport d’enquête, lorsque M. McIlvenna est retourné à la Banque pour obtenir un financement additionnel, il a révélé que la maison avait été « éviscérée » par son fils. Cela semble avoir soulevé une préoccupation au sujet de la garantie hypothécaire de la Banque, et une évaluation a été demandée. C’est au cours de l’évaluation que l’utilisation de la maison pour cultiver de la marijuana a été découverte.

[10]  Le rapport de Mme Huber contient le résumé suivant de la preuve que des représentants de la Banque lui ont fournie au sujet de l’importance éventuelle de la culture de marijuana dans la décision de rappeler le prêt :

[traduction]

11. Estelle Joliat, (ancienne) gestionnaire des Collectivités à la succursale, affirme que la décision de rappeler l’hypothèque est venue du Centre d’expertise en autorisation et du Centre national de recouvrement. Elle déclare que, lorsqu’elle a rencontré le plaignant et son fils le 15 juillet 2010, la décision de rappeler l’hypothèque avait été prise. Mme Joliat déclare qu’au cours de la rencontre, elle a informé le plaignant que, si l’hypothèque était rappelée, c’était parce que les conditions de l’hypothèque n’avaient pas été respectées. Elle déclare qu’elle a mis l’accent sur le fait que l’usage de l’endroit n’était plus le même qu’au moment où l’hypothèque avait été approuvée : [traduction] « [L]’usage de la propriété avait changé. C’était une maison unifamiliale. Elle avait été défaite et n’était plus qu’une carcasse. »

12. En ce qui concerne ses discussions avec Debbie Walsh, du Centre d’expertise en autorisation (dont il est question dans son courriel de juillet 2010), Mme Joliat déclare que Mme Walsh n’a pas indiqué de quel « usage » elle parlait lorsqu’elle a dit que l’usage de la propriété avait changé et qu’il ne répondait plus aux conditions du prêt. Mme Joliat déclare toutefois ce qui suit : [traduction] « Je reviens au fait qu’il s’agissait d’une maison unifamiliale. Les conditions de la banque sont telles que vous devez aviser la banque si vous apportez des changements à la propriété. Vous ne pouvez pas simplement défaire la maison que la banque a en garantie pour une dette. »

13. Pour ce qui est de ses discussions avec Mme Walsh et de la [traduction] « politique officielle de la Banque sur les installations de culture de stupéfiants », Mme Joliat déclare que, lorsqu’elle a appris que la maison n’existait plus (ce n’était qu’une carcasse), elle a eu besoin de conseils. Mme Joliat dit que la circulaire de la direction est la seule chose qu’elle a trouvée, mais qu’elle ne s’appliquait pas vraiment. Elle explique que la politique s’appliquait lorsque la banque envisageait une hypothèque pour une propriété ayant déjà été une installation de culture de stupéfiants. Elle déclare qu’il ne s’agissait toutefois pas de la situation dans laquelle ils se trouvaient : [traduction] « [L]e détenteur d’une hypothèque existante nous a demandé un financement additionnel. » Elle déclare que lorsqu’elle a parlé à Mme Walsh et lui a dit ce que l’évaluateur avait trouvé (une carcasse de maison), Mme Walsh [traduction] « lui a probablement mentionné la circulaire ». Mme Joliat déclare toutefois qu’elle a simplement remis l’affaire à une autre personne, puisque ce n’est pas elle qui a pris la décision de rappeler l’hypothèque.

14. Mme Joliat a nié avoir informé le plaignant et son fils que [traduction] « la politique de la Banque interdisait la culture de marijuana dans une maison hypothéquée ». Elle nie également les avoir informés du fait que [traduction] « la Banque n’autoris[sait] pas la marijuana dans ses collectivités ». Elle déclare qu’elle n’a jamais rien dit au sujet de la marijuana.

15. Debbie Walsh, (ancienne) gestionnaire principale, Centre d’expertise en autorisation, déclare qu’elle était gestionnaire principale au moment de la demande de refinancement. Elle déclare qu’à première vue, la demande de financement additionnel du plaignant [traduction] « semblait acceptable », mais que l’évaluateur, après avoir visité la propriété, a indiqué que la maison était utilisée pour cultiver de la marijuana. Mme Walsh déclare que, selon la politique de l’époque, [traductionla Banque ne finançait pas les propriétés où de la marijuana était cultivée. La seule façon de procéder était si la maison était complètement remise en état. » Elle déclare que le fils du plaignant avait l’intention de continuer à cultiver de la marijuana dans la maison. Mme Walsh déclare que, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis les faits en question, elle ne se souvient pas précisément de ce qu’elle a dit à Mme Joliat. Cependant, elle déclare qu’elle aurait dit quelque chose du genre : [traduction] « La politique est très claire. Nous ne pourrions pas accorder un financement additionnel. Aucun financement additionnel. En raison de l’usage de la maison déclaré par l’évaluateur : cultiver de la marijuana. »

16. Mme Walsh ajoute que, lorsqu’elle a informé Mme Joliat du fait que [traduction] « l’usage de la propriété » ne répondait plus aux critères de prêt (dont il est fait mention dans le courriel de juillet 2010 de Mme Joliat), elle faisait référence à la culture de marijuana. Elle déclare : [traduction] « [P]arce que de la marijuana était cultivée, la propriété n’était pas admissible. Selon notre politique de l’époque, la maison devait être complètement remise en état. C’était donc cet usage : le fait que la maison était utilisée pour cultiver de la marijuana. »

17. Mme Walsh explique en outre que ce n’est pas le type de propriété qui convenait au portefeuille de la banque. Elle dit que la propriété présenterait des problèmes et serait difficile à vendre.

Analyse

18. Selon Mme Joliat, elle a axé ses discussions avec le plaignant et son fils sur le fait que la maison avait été défaite, ce qui contrevenait aux modalités de l’hypothèque. Mme Joliat confirme toutefois que ce n’est pas elle qui a pris la décision à l’époque, mais qu’elle avait plutôt renvoyé l’affaire au Centre d’expertise en autorisation pour décision.

19. Mme Walsh, gestionnaire principale, Centre d’expertise en autorisation, mentionne que, bien qu’elle n’ait pas eu le pouvoir de rappeler l’hypothèque, elle avait le pouvoir de refuser des prêts additionnels. Elle confirme que, selon la politique de l’époque, l’intimée ne finançait pas les maisons qui étaient utilisées pour cultiver de la marijuana. Elle confirme en outre que le nouvel [traduction] « usage de la propriété » (dont il est fait mention dans ses discussions avec Mme Joliat) était la culture de marijuana.

20. Dans sa décision, la Cour fédérale a fait de nombreux renvois aux courriels de Mme Joliat et elle a déclaré que les courriels « montrent que [l’intimée] avait tenu compte du fait que le fils du [plaignant] avait l’intention d’utiliser la propriété comme lieu de culture de stupéfiants quand elle a refusé d’augmenter la marge de crédit du [plaignant] » (paragraphe 52 de la décision).

21. La preuve de Mme Walsh démontre clairement que le fait que le fils cultive de la marijuana à des fins médicales a été un facteur dans la décision de l’intimée de rappeler l’hypothèque. Ainsi, la preuve donne à penser que l’intimée, dans la prestation de services bancaires, a peut‑être défavorisé le plaignant et sa famille en raison des circonstances liées aux déficiences de son fils et de sa belle‑fille. Par conséquent, une enquête plus approfondie sur la plainte est justifiée.

[11]  Mme Huber a envoyé son rapport à la Banque pour que cette dernière y réponde. La Banque semble alors avoir abandonné en grande partie sa position selon laquelle le prêt n’a été rappelé que parce que la maison avait été considérablement éviscérée, ce qui avait réduit la valeur de la garantie. La nouvelle position de la Banque a été énoncée dans une lettre du 18 juin 2018 :

[traduction]

Nous constatons que l’objet du rapport est de recueillir et d’examiner d’autres éléments de preuve afin de permettre de déterminer si l’intention de Ryan McIlvenna (le fils du plaignant) de bâtir une [traduction] « installation de culture de stupéfiants plus grande et améliorée » a pu être un facteur dans la décision de la Banque de rappeler le prêt hypothécaire. Selon les conclusions du rapport, il y a des éléments de preuve selon lesquels cela serait un facteur de la décision, et il est par conséquent recommandé que la plainte fasse l’objet d’une instruction. La Banque ne souscrit pas à cette conclusion et à cette recommandation pour les raisons qui suivent.

Raisons non discriminatoires

Le rapport fait référence aux observations de Debbie Walsh, ancienne gestionnaire principale au Centre d’expertise en autorisation (« CEA »). Le rapport met l’accent sur sa déclaration selon laquelle [traduction] « l’usage de la propriété » ne répondait plus aux critères de prêt de la Banque, parce que la propriété était utilisée pour cultiver de la marijuana. Son explication était toutefois plus étoffée. Elle a expliqué que la propriété présenterait des [traduction] « problèmes ». Comme il est mentionné clairement dans la politique de la Banque et dans la circulaire de la direction, les [traduction] « problèmes » ou les préoccupations étaient liés aux effets néfastes de la culture de marijuana sur l’intégrité structurelle du bâtiment et à la possibilité de contamination. Mme Walsh l’a confirmé lorsqu’elle a mentionné que la maison devrait être [traduction] « complètement remise en état ». Cette explication confirme que la décision de la Banque n’était pas attribuable au simple fait que de la marijuana était cultivée, mais aux effets de cette culture sur le bâtiment, et au préjudice causé relativement à la valeur nette pour la Banque. Ainsi, les raisons ayant motivé la décision de la Banque n’étaient clairement pas liées à la situation médicale du fils du plaignant.

Culture à des fins commerciales, et non médicales

Les rapports précédents faisaient référence à la preuve fournie par Ryan McIlvenna (le fils du plaignant). Il a confirmé qu’il voulait cultiver de la marijuana à des fins commerciales, et non pas pour ses propres besoins médicaux. Par exemple :

  Comme il est mentionné dans la lettre de l’évaluateur du 16 juillet 2010, il a dit à l’évaluateur qu’il avait un permis pour cultiver [traduction] « plus de 200 plants ». Il n’a jamais produit de copie de ce permis, et le nombre de plants qu’il prétend avoir été autorisé à cultiver dépasse de loin ce qui pourrait être nécessaire pour un usage médical individuel.

  Selon un courriel envoyé le 15 juillet 2010 par Estelle Joliat, ancienne gestionnaire de succursale, il lui a dit que [traduction] « le gouvernement l’autoris[ait] à “vendre” son produit à d’autres personnes, et qu’un investisseur est prêt à l’appuyer en lui accordant un financement de 280 millions de dollars ».

  Selon les notes d’enquête prises le 15 septembre 2015 (au cours de la deuxième enquête), il a dit à l’enquêteuse qu’il [traduction] « estim[ait] avoir perdu une entreprise de plusieurs millions de dollars et que cela a[vait] porté atteinte au droit d’un homme normal d’élever sa famille ».

La Banque soutient que la Commission devrait tenir compte de la preuve selon laquelle Ryan McIlvenna prévoyait faire de la propriété une installation de culture commerciale à but lucratif. Un tel usage va à l’encontre des modalités d’un prêt hypothécaire résidentiel. L’établissement d’une entreprise commerciale est une situation différente de celle d’une personne qui consomme de la marijuana à domicile à des fins médicales, voire qui en cultive pour sa consommation personnelle. La preuve d’une exploitation commerciale donne à penser qu’il y avait une raison non discriminatoire de rappeler l’hypothèque.

II.  La décision de la Commission

[12]  La Commission a rejeté la recommandation de Mme Huber et a rejeté la plainte de M. McIlvenna. Après avoir examiné l’historique de l’affaire, la Commission a conclu que la preuve n’établissait pas que la culture de marijuana à des fins médicales avait été un facteur dans la décision de la Banque de rappeler le prêt. La Commission a plutôt conclu que la décision [traduction« était au bout du compte attribuable au fait que le plaignant avait contrevenu aux conditions de l’hypothèque […] ainsi qu’à la perte de valeur de la garantie qui en avait résulté ».

[13]  L’examen de la preuve par la Commission fait clairement ressortir que cette dernière a accepté l’explication initiale que la Banque avait donnée pour avoir rappelé le prêt. Dans ses motifs, la Commission reconnaît l’existence de versions différentes au sujet de ce qui a été dit lors des rencontres entre les représentants de la Banque et M. McIlvenna, mais elle a au bout du compte retenu la version de la Banque. La Commission a particulièrement écarté la preuve fournie à Mme Huber par l’employée de la Banque Debbie Walsh au sujet de l’importance de la culture de marijuana dans la décision. Voici comment la Commission a apprécié cette preuve :

[traduction]

En ce qui concerne ce que Mme Walsh voulait dire par [traduction] « usage de la propriété », Mme Joliat a dit à l’enquêteuse que Mme Walsh n’avait pas indiqué de quel « usage » elle parlait, mais qu’elle (Mme Joliat) avait compris que, selon les modalités du prêt hypothécaire, les clients devaient informer l’intimée lorsqu’ils apportaient des changements à la propriété, et que [traduction] « vous ne pouvez pas simplement défaire la maison que la banque a en garantie d’une dette » (deuxième rapport d’enquête, au par. 12). Mme Walsh a été interrogée par l’enquêteuse. Elle a déclaré que, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis les faits en question, elle ne se souvenait pas précisément de ce qu’elle avait dit à Mme Joliat. Elle a toutefois dit à l’enquêteuse que l’intimée [traduction] « ne finançait pas les propriétés où de la marijuana était cultivée, [sauf si] la maison était complètement remise en état, et que, dans de tels cas, elle aurait dit quelque chose du genre [traduction] « Nous ne pourrions pas accorder un financement additionnel. Aucun financement additionnel. En raison de l’usage de la maison déclaré par l’évaluateur : cultiver de la marijuana. » Mme Walsh a ajouté ce qui suit :

[traduction]

[...] lorsqu’elle a informé Mme Joliat du fait que [traduction] « l’usage de la propriété » ne répondait plus aux critères de prêt (dont il est fait mention dans le courriel de juillet 2010 de Mme Joliat), elle faisait référence à la culture de marijuana. Elle déclare : [traduction] « [P]arce que de la marijuana était cultivée, la propriété n’était pas admissible. Selon notre politique de l’époque, la maison devait être complètement remise en état. C’était donc cet usage : le fait que la maison était utilisée pour cultiver de la marijuana. »

La Commission accorde peu de poids à la déclaration de Mme Walsh, et ce, pour deux raisons. Premièrement, de son propre aveu, Mme Walsh ne se souvient pas de ce qu’elle a dit à Mme Joliat au sujet de ce cas précis. Deuxièmement, il n’est pas clair de quelle « politique » parle Mme Walsh; l’intimée déclare que, à toutes les époques pertinentes, elle [traduction] « n’avait pas de politique concernant le financement hypothécaire de propriétés résidentielles dont l’usage existant ou futur était la production de marijuana à des fins médicales […] la politique porte sur le financement hypothécaire de [traduction] “propriétés résidentielles ayant déjà été utilisées pour la production de substances illégales” » (deuxième rapport d’enquête, au par. 7).

L’intimée a fourni à la Commission une copie de sa politique sur [traduction] « les propriétés ayant déjà été utilisées pour la production de substances illégales ». Après examen de la politique, il semble que celle‑ci n’ait aucune incidence sur la présente affaire, car elle est clairement censée s’appliquer au financement initial de propriétés dont on sait qu’elles ont déjà été utilisées comme installations de culture de marijuana. Le tout premier paragraphe de la politique énonce ce qui suit :

[traduction]

La Banque devrait éviter dans toute la mesure du possible de fournir du financement hypothécaire résidentiel pour des propriétés connues comme ayant déjà été utilisées comme installations de culture de marijuana ou comme laboratoires clandestins produisant des drogues illicites comme la méthamphétamine (c.‑à‑d. la méthamphétamine en cristaux), la cocaïne et l’ecstasy. Des exceptions ne peuvent être envisagées par le LDC que dans les situations qui répondent à toutes les exigences suivantes :

[...]

  Le prêt est demandé pour l’achat de la propriété, et le demandeur occupera la propriété comme résidence principale à titre de propriétaire.

La politique ne s’appliquait donc pas à la maison en question. Premièrement, il ne s’agissait pas du financement initial d’une propriété, parce que l’hypothèque avait déjà été approuvée, et la maison appartenait déjà au plaignant. Deuxièmement, la question en litige n’était pas que la maison avait [traduction] « déjà » été utilisée pour la production de [traduction] « substances illicites »; la question en litige était l’usage courant de la propriété, une fois la maison financée, et son effet sur la valeur de la garantie détenue par l’intimée. Ainsi, toute référence à la [traduction] « politique » par Mme Walsh, ou par Mme Joliat à la rencontre du 15 juillet 2010 avec le plaignant et son fils, ne peut avoir été faite qu’à des fins d’information seulement, puisque la politique n’a eu aucune incidence sur la décision de l’intimée de rappeler l’hypothèque.

En résumé, à l’exception des déclarations du plaignant et de son fils, aucun élément de preuve n’appuie l’affirmation du plaignant selon laquelle l’intimée a décidé de rappeler son hypothèque parce que la maison était utilisée spécifiquement pour la culture de marijuana à des fins médicales. La preuve montre plutôt que l’intimée était préoccupée par une violation importante des conditions de l’hypothèque, ainsi que par la perte de valeur de sa garantie. Le simple fait que l’intimée savait que la maison était utilisée et avait été transformée pour la culture de la marijuana à des fins médicales ne suffit pas, selon la Commission, pour conclure que c’était un facteur dans sa décision.

[Non souligné dans l’original.]

[14]  La Commission a ensuite rejeté la plainte au motif subsidiaire que M. McIlvenna n’avait pas informé la Banque de ses intentions et de la nécessité de mesures d’adaptation. La conduite de M. McIlvenna est critiquée, parce qu’il est loin d’avoir respecté les devoirs et obligations qu’il aurait eus envers la Banque. Pour cet aspect de sa décision, la Commission a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

Essentiellement, le plaignant a mis l’intimée devant un fait accompli; lorsque l’intimée a découvert que la propriété avait subi d’importants changements structurels pour héberger une installation de culture de marijuana de qualité commerciale à des fins médicales, la propriété avait déjà perdu de sa valeur, et rien ne garantissait qu’elle reprendrait un jour cette valeur. Le plaignant n’a jamais donné à l’intimée une occasion valable de répondre aux besoins de son fils et de sa belle‑fille, puisqu’il n’a jamais communiqué ces besoins à l’intimée. Le plaignant et son fils ont plutôt entrepris les travaux à l’insu de l’intimée, manquant aussi totalement à leurs obligations contractuelles. Ainsi, il est clair que le plaignant n’a pas participé de façon significative au processus d’adaptation.

Aux yeux de la Commission, la présente plainte relative aux droits de la personne semble être une tentative de la part du plaignant de justifier ses manquements contractuels ex post facto, une fois qu’il en a subi les conséquences. Le fait de demander une enquête plus approfondie ne contribuerait pas à l’atteinte des objectifs de la LCDP.

III.  Analyse

[15]  La portée des pouvoirs de la Commission visés au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi est assez bien établie. Le sous-alinéa permet à la Commission de rejeter une plainte à l’étape de l’examen préliminaire si elle est convaincue « que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié ». Il est également bien établi en droit que, relativement à l’exercice de ce pouvoir, il faut faire preuve de déférence envers la Commission : voir Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commmission), 2012 CSC 10, au par. 40, [2012] 1 RCS 364, et Joshi c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2014 CF 552, au par. 54, 242 ACWS (3d) 155.

[16]  Dans Tutty c Canada (Procureur général), 2011 CF 57, 197 ACWS (3d) 189, j’ai décrit le rôle de la Commission agissant au titre de l’article 44 de la façon suivante :

[12] L’examen préalable auquel procède la Commission en vertu de l’article 4 de la Loi a été comparé au rôle du juge qui effectue une enquête préliminaire. La Cour suprême du Canada décrit ce rôle comme suit au paragraphe 53 de l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 DLR (4th) 193 :

53 La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899 :

L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous‑jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante.

[Non souligné dans l’original.]

[13] Pour procéder à l’examen préalable des plaintes, la Commission s’appuie sur le travail de l’enquêteur qui généralement interroge des témoins et examine la preuve documentaire au dossier. Lorsque la Commission rend une décision qui va dans le sens de la recommandation de son enquêteur, le rapport de l’enquêteur est considéré comme faisant partie des motifs de la Commission : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 37.

[14] Comme il l’a été noté dans la jurisprudence précitée, la décision de la Commission de rejeter ou de renvoyer une plainte requiert qu’elle apprécie la preuve afin de déterminer si elle est suffisante pour justifier une audience sur le fond. C’est cet élément du processus qui exige la retenue judiciaire. La retenue judiciaire n’est pas requise, toutefois, dans le contexte du contrôle de l’équité du processus, notamment en ce qui a trait à la rigueur de l’enquête. Pour de telles questions, la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte.

[17]  Je reconnais que l’exercice du pouvoir de la Commission en matière d’examen préalable exige inévitablement une certaine appréciation de la preuve recueillie par son enquêteur. Cela dit, la Commission n’a pas le pouvoir de décider si une plainte est fondée sur le fond ou d’apprécier la preuve selon la prépondérance des probabilités. En effet, dans Dupuis c Canada (Procureur général), 2010 CF 511, au par. 12, 190 ACWS (3d) 1193, le juge Luc Martineau a déclaré que les questions de crédibilité étaient normalement laissées à l’appréciation du Tribunal. Il a également fait observer au paragraphe 13 que le rejet d’une plainte sans audience « est lourd de conséquences pour la présumée victime d’acte discriminatoire ». J’ajouterais que le rejet d’une plainte par la Commission à la suite d’une recommandation contraire, fondée sur la preuve, faite par un enquêteur mérite un examen minutieux par une cour de révision.

[18]  En l’espèce, la Commission a conclu que le fils de M. McIlvenna avait apporté d’importants changements structurels à la propriété pour [traduction« héberger une installation de culture de marijuana de qualité commerciale à des fins médicales ». Cette conclusion s’appuyait sur certaines déclarations attribuées au fils de M. McIlvenna par l’évaluateur et les représentants de la Banque. Si la propriété devait être utilisée à une telle fin, la Banque aurait eu une solide raison commerciale de rappeler le prêt. Un tel usage était, du moins implicitement, contraire à la politique de financement de la Banque, qui était fondée sur une évaluation raisonnable des risques associés aux installations de culture de marijuana à grande échelle.

[19]  Le problème que pose cet aspect de la décision de la Commission est que la preuve concernant l’usage des lieux pour la culture de marijuana à des fins commerciales a été contestée par M. McIlvenna. L’étendue du désaccord est décrite dans une lettre que l’avocat de M. McIlvenna a adressée à Mme Huber en réponse aux observations précédentes de la Banque. La lettre contredisait la position de la Banque de la façon suivante :

[traduction]
Troisièmement, la Banque prétend à tort que les déclarations de Ryan McIlvenna concernant l’incidence financière de la discrimination faite par la Banque donnent à penser qu’il avait l’intention de cultiver de la marijuana dans la maison à des fins commerciales, et non à des fins médicales. Les déclarations de Ryan McIlvenna, qui sont dénaturées par la Banque, concernaient plutôt le financement d’autres entreprises commerciales, qui ne pouvaient pas aller de l’avant lorsque lui et sa famille ont perdu la capacité de se constituer une valeur nette avec leur maison. Par exemple, après que l’intimée a rappelé le prêt hypothécaire, les McIlvenna ne pouvaient plus obtenir de financement pour une ferme aquaponique. Ryan McIlvenna n’a jamais eu l’intention d’utiliser sa maison pour la culture de marijuana à des fins commerciales, et il ne l’a pas laissé entendre. De plus, la Banque ne fournit rien pour appuyer son affirmation selon laquelle le nombre de plants qu’il a été autorisé à cultiver dépasse de loin ce qui pourrait être jugé nécessaire par Santé Canada pour un usage personnel, et la Banque n’a jamais demandé une copie du permis de Ryan McIlvenna ou de celui de Stacey Holmes délivrés par Santé Canada. La Banque a plutôt décidé de rappeler immédiatement le prêt hypothécaire, en se fondant sur la simple présence de marijuana sur la propriété, tout en prétendant se fonder sur une violation de la convention hypothécaire.

[20]  De toute évidence, la Commission n’était pas en mesure de résoudre ce différend sur le plan de la preuve, et elle a ainsi outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 44.

[21]  Un problème semblable découle de la conclusion de la Commission selon laquelle M. McIlvenna avait imposé un fait accompli en divulguant ses rénovations seulement après coup. La Commission a jugé que ces rénovations avaient été effectuées à l’insu de la Banque, le plaignant et son fils [traduction« manquant aussi totalement à leurs obligations contractuelles ». Cette conclusion est déraisonnable, parce qu’elle ne tient pas compte de la preuve présentée par M. McIlvenna selon laquelle il a rencontré les représentants de la Banque avant le début des rénovations pour discuter des options de financement. Le rapport de Mme Huber contenait également des éléments de preuve provenant de la Banque selon lesquels deux rencontres préliminaires avaient bel et bien eu lieu en décembre 2009 (voir la page 441 du dossier du demandeur, vol. II). En outre, l’avocat de M. McIlvenna a présenté un exposé factuel très différent de la conclusion de la Commission selon laquelle la Banque ignorait ce qui était prévu pour la propriété :

[traduction]
10. Premièrement, les déclarations de Robert et Ryan McIlvenna ainsi que celles de Sharon Lavallee, agente principale des services bancaires personnels, présentent des incohérences. Comme l’enquêteuse le fait remarquer, Robert McIlvenna soutient que, à la rencontre initiale du 10 décembre 2009, sa femme et lui ont été amenés à croire qu’ils devraient réaliser 40 p. 100 du projet avant de demander un financement additionnel de la Banque. Mme Lavallee a d’ailleurs dit aux McIlvenna que, s’ils ajoutaient des capitaux provenant de leurs propres sources, elle ne voyait pas de problème à ce qu’ils obtiennent un prêt pour terminer les travaux de construction, puisque les deux parents tireraient profit du partenariat. Jocelyn McIlvenna, qui n’a pas encore été interviewée, soutient qu’il était clair pour tout le monde présent à la rencontre que les McIlvenna entreprendraient les rénovations et reviendraient pour demander du financement lorsque les travaux seraient achevés à 40 p. 100. C’est pourquoi la Banque a demandé et a reçu le nom du constructeur que les McIlvenna avaient l’intention d’engager.

11. La proposition de la Banque selon laquelle elle a été surprise par le fait que des rénovations avaient été entreprises ne cadre pas avec le fait que Ryan McIlvenna avait fourni une description écrite du projet à la Banque, y compris les plans, qui ont par la suite été fournis par la Banque à l’évaluateur (voir par. 37). Cela ne cadre pas non plus avec le fait que les McIlvenna avaient compris des propos de Mme Lavallee que l’approbation des 60 p. 100 restants serait une [traduction] « formalité », compte tenu de leurs revenus et de leur expérience antérieure en matière de rénovations importantes. La compréhension qu’avaient les McIlvenna cadre également avec le document que la Banque leur avait remis en décembre 2009, dans lequel la Banque décrivait comment elle évaluerait le pourcentage achevé du projet, ainsi qu’avec la conclusion de l’évaluateur selon laquelle le projet était terminé à 40 p. 100, au moment où la demande de fonds additionnels avait été présentée. C’est d’ailleurs pour cette raison – y compris pour faire évaluer la maison – que les McIlvenna étaient retournés à la Banque en juin 2010, et non pas, comme le déclare Mme Lavallee, parce qu’ils étaient à court de fonds.

[22]  Malgré cet élément de preuve indiquant que la Banque était au courant des rénovations prévues, la Commission a conclu que M. McIlvenna avait délibérément violé les conditions de l’hypothèque en mettant la Banque devant un fait accompli. La décision de la Commission ne fait aucunement mention de la preuve de M. McIlvenna, et il se peut qu’il n’en ait pas été tenu compte; mais, de toute façon, il s’agissait d’une question importante en matière de crédibilité que la Commission n’avait pas le pouvoir, et n’était pas en mesure, de résoudre.

[23]  La décision de la Commission est entachée d’une autre erreur susceptible de contrôle. La Commission a mal interprété et a écarté de façon déraisonnable la preuve fournie par Mme Walsh à Mme Huber. Mme Walsh aurait dit à Mme Huber que la demande de financement additionnel de M. McIlvenna semblait acceptable, jusqu’à ce qu’elle apprenne la présence de marijuana sur la propriété. À ce moment‑là, et compte tenu de la politique de la Banque en matière de marijuana, Mme Walsh a refusé d’avancer d’autres fonds. Contrairement à l’interprétation de la Commission, la déclaration de Mme Walsh était très claire quant à la politique qu’elle appliquait. Elle a peut‑être mal compris la politique de la Banque sur les installations de culture de stupéfiants, mais elle ne doutait pas qu’il fallait l’appliquer. Compte tenu de cette déclaration, il n’est pas surprenant que la Banque, dans ses observations finales à Mme Huber, ait reconnu que la décision était fondée sur l’usage proposé de la propriété pour la culture de la marijuana à des fins commerciales et n’ait fait aucune mention de l’état de la propriété. Il n’était pas loisible à la Commission de régler cette question sur le fond à l’étape de l’examen préalable. Il s’agissait d’une conclusion fondée sur la crédibilité qui outrepassait de loin le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l’article 44 et, pire encore, il s’agissait d’une conclusion qui allait à l’encontre de la preuve fournie par Mme Walsh à Mme Huber.

[24]  Comme il a été déclaré dans les précédents cités ci‑dessus, la décision de la Commission en l’espèce va bien au‑delà des limites fixées par l’article 44 de la Loi pour ce qui est de l’examen préalable des plaintes. La décision est donc infirmée.

[25]  M. McIlvenna demande également que sa plainte soit renvoyée directement au Tribunal. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une des rares situations où la Cour doit ordonner à la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal. La plainte de M. McIlvenna est entre les mains de la Commission depuis près d’une décennie. Pendant cette période, la Commission a rejeté sommairement la plainte à trois reprises pour, essentiellement, le même motif. Malgré plusieurs désaccords importants entre les parties sur le plan de la preuve, désaccords que la Commission n’avait ni la capacité ni l’autorité de régler, elle a voulu le faire à plusieurs reprises. Pour des raisons qui n’ont pas été exprimées, il est évident que la Commission n’aime pas cette plainte et veut s’en débarrasser. À mon avis, la Commission s’est montrée inapte à trancher la présente affaire, de sorte que la Cour doit maintenant lui ordonner d’agir : voir Giguère c Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 1, au par. 65, [2004] 1 RCS 3.

[26]  Il me semble aussi qu’il n’y a rien à gagner à renvoyer la plainte à la Commission pour qu’elle procède à un nouvel examen. Le juge Boswell a refusé de renvoyer la plainte au Tribunal parce que l’enquête de la Commission était inadéquate. Or, ce n’est pas la situation dont je suis saisi. Mme Huber a effectué une enquête approfondie et elle a recommandé, comme il se devait, que l’affaire soit renvoyée au Tribunal pour qu’il règle les contradictions dégagées dans la preuve. À la lumière de ces contradictions contenues dans ce qui est maintenant un dossier volumineux et compte tenu du pouvoir très limité de la Commission d’apprécier la preuve, aucune raison ne justifie de retarder davantage l’inévitable.

[27]  Les présents motifs ne doivent toutefois aucunement être interprétés comme appuyant le bien‑fondé de la plainte de M. McIlvenna. Compte tenu des contradictions dans la preuve, l’issue de l’affaire demeure incertaine.

[28]  Il s’agit également d’une situation appropriée pour adjuger des dépens sur une base d’indemnisation substantielle. La Cour adjuge au demandeur les dépens, payables à soixante-quinze pour cent des honoraires avocat‑client, ainsi qu’une indemnité complète pour ses débours raisonnables.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1783‑18

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, et que la décision de la Commission est infirmée.

LA COUR STATUE EN OUTRE que la Commission doit renvoyer la plainte sous‑jacente au Tribunal, y compris la question en suspens de l’absence de qualité du plaignant pour déposer la plainte.

LA COUR STATUE EN OUTRE que les dépens sont adjugés au demandeur, payables à soixante-quinze pour cent des honoraires avocat‑client, et une indemnité complète pour ses débours raisonnables lui est également adjugée.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de janvier 2020

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1783‑18

 

INTITULÉ :

ROBERT MCILVENNA c BANQUE DE NOUVELLE‑ÉCOSSE (BANQUE SCOTIA)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 17 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Andrew Astritis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

George G. Vuicic

Jason Mercier

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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