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Date : 20031215

Dossier : IMM-6611-02

Référence : 2003 CF 1469

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL                          

ENTRE :

                                                 AJANTHKUMAR THAVARATHINAM

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 28 novembre 2002 (la décision) dans laquelle un Commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le commissaire), a décidé que Ajanthkumar Thavarathinam (le demandeur) ntait pas un réfugié au sens de la Convention.


HISTORIQUE

[2]                 Le demandeur a mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il est un Tamoul catholique, né à Kayts dans la province du Nord du Sri Lanka. Alors qu'il était étudiant au collège St. Anthony's à Kayts, des représentants de l'organisation séparatiste des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) se sont présentés à son école et voulaient que lui et d'autres élèves se joignent à leur mouvement de libération. Il n'avait que 13 ans et était terrifié à l'idée de s'y joindre. Les TLET sont revenus en 1995 et voulaient encore qu'il se joigne à eux. Il a refusé et a été emmené par la force à un camp où il a été contraint à faire des travaux forcés. Il a été exposé à la chaleur écrasante et forcé à creuser des abris fortifiés. Il est tombé malade et a été renvoyé chez lui.

[3]                 Étant incapable de vivre dans son lieu de naissance et d'échapper au TLET, le demandeur est allé à Colombo en 1995 pour poursuivre ses études et pour subvenir aux besoins de sa mère et ses quatre soeurs. Alors qu'il habitait dans la résidence Mylan à Colombo, l'armée a mené un raid à la résidence. Il a été arrêté avec d'autres Tamouls le 22 mai 1995 et conduit au service de police de Kotahena et, de là, à la prison de Kegalle. Il a ensuite été emmené à la prison de Welikade. Puisqu'il avait moins de 16 ans, les prisons refusaient de l'accepter et il a finalement été emmené à la prison pour mineurs de Pannipitiya. Il a été détenu jusqu'au 1er juin 1995, et a été agressé, et roué de coups de poing et de coups de pied. On lui a également infligé des brûlures avec des objets en métal chauds qui lui ont laissé des cicatrices. Le gérant de la résidence a communiqué avec un parent du demandeur qui a aidé à le faire libérer. Il a reçu les soins d'un médecin à Colombo.


[4]                 Le demandeur est rentré à Kayts en juin 1995, où il a été harcelé et maltraité par les forces armées sri-lankaises. Étant soupçonné d'être un informateur pour les TLET et de les soutenir, il a été arrêté le 12 février 1999 et détenu et on lui a fait subir [traduction] « des souffrances indescriptibles » . Il a été interrogé au sujet du TLET et relâché après trois jours lorsque sa mère a fourni une caution. Mais l'armée a continué à harceler le demandeur et lui a demandé de se rapporter à son camp à Kayts. Quand il s'y rendait, on lui faisait subir un traitement inhumain et, par conséquent, il s'est installé à Colombo le 6 novembre 2000, et a communiqué avec un agent qui l'a aidé à quitter le Sri-Lanka pour le Canada. Il a quitté Colombo le 9 novembre 2001, et est arrivé au Canada le 21 novembre 2001.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[5]                 Le demandeur a dit craindre d'être persécuté au Sri-Lanka en raison de son identité en tant que jeune Tamoul du Nord. Le commissaire a dit que les questions déterminantes dans la demande du demandeur étaient « les éléments interreliés de la crédibilité et de l'identité du demandeur comme jeune Tamoul qui se trouvait dans le Nord au cours des périodes pertinentes à sa demande » . Parce que le commissaire n'a pas pu « déterminer l'identité du demandeur par rapport à sa résidence en raison du manque de preuves crédibles » , il n'a pas pu « apprécier davantage son risque de persécution au Sri-Lanka » .

[6]                 Le commissaire a fondé son rejet de la demande sur le fait qu'il ne savait pas d'où était venu le demandeur et sur le fait qu'il n'avait pas trouvé d'élément de preuve digne de foi démontrant que le demandeur était la personne qu'il prétendait être. Le commissaire a tiré les conclusions suivantes :

(a)         les documents fournis par le demandeur pour établir son identité n'étaient pas crédibles;

(b)         le récit du demandeur concernant son prétendu voyage à partir du Nord n'était pas crédible;

(c)         le demandeur n'a pas convaincu le commissaire qu'il se trouvait dans le Nord du Sri-Lanka au cours des périodes pertinentes quant à sa demande;

(d)         le demandeur n'a pas démontré au moyen d'un élément de preuve digne de foi qu'il était la personne qu'il prétendait être;

(e)         le témoignage de l'oncle du demandeur n'a pas fait avancer sa demande. Dossier certifié de la Cour, pages 11 à 13.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                 Le demandeur soulève les questions suivantes :


Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en violant les principes de justice naturelle lorsqu'il a dit, de façon précise, qu'il était nécessaire de présenter des arguments sur seulement une question, et a par la suite, sans avis, tenu compte d'autres questions et a pris connaissance de questions d'une manière qui n'était pas compatible avec les principes de justice naturelle?

Le commissaire a-t-il commis une erreur de droit en tirant des conclusions manifestement déraisonnables sur la crédibilité?

ARGUMENTS                       

ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire?

[8]                 La Cour doit d'abord décider de la norme de contrôle appropriée à la présente affaire.

[9]                  Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732, la Cour d'appel fédérale a analysé de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Section de la protection des réfugiés:

4.      Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire [...]


[10]            La Cour ne doit pas chercher à réévaluer des éléments de preuve soumis au commissaire simplement parce qu'elle en serait arrivée à une conclusion différente. Pourvu qu'il existe des éléments de preuve au soutien de la conclusion du commissaire sur la crédibilité et qu'il ne se soit pas produit d'erreur manifeste, la décision ne devrait pas être touchée.

QUESTIONS SOULEVÉES PAR LE DEMANDEUR

[11]            Ayant cette norme de contrôle à l'esprit, je conclus que le commissaire a commis un certain nombre d'erreurs importantes dans la décision. La question est de savoir si, à la lumière de ces erreurs, la décision contient d'autres éléments qui puissent la soutenir.

[12]            À l'audience, le défendeur a prétendu que les questions d'identité ne faisaient pas partie intégrante de la décision et qu'elle devrait être maintenue sur le fondement de ce que le commissaire a appelé « [le] vague témoignage [du demandeur] au sujet de la façon dont il avait pu voyager à partir du Nord [...] » .

[13]            À mon avis, le commissaire a commis les erreurs importantes qui suivent dans la décision:


1.          À la fin de l'audience, le commissaire a dit que sa principale préoccupation visait les contradictions possibles quant à savoir comment le demandeur était monté à bord de l'avion à Jaffna et comment il s'était rendu à Colombo. L'avocat du demandeur a répondu à ces questions dans une lettre datée du 13 septembre 2002. Toutefois, dans la décision, le commissaire a clairement d'autres inquiétudes qui sont importantes pour la décision. Ces inquiétudes ont trait à la carte d'identité nationale (CIN) du demandeur, son certificat de naissance et le témoignage de son oncle. Par cette façon de faire, le demandeur a été privé de la possibilité de réfuter les points avancés contre lui sur des questions importantes apparaissant dans la décision. Il s'agit là d'une erreur susceptible de contrôle;

2.          La position adoptée par le commissaire face au certificat de naissance constitue l'un des motifs du rejet des prétentions du demandeur quant à son identité. Le commissaire n'a pas cru que le certificat pouvait être authentique parce qu'il était en anglais et parce que les certificats de naissance sont normalement délivrés en cinghalais ou en tamoul. Mais le dossier démontre clairement que la version en tamoul paraît avoir fait partie du dossier et que le commissaire n'en a pas tenu compte. Vu la grande importance des questions d'identité dans la décision, il s'agit ici d'une erreur susceptible de contrôle;


3.          Non seulement le commissaire a-t-il rejeté le certificat de naissance, mais il a également ignoré d'autres éléments de preuve qui corroboraient clairement le témoignage du demandeur selon lequel il était originaire de Kayts au Nord. À cet égard, le commissaire aurait dû s'arrêter à la pièce d'identité de la marine, la pièce d'identité de l'armée et la lettre du collège St. Anthony's, qui démontraient tous que le demandeur se trouvait à Kayts. L'omission du commissaire sur ce point constitue une erreur susceptible de contrôle.

[14]            Selon le défendeur, ces erreurs peuvent être écartées parce que la vraie question qui préoccupait le commissaire était le manque apparent de connaissances du demandeur quant à savoir comment une personne peut voyager en provenance du Nord. Ayant examiné le récit de voyage du demandeur, je n'y trouve rien de particulièrement « vague » ou peu convaincant. Mais cela ne constitue pas un motif suffisant pour faire obstacle au pouvoir discrétionnaire du commissaire. Ce qui me préoccupe est que je ne crois pas que l'on puisse ne pas tenir compte des erreurs énumérées ci-haut si l'on examine la décision dans son ensemble. Le commissaire tire la conclusion importante suivante :

Je ne juge pas crédibles les documents produits par le demandeur pour confirmer son identité. En outre, son vague témoignage au sujet de la façon dont il avait pu voyager à partir du Nord ne me convainc pas qu'il était au courant du processus.

[15]            L'un des « documents » au soutien de l'identité dont le commissaire discute longuement est le certificat de naissance, et il y a clairement une erreur de la part du commissaire à cet égard. La version en tamoul était au dossier. De plus, sur ce point crucial, les pièces d'identité de l'armée et de la marine et l'élément de preuve venant de l'école qui corroborent l'identité du demandeur sont tout simplement ignorés par le commissaire.

[16]            En conclusion, le commissaire dit qu'étant incapable de « déterminer l'identité du demandeur par rapport à sa résidence [...] je ne peux apprécier davantage son risque de persécution au Sri-Lanka » .

[17]            À mon avis, il me semble clair que les questions d'identité constituaient des éléments essentiels de la décision du commissaire et qu'elles ne peuvent être mises de côté. De plus, le défendeur n'a pas répondu de façon satisfaisante aux questions d'équité procédurale soulevées par le demandeur.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué afin que celui-ci procède à une nouvelle audition;

2.          Aucune question n'est soulevée pour certification.

                                                                                       « James Russell »          

                                                                                                             Juge                     

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-6611-02

INTITULÉ :                                                        AJANTHKUMAR THAVARTHINAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 28 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                    LE 15 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                                            POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 


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