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Date : 20191029


Dossier : IMM-1897-19

Référence : 2019 CF 1336

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

ODELINE SIMOLIA

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Cette affaire porte sur une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [« LIPR »] à l’encontre de la décision rendue le 12 mars 2019 par un commissaire de la Section d’appel des réfugiés [« SAR »]. La SAR a refusé la demande d’asile de la demanderesse et de son fils, affirmant ainsi la décision de la Section de la protection des réfugiés [« SPR »] du 16 avril 2018, en concluant qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de l’article 96 de la LIPR ni des personnes à protéger au sens de l’article 97.

II.  Faits pertinents

[2]  La demanderesse principale, Odeline Simolia, est une citoyenne haïtienne. Son fils, Eclesiastes Simolia Philemon, est un citoyen brésilien. En vertu du paragraphe 167(2) de la LIPR, la demanderesse principale a accepté la charge de représentante désignée de son fils mineur. Le mari de Mme Simolia, qui est aussi le père de son fils, reste toujours au Brésil.

[3]   Initialement, la demande d’asile de Mme Simolia indiquait qu’elle craignait pour sa vie en Haïti en raison d’un désaccord avec ses cousins par rapport à l’appartenance d’un terrain.  Elle prétendait qu’elle fut menacée de mort par ceux-ci lorsqu’elle a essayé d’en prendre possession. Elle déclarait qu’elle a dû quitter l’Haïti en 2013 et s’est établie au Brésil, où elle a accouché de son fils en 2015. Puis, en juillet 2016, Mme Simolia et son fils ont quitté le Brésil pour se rendre aux États-Unis où ils sont demeurés jusqu’en 2017, date de leur arrivée au Canada. Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile signé le 25 septembre 2017, elle déclare, entre autres :

Je suis arrivé (sic) au Brésil le 23 janvier 2013. J’ai eu un petit garçon né au Brésil le 15 mars 2015. Je n’arrivais pas à subvenir à nos besoins et aux besoins de mes deux autres enfants se trouvant en Haïti […] Je n’arrivais pas à envoyer de l’argent pour ceux qui sont encore en Haïti et envoyer le plus jeune à la garderie afin qu’il puisse s’épanouir avec d’autres enfants de son âge. Je suppose qu’aucun parent n’aime voir ses enfants souffrir par manque de moyens. C’est pour cette raison que j’ai décidé de me rendre aux États unies d’Amérique. J’ai laissé le Brésil le 4 juillet 2016. J’ai passé 3 ans et 7 mois au Brésil. [Je souligne.]

[4]  Avant l’audience devant la SPR, le ministre canadien de la Sécurité publique et de la Protection civile est intervenu par écrit soutenant que Mme Simolia et son fils étaient exclus de la protection de la LIPR à cause du fait que le gouvernement du Brésil avait accordé le statut de résident permanent à Mme Simolia et le fait que son fils détenait la nationalité brésilienne. Par conséquent, ils ne pouvaient pas invoquer une crainte vis-à-vis Haïti parce qu’ils pourraient retourner vivre au Brésil et détiendraient les droits de nationalité dans ce pays au sens de l’article 1E de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés.

[5]  Devant la SPR, Mme Simolia n’a pas contesté l’affirmation du ministre. Elle a cependant modifié sa demande d’asile afin d’y ajouter des incidents qui se seraient produits au Brésil en mai 2016. Selon elle, un individu s’était présenté chez elle essayant de lui vendre un téléphone. Lorsqu’elle a refusé, il a menacé de prendre son fils en otage. Quant à elle, un voisin est alors intervenu et l’individu est parti. Par la suite, Mme Simolia a revu cet individu alors qu’elle attendait un autobus, et il a commencé à courir après elle. Elle a communiqué avec la police par téléphone, mais elle a raconté qu’on lui a répondu qu’elle devrait « surveiller les gens ». Mme Simolia a soutenu devant la SPR qu’à cause de ces incidents (la demande d’achat de téléphone, les menaces, la fuite, et la réponse de la police), elle avait quitté le Brésil et ne se sentait plus en sécurité là-bas.

III.  Décisions en contrôle judiciaire

[6]  La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés ni des personnes à protéger parce que selon la preuve documentaire, Mme Simolia possédait la résidence permanente au Brésil et son fils était citoyen. Ils pouvaient y retourner. La SPR a conclu que Mme Simolia ne souffrirait d’aucun mauvais traitement au Brésil ni qu’il existait une crainte raisonnable de persécution ou de préjudice au sens de l’article 97 de la LIPR advenant son retour. Il faut noter ici que nulle part dans son formulaire de demande est-ce que Mme Simolia avait prétendu qu’elle serait victime de persécutions à cause de race, religion, sexe, affiliations politiques ou d’autres moyens prévus dans l’article 96 le la LIPR.

[7]  Selon la SPR, Mme Simolia manquait de crédibilité en raison de deux contradictions dans sa preuve. D’une part, quant à savoir si elle avait véritablement informé la police des incidents en mai 2016, et d’autre part, quant à savoir si elle avait véritablement déménagé après les incidents qui sont survenus au Brésil. Par ailleurs, la SPR a rejeté l’explication de Mme Simolia quant à savoir pourquoi elle n’a pas demandé l’asile aux États-Unis en dépit d’être là pendant presque neuf (9) mois.

[8]  En appel à la SAR, Mme Simolia a contesté la conclusion de la SPR à l’égard de sa crédibilité et a affirmé que la preuve établissait clairement, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle et son fils étaient visés personnellement par un individu qui était susceptible de représenter une menace pour leurs vies ou de les exposer à des traitements cruels et inusités au Brésil.

[9]  En premier lieu, la SAR a abordé la norme de contrôle pour réviser la décision de la SPR. Elle a conclu que la norme de la décision correcte s’appliquait parce qu’en l’espèce, il n’y avait pas de conclusions de la SPR à l’égard desquelles elle jouissait d’un véritable avantage.

[10]  Par rapport à la qualité de réfugié en vertu de l’article 96 de la LIPR, la SAR a conclu que la preuve ne démontrait pas que les incidents en mai 2016 au Brésil étaient attribuables à la race, la nationalité, ou le genre de Mme Simolia ou son fils. Par conséquent, aucun de ces motifs ne les exposerait à une possibilité sérieuse d’être persécutée s’ils devaient retourner au Brésil. Ils ne pouvaient donc pas être reconnus comme réfugiés.

[11]  Par rapport à la qualité de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR, la SAR a conclu que Mme Simolia n’avait pas satisfait son fardeau de la preuve. Par contre, la SAR a conclu que Mme Simolia était crédible en affirmant que plusieurs incidents sont survenus en mai 2016 qui aurait pu mettre elle et son fils en danger et qu’elle a rapporté ces incidents à la police. Cependant, la SAR a conclu qu’elle ne bénéficiait pas de la présomption de la véracité eu égard à son affirmation que la police a témoigné d’un manque d’intérêt à assurer sa protection. En écoutant l’enregistrement de l’audience de la SPR, la SAR a constaté que le témoignage de Mme Simolia était ambigu quant aux démarches qu’elle avait prises pour communiquer ses préoccupations à la police, notamment en ce qui a trait au moment où elle les avait communiquées ; quels renseignements elle avait partagés ; et par quel moyen elle les a communiqué – soit en personne soit par téléphone. Sans savoir dans quel contexte un policier lui aurait donné la consigne de surveiller ce qui se passait aux alentours d’elle, la SAR était d’avis qu’il ne s’agissait pas d’un refus de la police d’enquêter sur un crime sérieux. En somme, la SAR a conclu que la demanderesse et son fils ne satisfaisaient pas aux exigences fixées par l’article 97 de la LIPR parce que (1) « [u]ne mauvaise impression découlant d’un entretien téléphonique avec un policier il y a trois ans ne suffit pas en soi pour démontrer qu’il est probable que l’individu qui a voulu s’en prendre à l’appelante principale en mai 2016 représenterait toujours une menace pour elle et son fils où qu’ils se trouvent au Brésil » et (2) Mme Simolia n’a pas indiqué avoir subi d’autres menaces pendant les prochains mois après avoir déménagé en mai 2016.

IV.  Dispositions pertinentes

[12]  Les articles 96 et 97 de la LIPR ainsi que la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés sont les dispositions pertinentes et sont énoncés à l’annexe que comporte la présente décision.

V.  Question en litige

[13]  Cette affaire soulève la question en litige suivante : Est-ce que la SAR a commis une erreur parce que ses conclusions que Mme Simolia et son fils ne sont ni des réfugiés ni des personnes à protéger ont été tirées sans égard à la preuve dans son ensemble, en particulier sans égard à la preuve relative à la situation au Brésil, de sorte qu’elles sont déraisonnables ? 

VI.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[14]  La norme de la décision raisonnable régit la question de savoir si la conclusion d’un décideur a été tirée sans égard à la preuve dans son ensemble (Jean-Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285 au para 11 [Jean-Baptiste] ; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kornienko, 2015 CF 85 au para 11, 474 FTR 110 [Kornienko]). Ainsi, lorsque la norme de la décision raisonnable est de mise, la Cour de révision se concerne avec la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

B.  Est-ce que la SAR a commis une erreur parce que ses conclusions que la demanderesse principale n’est ni une réfugiée ni une personne à protéger ont été tirées sans égard à la preuve dans son ensemble, en particulier sans égard à la preuve relative à la situation au Brésil, de sorte qu’elles sont déraisonnables ?

[15]  Mme Simolia soutient que la SAR a commis une erreur en ne se penchant pas suffisamment sur la situation des Haïtiens au Brésil. Elle affirme que la preuve documentaire démontre que les Haïtiens sont assujettis à la discrimination au Brésil, et que cela équivaut à de la persécution. Selon Mme Simolia, la décision de la SAR démontre qu’elle a omis de prendre en considération l’ensemble de la preuve qui démontrait le danger auquel faisait face la demanderesse advenant son retour au Brésil en tant que Haïtienne.

[16]  Selon Mme Simolia, la preuve documentaire démontre que la situation au Brésil est tel que :

  • - Les personnes de couleur au Brésil sont ciblées et deviennent victimes de violence en raison de leur race ;

  • - La situation économique et sociale s’est détériorée au Brésil après les Jeux olympiques et le Mondial de soccer, qui avaient créé de nombreux emplois, ce qui a donné lieu aux formes de persécution envers les Haïtiens parce que ces derniers sont accusés d’être venus pour voler des emplois des Brésiliens ;

  • - L’existence parmi les autorités brésiliennes d’une discrimination systémique à l’encontre des Haïtiens qui portent plainte et demandent la protection: États-Unis, Department of State, « Brazil. Country Reports on Human Rights Practices for 2016 » (3 mars 2017); Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada, « Réponse à une demande d’information BRA104224.EF » (13 novembre 2012) ; Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités sur sa mission au Brésil » (9 février 2016)) ;

  • - L’existence parmi les autorités brésiliennes de la corruption: Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités sur sa mission au Brésil » (9 février 2016) ; Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada, « Réponse à une demande d’information BRA104224.EF » (13 novembre 2012) ; Robert Muggah, Elliott School of International Affairs, Brazil Initiative « The State of Security and Justice in Brazil: Reviewing the Evidence » (mars 2016)) ;

  • - De ces faits, il est « impossible de demander la protection de l’État brésilien » ; et

  • - La corruption parmi les autorités brésiliennes et la persécution des Haïtiens existent dans toutes les régions du Brésil.

[17]  La demanderesse soutient que la SAR a omis de considérer l’ensemble de cette preuve qui démontre la situation précaire des Haïtiens au Brésil, ce qui appuie sa crainte y advenant son retour. À son avis, cette omission est une erreur de la part de la SAR et sa décision est donc déraisonnable.

[18]  Je tiens à mentionner qu’en l’espèce, la demanderesse n’a cité aucun document dans son mémoire soumis à la SAR. Son appel se concernait plutôt avec sa crédibilité et les incohérences dans son récit sur lesquelles s’appuyait la SPR.

[19]  En l’espèce, la décision de la SAR ne mentionne aucun document du cartable national de documentation [« CND »]. Ce n’est pas surprenant vu mes observations dans le paragraphe 18. Il n’y a pas non plus de déclaration générale qu’elle a considéré toute la preuve au dossier dans son ensemble. Je vais commencer mon analyse en résumant les principes de droit pertinents à cette question, et en deuxième temps je vais appliquer ces principes à la situation en l’espèce.

[20]  Selon la jurisprudence, la SAR ne doit pas faire référence à chaque élément de la preuve (Jean-Baptiste au para 20 citant Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379 aux para 31-34, 421 FTR 309 [Kaur], Quebrada Batero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 988 au para 13 [Quebrada]). Il y a une présomption réfutable que la SAR a révisé toute la preuve au dossier, y compris des documents figurant dans le CND (Quebrada Batero au para 13 citant Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 629 au para 15, D'Souza c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1983] 1 CF 343 au para 8 (CA), Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF nº 598 au para 1 (CA) [Florea] ; voir aussi Sivapathasuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 486 au para 24 [Sivapathasuntharam], citant Florea).

[21]  Néanmoins, la SAR doit faire référence à la preuve qui va directement à l’encontre de sa conclusion sur une question fondamentale (Sivapathasuntharam au para 24, citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF nº 1425 au para 17). En d’autres mots, ce n'est que lorsque l'élément de preuve non mentionné est « important et contredit la conclusion du tribunal que la cour de révision peut décider que le tribunal n'a pas tenu compte des éléments dont il disposait » (Kornienko au para 19, citant Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 au para 39 ; voir aussi Koppalapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 235 au para 24).

[22]  Cependant, même ce devoir est assujetti à des limites : la SAR n’a pas l’obligation « de passer au peigne fin tous les documents énumérés dans le [CND] dans l’espoir de trouver des passages susceptibles d’appuyer la demande du demandeur et de préciser pourquoi elle n’appuie pas le demandeur » (Jean-Baptiste au para 19). Ce devoir ne remplace pas la norme de contrôle habituelle, la décision raisonnable, ce qui veut que la cour de révision doive « se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu'ils ont relevées dans les motifs » (Kornienko au para 19, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 17, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]). Dans la mesure où les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables », il n'y a pas lieu d'inférer que des éléments de preuve contraires ont été ignorés (Kornienko au para 19, citant Newfoundland Nurses au para 16 et Herrera Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490 aux para 11-13).

[23]  Pour ces raisons, il est de pratique courante pour la SAR de s’en remettre aux documents qui se trouvent dans le CND sans que le demandeur les invoque et que, dans certaines circonstances, elle a l’obligation même de ne pas s’y limiter (Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au para 79 citant Sivapathasuntharam au para 22, Umuhoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 689, 12 Imm LR (4e) 275, Chagoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721, Kaur au para 30).

[24]  Compte tenu de ces principes de droit, bien que la décision de la SAR ne mentionne aucun document du CND, il faut réviser sa décision à la lumière des documents figurant dans le CND afin de déterminer s’il y a un élément là-dedans qui contredit directement une de ses conclusions. Et ce, en appliquant la norme de la décision raisonnable. À mon avis, la SAR a tiré deux conclusions fondamentales : (1) que la demanderesse ne serait pas persécutée en raison d’un des motifs énumérés à l’article 96 de la LIPR ; et (2) que la demanderesse ne serait pas exposée à une menace à sa vie au sens de l’article 97 de la LIPR.

[25]  Par rapport à la possibilité de persécution, la demanderesse principale affirme que les personnes de couleur au Brésil sont des victimes de la violence et que la discrimination envers eux équivaut à la persécution. Elle ne cite pas de documents figurant au CND pour appuyer cette soumission.

[26]  Trois documents du CND discutent de la nationalité, l’ethnie et la race au Brésil. Le premier explique que les Afro-Brésiliens subissent de l’exclusion sociale généralisée, des salaires plus bas, moins d’opportunités en matière d’éducation, et des niveaux de violence plus élevés que les Brésiliens d’ascendance européenne. Une étude de 2015 révèle qu’entre 2003 et 2013, bien que le nombre d’homicides avec violence perpétrés contre les femmes brésiliennes blanches ait diminué de 10%, le nombre chez les femmes Afro-Brésiliennes a augmenté de 54% (Alfredo Gutierrez Carrizo et Carolyn Stephens, Minority Rights Group International, « Brazil. State of the World’s Minorities and Indigenous Peoples 2016: Events of 2015 » (juillet 2016) à la p 114). Le deuxième document explique que par rapport à la violence, 77% de victimes d’homicide chaque année sont des hommes Afro-Brésiliens. De plus, un nombre important d’homicides sont commis par des membres de la police militaire et ces derniers en sont peu souvent tenus responsables. Par rapport à la criminalité, il y en a un taux important chez les Afro-Brésiliens : il est estimé que 75% de la population incarcérée est Afro-Brésilienne. Par rapport aux conditions sociales et économiques, 70.8% de la population vivant en pauvreté est Afro-Brésilien. Ils gagnent moins d’argent, démontrent un taux d’analphabétisme plus élevé, et démontrent un taux de scolarisation moins important. Les femmes Afro-Brésiliennes en particulier font preuve de marginalisation et désavantage, étant plus susceptibles d’être victimes de violence, surreprésentées dans des emplois peu qualifiés, et surreprésentées dans la population incarcérée (Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les questions relatives aux minorités sur sa mission au Brésil » (9 février 2016) aux p 10/22-13/22). Le troisième document n’est pas pertinent parce qu’il concerne les droits des peuples autochtones au Brésil (Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones concernant sa mission au Brésil » (8 août 2016)).

[27]  À mon avis, la conclusion de la SAR par rapport à la possibilité de persécution au Brésil est raisonnable. La discrimination n’équivaut pas à la persécution (Noel c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2018 CF 1062 aux para 29-30). De plus, « les conditions régnant dans le pays ne suffisent pas à elles seules à fonder une demande d’asile » (Owochei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 140 au para 51 ; Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242 au para 19). À mon avis, la preuve documentaire de la situation dans le pays ne va pas directement à l’encontre de la conclusion de la SAR. En l’espèce, la SAR a considéré si l’incident subi par la demanderesse pouvait démontrer une possibilité de persécution selon un des motifs énumérés à l’article 96. Elle y a répondu dans le négatif. Cette conclusion est raisonnable.

[28]  Par rapport à la probabilité d’être exposée à une menace à sa vie, la SAR s’est penchée principalement sur la conduite de la police. Mme Simolia affirme que la police discrimine envers les personnes de couleur, y compris les Haïtiens, qui portent plainte et demandent la protection. Elle en cite plusieurs documents du CND à l’appui. Même si cela est vrai, le risque auquel elle fait face doit être personnalisé. La SAR a considéré les faits en l’espèce. Elle a conclu qu’il n’y a pas assez d’information pour conclure que la police a refusé d’enquêter l’incident. Quant à la SAR, Mme Simolia n’a pas suffisamment expliqué les démarches qu’elle a prises, c’est-à-dire, quand elle avait contacté la police, quels renseignements elle leur avait fournis et même par quel moyen elle les a contactés. C’était la SAR qui a conclu que le moyen de contact était par téléphone et que Mme Simolia n’a pas fait de suivi. Par ailleurs, la SAR a considéré que Mme Simolia n’a pas reçu de menaces additionnelles après avoir déménagé. Il n’y a donc pas de preuve que Mme Simolia a démontré un risque personnalisé. Tandis que la preuve générale du pays ne va pas directement à l’encontre de la décision, la décision de la SAR est raisonnable. 

VII.  Conclusion

[29]  Compte tenu ce qui précède et vu la présomption que la SAR a bel et bien considéré toute la preuve, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.  J’ajoute ceci : vu le contenu de la demande d’asile originale, c’est évident dans mon esprit que Mme Simolia est plutôt une immigrante économique et non une réfugiée. Son franc parlé dans sa demande originale démontre clairement qu’elle n’est pas une réfugiée telle que décrite dans les articles 96 et 97 de la LIPR. Elle voulait simplement faire une meilleure vie pour ses enfants.


JUGEMENT dans le IMM-1897-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays ;

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ;

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

  (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

  (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

  (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

  (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

  (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

  (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

  (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

Section E of Article 1 of the United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1897-19

 

INTITULÉ :

ODELINE SIMOLIA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Murhula Jugauce Mweze

 

Pour la demanderesse

 

Me Sean Doyle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Murhula Jugauce Mweze

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

 

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