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Date : 20030506

Dossier : IMM-1891-02

Référence : 2003 CFPI 552

Entre :

                              POR PHON

                                                Partie demanderesse

Et :

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                Partie défenderesse

                        MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ("la Section d'appel") datée du 28 mars 2002, rejetant l'appel du demandeur à l'encontre d'une mesure de renvoi prononcée le 15 juin 2001 contre lui en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 ("la Loi"). Celui-ci sollicite une ordonnance annulant cette décision.

[2]                 Le demandeur est né au Cambodge le 11 octobre 1968. Il est arrivé au Canada le 3 juillet 1986 avec sa mère, son frère et ses quatre soeurs. Ils quittèrent la guerre civile cambodgienne au cours de laquelle une partie de leur famille était morte de faim et une autre avait été assassinée et persécutée par des soldats des Khmers rouges, compte tenu de leur origine chinoise. Ils ont obtenu leur droit d'établissement au Canada (résidence permanente) le même jour en vertu d'un programme spécial de sélection des ressortissants à l'étranger.

[3]                 Le 15 juin 2001, une mesure de renvoi fut prononcée à l'encontre du demandeur parce que celui-ci était une personne visée par l'alinéa 27(1)d) de la Loi; il avait été condamné pour des infractions pour lesquelles un terme de prison de cinq ans ou plus pouvait être imposé.


[4]                 La mesure de renvoi a été prise plus précisément à cause de deux incidents pour lesquels le demandeur a reçu sa sentence le 16 novembre 2000: vol qualifié et séquestration commis le 12 septembre 1996, pour lesquels il a été reconnu coupable le 14 avril 2000 et condamné à trois ans de prison et deux ans de probation sans surveillance; et possession de cocaïne/crack le 26 octobre 1999, pour laquelle il a été reconnu coupable le 9 novembre 2000 et condamné à six mois de prison et deux ans de probation sans surveillance. Les peines de prison devaient être purgées de façon consécutive et la probation, de façon concurrente. Le demandeur était demeuré en détention préventive pendant 13 mois avant le prononcé de la sentence.

[5]                 La feuille de route du demandeur comprend aussi de nombreuses condamnations entre 1996 et 1999, essentiellement pour des vols et intrusions et le non-respect des conditions déjà imposées, dans plusieurs villes du Québec.

[6]                 La Section d'appel a exercé sa compétence aux termes du paragraphe 70(1) de la Loi qui se lit comme suit:



70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

a) question de droit, de fait ou mixte;

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

70. (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.


[7]                 La Section d'appel s'est penchée sur la question de savoir s'il existait dans le cas du demandeur des "circonstances particulières" pouvant justifier l'octroi d'une mesure spéciale aux termes de l'alinéa 70(1)(b) de la Loi. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de cette disposition, elle a considéré les facteurs établis dans la décision Ribic, Marida c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration) (1985), I.A.B.D. no 4 (QL) (C.A.I. 84-9623), qui ont été entérinés par la Cour suprême dans sa décision récente dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, soit:         

1) la gravité de l'infraction donnant lieu à l'ordonnance de déportation; 2) la possibilité de réhabilitation; 3) le temps passé au Canada et le degré d'établissement du requérant au Canada; 4) si le requérant possède de la famille au Canada, et la dislocation qui pourrait en résulter si l'ordonnance de déportation était émise; 5) le soutien dont dispose le requérant, non seulement dans sa famille, mais aussi dans son entourage; 6) L'importance des inconvénients qui pourraient être causés au requérant s'il devait être retourné dans son pays d'origine.

Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et le poids à accorder à chacun variera en fonction des circonstances.


[8]                 La Section d'appel a tenu compte notamment de ce qui suit: l'évaluation relativement récente du Service correctionnel canadien ("SCC") datée du 28 août 2001 qui doute fortement de la possibilité de réadaptation du demandeur et de sa motivation; le manque de conviction du demandeur sans son expression de remords et de responsabilité face à ses crimes très graves que sont le vol qualifié et la séquestration; ses commentaires contradictoires à l'audience concernant sa dépendance ou non à la drogue; les difficultés du demandeur en français et son ignorance de l'anglais qui l'ont empêché jusqu'à maintenant de suivre des programmes de réadaptation et l'absence d'explication raisonnable à savoir pourquoi cela serait différent dans l'avenir; l'absence de soutien de sa famille ou d'amis pour l'aider à changer sa vie outre le suivi assuré par le SCC et les services sociaux; le faible degré d'établissement malgré une présence au Canada depuis 1986; et le non-respect dans le passé des termes et conditions qui lui avaient été imposés.

[9]                 La Section d'appel a également tenu compte des facteurs positifs que sont le bon rendement du demandeur à un atelier d'ébénisterie suivi en prison et ses progrès en français. Elle a cependant jugé que ces quelques facteurs positifs n'étaient pas suffisants pour contrebalancer les nombreux facteurs négatifs concernant les possibilités de réadaptation du demandeur. Elle conclut, selon la balance des probabilités, que le demandeur n'a pas établi qu'il ne devrait pas être renvoyé du Canada. Par conséquent, elle rejeta la suggestion conjointe du représentant du Ministre et du procureur du demandeur qu'un sursis d'exécution de l'ordonnance d'expulsion soit accordé pour sept ans sujet à certains termes et conditions.


[10]            Le demandeur prétend que la Section d'appel aurait erré dans son interprétation des circonstances qui auraient pu justifier l'exercice de sa juridiction en équité conformément à l'alinéa 70(1)b) de la Loi. Plus précisément, il conteste la décision de la Section d'appel au motif qu'elle n'aurait attaché aucune importance aux considérations d'ordre humanitaire rattachées à sa situation ni du danger rattaché à son retour au Cambodge.

[11]            Le demandeur prétend qu'il a purgé sa peine conformément à la sentence prononcée contre lui et qu'une expulsion constituerait une peine supplémentaire inutile, excessive et cruelle. En effet, ses racines sont au Canada, étant arrivé au pays avec sa famille à l'âge de 18 ans, et il n'a plus aucun lien avec le Cambodge où tous les siens ont été éliminés sous le régime de Pol Pot. Le demandeur soumet qu'en cas de renvoi, il se retrouverait seul, sans aucune ressource et complètement démuni, dans une situation impossible, des conditions inhumaines et des difficultés insurmontables comportant des conséquences graves pour sa vie et sa sécurité.


[12]            Sans minimiser la gravité des infractions commises pour lesquelles il a été condamné et pour lesquelles il a purgé une peine sévère, le demandeur soumet que la Section d'appel n'a aucunement tenu compte de la sincérité de son repentir et a interprété, à son détriment et d'une façon subjective, les explications qu'il a données à ce sujet en cours d'audition. Le demandeur soumet que l'interprétation qu'en a fait la Section d'appel constitue une opinion arbitraire, un jugement de valeur découlant d'une idée préconçue et dénuée de bonne foi dont elle a tiré une conclusion déraisonnable et excessive.         

[13]            Le demandeur réfute l'évaluation de la Section d'appel au chapitre de "L'Établissement au Canada", l'estimant surfaite et ne tenant aucunement compte des changements apportés à sa conduite et de l'évaluation positive des autorités de l'établissement de détention. Dans son évaluation, la Section d'appel n'aurait plutôt retenu que les éléments négatifs du passé du demandeur en n'accordant aucun crédit aux éléments positifs qui témoigneraient manifestement d'un désir et de possibilités réelles de réhabilitation. Par ailleurs, la Section d'appel s'en serait tenue aux soupçons et incertitudes exprimés par le SCC qu'elle aurait interprété cependant comme des faits avérés pour motiver sa décision, outrepassant ainsi sa compétence.

[14]            Le demandeur réfute l'évaluation de la Section d'appel au chapitre du "Support disponible" à l'effet que "outre le suivi assuré par le SCC et les services sociaux, l'appelant ne bénéficie pas du support pour l'aider à changer sa vie". Selon le demandeur, cela constitue un jugement de valeur qui dépasse la compétence de la Section d'appel et qui n'a rien à voir avec la décision d'émettre contre lui une mesure d'expulsion.


[15]            Le demandeur conteste également les considérations de la Section d'appel concernant ses possibilités de réadaptation. Il prétend que le tribunal aurait fait fi de toute ouverture et compassion et de considérations d'ordre humanitaire que même le système pénitencier canadien a pour ses ressortissants qui ont éprouvé des difficultés sérieuses avec la vie et la justice.

[16]            Le demandeur soumet que si l'alinéa 32(2) de la Loi autorise et même impose à un arbitre le devoir d'ordonner, sans s'interroger sur ces aspects, une mesure d'expulsion, le but de l'appel d'une telle décision est justement d'en combler les manques au chapitre des considérations d'ordre humanitaire rattachées à sa propre situation de même que du danger rattaché à son retour au Cambodge. Le demandeur prétend que la Section d'appel négligea de prendre ces deux éléments en considération, d'une part en interprétant de façon restrictive les facteurs humanitaires pouvant lui bénéficier et en évitant de considérer la situation politique au Cambodge; d'autre part, en écartant la suggestion conjointe de son procureur et du représentant du Ministre d'accorder un sursis en se retranchant derrière le fait que "il ne relève pas du mandat du tribunal de considérer la facilité ou non à exécuter la mesure de renvoi".


[17]            Le demandeur prétend qu'en agissant de la sorte, la Section d'appel a rendu une décision déraisonnable et cruelle en le renvoyant dans un pays avec lequel il n'a aucun lien; elle a aussi rendu une décision contraire aux obligations internationales du Canada en vertu desquelles un demandeur du statut de réfugié ne peut en aucun cas être renvoyé dans un pays où il encourra les plus grands dangers pour sa vie et sa sécurité.

[18]            Le demandeur prétend par ailleurs que la Section d'appel n'a pas évalué à sa juste mesure l'ensemble de la preuve. Elle aurait négligé tous les éléments positifs relatifs à sa situation, y compris la suggestion de son procureur et du représentant du Ministre, pour ne retenir que les éléments négatifs pour étayer sa décision de rejeter son appel. Ce faisant, elle aurait tiré des conclusions erronées et déraisonnables justifiant l'intervention de cette Cour.


[19]            Le pouvoir de rendre une ordonnance de renvoi en application de l'alinéa 70(1)b) est un pouvoir discrétionnaire et un tribunal ne peut intervenir que dans les cas où le pouvoir n'a pas été exercé de bonne foi ou qu'il a été exercé de façon arbitraire ou illégale ou sous l'influence d'une considération étrangère: Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 299 au para. 75 (C.F. 1ère inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Saintelus, [1998] A.C.F. no 1290 aux para. 8-9 (QL) (C.F. 1ère inst.). De plus, un tribunal administratif est présumé avoir tenu compte de l'ensemble de la preuve dont il est saisi et n'a besoin de mentionner de façon précise que les éléments de preuve qui sont contraires à ses conclusions: Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Cepeda-Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (QL) (C.F. 1ère inst.).

[20]            Par ailleurs, dans l'arrêt Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a précisé le sens de l'expression "compte tenu des circonstances de l'espèce" contenue à l'alinéa 70(1)b) de la Loi en indiquant qu'il ne s'agit pas uniquement des circonstances de la personne, mais que celles-ci doivent être considérées dans un contexte global en tenant compte du bien de la société et de celui de l'individu. Ainsi, dans l'exercice de sa discrétion, la Section d'appel doit aussi tenir compte des principes et politiques qui sous-tendent la Loi, notamment celle prévue au paragraphe 3(i) de la Loi. Cette disposition se lit comme suit:


3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité:

[...]

i) de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada;

3. It is hereby declared that Canadian immigration policy and the rules and regulations made under this Act shall be designed and administered in such a manner as to promote the domestic and intentional interests of Canada recognizing the need

[...]

i) to maintain and protect the health, safety and good order of Canadian society; and



[21]            Par ses prétentions, le demandeur tente essentiellement de substituer son opinion à celle de la Section d'appel quant à l'appréciation de la preuve soumise à l'audition; il tente également de fournir tardivement des explications concernant les lacunes relevées dans sa preuve par le tribunal. À ma lecture du dossier de la Section d'appel, je suis satisfait que celle-ci a exercé sa discrétion "objectivement, lucidement et de bonne foi après l'examen attentif des facteurs pertinents": voir Chieu, supra au para. 90.

[22]            À l'audience devant la Section d'appel, le représentant du Ministre a plaidé que puisque le demandeur était un réfugié et un apatride, la mesure de renvoi risquait d'être difficile à exécuter, expliquant qu'il serait difficile de trouver un pays tiers sûr qui serait prêt à l'accueillir. Il arguait donc qu'il valait mieux, pour assurer un contrôle gouvernemental sur le demandeur, lui imposer des conditions strictes dans le cadre d'un sursis de la mesure de renvoi plutôt que de rejeter son appel. Dans sa décision, la Section d'appel conclut que bien que les facteurs élaborés dans l'arrêt Ribic ne soient pas exhaustifs, une considération de la facilité ou non à exécuter la mesure de renvoi ne relève pas du mandat du tribunal, mais plutôt du Ministre. Je suis d'accord.


[23]            Dans l'arrêt Chieu, supra, la Cour suprême du Canada indique que la Section d'appel a le droit d'examiner les difficultés possibles à l'étranger lorsqu'elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 70(1)b) de la Loi, pourvu que le pays de destination probable ait été établi par l'individu renvoyé, selon la prépondérance des probabilités. Le Ministre devrait faciliter la détermination du pays de destination probable devant la Section d'appel chaque fois que cela est possible pour favoriser l'application efficace de la Loi. Aux para. 56-57 de ses motifs, le juge Iacobucci énonce la procédure à suivre dans un appel en vertu de l'alinéa 70(1)b) en ces termes:

Premièrement, il incombe au résident permanent frappé de renvoi d'établir selon la prépondérance des probabilités le pays de renvoi probable. C'est seulement dans les cas de désaccord avec les arguments d'un individu relativement au pays de destination probable que le ministre doit expliquer pourquoi un autre pays est le pays de destination probable ou pourquoi on ne peut pas encore déterminer ce pays. Cela serait le cas, par exemple, lorsque le ministre négocie avec un pays autre que le pays dont l'individu est le ressortissant pour qu'il accepte de le recevoir. [...] Deuxièmement, dans les appels relevant de la compétence discrétionnaire de la S.A.I., il a toujours été à la charge de l'individu frappé de renvoi d'établir les raisons pour lesquelles il devrait être autorisé à demeurer au Canada. S'il ne s'acquitte pas de cette charge, la mesure prise par défaut est le renvoi.

La Cour conclut que la Section d'appel doit d'abord déterminer s'il y a un pays de destination probable et, dans l'affirmative, déterminer si les difficultés auxquelles l'appelant pourrait faire face dans ce pays suffisent pour modifier l'équilibre antérieur des facteurs pertinents et permettre ainsi à l'appelant de demeurer au Canada. De plus, la Section d'appel est autorisée à tenir compte de la situation du pays de destination probable même si, au moment de l'audition de l'appel interjetéen vertu de l'alinéa 70(1)b), on ne sait pas avec une certitude absolue quel sera finalement le pays de destination.


[24]            Le but de la Loi est d'habiliter la Commission d'appel de l'immigration, dans certaines circonstances, à améliorer le sort d'un appelant contre lequel il existe un ordre d'expulsion valide en lui permettant de rester au Canada pour des motifs de compassion. L'objet de l'alinéa 70(1)b) de la Loi est de donner à la Section d'appel le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un résident permanent doit être renvoyé du Canada une fois que le pays de destination probable a été établi. Toutefois, c'est le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration qui, en vertu de l'article 52 de la Loi, est investi du pouvoir de déterminer dans quel pays un résident permanent sera renvoyé. Dans le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans Al-Sagban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 S.C.R. 133, le juge Iacobucci résume au para. 2 du jugement la portée du pouvoir du Ministre en vertu de l'article 52 de la Loi en ces termes:

Le pouvoir du ministre de prendre une décision en vertu de l'art. 52 n'existe que lorsqu'un individu est frappé de renvoi. Si la S.A.I. annule la mesure de renvoi, ou ordonne d'y surseoir, il n'y a plus personne à renvoyer et, par conséquent, le ministre n'est plus habilité à prendre une décision en vertu de l'art. 52. Toutefois le ministre peut présenter des observations sur le pays où il a l'intention de renvoyer le résident permanent à l'audience d'un appel en vertu de l'al. 70(1)b), ou il peut prendre une décision en vertu de l'art. 52 avant l'audience. Ses observations ne sont nécessaires que s'il y a désaccord sur le pays de destination, ce qui n'est le cas normalement que lorsque ce pays est autre que le pays dont l'intéressé est le ressortissant.


[25]            De plus, dans l'arrêt Chieu, supra, le juge Iacobucci explique clairement au para. 75 du jugement que la Section d'appel ne peut pas rendre une décision relative au pays de destination parce que cette décision appartient au ministre en vertu de l'article 52. Toutefois, lorsque le pays de destination probable est connu à l'audience, la Section d'appel peut examiner les difficultés possibles à l'étranger quand elle exerce son pouvoir discrétionnaire.

[26]            Ainsi, à la lumière des arrêts Chieu et Al-Sagban, il m'apparaît clair que dans la mesure où la "facilité ou non à exécuter la mesure de renvoi" dépendra de l'établissement ou non d'un pays de destination probable du demandeur à l'audience, la tâche de la Section d'appel se limite à déterminer si un pays de destination probable est connu. Si le pays de destination probable n'a pas été établi devant la Section d'appel, celle-ci n'est pas autorisée à accorder un sursis d'une mesure de renvoi sur la base qu'elle serait plus difficile à exécuter. Seul le Ministre est autorisé à prendre une telle décision en vertu de l'article 52 de la Loi après le rejet de l'appel par la Section d'appel.


[27]            Ceci étant dit, je suis également d'avis qu'une fois le pays de destination probable d'un appelant établi, la "facilité ou non à exécuter la mesure de renvoi" ne constitue pas, en soi, une considération pertinente dans l'exercice par la Section d'appel de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 70(1)b). Les facteurs énoncés dans Ribic demeurent encore les facteurs à considérer par la Section d'appel dans un appel en vertu de l'alinéa 70(1)b). Selon l'arrêt Chieu, supra, celle-ci doit donc examiner toutes les circonstances y compris les difficultés possibles à l'étranger en vertu de cet alinéa pour déterminer s'il est opportun d'annuler ou de suspendre une mesure de renvoi.

[28]            En l'espèce, le demandeur prétend que la Section d'appel aurait commis une erreur en ne considérant pas la situation actuelle au Cambodge. Il prétend également que son renvoi vers le Cambodge serait contraire à la Convention de Genève qui interdit de renvoyer un réfugié dans un pays où il encourt un danger pour sa vie ou sa sécurité.

[29]            À ma lecture du dossier, je constate qu'aucune décision ne semble encore avoir été prise en vertu de l'article 52 de la Loi quant au pays vers lequel le demandeur serait expulsé. Celui-ci est né au Cambodge mais aurait quitté pour le Vietnam vers 5 ou 6 ans où il aurait passé la majeure partie de sa jeunesse et où il est résident temporaire. Il est aussi apatride, bien que la mesure d'expulsion indique qu'il est un citoyen du Cambodge. Le demandeur dit avoir quitté le Cambodge jeune et ne pas connaître la situation actuelle dans ce pays avec lequel il n'entretient plus de liens.


[30]            À l'audience, bien qu'il ait témoigné avoir peur de retourner au Cambodge, le demandeur n'a soumis aucune preuve indépendante concernant la situation dans ce pays, ni concernant son statut de résident temporaire. Se fondant sur l'arrêt Chieu, la Section d'appel conclut que "puisque le demandeur est un réfugié et apatride [...] il n'a pas établi, selon la balance des probabilités, le pays vers lequel il serait vraisemblablement déporté". Par conséquent, elle refusa de se prononcer sur la situation au Cambodge et conclut que le demandeur n'avait pas établi, selon la balance des probabilités, qu'il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

[31]            Dans l'arrêt Chieu, supra, la Cour suprême du Canada explique aux para. 53 et 78 que le pays de destination pour un résident permanent qui n'est pas un réfugié est rarement un pays autre que le pays dont il est le ressortissant, de sorte que le pays de renvoi probable est généralement connu lors de l'audition de l'appel en vertu de l'alinéa 70(1)b). Or, dans le cas de résidents permanents qui sont également des réfugiés au sens de la Convention, il est moins probable qu'un pays de destination puisse être déterminé. Voici ce que dit le juge Iacobucci au para. 58 de ses motifs:


Enfin, je note que souvent on ne pourra pas déterminer le pays de destination probable dans le cas d'un réfugié au sens de la Convention parce que l'art. 53 de la Loi interdit le renvoi « dans un pays où sa vie ou sa libertéseraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques » à moins d'appartenir à une catégorie non admissible et, selon le ministre, de constituer un danger pour le public au Canada (al. 53(1)a), c) et d)) ou un danger pour la sécurité du Canada (al. 53(1)b)). L'article 53 met en oeuvre les engagements internationaux du Canada en vertu de l'article 33 de la Convention de Genève de 1951 de protection contre le refoulement, le principe de droit international exigeant de l'État de ne pas renvoyer un réfugié dans un pays où sa vie ou sa libertéserait en danger, sauf lorsque le réfugié est un danger pour la sécuriténationale ou un danger pour la collectivité du pays hôte. Par conséquent, la plupart des réfugiés au sens de la Convention ne peuvent pas être renvoyés vers le pays dont ils sont les ressortissants mais, souvent, aucun autre pays ne sera obligéou désireux de les accepter. Dans de tels cas, il n'y a aucun pays de destination probable au moment de l'appel, de sorte que la S.A.I. ne peut pas considérer les difficultés à l'étranger. (Mes soulignés)

[32]            En l'espèce, et contrairement aux faits dans l'arrêt Chieu, supra, la Section d'appel s'est penchée sur la question de savoir si le pays de destination probable du demandeur a été établi par celui-ci, selon la prépondérance des probabilités. Compte tenu du fait que celui-ci a fui le Cambodge et s'est fait reconnaître le statut de réfugié, il ne pourrait être renvoyé vers ce pays dont il est le ressortissant. Ce pays ne pouvait donc être le pays de renvoi probable. De plus, le représentant du Ministre et le procureur du demandeur ont soumis lors de l'appel que ni le Cambodge, ni le Vietnam n'étaient tenus de l'accepter puisqu'il est apatride, de sorte qu'aucun de ces deux pays ne pouvait être le pays de destination probable.    Dans ces circonstances, la Section d'appel a conclu à bon droit que le demandeur n'avait pas établi son pays de destination probable, selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, elle n'avait pas à examiner les difficultés auxquelles il pourrait faire face au Cambodge lorsqu'elle exerça son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 70(1)b).


[33]            À mon avis, la Section d'appel a exercé sa discrétion légalement, de façon non arbitraire, de bonne foi et sans être influencée par des considérations non pertinentes. Je ne peux donc intervenir pour casser sa décision.

[34]            Pour toutes ces raisons, je rejette cette demande de contrôle judiciaire.

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 6 mai 2003


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                            

DOSSIER :                                    IMM-1891-02

INTITULÉ :                                   POR PHON c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :         29 avril 2003

DATE DES MOTIFS :              Le 6 mai 2003

COMPARUTIONS:

Me Jean Baillargeon                                                                POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jean Baillargeon                                                                        POUR LE DEMANDEUR

2130, Bourbonnière

Sillery, Québec

G1T 1B1

MORRIS ROSENBERG                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Ministère fédéral de la justice          POUR LE DÉFENDEUR

Complexe Guy-Favreau

200 ouest, Boul. René- Lévesque

Tour Est, 5e étage

Montréal, Québec

H2Z 1X4

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