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Date : 20030313

Dossier : T-294-03

Référence neutre : 2003 CFPI 302

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2003

En présence de Madame le juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                      LA PREMIÈRE NATION DU LAC WATERHEN

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                       MICHELLE ERNEST, LEONARD VINCENT,

                                       DONALD MARTELL, JOANNE MARTELL et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La demanderesse cherche à faire surseoir à l'exécution de la décision de l'arbitre, M. Frank Moorgan, en attendant le résultat de la demande de contrôle judiciaire qu'elle a présentée.

[2]                 Les défendeurs sont des membres de la demanderesse, la Première nation du Lac Waterhen. En novembre 2001, ils ont été congédiés par la demanderesse qui a invoqué comme motifs leur participation à une manifestation et l'installation d'un barrage devant les bureaux de la Première nation du Lac Waterhen en octobre 2001.


[3]                 Les défendeurs ont intenté une action en congédiement injustifié aux termes des dispositions du Code canadien du travail. Un arbitre, M. Frank Moorgan, a été nommé pour entendre les plaintes des défendeurs dans le cadre d'une procédure d'arbitrage.

[4]                 Le 21 janvier 2003, l'arbitre a rendu une décision provisoire non accompagnée de motifs, ordonnant à la demanderesse de réintégrer les défendeurs et de leur verser à chacun une somme de 3 000 $ pour couvrir les dépenses qu'ils ont engagées par suite de leur congédiement injuste. La question du montant des pertes pécuniaires subies par les défendeurs n'a pas été transmise à l'arbitre pour être définitivement réglée.

[5]                 Le 19 février 2003, la demanderesse a déposé devant la Section de première instance de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de l'arbitre.

[6]                 À ce jour, les défendeurs n'ont pas été réintégrés ni dédommagés.


[7]                 Pour que la Cour puisse accorder un sursis à l'exécution d'une décision, la demanderesse doit respecter un triple critère, établi par la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Aux termes de ce critère, la demanderesse doit démontrer qu'il y a une question sérieuse à instruire, qu'elle subira un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur. Ce critère est cumulatif. Les demandeurs ont droit au redressement recherché uniquement lorsqu'ils satisfont aux trois éléments du critère.

[8]                 Pour ce qui a trait à la première partie du critère, je suis d'avis que des questions sérieuses ont été soulevées par la demanderesse. Il y a tout d'abord la question de savoir si on lui a refusé une audience équitable quand l'arbitre a refusé d'autoriser la réouverture de sa cause après le départ d'un avocat antérieur. Deuxièmement, il y a la question de savoir si l'arbitre a fait preuve de partialité dans certaines de ses observations. Troisièmement, il y a la question de savoir si la décision de l'arbitre était manifestement déraisonnable étant donné qu'au cours de l'audience il a rejeté la totalité de la preuve de la demanderesse tout en acceptant la preuve des défendeurs, malgré des contradictions pertinentes et probantes. Ces questions respectent très certainement le seuil très bas de la cause défendable.


[9]                 Pour ce qui a trait au préjudice irréparable, la demanderesse prétend qu'il existe un risque véritable que la Bande subisse des dommages incalculables si le redressement n'est pas accordé. Les défendeurs sont déloyaux et ont fait preuve d'animosité à l'endroit de l'administration du chef Sid Fiddler. S'ils sont réintégrés, les défendeurs auront des contacts réguliers avec le chef et d'autres représentants de la Bande, situation qui est chargée de problèmes que l'on ne peut prévoir. En outre, les défendeurs auront accès à des renseignements de nature délicate. Finalement, le paiement de l'indemnisation handicaperait les opérations de la Bande et priverait les membres de cette dernière des fonds nécessaires pour mettre en oeuvre d'autres projets qui bénéficieraient à tous les membres de la Bande. Ce paiement imposerait également une pression financière qui se traduirait par des dommages incalculables à la réputation, à l'intégrité et à la longévité de l'administration du chef Sid Fiddler.

[10]            À mon avis, ces allégations ne respectent pas le seuil élevé imposé par la jurisprudence, c'est-à-dire que la demanderesse doit présenter une preuve manifeste qu'elle subirait un préjudice ou que ce préjudice serait irréparable. (Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129; Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey, [1994] A.C.F. no 68 (Q.L.)).

[11]            La première allégation, c'est-à-dire que les défendeurs sont déloyaux et font preuve d'une animosité directe à l'encontre du chef Sid Fiddler, est simplement spéculative et n'est pas appuyée par la preuve. Les défendeurs nient avoir de l'animosité contre le chef Sid Fiddler. Cette allégation a également été faite pendant l'arbitrage et n'a pas été jugée fondée.

[12]            La deuxième allégation, selon laquelle les défendeurs auront accès à des renseignements de nature délicate, n'est pas non plus fondée. Les défendeurs sont employés comme réceptionniste, préposé à l'entretien, commis aux finances et directeur des loisirs. Bien que le commis aux finances soit peut-être le seul qui pourrait avoir accès à certains renseignements de nature délicate, la demanderesse n'a pas démontré comment cet accès lui causerait un préjudice irréparable.

[13]            Finalement, la troisième allégation de la demanderesse selon laquelle le paiement de l'indemnisation handicaperait les fonctions de la Bande est tout à fait hypothétique. En outre, son allégation selon laquelle le paiement de l'indemnisation causerait des dommages incalculables à la réputation et à l'intégrité de l'administration du chef Sid Fiddler ne démontre pas comment ce paiement causerait un préjudice irréparable à la Bande elle-même.

[14]            Par conséquent, la demanderesse n'a présenté aucune preuve manifeste qui démontre qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis à l'exécution n'est pas accordé.

[15]            Pour ce qui a trait à la prépondérance des inconvénients, d'une part, la demanderesse prétend que si la demande de sursis à l'exécution de l'ordonnance n'est pas accordée, vu la déloyauté des défendeurs et leur animosité à l'égard de l'administration du chef Sid Fiddler, les réintégrer dans leur emploi créerait un préjudice plus grand à la demanderesse qu'aux défendeurs. Ce préjudice est impossible à évaluer en termes pécuniaires et, à tout le moins, tout l'argent donné aux défendeurs ne pourrait être récupéré étant donné qu'ils sont démunis.


[16]            Par ailleurs, les défendeurs signalent qu'ils ont été congédiés en novembre 2001. Depuis cette date, un seul des défendeurs a réussi à se trouver un emploi rémunérateur. Ils vivent tous dans une région assez éloignée où les possibilités d'emploi sont rares. Leur réinstallation présenterait des difficultés considérables étant donné que cela les obligerait à s'éloigner de leurs parents et de leurs amis. En outre, le congédiement injuste leur a fait subir des difficultés énormes, puisqu'il y a eu atteinte à leur réputation personnelle dans la collectivité. Tout autre délai ne ferait qu'aggraver les difficultés financières causées par leur congédiement injuste.

[17]            Au vu du fait que la demanderesse n'a pas respecté la deuxième partie du critère, il n'est pas nécessaire que j'examine la prépondérance des inconvénients. Toutefois, à mon avis, tout autre retard dans la réintégration et les difficultés financières causées aux défendeurs par la perte de salaire l'emportent sur les inconvénients que la demanderesse pourrait subir si le sursis n'était pas accordé.

[18]            Pour ces raisons, la requête en sursis d'exécution est rejetée avec dépens.

                                                                     ORDONNANCE

La requête en sursis d'exécution est rejetée avec dépens.

                                                                                                                         « Danièle Tremblay-Lamer »            

                                                                                                                                                                 Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-294-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :             LA PREMIÈRE NATION DU LAC WATERHEN c. MICHELLE ERNEST ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 12 MARS 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE :                                                   LE 13 MARS 2003

COMPARUTIONS :

GREGORY CURTIS                                                        POUR LA DEMANDERESSE

SCOTT MACDONALD                                                 POUR LES DÉFENDEURS AUTRES QUE LE PGC

PERSONNE                                                                     POUR LE DÉFENDEUR PGC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SEMAGANIS WORME & MISSENS                         POUR LA DEMANDERESSE

SASKATOON (SASKATCHEWAN)                         

WALLACE MESCHISHNICK CLACKSON             POUR LES DÉFENDEURS AUTRES

ZAWADA                                                                         QUE LE PGC

SASKATOON (SASKATCHEWAN)

MORRIS A. ROSENBERG                                            POUR LE DÉFENDEUR PGC

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

SASKATOON (SASKATCHEWAN)

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