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Date : 20191218


Dossiers : IMM‑5108‑18

IMM‑5109‑18

Référence : 2019 CF 1628

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Gascon

Dossier : IMM‑5108‑18

ENTRE :

CARLITO BENITO

demandeur

et

LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

Dossier : IMM‑5109‑18

ET ENTRE :

CHARLES BENITO

demandeur

et

LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [le CRCIC] enquête sur des allégations voulant que M. Carlito Benito [Carlito] et ses fils, M. Charles Benito [Charles] et M. Carl Mark Benito, des consultants en immigration, aient aidé des clients à rester illégalement au Canada.

[2]  Le CRCIC est l’organisme réglementant les personnes qui, moyennant paiement, offrent des conseils ou des services de représentation dans des affaires d’immigration au Canada et qui ne tombent autrement sous aucun règlement du fait de leur adhésion à un barreau provincial ou à la Chambre des notaires du Québec. Le CRCIC ayant été désigné par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] aux termes du paragraphe 91(5) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], les membres en règle de cette organisation peuvent représenter ou conseiller des clients dans des affaires qui relèvent de cette loi. S’agissant d’une organisation fédérale à but non lucratif, le CRCIC est régi par la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, LC 2009, c 23 [la Loi sur les OBNL].

[3]  Le 2 octobre 2018, le Comité de discipline du CRCIC [le Comité de discipline] a accordé une requête urgente déposée par le CRCIC pour que soit provisoirement suspendu le droit des Benito d’agir en qualité de consultants en immigration [la décision], en attendant la fin de l’enquête sur leurs activités présumées et la tenue d’une audience sur le fond devant un jury du Comité de discipline.

[4]  Carlito et Charles [collectivement désignés comme les demandeurs] sollicitent à présent, dans des demandes distinctes, le contrôle judiciaire de cette décision interlocutoire du CRCIC. Ils affirment que le jury, composé d’un seul membre, qui a rendu la décision n’était pas légalement constitué au titre de l’article 158 de la Loi sur les OBNL, qu’il est contraire à cette loi qu’un membre du Comité de discipline n’occupe pas un poste d’administrateur et qu’un jury composé d’un seul membre ne peut trancher une affaire disciplinaire au titre de la Loi sur les OBNL. Ils soutiennent également que la requête en suspension urgente, sous‑jacente à la décision, était prématurée. Ils soutiennent aussi que la procédure disciplinaire du CRCIC contrevient à la justice naturelle au titre de la common law, ou à la justice fondamentale aux termes de l’alinéa 2(e) de la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44 [la Déclaration des droits] ou de l’article 7 de la Charte canadienne des droits de la personne, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (R.‑U.), 1982, c 11 [Charte]. Ils demandent à la Cour de rejeter la décision du Comité de discipline.

[5]  En réponse, le CRCIC fait valoir que les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs doivent être rejetées parce qu’elles sont prématurées, attendu que le processus administratif disciplinaire devant le Comité de discipline est toujours en cours et qu’il ne s’est donc pas encore terminé. Le CRCIC nie aussi que le jury, composé d’un seul membre, ait été constitué de manière irrégulière aux termes de la Loi sur les OBNL. Il maintient que la requête urgente a été présentée devant le Comité de discipline conformément aux règles et règlements administratifs applicables. Le CRCIC ajoute en outre que le processus suivi pour rendre la décision n’a contrevenu à aucun principe de la justice naturelle ou de la justice fondamentale et que les demandeurs ont bénéficié d’un processus équitable. Pour sa part, le ministre soutient simplement qu’il ne devrait plus figurer comme partie défenderesse dans la présente instance.

[6]  Les principales questions que la Cour est appelée à trancher relativement aux présentes demandes de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. Les demandes en l’espèce sont‑elles prématurées ?

  2. Le fait que le jury du Comité de discipline était composé d’un seul membre qui n’occupait pas un poste d’administrateur au sein de l’organisation était‑il contraire à la Loi sur les OBNL ?

  3. La requête urgente en suspension provisoire était‑elle prématurée ?

  4. La procédure disciplinaire du CRCIC était‑elle contraire à la justice naturelle ou à la justice fondamentale ?

[7]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterai les demandes. Premièrement, je conviens avec le CRCIC que les demandes sont prématurées, considérant que le processus devant le Comité est en cours et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, la Cour ne devrait pas intervenir dans un processus administratif en cours tant que celui‑ci n’est pas terminé. Ce motif suffirait en soi à rejeter les deux demandes. Par ailleurs, je conclus qu’aux termes de la Loi sur les OBNL, le jury du Comité de discipline peut être composé d’un seul membre qui n’occupe pas un poste d’administrateur au sein de l’organisme. Je suis également convaincu que la requête urgente en suspension provisoire n’était pas prématurée. Enfin, je ne relève aucune atteinte à la justice fondamentale ou à l’équité procédurale dans le processus disciplinaire du CRCIC à l’origine de la décision. Par conséquent, rien ne justifie l’intervention de la Cour.

II.  Contexte

A.  Le contexte factuel

[8]  Le CRCIC a intenté des procédures disciplinaires contre les demandeurs en raison d’allégations voulant que les trois membres de la famille Benito aient été mêlés à un stratagème illégal en matière d’immigration. Disons, pour décrire le stratagème brièvement, que les demandeurs transféraient de grosses sommes d’argent (jusqu’à 20 000 $) dans le compte bancaire de leurs clients afin de prouver aux autorités de l’immigration que ces derniers disposaient de fonds suffisants pour vivre et étudier au Canada, conformément à l’article 220 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et obtenir un permis d’étude. Après réception des documents nécessaires attestant que l’argent se trouvait dans leur compte, les clients retransféraient, souvent le même jour, l’argent aux demandeurs, moyennant une contrepartie financière. Dans le cadre de ce stratagème, les clients des demandeurs soumettaient une demande d’inscription à l’Academy of Learning en Alberta. Aucun de leurs 54 clients ayant obtenu des permis d’étude n’a fréquenté cette école. De plus, il est également allégué que les demandeurs ont employé des étrangers qui n’avaient pas de permis de travail.

[9]  Entre août 2016 et juin 2018, trois plaintes visant les demandeurs ont été reçues par le CRCIC. Les deux premières émanaient de clients ayant signalé un stratagème semblable à celui décrit précédemment. La troisième a été déposée par une autre consultante en immigration pour le compte de l’un de ses clients, lequel avait tenté d’obtenir l’aide des demandeurs relativement à un rapport d’interdiction de territoire établi au titre du paragraphe 44(1). Les demandeurs n’ont pas répondu à ses nombreuses demandes de renseignements, et le client n’a pas réussi à les joindre pour obtenir les renseignements généraux nécessaires.

[10]  Le 24 août 2018, le registraire du CRCIC a délivré un avis de requête urgente en suspension provisoire [la requête urgente], à retourner au Comité de discipline le 14 septembre 2018. Cette requête urgente, qui désignait les deux demandeurs ainsi que M. Carl Mark Benito, visait la suspension de leur statut de membre au motif qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le maintien de leur inscription en tant que membres du CRCIC était susceptible de causer du tort à un membre du public ou serait susceptible de saper la confiance du public envers la profession et l’organisme chargé de sa réglementation.

[11]  Le 14 septembre 2018, les parties ont comparu devant un jury du Comité de discipline composé d’un seul membre qui a accepté de reporter la procédure jusqu’à ce que l’avocat de Charles puisse participer à l’instance. Cependant, le jury a rendu une ordonnance de suspension « provisoire provisoire », qui devait prendre effet le 18 septembre 2018 et demeurer en vigueur jusqu’à la date à laquelle il entendrait la requête urgente.

[12]  Le 14 septembre 2018, les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relativement à l’ordonnance « provisoire provisoire ». Le 17 septembre suivant, ils ont également déposé une requête en injonctions pour que soit suspendue l’ordonnance « provisoire provisoire » en attendant que leur demande de contrôle judiciaire soit tranchée, et que le Comité de discipline ne puisse pas poursuivre l’instance le 2 octobre 2018, date à laquelle il était appelé à entendre la requête urgente du CRCIC en suspension provisoire du droit des demandeurs d’agir en qualité de consultants en immigration. Le 20 septembre 2018, la Cour a entendu la requête en injonctions et l’a rejetée de vive voix à l’audience, en indiquant qu’elle publierait ses motifs ultérieurement. Dans les motifs publiés le 24 septembre 2018 (Benito c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada), IMM‑4540‑18, 24 septembre 2018 [Benito]), le juge Annis a reconnu que la Cour était compétente à l’égard de l’affaire, compte tenu de l’arrêt Zaidi c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CAF 116 [Zaidi] et de Watto c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CF 890. Cependant, la Cour a estimé que le processus administratif était en cours et qu’elle devait attendre de disposer d’un dossier suffisamment détaillé afin de statuer convenablement sur les questions soulevées par les demandeurs.

[13]  Le 2 octobre 2018, le Comité de discipline s’est de nouveau réuni pour examiner la requête urgente, et a rendu la décision visée par les présentes demandes de contrôle judiciaire.

B.  La décision du CRCIC

[14]  Le 22 novembre 2018, le Comité de discipline a fourni les motifs de la décision.

[15]  Après avoir examiné les observations des parties, le membre du jury a déterminé, aux termes du sous‑alinéa 10.1iv) des Règles de procédure du Comité de discipline du CRCIC [les Règles du Comité], que les demandeurs semblaient s’être adonnés à une inconduite grave susceptible de causer du tort à des clients actuels ou éventuels ou au public en général. Pour parvenir à cette conclusion, le membre du jury a jugé déterminants les cinq facteurs suivants :

[traduction]
1.
La preuve était convaincante, compte tenu des allégations portées contre le membre, qui équivalent à des motifs raisonnables.

2. La preuve est crédible, même s’il s’agit de ouï‑dire, étant donné que la source est fiable. Cette information a été fournie par les tribunaux, après enquête d’un agent de la paix qui est une personne occupant une position d’autorité et une source crédible.

3. Le membre a contrevenu à l’ordonnance du 14 septembre 2018. De son propre aveu, il n’a pas directement communiqué à ses clients qu’il avait été suspendu par le CRCIC, alors que sa demande de report avait en partie été accueillie à cette fin. Par ailleurs, il n’a pas soumis au CRCIC un nouveau Formulaire de désignation d’un représentant autorisé ou d’une personne de confiance dans le délai prescrit par l’ordonnance.

4. En l’espèce, le CRCIC a agi sans retard et dans un délai raisonnable.

5. Certains éléments de preuve antérieurs à l’article publié par CBC Edmonton rapportent des renseignements semblables.

III.  Analyse

A.  Le caractère prématuré des demandes

[16]  À titre préliminaire, le CRCIC fait valoir que les demandeurs n’ont pas épuisé tous les autres recours disponibles devant le décideur administratif, attendu qu’ils auraient pu, aux termes de l’article 33.1 du Règlement administratif 2017‑1 du CRCIC [Règlement], interjeter appel de leur suspension provisoire devant le Comité d’appel du CRCIC dans les 30 jours de la réception de la décision. De plus, l’enquête et l’instance disciplinaire se rapportant à leurs activités alléguées se poursuivent et ne sont pas encore terminées. Par conséquent, d’affirmer le CRCIC, les demandeurs n’ont pas épuisé tous les droits dont ils pouvaient se prévaloir au titre du processus administratif avant d’intenter leur recours devant les tribunaux, et la Cour doit donc refuser d’entendre leurs demandes de contrôle judiciaire (Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 [CB Powell]).

[17]  Je suis d’accord avec le CRCIC et je conclus, dans les circonstances, que les demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées car elles sont prématurées.

[18]  Le principe qui proscrit toute intervention judiciaire dans les instances administratives en cours, à moins de « circonstances exceptionnelles », est bien établi. Essentiellement, il suppose que le processus administratif doit être terminé avant qu’un demandeur puisse solliciter une mesure de réparation devant les tribunaux et demander à un juge des requêtes d’interrompre ce processus (Okojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 880, par. 46). Je ne vois rien de mieux à faire que de reproduire les passages de l’arrêt CB Powell, dans lesquels la Cour d’appel fédérale [la CAF] résume habilement, aux paragraphes 30 à 33, le raisonnement qui sous‑tend ce principe dans le contexte des contrôles judiciaires :

[30]  En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. L’importance de ce principe en droit administratif canadien est bien illustrée par le grand nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême du Canada sur ce point : […].

[31]  La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[32]  On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif […]. De plus, ce n’est qu’à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire […]. Enfin, cette façon de voir s’accorde avec le concept du respect des tribunaux judiciaires envers les décideurs administratifs qui, au même titre que les juges, doivent s’acquitter de certaines responsabilités décisionnelles […].

[33]  Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non‑ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». Il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur cette exception, puisque les parties au présent appel ne prétendent pas qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui permettraient un recours anticipé aux tribunaux judiciaires. Qu’il suffise de dire qu’il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’« exceptionnelles » et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé […].Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle‑ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces […]. [L]’existence de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux.

[Non souligné dans l’original, renvois omis.]

[19]  Ce principe de retenue judiciaire à l’égard des procédures administratives en cours ou en instance est régulièrement reconnu par les tribunaux. Lorsque la loi prévoit un processus administratif consistant en une série de décisions et de réparations, ce processus doit, en l’absence de circonstances exceptionnelles, être suivi jusqu’au bout avant que les tribunaux puissent être priés d’intervenir. Les parties doivent épuiser tous les recours adéquats en réparation si c’est aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice que le législateur a accordé le pouvoir de rendre des décisions : « […] à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés » (CB Powell, au par. 31). Par conséquent, les demandeurs ne peuvent contourner le processus établi dans les procédures disciplinaires du CRCIC en présentant une demande de contrôle judiciaire (Halifax (Regional Municipality) c Nova Scotia (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au par. 51 ; Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Conseil du Trésor), 205 FTR 270, 2001 CFPI 568 (CanLII), au par. 65, conf. par. 2002 CAF 239).

[20]  En l’espèce, les demandeurs auraient dû recourir au mécanisme interne d’appel dont ils pouvaient se prévaloir ainsi qu’au processus disciplinaire du CRCIC. Leur défaut de le faire suffit à trancher les présentes demandes de contrôle judiciaire. J’ajouterais que d’autres raisons, fondées sur leur conduite antérieure, appuient le refus d’examiner les demandes en question. Carlito a déjà déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et intenté une requête en injonction interlocutoire devant la Cour pour contester sa suspension « provisoire provisoire », laquelle a été rejetée par le juge Annis car elle était prématurée (Benito, aux par. 21 et 22). Sa tendance à s’adresser à la Cour sans avoir épuisé les mécanismes internes d’appel est le type de comportement que l’arrêt CB Powell décourage.

[21]  Les demandeurs soutiennent que la Cour devrait néanmoins permettre que leurs demandes de contrôle judiciaire puissent aller de l’avant. Ils font valoir que les questions qu’ils soulèvent [traduction] « concernent l’existence même » et la légalité du tribunal administratif, que la Cour pourrait conclure que le Comité de discipline n’est pas compétent, ou que le processus disciplinaire contrevient aux règles de la justice naturelle. Ils affirment en outre que dans un cas comme dans l’autre, l’instruction du contrôle judiciaire à ce moment‑ci permettrait peut‑être aux parties d’économiser beaucoup de temps et d’argent. Toujours d’après eux, leur cas relève du type de « circonstances exceptionnelles » envisagées dans l’arrêt CB Powell. Je ne suis pas convaincu par ces arguments. Je crois plutôt que la situation présente n’a rien à voir avec les circonstances exceptionnelles définies par la CAF dans l’arrêt CB Powell, lesquelles auraient pu justifier l’intervention de la Cour à ce stade. Je remarque que les décisions invoquées par les demandeurs sont antérieures à l’arrêt CB Powell ou qu’elles ont été rendues obsolètes par celui‑ci.

[22]  Je reconnais que la doctrine de l’épuisement des recours administratifs envisage certaines exceptions. Cependant, la gamme des situations permettant d’écarter la règle générale est restreinte et le critère suivant lequel des circonstances données peuvent être qualifiées d’exceptionnelles est strict (CB Powell, au par. 33). De telles circonstances pourraient se présenter dans de très rares décisions, où un tribunal accorde un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant ou après le début du processus administratif. Inversement, le fait qu’une question juridique importante soit en jeu ou que des préoccupations quant à l’équité procédurale soient soulevées ne permet pas à la Cour d’élargir la portée de l’exception à la règle proscrivant le contrôle judiciaire des décisions administratives interlocutoires (CB Powell, au par. 33 ; Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 683, au par. 35). De plus, les contestations fondées sur des motifs liés à la compétence n’ouvrent pas la porte à des recours anticipés devant les tribunaux (CB Powell, aux par. 39 et 40) :

[39]  Lorsque des motifs « de compétence » sont invoqués ou qu’une décision « en matière de compétence » a été rendue, un plaideur peut‑il s’adresser aux tribunaux pour cette seule raison? En d’autres termes, l’existence d’une question « de compétence » constitue‑t‑elle en soi une circonstance exceptionnelle qui permet à une partie d’introduire une demande de contrôle judiciaire avant que le processus administratif ne soit complété?

[40]  À mon avis, la réponse à ces questions est négative. Une réponse affirmative aurait pour effet de faire revivre une méthode qui a été écartée il y a longtemps.

[23]  En l’espèce, comme dans l’arrêt CB Powell, un processus administratif disciplinaire se déroule devant le CRCIC, et il doit être suivi jusqu’à son terme, à moins de circonstances exceptionnelles. Dans ce processus administratif, le législateur a confié le pouvoir décisionnel au CRCIC et à divers dirigeants administratifs, et non aux tribunaux. En l’absence de circonstances extraordinaires, qui n’existent pas en l’espèce, les parties doivent épuiser leurs droits et recours au titre de ce processus administratif avant d’intenter un recours devant les tribunaux, même en ce qui touche les questions dites « de compétence », liées au pouvoir d’agir du Comité de discipline ou les préoccupations en matière d’équité procédurale. Pour tous ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées en raison de leur caractère prématuré, étant donné qu’il faut s’en tenir au processus administratif ordinaire prévu par les règles et règlements administratifs du CRCIC, et non que la Cour substitue sa compétence à celle du Comité de discipline.

[24]  Par souci d’exhaustivité, j’examinerai néanmoins le bien-fondé des arguments présentés par les demandeurs à l’appui de leurs demandes de contrôle judiciaire. Pour les motifs expliqués ci‑après, je ne suis convaincu par aucun d’eux.

B.  L’article 158 et composition du jury

[25]  Les demandeurs font d’abord valoir qu’aux termes de l’article 158 de la Loi sur les OBNL, le Comité de discipline ne peut être composé d’une personne n’ayant pas un statut de membre ou d’administrateur au sein de l’organisation, attendu qu’une simple lecture de la disposition ne révèle aucun pouvoir disciplinaire accordé aux non‑membres. Les demandeurs notent que, même si cette disposition ressemble à celles contenues dans des lois provinciales réglementant des organisations à but non lucratif, ils n’ont pu trouver aucune décision dans laquelle l’article 158 est interprété. Ils font valoir en outre que le terme « comité » au sens de cet article désigne habituellement un groupe d’individus et ne peut se limiter à un seul membre. Comme le membre en question a tranché la requête urgente toute seule, les demandeurs soutiennent que l’organisme disciplinaire était contraire à la Loi sur les OBNL et que la décision est invalide.

[26]  Je ne suis pas persuadé par les arguments des demandeurs ; je suis plutôt convaincu que le Comité de discipline n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a rendu la décision et qu’il était validement constitué. L’article 158 de la Loi sur les OBNL se lit comme suit :

Les statuts ou les règlements administratifs peuvent autoriser le conseil d’administration, les membres ou un comité du conseil ou des membres à prendre, contre un membre, des mesures disciplinaires allant jusqu’à son exclusion. Le cas échéant, ils prévoient également les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables.

The articles or by-laws may provide that the directors, the members or any committee of directors or members of a corporation have power to discipline a member or to terminate their membership. If the articles or by-laws provide for such a power, they shall set out the circumstances and the manner in which that power may be exercised.

[27]  Aux termes de l’article 158 de la Loi sur les OBNL, le CRCIC peut donc adopter des règlements administratifs qui confèrent le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre des membres de l’organisation et prévoient les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables. De plus, l’article 158 prévoit expressément que les administrateurs et les membres ont le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un autre membre.

[28]  À mon avis, il ne fait aucun doute que la composition du jury aux fins de l’audition relative à la suspension provisoire et à la décision était conforme au cadre réglementaire applicable. Selon une simple lecture de l’article 158 de la Loi sur les OBNL, le CRCIC a le droit d’adopter des règlements prévoyant la prise de mesures disciplinaires contre ses membres. C’est précisément ce qu’il a fait. Le CRCIC a exercé ce pouvoir en adoptant le Règlement administratif, qui a été approuvé par les membres en novembre 2017. Comme l’a récemment déclaré la Cour dans la décision Watto c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2019 CF 1024 [Watto 2], « [t]ant et aussi longtemps qu’une organisation qui choisit d’adopter des statuts ou des règlements administratifs prévoyant le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre des membres énonce dans ses règlements “les circonstances justifiant la prise de telles mesures et les modalités applicables”, l’article 158 de la LCOBNL est respecté » (Watto 2, au par. 41).

[29]  L’article 31.7 du Règlement administratif confère au Comité de discipline le pouvoir d’ordonner des suspensions provisoires « [e]n tout temps », si elles sont nécessaires à la protection du public. Cette disposition prévoit expressément que la personne visée par une plainte doit se voir offrir une juste possibilité d’exposer les motifs pour lesquelles elle s’oppose à une demande de suspension provisoire. L’alinéa 47.1 j) du Règlement administratif établit en outre que les membres du Comité de discipline ne peuvent siéger comme administrateurs. En d’autres mots, le CRCIC a décidé que ses administrateurs ne peuvent siéger comme membres du Comité de discipline ; inversement, il s’ensuit que les non‑administrateurs peuvent être membres de ce comité. Aussi, l’article 31.5 du Règlement administratif confère au Comité de discipline le pouvoir d’adopter des règles de procédure régissant ses instances disciplinaires. Le Comité de discipline a exercé ce pouvoir lorsqu’il a adopté les Règles du Comité. Plus précisément, au sujet de la composition du Comité de discipline, l’article 11.2 des Règles en question prévoit expressément qu’un seul membre du Comité peut être saisi « aux fins de l’audition de la requête urgente et […] rendre une décision à cet égard, tant sur le plan des formalités procédurales que sur le fond d’une telle requête ».

[30]  En l’espèce, le membre du Comité de discipline ayant entendu et tranché la requête urgente n’occupait pas un poste d’administrateur et elle pouvait entendre l’affaire toute seule aux termes de l’article 11.2 des Règles adoptées par le Comité de discipline.

[31]  Il doit également être noté que la Cour a déjà conclu que des non‑membres du CRCIC peuvent siéger à un jury du Comité de discipline aux termes de l’article 158 de la Loi sur les OBNL. Dans Watto 2, le juge Norris a par ailleurs conclu que le Comité de discipline avait eu raison de conclure que le législateur ne souhaitait pas imposer une composition particulière de ce comité (Watto 2, par. 29 à 42).

[32]  Comme l’ont correctement fait valoir toutes les parties, les règles élémentaires d’interprétation législative exigent que les termes d’une loi soient lus « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au par. 21 ; voir aussi Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, au par. 23, et Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, au par. 26). En l’espèce, j’estime que ces outils d’interprétation législative — le sens ordinaire et grammatical des mots, le contexte législatif et l’intention du législateur — amènent inexorablement à la conclusion selon laquelle l’article 158 de la Loi sur les OBNL, ainsi que les Règles et le Règlement administratif du Comité adoptés subséquemment, autorisaient le jury du Comité de discipline composé d’un seul membre à instruire et à trancher la requête urgente et à rendre la décision. Par ailleurs, comme l’a fait remarquer le CRCIC, le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑ 21 prévoit que « [l]e pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Donc, contrairement ce que font valoir les demandeurs, le principe d’interprétation en question permet d’envisager que les « membres » dont il est question à l’article 158 de la Loi sur les OBNL désignent également un « membre ». Il permet également d’envisager que le CRCIC adopte des règles et des règlements administratifs, comme il l’a fait en l’espèce avec l’article 31.7 du Règlement administratif et l’article 11.2 des Règles du Comité, accordant à une seule personne le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre un membre dans le cadre d’une requête urgente.

C.  Le caractère prématuré de la requête urgente

[33]  Le deuxième argument des demandeurs à l’appui de leurs demandes de contrôle judiciaire est celui selon lequel la requête urgente à l’origine de la décision était prématurée et qu’une ordonnance provisoire urgente telle que celle rendue dans le cadre de la décision ne peut être accordée que lorsque l’audition d’une plainte est en cours.

[34]  Je ne suis pas d’accord. Aucun des arguments avancés par les demandeurs ne me convainc que le Comité de discipline ne pouvait pas être saisi de la requête urgente en octobre 2018. Contrairement à ce qu’ils soutiennent, il n’est pas nécessaire, pour qu’une audience soit tenue aux termes de l’article 31.7 du Règlement administratif, que l’enquête ait été achevée ou que le Comité des plaintes ait formellement renvoyé une plainte devant le Comité de discipline. Par ailleurs, les demandeurs n’ont cité à la Cour ni précédent ni source contraignante qui appuieraient une telle interprétation. L’article 31.7 précise simplement que le Comité de discipline peut, « [e]n tout temps », ordonner la suspension d’un membre ou lui imposer des restrictions « en attendant le résultat de l’audience sur le bien-fondé de la plainte », s’il est convaincu que le refus d’accorder l’ordonnance peut occasionner un préjudice au public et si la personne visée par la plainte s’est vue offrir une juste possibilité de s’opposer à la demande. Il suffit donc qu’une plainte ait été faite. En l’espèce, les demandeurs sont visés par trois plaintes en cours, qui ont été citées dans la décision. Par ailleurs, ils se sont vu offrir l’entière possibilité d’expliquer pourquoi ils contestent la requête urgente et la preuve soumise par le CRCIC. Il n’est nulle part mentionné ou insinué dans le Règlement administratif qu’une audience doit être pendante. Après une simple lecture de l’article 31.7 du Règlement administratif, je n’ai aucune hésitation à conclure que la requête urgente n’était pas prématurée.

[35]  Une simple lecture de la disposition concorde également avec l’objectif clair de l’article, qui est de protéger le public contre le préjudice que pourrait occasionner le fait d’autoriser un membre du CRCIC à continuer d’offrir des services jusqu’à ce que le processus disciplinaire et les plaintes aboutissent. En l’espèce, je conviens avec le CRCIC que la requête en suspension était opportune, compte tenu de la gravité des allégations portées contre les demandeurs.

D.  La violation de la justice naturelle

[36]  Enfin, les demandeurs font valoir que les procédures disciplinaires prévues par le Règlement administratif du CRCIC contreviennent à leur droit à la justice naturelle en ce qu’elles n’autorisent aucune garantie procédurale, comme le droit de citer une personne à comparaître, de contre‑interroger un témoin, ou de forcer la production de preuve. Ils affirment en outre qu’aucune disposition de la Loi sur les OBNL n’autorise un consultant à violer le secret professionnel de l’avocat pour se défendre dans le cadre d’une instance disciplinaire et qu’à cet égard, les procédures disciplinaires les empêchent d’opposer une défense pleine et entière aux accusations portées contre eux. Ils ajoutent, dans leur mémoire des arguments supplémentaires, que la Loi sur les OBNL contrevient à la justice naturelle, car elle ne protège pas le [traduction] « privilège lié aux avis juridiques » applicable selon eux aux communications entre les consultants en immigration et leurs clients durant lesquelles les premiers fournissent aux seconds des avis juridiques concernant la LIPR et la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑ 29. À l’appui du privilège qu’ils invoquent, les demandeurs citent la jurisprudence de diverses cours provinciales, la définition du terme fourni par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Descoteaux et al c Mierzwinski, [1982] 1 RCS 860, ainsi que celle figurant dans divers dictionnaires.

[37]  Encore une fois, je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs.

[38]  Il convient de rappeler que les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Comité de discipline a prononcé une suspension provisoire. Les arguments qu’ils avancent en matière d’équité procédurale ne peuvent que se rapporter au processus ayant abouti à cette décision. Dans la mesure où les demandeurs contestent des atteintes hypothétiques à l’équité procédurale qui pourraient ou non survenir à un autre stade du processus disciplinaire ou ultérieurement durant l’instance du Comité de discipline sur le fond, leurs arguments ne peuvent, à ce stade, être acceptés.

[39]  Lorsque des questions se posent quant à savoir si un décideur administratif s’est acquitté de son obligation d’agir équitablement, ou qu’une atteinte à la justice fondamentale est invoquée, la cour de révision doit vérifier si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, au par. 14 ; Canadian Airport Workers Union c International Association of Machinists and Aerospace Workers, 2019 CAF 263, aux par. 24 et 25 ; Perez c Hull, 2019 CAF 238, au par. 18 ; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CP], au par. 54). Cette évaluation comprend notamment les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux par. 23 à 27. Le tribunal de révision qui entreprend cette démarche est appelé à se demander « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CP, au par. 54).

[40]  La question de savoir si une décision est équitable sur le plan procédural doit être tranchée au cas par cas. Il est bien reconnu que les exigences découlant de l’obligation d’équité procédurale sont « éminemment variable[s] » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 79) et « ne réside[nt] pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, au par. 53). La nature et la portée de l’obligation varieront en fonction du contexte précis, des situations factuelles variées dont sera saisi le décideur administratif ainsi que de la nature des litiges qu’il sera appelé à résoudre (Baker, aux par. 23 à 27 ; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au par. 115). Comme l’a éloquemment déclaré la CAF dans l’arrêt CP, « [p]eu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre » (CP, au par. 56).

[41]  Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire met en jeu l’équité procédurale et que des atteintes à la justice fondamentale sont alléguées, la véritable question qui se pose est de savoir si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances en jeu, le processus suivi par le décideur était équitable et s’il accordait aux parties le droit d’être entendues, la possibilité de connaître la preuve à réfuter et celle d’y répondre (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, aux par. 51 à 54).

[42]  Je ne relève aucune atteinte à l’équité procédurale dans la manière dont le processus disciplinaire ayant abouti à la décision a été géré. Le code d’éthique professionnel du CRIC reconnaît expressément le droit d’un membre « [de] se défendre contre des allégations pesant sur lui dans une cour ou un tribunal administratif (y compris dans le cadre de toute procédure disciplinaire du CRCIC) ». Par ailleurs, l’article 31.7 du Règlement administratif énonce différentes garanties procédurales, notamment la possibilité pour les demandeurs de présenter des observations. En fait, ces derniers se sont prévalus de cette possibilité en l’espèce et ont même contre‑interrogé l’enquêteur principal qui a témoigné à l’appui de la suspension provisoire. Je ferais remarquer en outre qu’aux fins de la requête urgente, les demandeurs n’ont pas demandé au jury du Comité de discipline d’exercer quelque pouvoir que ce soit pour forcer des témoins à déposer, obtenir des documents ou des éléments de preuve ou ordonner un contre‑interrogatoire. De même, aucune question de privilège liée aux avis juridiques ne s’est posée durant le processus ayant abouti à la décision.

[43]  Je suis convaincu que les garanties procédurales mises en place dans le cadre de la décision et du processus suivi par le Comité de discipline à l’égard de la requête urgente étaient amplement suffisantes pour que les demandeurs bénéficient du haut degré d’équité procédurale auquel ils avaient droit. Je ne suis pas convaincu que le Comité de discipline ait contrevenu à des principes d’équité procédurale ou de justice naturelle. Au contraire, les demandeurs ont bénéficié d’un processus juste et équitable et je conclus qu’ils connaissaient la preuve à réfuter et qu’ils ont eu la possibilité entière et équitable d’y répondre. Après avoir examiné la décision et les observations des demandeurs, j’estime que ces derniers n’ont pas été en mesure d’expliquer en quoi leur droit à la justice naturelle ou à l’équité procédurale a été bafoué durant l’audition de la requête en suspension provisoire ayant abouti à la décision. Je souligne que les demandeurs n’ont offert au jury du Comité de discipline aucun élément de preuve pour contrer ou réfuter les allégations soulevées par le CRCIC à l’égard de leurs activités. Je note en outre qu’ils n’ont pas, durant l’audition de la requête urgente, demandé à ce que des témoins non membres soient cités à comparaître ni à ce que la production de documents soit ordonnée. De plus, ils n’ont déposé aucune preuve devant le Comité de discipline à l’appui de leurs arguments fondés sur la Déclaration des droits ou la Charte.

[44]  Les tribunaux de révision n’évaluent pas les questions d’équité procédurale dans le vide, et il est déplacé, à ce moment‑ci, d’envisager des violations hypothétiques à l’équité procédurale ou à la justice fondamentale risquant de survenir lors de l’audience sur le fond qui se déroulera devant le Comité de discipline. Si de telles questions finissent par se poser, les demandeurs devront d’abord les soulever devant le jury qui instruit leur affaire. Si ce jury leur refuse les garanties procédurales qu’ils jugent nécessaires pour pouvoir présenter une défense pleine et entière contre les allégations, ils auront la possibilité de solliciter alors le contrôle judiciaire de la décision en question, et disposeront d’un dossier complet à l’appui de cette demande. Il vaut la peine de citer les commentaires formulés par le juge Noël sur la question dans Girouard c Canada (Procureur général), 2017 CF 449 :

[42]  Tel que vu ci‑haut, la jurisprudence se rapportant à la prématurité et l’exception des circonstances exceptionnelles est claire : les questions de partialité, de compétence, d’équité procédurale, et constitutionnelles ne doivent pas être posées dans un vide factuel, sans preuve déterminante au soutien ; elles ne justifient pas une intervention judiciaire. Le paragraphe 33 de l’arrêt Powell est sans ambiguïté :

[33]  […] Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces […].

[45]  J’aborderai maintenant brièvement l’argument des demandeurs concernant le privilège lié aux avis juridiques ou au secret professionnel de l’avocat, qui a été essentiellement formé dans leur exposé des arguments supplémentaires de juillet 2019 ainsi qu’à l’audience devant la Cour. Les demandeurs font essentiellement valoir que le privilège lié aux avis juridiques ou au secret professionnel de l’avocat s’étend aux consultants en immigration au titre de la common law et qu’en omettant de le reconnaître, le processus disciplinaire du CRCIC contrevient à la justice fondamentale.

[46]  Je conviens avec le CRCIC qu’il ne s’agit pas d’une question que la Cour devrait examiner et trancher à ce moment‑ci, et ce pour une raison très simple : le privilège lié aux avis juridiques des consultants en immigration n’était pas en cause dans le cadre de la requête urgente. En outre, il n’est pas non plus entré en ligne de compte dans la décision du Comité de discipline. Je reconnais que les demandeurs ont soulevé, quoique brièvement, la question dans leurs autres observations écrites soumises à la Cour à l’appui de leurs demandes de contrôle judiciaire. Cependant, la question de l’applicabilité du privilège lié aux avis juridiques à des renseignements divulgués par un client à un consultant en immigration ne s’est pas posée dans le cadre de la requête urgente ou de la décision. En termes de preuve, le Comité de discipline a seulement examiné celle fournie par Mme Natalie Wruck, enquêtrice du CRCIC, pour suspendre provisoirement les demandeurs. Ces derniers n’ont invoqué aucun privilège lié aux avis juridiques devant le Comité de discipline, et ne l’ont mentionné que de manière hypothétique. Au moment de la requête urgente, le CRCIC n’a ni demandé ni exigé la production de communications dont les demandeurs alléguaient qu’elles étaient protégées par le privilège lié aux avis juridiques, et ceux‑ci n’ont pas prétendu s’appuyer sur ces communications. Il n’y a aucun document en litige à l’égard duquel les demandeurs ou leurs clients invoquent un tel privilège. Les questions soulevées par les demandeurs à l’égard du privilège lié aux avis juridiques sont donc purement théoriques et hypothétiques. Dans les circonstances, il serait déplacé pour la Cour, en l’absence d’un dossier suffisant, de se prononcer, comme le demandent les demandeurs, sur l’existence ou l’inexistence d’un privilège lié aux avis juridiques pour les consultants en immigration, et de rendre une décision à savoir si une telle chose pourrait constituer une atteinte à la justice fondamentale ou à l’équité procédurale. Cette question pourrait peut‑être se poser ultérieurement durant le processus disciplinaire qui se déroulera devant le Comité de discipline, si les demandeurs invoquent effectivement le privilège allégué, mais ce n’est pas le cas ici à l’égard de la requête urgente et de la décision.

[47]  En bref, les demandeurs soulèvent une question dont n’était pas saisi le Comité de discipline, et qui n’a donc pas été évoquée dans la décision. Suivant la règle générale, les nouvelles questions qui auraient pu être soulevées devant le décideur administratif ne doivent pas être examinées lors du contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], aux par. 22 à 26; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 [Forest Ethics], aux par. 37 à 47).

E.  Le ministre à titre de partie

[48]  Le ministre demande à être mis hors de cause relativement aux demandes de contrôle judiciaire et ne prend pas position sur le fond ou l’issue de la présente affaire. Les demandeurs ne contestent pas la demande du ministre.

[49]  Le ministre avance trois arguments principaux à l’appui de sa demande en vue d’être mis hors de cause. Premièrement, il soutient qu’aux termes de l’alinéa 104(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], la Cour a le pouvoir discrétionnaire de mettre hors de cause les parties dont la présence n’est pas nécessaire. Deuxièmement, il soutient qu’il n’a rien à apporter aux présentes demandes, qui concernent exclusivement une décision du Comité de discipline du CRCIC, un organisme autonome de réglementation. Troisièmement, il affirme que de toute façon, le défendeur approprié, le CRCIC, est déjà partie à l’affaire et se défend activement.

[50]  Le ministre soutient dans ses observations écrites et orales que, malgré la décision du juge Norris de ne pas mettre le ministre hors de cause dans Watto 2, la Cour doit faire droit à sa demande en ce sens, au titre de l’alinéa 104(1)a) des Règles (Watto 2, aux par. 12 à 18). D’après lui, cette disposition doit régir la mise hors de cause de toute partie dont la présence n’est pas nécessaire, et la décision rendue dans Watto 2 peut être écartée au motif que l’alinéa 104(1)a) et la jurisprudence antérieure de la Cour s’y rapportant (par exemple Hall c Dakota Tipi Indian Band, [2000] 4 CNLR 108, 2000 CanLII 14944 (CF) [Hall] et Sivak c Canada, 2012 CF 272 [Sivak]) n’ont pas été expressément pris en compte dans les motifs du juge Norris.

[51]  Suivant mon examen du dossier et des circonstances de la présente affaire, et compte tenu du libellé de l’alinéa 104(1)a) des Règles, je suis convaincu que le ministre peut être mis hors de cause en l’espèce. L’alinéa 104(1)a), tel qu’il a été interprété par la Cour, autorise la mise hors de cause du ministre, à laquelle ni les demandeurs ni le CRCIC se sont opposés. Toutes les parties reconnaissent que le ministre a uniquement été désigné comme partie en raison de l’alinéa 5(2)b) des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Aux termes de cette disposition, le défendeur d’une demande d’autorisation est, « lorsqu’il s’agit d’une mesure visée par la [LIPR], tout ministre chargé de l’application de cette loi à l’égard de la mesure visée par l’autorisation recherchée », sauf dans le cas où il est lui‑même le demandeur.

[52]  Dans Watto 2, le juge Norris a déclaré qu’il ne voyait pas comment contourner cette règle, étant donné que la demande de contrôle judiciaire est une procédure visée par la LIPR, qui est la source du mandat confié au CRCIC de réglementer les consultants en immigration, comme l’avait indiqué la CAF dans l’arrêt Zaidi. Le juge Norris a reconnu que la participation du ministre était clairement dépourvue de pertinence aux fins du contrôle judiciaire dans ce contexte, mais que seules des modifications législatives pouvaient corriger cette situation qui laissait à désirer (Watto 2, par. 17). Cependant, comme l’a respectueusement fait valoir le ministre durant son plaidoyer oral, ni l’alinéa 104(1)a) des Règles, ni les motifs dans Sivak et Hall n’ont été mentionnés par le juge Norris dans ses motifs de la décision Watto 2. Dans Hall, le juge Pelletier a ordonné que le ministre désigné à titre de partie soit mis hors de cause, étant donné que le demandeur ne lui réclamait aucune mesure de réparation (Hall, aux par. 7 et 8). De même, dans Sivak, le juge Russell a ordonné la mise hors de cause du ministre des Affaires étrangères en s’appuyant sur l’alinéa 104(1)a) des Règles, et a jugé infondé l’argument du demandeur selon lequel le ministre lui avait causé un préjudice en ne s’acquittant pas de son obligation de surveillance des ambassades et des missions étrangères.

[53]  En l’espèce, je conviens avec le ministre qu’il est une « personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n’est pas nécessaire » au sens de l’alinéa 104(1)a) des Règles et qu’il ne serait d’aucune assistance à la Cour durant le contrôle judiciaire. Dans les circonstances, je suis convaincu que la situation peut être distinguée de celle qui prévalait dans Watto 2 et qu’il est dans l’intérêt de l’économie judiciaire, du pragmatisme et de l’équité que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire au titre de l’alinéa 104(1)a) des Règles et ordonne la mise hors de cause du ministre des présentes demandes de contrôle judiciaire. Le CRCIC est le défendeur approprié en l’espèce et a d’ailleurs opposé une défense vigoureuse aux demandes de contrôle judiciaire intentées par les demandeurs.

F.  L’avis de question constitutionnelle

[54]  Peu avant l’audience devant la Cour, les demandeurs ont envoyé un avis de question constitutionnelle concernant l’applicabilité constitutionnelle ou l’effet de (i) l’article 158 de la Loi sur les OBNL et (ii) des règles et règlements administratifs du CRCIC en ce qui touche les procédures disciplinaires intentées contre ses membres. Les demandeurs ont indiqué qu’ils avaient l’intention de solliciter des mesures de réparation aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits, à savoir une déclaration portant que ces dispositions suppriment, restreignent ou enfreignent leurs droits et libertés au titre de la Déclaration des droits et qu’elles devraient donc être déclarées inopérantes à leur égard. L’applicabilité constitutionnelle ou l’effet de ces différentes dispositions n’a pas été soulevé devant le jury du Comité de discipline.

[55]  Comme je l’ai déjà mentionné, et comme le déclarait la Cour dans Watto 2, la règle générale proscrit l’examen, lors du contrôle judiciaire, de nouvelles questions qui auraient pu être soulevées devant le décideur administratif (Alberta Teachers, aux par. 22 à 26 ; Forest Ethics, aux par. 37 à 47 ; Watto 2, au par. 10). Cela est notablement le cas des enjeux constitutionnels et des questions liées à la Charte (Forest Ethics, aux par. 37, 46). En l’espèce, les demandeurs auraient pu soulever leurs questions constitutionnelles devant le Comité de discipline, mais ils ne l’ont pas fait. Si ces questions avaient été soulevées, le Comité de discipline aurait pu recevoir des éléments de preuve s’y rapportant.

[56]  Dans l’arrêt Alberta Teachers, la CSC a noté qu’un tribunal de révision jouit du pouvoir discrétionnaire d’examiner une question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire, mais qu’il peut refuser de le faire lorsqu’un tel exercice serait inapproprié. La règle générale est la suivante : « dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée [devant le décideur administratif], mais qu’elle ne l’a pas été » (Alberta Teachers, au par. 23). À l’appui de cette conclusion, la CSC a invoqué dans ses motifs la fonction du décideur administratif qui établit les faits et statue sur le fond, son appréciation des considérations politiques, ainsi que le préjudice éventuel aux autres parties (Alberta Teachers, aux par. 23 à 26 ; Forest Ethics, au par. 57).

[57]  Je ne vois aucune raison, et les demandeurs ne m’en ont fourni aucune, de m’écarter ici de la règle générale. J’estime qu’il serait inconvenant que je décide, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, d’examiner les questions constitutionnelles soulevées par les demandeurs pour la première fois lors du contrôle judiciaire et je refuse donc de le faire (Forest Ethics, aux par. 53 à 57).

IV.  Les questions aux fins de certification

[58]  Après l’audience devant la Cour, les demandeurs m’ont demandé de certifier au moins l’une des questions suivantes :

1. Les affaires disciplinaires peuvent‑elles, aux termes de l’article 158 de la Loi sur les OBNL, être tranchées par un jury composé d’une seule personne, qu’il s’agisse d’un administrateur ou d’un membre de l’organisation ?

2. Le processus disciplinaire prévu dans la Loi sur les OBNL ainsi que dans les règles et règlements administratifs du CRCIC, contrevient‑il à la justice naturelle et est‑il, plus particulièrement, conforme à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ?

3. Les membres du CRCIC sont‑ils des « avocats » au titre de la common law pour les besoins de la protection du privilège lié aux avis juridiques (ou au secret professionnel de l’avocat) ?

4. Faut‑il, avant de solliciter le contrôle d’une décision rendue par un tribunal qui n’est pas créé par la loi, soulever devant lui les questions de compétence ultra vires de sa loi constitutive ou renvoyant à une violation de la Déclaration canadienne des droits ?

[59]  Pour les motifs qui suivent, aucune des questions proposées ne rencontre, à mon avis, les exigences de certification élaborées par la CAF.

[60]  Aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR, une question peut être certifiée par la Cour si « l’affaire soulève une question grave de portée générale ». Pour être certifiée, une question doit être grave et (i) déterminante quant à l’issue de l’appel, (ii) transcender les intérêts des parties au litige, et (iii) porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale : (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au par. 46 ; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au par. 36 ; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 [Mudrak], aux par. 15 et 16 ; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 [Zhang], au par. 9). Par déduction, la question doit avoir été examinée par la Cour et elle doit découler de l’affaire (Mudrak, au par. 16 ; Zhang, au par. 9 ; Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, au par. 29).

[61]  À mon sens, aucune des questions ne remplit le critère, étant donné qu’il ne s’agit pas de questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et qu’elles ne sont pas déterminantes quant à l’issue de l’affaire. Par ailleurs, je conviens avec le CRCIC que la Cour doit rejeter les questions que les demandeurs proposent aux fins de la certification, attendu qu’elles n’ont pas été soumises au Comité de discipline saisi de l’affaire à l’origine des présentes demandes de contrôle judiciaire. Comme je l’ai déjà indiqué, il est bien établi qu’une cour de révision ne doit pas, lors du contrôle judiciaire, examiner des questions que le décideur administratif n’a pas été appelé à examiner et à trancher. Le droit à cet égard est bien établi et ne se prête pas à la certification de questions.

[62]  Je remarque que, dans la décision Watto c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2019 CF 1085 [Watto 3], le juge Norris a refusé de certifier les deux questions soumises par M. Watto concernant la légalité de la composition du jury dans son dossier et l’interprétation de l’article 158 de la Loi sur les OBNL. Les deux questions proposées portaient sur la question de savoir si l’article 158 autorisait des personnes non membres du CRCIC à siéger à un jury. Le juge Norris a notablement conclu que la question plus large, similaire à la première citée précédemment, était en fait de la nature « d’un renvoi concernant le sens de l’article 158 de la [Loi sur les OBNL], ce qui n’est pas permis au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR » (Watto 3, au par. 12). Le même raisonnement s’applique à l’égard des questions formulées en termes généraux que les demandeurs souhaitent faire certifier en l’espèce.

[63]  Aucune des questions proposées ne serait déterminante quant à l’issue de l’appel, étant donné qu’elles dépassent le cadre de la décision et concernent des sujets qui n’ont été ni examinés ni tranchés par le Comité de discipline dans la décision en question. Par exemple, la deuxième question concerne l’ensemble du processus disciplinaire du CRCIC, par opposition à celui suivi dans la requête urgente à l’origine de la décision. Comme je l’ai déjà indiqué, je ne relève aucune atteinte à l’équité procédurale ou à la justice fondamentale, compte tenu de la preuve qui m’a été présentée à l’égard de la requête urgente et de la décision. Dans la même veine, la troisième question, celle à savoir si le privilège lié aux avis juridiques ou au secret professionnel de l’avocat devrait s’étendre aux membres du CRCIC, est une question purement hypothétique qui n’était pas en jeu devant le Comité de discipline et qui ne devrait pas être examinée par la Cour dans le contexte des présentes demandes de contrôle judiciaire. Quant à la quatrième question, je suis convaincu que la CAF y a déjà répondu dans l’arrêt CB Powell lorsqu’elle a abordé les questions de compétence et l’obligation de les soulever devant le décideur administratif (CB Powell, par. 39 et 40).

V.  Conclusion

[64]  Pour les motifs détaillés précédemment, les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs sont rejetées. Premièrement, les demandes sont prématurées étant donné que le processus est en cours devant le Comité de discipline et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne justifie que la Cour intervienne dans ce processus qui doit s’achever. Par ailleurs, je conclus qu’aux termes de la Loi sur les OBNL, un jury du Comité de discipline peut être composé d’un seul membre qui n’occupe pas un poste d’administrateur au sein du CRCIC. Je suis également convaincu que la requête urgente n’était pas prématurée, compte tenu du libellé exprès du règlement. Enfin, je ne constate aucune atteinte à la justice fondamentale ou à l’équité procédurale dans le processus disciplinaire du CRCIC à l’origine de la décision. Par conséquent, aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour.

[65]  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans les dossiers IMM‑5108‑18 et IMM‑5109‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

  2. L’intitulé de la cause est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, désigné à titre de défendeur, soit mis hors de cause.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de janvier 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

IMM‑5108‑18

 

INTITULÉ :

CARLITO BENITO c LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

 

ET DOSSIER :

IMM‑5109‑18

 

INTITULÉ :

CHARLES BENITO c LE CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 août 2019

 

JUGEMENT ET motiFS :

Le juge GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

William Macintosh

 

Pour les demandeurs

 

Robert Staley

Ian Thompson

 

pour le défendeur

CRCIC

Banafsheh Sokhansanj

 

pour le ministre de la

Citoyenneté et de l’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macintosh Law

Sechelt (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

CRCIC

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le ministre de la

Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

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