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Date : 20030422

Dossier : T-1879-02

Référence neutre : 2003 CFPI 464

Toronto (Ontario), le mardi 22 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                              JERRY PRIMROSE, AGNES MELINDA SPENCE,

SHIRLEY LOUISE LINKLATER, WILLIAM ELVIS THOMAS,

D'ARCY LINKLATER, DAVID M. SPENCE et

JIMMY HUNTER-SPENCE, en leur nom personnel et au

nom de la NATION CRIE

NISICHAWAYASIHK, en leur qualité de CHEF et

DE CONSEILLERS DE LA NATION CRIE NISICHAWAYASIHK

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                            et

JIMMY D. SPENCE, CAROL PRINCE, GORDON HART, DENNIS BUNN, SHIRLEY LINKLATER et RON D. SPENCE, membres du COMITÉ D'APPEL DE LA NATION CRIE NISICHAWAYASIHK, désignés par la NATION CRIE NISICHAWAYASIHK conformément à l'article 19 du

Code électoral de la Nation crie Nisichawayasihk, 1998-E1 en date du 9 août 2002 et LE COMITÉ D'APPEL DE LA NATION CRIE NISICHAWAYASIHK et

LILLIAN GAIL GOSSFELD-MCDONALD, J.D. MOORE, GLEN FRANCOIS, ALPHEUS MOODY et CAROL KOBLISKI

                                                                                                                                        défendeurs

et

ELLA MOOSE

                                                                                                                                     intervenante


                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Nation crie Nisichawayasihk du Manitoba procède à l'élection de son chef et de ses conseillers conformément aux dispositions du Code électoral de la Nation crie Nisichawayasihk, 1998-E1, qui a été modifié le 9 août 2002 (le Code). Le 17 juillet 2002, le chef et le conseil ont annoncé l'élection ici en cause; conformément au Code, une assemblée de mise en candidature a été tenue le 14 août 2002 et l'élection a eu lieu le 28 août 2002. Toutefois, les résultats de l'élection ont été contestés au moyen d'appels interjetés devant le Comité d'appel de la Nation crie Nisichawayasihk (la NCN). Après avoir examiné les appels, le Comité d'appel a déclenché une nouvelle élection.

[2]                 Les demandeurs, soit les candidats qui ont été élus aux postes de chef et de conseillers, contestent le pouvoir du Comité d'appel de prendre la décision relative au déclenchement d'une nouvelle élection. La contestation a fait l'objet d'une défense de la part des membres du Comité d'appel (le Comité d'appel défendeur) et de cinq candidats non élus qui ont interjeté appel (les appelants défendeurs). La préposée aux élections intervenante appuie d'une façon générale la contestation présentée par les demandeurs. Il faut donc, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, examiner la décision du Comité d'appel en vue de déterminer s'il avait la compétence voulue pour, en fait, contrecarrer la volonté exprimée par l'électorat.


A.         Quel est le partage des pouvoirs en vertu du Code?

[3]                 Il est convenu que le Code a été adopté à la suite de la consultation générale des membres de la NCN et du vote des membres, qu'il codifie la coutume de la bande régissant les élections et qu'il renferme les dispositions à suivre aux fins de la sélection des représentants chargés de gouverner la NCN. C'est ce que prévoit fort clairement le préambule du Code (dossier de la demande des demandeurs (le DDD), volume I, pages 36 à 63) :

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE : La Nation crie Nisichawayasihk croit que le Créateur a donné l'existence aux terres et aux citoyens de la Nation crie Nisichawayasihk et que le Créateur nous a donné des lois qui définissent nos droits et responsabilités et qui régissent tous nos rapports, de façon que nous puissions vivre en harmonie avec la nature et l'humanité.

ATTENDU QUE : La Nation crie Nisichawayasihk a maintenu sa liberté, ses croyances spirituelles, ses langues, sa culture et ses traditions et a exercé des pouvoirs d'autonomie gouvernementale de temps immémorial.

ATTENDU QUE : La Nation crie Nisichawayasihk veut adopter des lois écrites destinées à régir ses citoyens, à protéger ses terres ainsi qu'à permettre l'utilisation de ses ressources et l'élection de son gouvernement.

PAR CONSÉQUENT, LA PRÉSENTE LOI, sur l'avis et avec le consentement des citoyens de la Nation crie Nisichawayasihk, est édictée comme suit :


[4]                 Les dispositions ci-après énoncées du Code indiquent l'intention des membres de la NCN au sujet de la façon dont les élections doivent être tenues :

[TRADUCTION]

Mise en candidature

4(1)          Sous réserve du paragraphe (2), au moins quarante-cinq (45) jours avant l'expiration de son mandat, le conseil désigne un électeur qui est en mesure de communiquer en cri et en anglais au poste de préposé aux élections pour l'application du Code.

Pouvoirs et fonctions du préposé aux élections

8(1)         Le préposé aux élections :

a) assure la direction et la surveillance générales de la conduite administrative des élections;

b) veille à ce que la liste électorale soit préparée et affichée en au moins cinq (5) endroits publics dans la réserve au moins quatorze (14) jours avant la date de l'élection;

c) assure l'équité, l'impartialité et l'observation du Code de la part des préposés aux élections;

d) donne des instructions aux préposés adjoints aux élections et aux autres préposés désignés par le conseil, au besoin, en vue d'assurer l'exercice des fonctions prévues par le Code;

e) exerce les autres fonctions prescrites par le Code.

Pouvoirs spéciaux du préposé aux élections.

8(2)          En plus des autres pouvoirs et fonctions qui lui incombent en vertu du Code, le préposé aux élections peut :

a) en cas d'urgence, proroger les délais ou reporter les dates prévus par le Code aux fins de la prise de mesures;

b) augmenter le nombre de préposés aux élections;

c) augmenter le nombre de bureaux de scrutin;

d) prescrire des formulaires pour l'application du Code;

e) adapter d'une façon générale les dispositions du Code aux circonstances existantes;

f) exercer tout autre pouvoir prescrit par le Code ou sous le régime du Code;


le préposé aux élections ne peut toutefois pas changer les dates de l'assemblée de mise en candidature ou de l'élection ou changer l'heure d'ouverture ou de fermeture d'un bureau de scrutin ordinaire ou spécial ou l'heure d'acceptation d'une déclaration de candidature le jour de la clôture des présentations sauf si l'élection ne peut pas être tenue en raison d'une urgence qui touche la NCN, comme une inondation, un feu de forêt ou le décès d'un membre ou d'une autre personne.

La résolution adoptée par le conseil entame le processus électoral.

10(2)        Le processus électoral commence au moyen d'une résolution adoptée par le conseil en vue du déclenchement d'une élection; la résolution est transmise immédiatement au préposé aux élections.

Ordonnance relative à l'élection.

10(3)        Sur réception de la résolution, le préposé aux élections rend immédiatement une ordonnance :

a) fixant la date, pas plus de quatorze (14) jours et pas moins de sept (7) jours à compter de la date de l'ordonnance, aux fins du dépôt par les candidats des déclarations de candidature;

b) fixant la date de l'élection, pas moins de sept (7) jours et pas plus de quatorze (14) jours à compter de la date de clôture des présentations;

c) fixant la date de l'assemblée de mise en candidature, pas plus de trois (3) jours après la date du dépôt des déclarations de candidature;

d) fixant la date et l'heure des bureaux spéciaux de scrutin;

e) fixant le lieu des bureaux de scrutin et leurs heures d'ouverture.

Il affiche l'ordonnance bien en évidence dans au moins cinq (5) endroits de la réserve.

Qualités des candidats

12(1)        Une personne est habile à être présentée comme candidate aux postes de chef et de conseiller et est éligible si :

a) elle est un électeur;

b) elle peut communiquer en anglais ou en cri;

c) elle réside habituellement dans la réserve ou sur des terres adjacentes à la réserve selon les facteurs énoncés au paragraphe 12(2) avant la date de l'assemblée de mise en candidature mentionnée au paragraphe 12(5); et

d) elle fournit au préposé aux élections, au moment du dépôt des déclarations de candidature, une attestation écrite confirmant qu'elle n'a jamais été déclarée coupable d'un acte criminel.

Une personne ne peut toutefois pas se porter à la fois candidate au poste de chef et à un poste de conseiller.

Déclarations de candidature

12(3)        Tout groupe d'au moins vingt-cinq (25) électeurs résidant habituellement dans la réserve ou sur des terres adjacentes à la réserve peut présenter un candidat en signant et en déposant auprès du préposé aux élections, après la date de l'ordonnance annonçant l'élection et avant 13 h le jour de la clôture des présentations, une déclaration de candidature selon la forme prescrite par le préposé aux élections.


Conditions de validité

12(4)       La déclaration de candidature n'est pas valide et ne peut pas être utilisée par le préposé aux élections à moins d'être accompagnée :

a) d'un montant de cinquante dollars (50 $) non remboursable, que le préposé aux élections dépose dans un compte distinct en vue de l'utiliser afin d'aider à payer le coût de l'élection;

b) d'un consentement écrit indiquant que la personne qui a été présentée comme candidate se portera candidate au poste pour lequel elle a été présentée;

c) de directives indiquant la façon dont le nom du candidat doit figurer sur le bulletin de vote;

d) d'une photographie du candidat, de deux pouces par deux pouces, en noir et blanc, en vue de son utilisation dans la préparation des bulletins de vote.

Assemblée de mise en candidature

12(5)        Le préposé aux élections assiste à l'assemblée de mise en candidature et annonce oralement et par écrit les noms des personnes qui ont été présentées; il indique si ces personnes ont les qualités requises et si elles sont prêtes à permettre que leur nom soit inscrit sur les bulletins de vote.

Présence des candidats

12(6)        Sous réserve du paragraphe (7), les électeurs présentés comme candidats assistent à l'assemblée de mise en candidature pour confirmer qu'ils veulent se porter candidats et pour énoncer les raisons pour lesquelles ils se portent candidats, à défaut de quoi le préposé aux élections déclare que la mise en candidature est nulle et invalide, à moins qu'à sa discrétion il ne décide qu'il existe des circonstances spéciales empêchant un candidat d'observer les dispositions du présent paragraphe.

Demande de nouveau dépouillement

20(1)        Dans les sept (7) jours qui suivent la date de l'élection, tout candidat peut demander un nouveau dépouillement en soumettant la demande au préposé aux élections, auquel cas le préposé aux élections donne aux candidats et aux électeurs un préavis de trois (3) jours les informant qu'un nouveau dépouillement a été demandé; il convoque ensuite sans délai les candidats et le préposé adjoint aux élections à une réunion pour procéder au nouveau dépouillement.

Facteurs à prendre en considération.

20(2)        Pendant le nouveau dépouillement, le préposé aux élections;

a) examine minutieusement tous les bulletins de vote utilisés lors de l'élection et détermine s'ils ont à juste titre été considérés comme détériorés ou écartés et, dans la négative, il inclut ces bulletins dans le compte des votes pour chaque candidat;

b) après le nouveau dépouillement :


(i) déclare que les candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de votes sont élus; ou

(ii) en cas d'égalité des voix entre les candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de votes, déclare qu'il y a égalité et demande au conseil de déclencher une élection partielle pour ces candidats conformément à l'article 11.

Appel de la décision du préposé aux élections.

20(3)        Tout candidat qui a demandé un nouveau dépouillement conformément au paragraphe (1) peut interjeter appel de la décision du préposé aux élections devant le Comité d'appel dans les sept (7) jours qui suivent la date de la décision.

Nouveau dépouillement par le Comité d'appel

20(4)        Sur réception d'un avis d'appel, le Comité d'appel convoque dans un délai de sept (7) jours une formation composée d'au moins trois (3) membres pour procéder au nouveau dépouillement conformément au paragraphe (4).

Appel en cas de manoeuvres frauduleuses.

20(5)        Dans les sept (7) jours qui suivent la date de l'élection, tout candidat ou tout électeur qui a voté peut interjeter appel devant le Comité d'appel s'il a des motifs raisonnables de croire :

a) qu'une infraction au Code qui peut influer sur les résultats de l'élection a été commise; ou

b) qu'il y a eu manoeuvres frauduleuses à l'égard de l'élection, lesquelles peuvent influer sur les résultats de l'élection.

Autres appels.

20(6)        Dans les sept (7) jours qui suivent la date de toute décision prévue par le Code qui porte atteinte à ses droits, un candidat ou un électeur peut interjeter appel devant le Comité d'appel.

Avis d'appel

20(7)        Dans le cas de l'appel prévu aux paragraphes (5) et (6), l'avis énonce les motifs d'appel et les faits sur lesquels l'appel est fondé; il est accompagné de la déclaration solennelle de l'appelant.

Enquête

20(8)        Sur réception de l'avis d'appel, le Comité d'appel enquête sur l'affaire s'il le juge nécessaire et donne à tout candidat ou à l'appelant la possibilité de présenter des observations orales ou écrites.


Rejet de l'appel

20(9)        S'il conclut qu'aucun motif d'appel n'est établi ou que l'acte reproché dans les motifs n'influe pas sur le résultat de l'élection, le Comité d'appel rejette l'appel.

Octroi de l'appel prévu au paragraphe (5)

20(10)      Dans le cas de l'appel prévu au paragraphe (5), s'il conclut que les motifs d'appel ont été établis et que l'acte reproché influe sur le résultat de l'élection, le Comité d'appel en avise immédiatement le préposé aux élections et le conseil, et le conseil déclenche, conformément au Code, dans un délai de vingt et un (21) jours :

a) une nouvelle élection si l'acte reproché influe sur le résultat de l'élection dans son ensemble;

b) une élection partielle à l'égard des postes en cause si l'acte reproché influe sur le résultat d'une partie de l'élection seulement.

Octroi de l'appel fondé sur le paragraphe (6).

20(11)      Dans le cas de l'appel prévu au paragraphe (6), le Comité d'appel peut confirmer la décision ou, s'il conclut que les motifs d'appel ont été établis, peut substituer sa décision à celle qui a initialement été prise.

Décision définitive

20(12)      La décision rendue par le Comité d'appel en vertu des paragraphes (9), (10) ou (11) est définitive et lie tous les électeurs.

Contrôle judiciaire

20(13) La décision du Comité d'appel ne peut être examinée par un tribunal ayant compétence que si le Comité d'appel n'a pas observé un principe de justice naturelle ou s'il a par ailleurs outrepassé ou refusé d'exercer la compétence qui lui est conférée par le Code.

[5]                 Le Code, sous deux aspects importants, donne une indication de la façon dont l'intention des membres de la NCN, pour ce qui est de l'autonomie gouvernementale, doit être considérée : il s'agit du serment d'allégeance que les représentants élus doivent prêter et des dispositions du paragraphe 20(13) précitées. Le serment d'allégeance que le chef et chaque conseiller qui viennent d'être élus doivent prêter, lequel figure à l'annexe du Code (DDD, volume 1, page 60), est ainsi libellé :


[TRADUCTION] Je, ......................... devant le Créateur et les membres de la Nation crie Nisichawayasihk, jure ou déclare solennellement que je serai fidèle et que j'obéirai aux lois de la Nation crie Nisichawayasihk et du Canada.

[6]                 Par conséquent, bien que les intérêts de la NCN pour ce qui est de l'autonomie gouvernementale soient primordiaux, le Code reconnaît que ces intérêts doivent

néanmoins respecter les lois du Canada. Le Code confère certains droits aux membres de la NCN à l'égard des élections, mais il en est de même pour les lois du Canada. Le Code établit une procédure d'appel interne régie par les dispositions du Code aux fins de la contestation d'une élection sous certains aspects, mais il prévoit également une procédure d'examen externe par la Cour fédérale du Canada fondée sur les lois du Canada. Il semble clair que l'intention des membres de la NCN, en conférant ces droits de contestation, est de garantir que le résultat d'une élection est juste et équitable pour tous, c'est-à-dire que personne ne doit bénéficier d'un avantage.

[7]                 Par conséquent, en ce qui concerne une élection, le Code confère à un certain nombre de personnes le pouvoir voulu pour faire en sorte que le résultat de l'élection soit juste et équitable conformément au droit énoncé dans le Code.

[8]                 Il est important de faire mention de la relation à laquelle on doit s'attendre de ceux qui possèdent un pouvoir. Le préambule prévoit fort clairement qu'il doit s'agir d'une relation respectueuse. Le respect nécessaire aux fins de la bonne gouvernance de la NCN peut uniquement être assuré si les dispositions du Code sont observées; c'est la loi.


B. De quelle façon le Code devrait-il être interprété?

[9]                 Le Code est un énoncé du droit électoral de la NCN. En tant que tel, il est assimilable à une « loi » édictée par le gouvernement du Canada, par une province ou par un territoire. L'approche contemporaine en matière d'interprétation « législative » , lorsqu'il s'agit de trouver l'interprétation « correcte » , c'est-à-dire l'interprétation prévue par les personnes qui ont édicté la loi, s'explique de cette façon :

[TRADUCTION] De nos jours, dans tous les cas, le sens qui ressort de la lecture des mots dans leur contexte immédiat doit être considéré à la lumière du contexte plus général et être vérifié par rapport aux autres sources d'interprétation législative. L'objet de la législation doit être pris en considération, même lorsque le sens semble clair, et il en va de même pour les conséquences. En fin de compte, un tribunal peut décider de se fonder sur sa première impression, soit le sens qui ressort de la simple lecture du texte. Cependant, aucun tribunal contemporain n'estimerait approprié d'adopter ce sens, même s'il est « clair » , sans d'abord se lancer dans un travail d'interprétation. (Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition, pages 3 et 4)

[10]            En l'espèce, indépendamment des mots employés dans le Code lui-même, la seule preuve relative à ce que l'on voulait dire provient de deux « Guides » sur les élections préparés par des auteurs inconnus.


[11]            Avant que le Code eût été accepté par les membres de la NCN par scrutin secret en 1998, un guide explicatif intitulé Nisichawayasihk Cree Nation Election Code Handbook avait été préparé et distribué (dossier de l'intervenante (DI), pages 27 à 40). Au début du Guide figure une explication du processus que la NCN a utilisé en vue d'établir son droit électoral :

[TRADUCTION] Dans quelles circonstances le Code électoral a-t-il été élaboré?

Un sondage a été effectué et notre avocat a initialement rédigé le Code en se fondant sur ce sondage. Un certain nombre d'ateliers ont ensuite eu lieu à Nelson House, notamment plusieurs ateliers avant la tenue de la dernière élection, et des modifications ont été effectuées compte tenu de ce que nos membres avaient dit. Le Code électoral final est une combinaison des sondages et des commentaires qui ont été faits lors des ateliers.

Dans quelles circonstances le Code électoral devient-il-loi?

Le chef et le conseil ont examiné le projet de Code électoral avec les membres lors des ateliers, et le projet a été envoyé à Ottawa, pour que les représentants du MAINC fassent part de leurs commentaires. Les commentaires qui ont été faits dans le cadre de ces discussions ont été incorporés dans le Code électoral final.

Les membres de la Nation crie Nisichawayasihk vivant à Nelson House qui ont le droit d'élire le chef et les conseillers doivent maintenant approuver la loi. Le conseil a décidé de tenir un scrutin secret en envoyant une boîte de scrutin de porte à porte à Nelson House. Le résultat du scrutin sera ensuite envoyé au ministre des Affaires indiennes ainsi que la version finale du Code électoral. Le ministre rendra ensuite une ordonnance visant à soustraire la Nation crie Nisichawayasihk à l'application de la Loi sur les Indiens.

Toutefois, l'explication qui est donnée dans le Guide au sujet des diverses dispositions du Code ne fait que décrire les dispositions elles-mêmes. Par conséquent, à part les mots du Code lui-même, ce Guide ne fournit pas de preuve qui puisse aider à déterminer ce que les membres de la communauté voulaient accomplir au moyen de la loi régissant les élections.


[12]            Le deuxième « Guide » est le Nisichawayasihk Cree Nation Election Officials' Handbook (DI, pages 78 à 96). Il est convenu que ce document n'avait pas été largement distribué au moment où l'élection ici en cause a été tenue, mais qu'il était uniquement destiné à être utilisé par les personnes qui étaient responsables de l'élection. Le Guide des responsables renferme une opinion au sujet du sens à attribuer au paragraphe 20(6) du Code qui est mentionné à l'appui de l'argument avancé par le Comité d'appel défendeur. Cet argument est examiné ci-dessous dans la section C(4).

[13]            À mon avis, à part le Guide des responsables qui fournit certains éléments de preuve au sujet du sens prévu du paragraphe 20(6), il n'y a pas de preuve digne de foi qui, en plus du libellé du Code, donne une idée du sens prévu de ses dispositions.

C. Quelle est l'interprétation correcte des pouvoirs et responsabilités attribués par le Code?

[14]            En ce qui concerne l'analyse qui suit, je conclus que l'interprétation correcte des pouvoirs et responsabilités du préposé aux élections, de tout appelant, et de la Cour fédérale est uniquement établie à l'aide du libellé du Code lui-même.

1.          Le préposé aux élections


[15]            Les obligations et pouvoirs habituels auxquels il est possible de s'attendre d'un préposé aux élections sont énoncés au paragraphe 8(1). Toutefois, le paragraphe 8(2) prévoit des « pouvoirs spéciaux » , dont le plus étendu est énoncé à l'alinéa 8(2)e), qui confère au préposé aux élections le pouvoir [TRADUCTION] d' « adapter d'une façon générale les dispositions du Code aux circonstances existantes » . Il importe de noter qu'aucune limite n'est imposée à ce pouvoir exceptionnel. La dernière partie du paragraphe 8(2) confère également un pouvoir en cas d'urgence. Les exemples donnés, au sujet de ce qui constitue une urgence, sont [TRADUCTION] « une inondation, un feu de forêt ou le décès d'un membre ou d'une autre personne » . Toutefois, il ressort du libellé de la disposition que cette liste n'est pas exhaustive; des exemples sont donnés pour guider le préposé aux élections et l'aider à déterminer ce qui constitue une urgence.

[16]            À mon avis, les dispositions par lesquelles sont conférés le pouvoir exceptionnel énoncé à l'alinéa 8(2)e) et le pouvoir en cas d'urgence sont des dispositions attributives de compétence et, cela étant, les mesures prises par un préposé aux élections conformément à ces dispositions peuvent être contestées dans le cadre d'un appel interjeté de la façon appropriée devant le Comité d'appel, et la décision du Comité d'appel peut être examinée dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée de la façon appropriée devant la Cour fédérale comme l'autorise le paragraphe 20(13) du Code.

2. Les appelants


[17]            Seules les dispositions relatives aux appels des paragraphes 20(5) et 20(6) sont ici en litige aux fins de la décision à rendre dans le cadre de la présente demande. Ces deux dispositions énoncent certaines exigences obligatoires pour qu'un appel soit interjeté devant le Comité d'appel. Par conséquent, le pouvoir d'un appelant de présenter une contestation en vertu de l'une ou l'autre disposition est accompagné de certaines responsabilités expresses. En vertu du paragraphe 20(5) et du paragraphe 20(6), l'appel

doit être interjeté dans les sept jours qui suivent la date à laquelle l'acte reproché a été commis. De plus, le paragraphe 20(7) exige que l'avis d'appel renferme deux énoncés importants : les motifs d'appel et les faits sur lesquels l'appel est fondé. De plus, un appel interjeté en vertu de l'une ou l'autre disposition doit être étayé par une déclaration solennelle.

[18]            Par conséquent, il n'existe absolument aucune ambiguïté en ce qui concerne les exigences relatives à un appel. De plus, aucune disposition du Code ne permet à qui que ce soit, y compris le Comité d'appel, d'accorder une réparation et de maintenir l'appel si l'une des exigences obligatoires n'est pas respectée.

3. La Cour fédérale


[19]            Il ressort clairement du paragraphe 20(13) que la NCN veut conférer à la Cour fédérale le pouvoir d'intervenir dans les affaires électorales qui concernent la NCN à la suite d'une demande de contrôle judiciaire présentée de la façon appropriée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale. Toutefois, il est également clair que la NCN veut uniquement que cette participation soit limitée. J'interprète cette disposition comme prévoyant que la NCN veut exercer un contrôle sur ses propres affaires, en matière d'élections, sans intervention extérieure, mais tout en reconnaissant que les lois du Canada s'appliquent à l'égard de certaines exigences cruciales relatives à toute prise de décision gouvernementale, c'est-à-dire que le processus doit être juste et que le décideur concerné doit être autorisé à prendre la décision en cause. En vertu du paragraphe 20(13), la Cour fédérale est également autorisée à forcer le décideur à prendre une décision lorsque le Code l'exige.

[20]            Compte tenu du paragraphe 20(13), je conclus donc que je possède le pouvoir nécessaire pour déterminer si le Comité d'appel était autorisé à prendre la décision qui a mené au déclenchement d'une nouvelle élection. Ma responsabilité, en exerçant ce pouvoir, est d'appliquer les lois du Canada.

a. Quelle est la norme par rapport à laquelle les décisions juridictionnelles du Comité d'appel doivent être jugées?


[21]            La norme de contrôle se rapporte au degré de liberté à reconnaître à un organisme décisionnel tel que le Comité d'appel lorsqu'il s'agit d'arriver à ses propres décisions comme il le juge bon ou au degré de « retenue » dont il faut faire preuve à son endroit. Cela dépend d'un certain nombre de facteurs tels que l'expertise de l'organisme et la nature de la question sur laquelle il doit se prononcer. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'arriver à une décision au sujet du pouvoir d'agir d'un organisme, il est bien établi en droit que l'organisme doit répondre d'une façon « correcte » . Ce principe général est énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pezim c. British Columbia Securities Commission, [1994] 2 R.C.S. 557, où Monsieur le juge Iacobucci dit ce qui suit au paragraphe 63 :

À l'autre extrémité de la gamme, où la norme de la décision correcte requiert le moins de retenue relativement aux questions juridiques, ce sont les cas où les questions en litige portent sur l'interprétation d'une disposition limitant la compétence du tribunal (erreur dans l'exercice de la compétence) ou encore les cas où la loi prévoit un droit d'appel qui permet au tribunal siégeant en révision de substituer son opinion à celle du tribunal, et où le tribunal ne possède pas une expertise plus grande que la cour de justice sur la question soulevée, par exemple dans le domaine des droits de la personne. Voir les arrêts Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, et Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353.

[22]            Dans leurs exposés oraux et écrits, l'avocat du Comité d'appel défendeur et l'avocat des appelants défendeurs ont soutenu que les décisions juridictionnelles du Comité d'appel devraient être maintenues et ne pas être jugées par une norme aussi stricte que celle du caractère correct. Deux arguments sont soumis : étant donné que le Code constitue une expression de l'autonomie gouvernementale de la NCN, le Comité d'appel est mieux placé pour déterminer ce que veut dire le Code; et de fait les lois du Canada exigent que les décisions juridictionnelles du Comité d'appel soient jugées selon la norme plus souple du caractère simplement « raisonnable » . Les défendeurs affirment que le Comité d'appel [TRADUCTION] « a le droit de se tromper » , et que tous devraient l'admettre. Je ne retiens pas ces arguments.


[23]            Comme je l'ai ci-dessus expliqué, même si la NCN aspire à l'autonomie gouvernementale, le préambule du Code exige que le Comité d'appel suive la loi énoncée dans le Code ainsi que les lois du Canada. Or, en vertu du Code, le Comité d'appel n'est que l'un d'un certain nombre de titulaires de pouvoirs; son autorité ne l'emporte pas.

[24]            À mon avis, l'argument juridique présenté par les défendeurs ne résiste pas à un examen rigoureux. Au cours de l'audience, les défendeurs ont soutenu que l'arrêt faisant autorité bien connu précité, qui exige que les questions juridictionnelles soient tranchées selon la norme de la décision correcte, a d'une certaine façon été supplanté par des prononcés récents de la Cour suprême du Canada. En particulier, l'arrêt Nouveau-Brunswick c. Moreau-Bérubé, [2002] 1 R.C.S. 249, a été mentionné à titre d'exemple.


[25]            L'affaire Moreau-Bérubé se rapportait à la contestation d'une conclusion tirée par le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick, à savoir qu'un juge devait être destitué de ses fonctions à cause de commentaires désobligeants qu'elle avait faits au cours d'une audience. Dans l'affaire Moreau-Bérubé, la question dont la Cour suprême du Canada était saisie se rapportait à la norme qu'il fallait utiliser pour examiner la conclusion tirée plutôt qu'à la question de savoir si le Conseil de la magistrature avait la compétence voulue pour tirer la conclusion. En fait, le pouvoir juridictionnel de prise de décision du Conseil de la magistrature de tirer la conclusion à laquelle il était arrivé n'était pas remis en question; le Conseil de la magistrature avait la compétence voulue pour tirer une conclusion parce que l'affaire lui avait été renvoyée après la tenue d'une enquête. En l'espèce, contrairement à ce qui s'est produit dans l'affaire Moreau-Bérubé, le pouvoir décisionnel du Comité d'appel est remis en question; je conclus donc que la loi est la même.

[26]            Je conclus que la norme par rapport à laquelle la décision du Comité d'appel doit être jugée pour ce qui est de sa propre compétence est celle de la décision correcte. À mon avis, le Comité d'appel n'a pas le droit de se tromper, il est tenu d'avoir raison.

4. Le Comité d'appel

[27]            Aux fins du présent contrôle judiciaire, le Comité d'appel est tenu de déterminer correctement s'il est autorisé à agir lorsqu'un appel est interjeté en vertu du paragraphe 20(5) ou du paragraphe 20(6) du Code. Par conséquent, il faut absolument déterminer le sens correct de ces deux dispositions. Comme il en a ci-dessus été fait mention, les défendeurs se fondent sur des passages du Guide des responsables comme guide d'interprétation du paragraphe 20(6) du Code. Les passages en question sont les suivants :


[TRADUCTION] Après que les déclarations de candidature ont été déposées et avant l'assemblée de mise en candidature, le préposé aux élections doit examiner toutes les déclarations de candidature et déterminer si les candidats ont les qualités requises. Si une personne qui a déposé une déclaration de candidature n'a pas les qualités requises, le préposé aux élections doit la déclarer inhabile et elle ne peut pas se présenter à l'élection. Cette décision du préposé aux élections peut être portée en appel devant le Comité d'appel dans les sept jours qui suivent la date de la décision du préposé aux élections. [Voir le paragraphe 20(6)] (DI, page 82)

[...]

Une fois que l'assemblée de mise en candidature est terminée et que le préposé aux élections a déterminé si une personne est habile à se présenter aux élections, cette décision ne peut pas être modifiée. Après l'assemblée, le rapport sur l'assemblée de mise en candidature, formulaire 10, devrait être préparé. La décision du préposé aux élections de déclarer un candidat inhabile peut être portée en appel devant le Comité d'appel dans les sept jours qui suivent la date de la décision. Si le Comité d'appel maintient la décision du préposé aux élections, la personne en cause ne pourra pas se présenter à l'élection. Si le Comité d'appel infirme la décision du préposé aux élections, la personne pourra se présenter. [Voir les paragraphes 20(6) et (11)], (DI, page 84)

[...]

Le troisième type d'appel prévu par le Code électoral est un appel qui influe sur les droits d'un candidat ou d'un électeur. Ainsi, si le préposé aux élections déclare un candidat inhabile pour une raison ou une autre ou si un électeur n'est pas autorisé à voter, le candidat ou l'électeur pourra interjeter appel parce qu'il a été porté atteinte à ses droits. (DI, page 94)

                                                                                                                           [non souligné dans l'original]


[28]            Les avocats des défendeurs soutiennent que je devrais accorder de l'importance à l'opinion de l'auteur inconnu qui a rédigé le Guide des responsables et conclure que le paragraphe 20(6) vise uniquement à accorder une réparation aux candidats que le préposé aux élections a déclaré inhabiles. Cet argument vise à me faire conclure que les appels concernant les personnes qui ont les qualités requises pour présenter leur candidature peuvent uniquement être interjetés en vertu du paragraphe 20(5) du Code. Si cet argument était retenu, cela neutraliserait l'argument des demandeurs selon lequel les appels se rapportant aux décisions prises par le préposé aux élections au sujet de l'éligibilité des candidats doivent être interjetés dans les sept jours qui suivent la date de l'assemblée de mise en candidature. Par conséquent, si les appels relatifs aux décisions prises quant à l'éligibilité peuvent être interjetés uniquement en vertu du paragraphe 20(5), les appels en l'espèce ont été interjetés à temps; ils n'ont pas été interjetés dans les sept jours qui ont suivi la date de l'assemblée de mise en candidature comme ils devraient l'être s'ils étaient fondés sur le paragraphe 20(6), mais ils ont été interjetés dans les sept jours qui ont suivi la date de l'élection, conformément aux exigences du paragraphe 20(5).

[29]            Je ne retiens pas cet argument.


[30]            En premier lieu, je ne puis accorder aucune importance à une opinion se rapportant au sens prévu du Code sans savoir qui a exprimé l'opinion et les circonstances dans lesquelles cette opinion a été exprimée. En second lieu, les passages cités renferment des énoncés qui contredisent l'interprétation donnée par les défendeurs. Selon l'opinion qui a été exprimée, [TRADUCTION] « une fois que l'assemblée de mise en candidature est terminée et que le préposé aux élections a déterminé si une personne est habile à se présenter aux élections, cette décision ne peut pas être modifiée » . Si cet énoncé est une interprétation correcte, un candidat qui a les qualités requises est protégé contre toute contestation de la décision du préposé aux élections, et ce, peu importe que l'appel soit interjeté en vertu du paragraphe 20(5) ou en vertu du paragraphe 20(6). Étant donné que les appels qui ont été interjetés en l'espèce visent à contester la qualité de candidats élus qui ont été déclarés éligibles, cette opinion n'étaye pas uniquement les conclusions que les défendeurs préconisent. Enfin, dans le troisième passage précité, l'énoncé étayant la position des défendeurs n'est qu'un exemple. Il n'est donc pas concluant.

[31]            Pour ces motifs, je n'accorde aucune importance au Guide des responsables aux fins de l'interprétation.

D. Qu'est-il arrivé dans le cadre du processus électoral pour que des appels soient interjetés?

[32]            Les décisions prises par la préposée aux élections avant l'élection ont donné lieu aux appels qui sont à l'origine des décisions ici examinées. Le paragraphe 12(1) du Code énumère les qualités que doit posséder un candidat; avant l'assemblée de mise en candidature du 14 août 2002, la préposée aux élections a pris des décisions au sujet de certains candidats, en reconnaissant que deux candidats avaient les qualités requises malgré la question qui se posait au sujet de leur résidence et en déclarant que 17 candidats n'avaient pas qualité parce qu'ils ne satisfaisaient pas à l'exigence relative à l'absence de casier judiciaire, alors que cinq candidats n'avaient pas respecté le délai de dépôt.


[33]            Lors de l'assemblée de mise en candidature du 14 août 2002, la préposée aux élections a annoncé les décisions qu'elle avait prises au sujet de l'inéligibilité. Cependant, après avoir consulté tous les candidats et la communauté lors de l'assemblée, la préposée aux élections a changé d'idée; elle a reconnu que les cinq candidats qui avaient déposé la déclaration en retard étaient habiles à se présenter, et elle a reconnu que les 17 candidats qui ne remplissaient pas les conditions relatives à l'absence de casier judiciaire étaient habiles à se présenter, en adoptant une réponse créative à l'égard d'un problème fort difficile.

[34]            La vérification écrite du casier judiciaire exigée à l'alinéa 12(1)d) doit être fournie par la GRC. Toutefois, il semble y avoir eu un malentendu général au sujet des renseignements et du temps qu'il fallait à la GRC pour confirmer par écrit qu'un candidat n'avait pas de casier judiciaire. La préposée aux élections a appris fort tardivement dans le cours du processus électoral que des candidats qui avaient de bonne foi demandé à la GRC de procéder à une vérification ne pouvaient pas obtenir cette vérification avant l'élection. La préposée aux élections a décidé de corriger le problème auquel faisait face ces candidats en leur demandant de faire une déclaration solennelle attestant qu'ils n'avaient pas de casier judiciaire. Les 17 candidats en cause ont donc été autorisés à se présenter à l'élection.


[35]            Après que la préposée aux élections eut pris sa décision lors de l'assemblée de mise en candidature, il n'y a pas eu d'objections ou de plaintes au sujet de la résidence des candidats qu'elle avait annoncés, et il n'y a pas eu d'objections ou de plaintes, pour quelque motif que ce soit, au sujet de l'éligibilité des candidats annoncés (voir l'affidavit d'Ella Moose, fait sous serment le 26 février 2003, DI, pages 4 à 10).

[36]            Il est clair que toutes les décisions prises par la préposée aux élections au sujet des qualités des candidats étaient fondées sur le paragraphe 8(1) ou sur le paragraphe 8(2) du Code.

E. Quelles décisions juridictionnelles le Comité d'appel a-t-il prises?

[37]            Dans sa décision du 22 octobre 2002, le Comité d'appel a tiré un certain nombre de conclusions au sujet des « violations » du Code (voir le DDD, pages 9 à 18).

[38]            Un appel a été interjeté par chacun des appelants défendeurs : Glen François, Carol Kobliski, Alpheus Moody et Jimmy D. Moore (DDD, volume I, pages 120 à 134). Chaque appelant défendeur a déposé un document d'appel distinct, en date du 3 septembre 2002, mais les motifs et les faits étayant chaque appel sont énoncés dans une lettre d'accompagnement en date du 2 septembre 2002 qui était conjointement signée par ces quatre personnes. Chaque document d'appel montre que son contenu a été fait sous serment devant un commissaire à l'assermentation.

[39]            Même si, dans chaque document d'appel, il est mentionné que l'appel est interjeté tant en vertu du paragraphe 20(5) que du paragraphe 20(6) du Code, la lettre qui était jointe aux documents d'appel dit que les appels sont interjetés conformément à l'alinéa 20(5)a) du Code; de plus, les motifs énoncés dans la lettre se rapportent uniquement aux procédures relatives au scrutin, à l'exercice du droit de vote et à l'aide aux électeurs. Les décisions que la préposée aux élections avait prises lors de l'assemblée de mise en candidature du 14 août 2002 n'étaient contestées dans aucun de ces appels.

[40]            Je conclus donc que les quatre appels qui ont été interjetés sont de fait fondés sur le paragraphe 20(5). Même si chacun des quatre appels n'était pas accompagné d'une déclaration solennelle conformément aux exigences du paragraphe 20(7) du Code, le Comité d'appel a décidé qu'il avait compétence pour entendre et régler les appels; les appels ont tous été rejetés pour les motifs et compte tenu des faits énoncés dans la lettre du 2 septembre 2002. Par conséquent, la décision rendue dans ces appels n'influe pas sur le résultat de la présente demande et n'a pas à être examinée plus à fond.


[41]            L'appelante défenderesse Lillian Gail Gossfeld-McDonald a également interjeté appel (DDD, volume 1, pages 155 à 163). Dans son document d'appel, Mme Gossfeld-McDonald déclare que l'appel est interjeté tant en vertu de l'alinéa 20(5)a) que du paragraphe 20(6) du Code; le document est accompagné d'une déclaration solennelle et renferme un énoncé des motifs d'appel et des faits invoqués. Les motifs énoncés sont les suivants :

[TRADUCTION] Violation des dispositions suivantes du Code électoral :

Paragraphe 8(2) : « Pouvoirs spéciaux du préposé aux élections »

Paragraphe 12(1) : « Qualités requises des candidats »

Paragraphe 12(5) : « Assemblée de mise en candidature »

Paragraphe 14(1) : « Forme des bulletins de vote »

Dans cet appel, les violations suivantes sont invoquées : paragraphe 8(2) : exercice présumé par la préposée aux élections de ses pouvoirs en cas d'urgence visant à permettre le dépôt tardif; paragraphe 12(1) : décision prise par la préposée aux élections au sujet de la résidence en vertu de l'alinéa 12(1)a); paragraphe 12(5) : omission de la préposée aux élections, lors de l'assemblée de mise en candidature, d'annoncer par écrit les personnes qui avaient été présentées; paragraphe 14(1) : bulletins de vote non rédigés en anglais et en cri. Quant aux décisions relatives au dépôt tardif et à la résidence, aucun nom n'est mentionné. Dans cet appel, il n'est pas fait mention de la décision que la préposée aux élections a prise au sujet de la vérification du casier judiciaire.


[42]            Dans sa décision, le Comité d'appel a conclu qu'il avait compétence pour rendre une décision au sujet de la condition relative à la résidence prévue à l'alinéa 12(1)c); il a conclu qu'il y avait clairement eu violation de cette condition à l'égard de deux personnes désignées que la préposée aux élections avait autorisées à se présenter lors de l'assemblée de mise en candidature. De plus, le Comité d'appel a conclu qu'en ce qui concerne quatre personnes désignées que la préposée aux élections avait autorisées à se présenter malgré le dépôt tardif des déclarations de candidature, ce qui allait apparemment à l'encontre du paragraphe 12(3) du Code, la préposée aux élections n'était pas autorisée à changer d'idée et à permettre le dépôt tardif des déclarations de candidature. Lorsque ces conclusions ont été tirées, l'appel interjeté par Mme Gossfeld-McDonald n'a pas été expressément mentionné.

[43]            Dans sa décision, le Comité d'appel s'est également longuement attardé à la décision de la préposée aux élections, lors de l'assemblée de mise en candidature, d'autoriser certaines personnes à se présenter comme candidates même si elles n'avaient pas pu se conformer aux exigences précises de l'alinéa 12(1)d) à l'égard de la vérification du casier judiciaire. Sur ce point, le Comité d'appel confirme que, pendant ses délibérations, la préposée aux élections a signalé les pouvoirs spéciaux que lui conférait le paragraphe 8(2) du Code. Toutefois, dans sa réponse, le Comité d'appel est effectivement allé jusqu'à dire que le paragraphe 8(2) était [TRADUCTION] « si vague qu'il n'avait aucun sens » , et il a conclu que certains candidats n'avaient pas observé l'alinéa 12(1)d).


[44]            En fin de compte, pour chacune des conclusions ci-dessus décrites, le Comité d'appel a déclenché une nouvelle élection conformément au paragraphe 20(10) du Code. En vertu du paragraphe 20(10), ce n'est qu'à l'égard des appels fondés sur le paragraphe 20(5), lorsque le Comité d'appel décide que les motifs d'appel sont établis et que l'acte reproché a influé sur le résultat de l'élection, que le Comité d'appel est tenu d'aviser le préposé aux élections et le conseil; cet avis ayant été donné, le conseil est tenu de déclencher une nouvelle élection. Cependant, il importe de noter qu'il semble que le conseil soit également tenu de prendre une décision; en effet, sur réception de l'avis, il est uniquement tenu de déclencher une nouvelle élection s'il conclut que l'acte reproché a influé sur le résultat de l'élection au complet.

[45]            Quoi qu'il en soit, il semble que l'annonce d'une nouvelle élection que le Comité d'appel avait faite était destinée à constituer l'avis qui, a-t-il été conclu, devait être signifié. Étant donné qu'il est clair que le Comité d'appel n'était pas autorisé à faire autre chose, aux fins de la présente demande, je conclus que l' « annonce d'une nouvelle élection » est une décision de donner un « avis » conformément au paragraphe 20(10) du Code.

F. Le Comité d'appel a-t-il eu raison de rendre les décisions juridictionnelles qu'il a rendues?


[46]            Selon le principal argument des demandeurs, que la préposée aux élections intervenante appuie, le Comité d'appel n'avait pas compétence pour exprimer un avis au sujet des décisions prises par la préposée aux élections lors de l'assemblée de mise en candidature du 14 août 2002. Compte tenu de ce qui selon moi constitue l'interprétation correcte des mots employés aux paragraphes 20(5) et 20(6) du Code, je suis entièrement d'accord.

[47]            À mon avis, les paragraphes 20(5) et 20(6) ne sont pas des dispositions ambiguës; s'ils sont considérés avec les paragraphes 20(1) à (4), ils indiquent un régime d'appel général bien conçu de la part des membres de la NCN.

[48]            Le paragraphe 20(5) est destiné à traiter des problèmes qui se posent au cours d'une élection. Cette disposition est intitulée [TRADUCTION] « Appel en cas de manoeuvres frauduleuses » et décrit ensuite les circonstances dans lesquelles un appel peut être interjeté, à savoir dans le cas d'une violation du Code qui peut influer sur le résultat de l'élection qui a déjà été tenue, ou dans le cas de manoeuvres frauduleuses, lors de l'élection qui a déjà eu lieu, lesquelles peuvent influer sur le résultat de l'élection. Étant donné que la disposition met l'accent sur les problèmes qui se posent dans le cadre d'une élection qui a déjà eu lieu, l'appel doit être interjeté dans les sept jours qui suivent la date de l'élection.


[49]            D'autre part, le paragraphe 20(6) est destiné à traiter des problèmes qui se posent avant une élection. La disposition en question traite uniquement d'un certain genre de problème : une « décision » qui porte atteinte aux droits d'un candidat ou d'un électeur. Le candidat ou l'électeur qui a des motifs de croire qu'une décision porte ainsi atteinte à ses droits peut en appeler de la décision. Le paragraphe 20(6) n'impose pas de restrictions à cet égard : les candidats et les électeurs, peu importe qu'ils aient les qualités requises ou non, peuvent immédiatement utiliser la disposition pour s'assurer du bon déroulement de la procédure à suivre aux fins de l'élection qui doit être tenue.

[50]            Il est vrai qu'un candidat ou un électeur n'ayant pas les qualités requises voudrait interjeter appel, mais il en irait également de même pour un candidat ou un électeur ayant les qualités requises qui s'estime lésé parce que d'autres candidats ou électeurs sont déclarés habiles. Ainsi, dans l'appel qu'elle a interjeté en sa qualité de candidate ayant les qualités requises qui n'a pas été élue, Mme Gossfeld-McDonald affirme que si l'on permet aux candidats qui ont déposé leur déclaration tardivement de se présenter [TRADUCTION] « l'augmentation du nombre de candidats divise encore plus les votes (DDD, volume 1, page 156). Si la plainte avait été examinée avant l'élection, comme le prévoit le paragraphe 20(6), Mme Gossfeld-McDonald ne se sentirait peut-être pas aussi lésée si elle devait perdre.


[51]            Quant à l'appel fondé sur le paragraphe 20(6), le paragraphe 20(11) du Code confère au Comité d'appel de larges pouvoirs pour remédier à tout effet préjudiciable à un candidat ou à un électeur avant que l'élection ait lieu. Autrement, cela causerait le genre de gouvernance fort préjudiciable et de désordre au sein de la communauté auxquels la NCN a ici fait face après l'élection. À mon avis, cela ne peut pas être une conséquence voulue d'une interprétation correcte du Code.

[52]            En l'espèce, les défendeurs soutiennent qu'il serait presque impossible d'appliquer l'interprétation du Code que je viens de donner. En effet, il est soutenu par exemple que le Comité d'appel n'aurait tout simplement pas le temps d'examiner les appels découlant de décisions prises par la préposée aux élections lors de l'assemblée de mise en candidature du 14 août, étant donné que l'élection devait avoir lieu le 28 août. Je rejette cet argument. Je suis d'accord pour dire que le Comité d'appel serait pressé d'examiner les appels pendant la période de sept jours allant entre la date limite d'introduction d'un appel et la date de l'élection, mais il devrait tout simplement se mettre à la tâche et s'en acquitter; le Code indique que c'est ce qu'il doit faire. Il est clair, selon moi, que cette exigence vise à assurer qu'une liste parfaite non contestée de candidats soit produite devant un électorat ayant les qualités requises le jour de l'élection. Cela étant, seul un appel fondé sur le paragraphe 20(5) peut entraîner l'annulation du scrutin.


[53]            Cela étant, je conclus que le Comité d'appel n'avait pas compétence pour entendre un appel relatif aux décisions prises par la préposée aux élections au cours de l'assemblée de mise en candidature du 14 août 2002. Il en est ainsi parce qu'aucun appel se rapportant à ces décisions n'a été interjeté dans les sept jours, soit pendant la période allant du 14 août au 21 août 2002. Par conséquent, étant donné que Mme Gossfeld-McDonald a interjeté appel le 2 septembre 2002 seulement, je conclus que le Comité d'appel n'avait pas compétence pour l'examiner.

[54]            Je ne retiens pas l'argument selon lequel l'omission d'un appelant de se conformer aux exigences du Code est une simple formalité qui ne devrait pas empêcher le Comité d'appel de se prononcer sur un appel qui n'a pas été interjeté conformément au Code. Le Code est clair : les exigences relatives aux appels sont impératives. Le Comité d'appel n'est pas maître de ces exigences.

[55]            Il importe de noter qu'en vertu du paragraphe 8(2), seul le préposé aux élections a le pouvoir de contourner les règlements. Aucune autre personne qui s'est vu conférer des pouvoirs en vertu du Code n'est autorisée à faire quoi que ce soit d'autre que de suivre les dispositions exactes telles qu'elles sont libellées.

[56]            Le dossier montre clairement qu'aucun appel n'a été interjeté par une personne alléguant comme motif la décision que la préposée aux élections a prise au sujet de la vérification du casier judiciaire exigée par l'alinéa 12(1)d). Le Code est clair : le Comité d'appel peut uniquement agir si l'appel a été interjeté d'une façon régulière. Je conclus que le Comité d'appel n'a pas compétence pour agir de son propre chef afin d'introduire des motifs d'appel qui ne sont pas énoncés dans un document d'appel qui a été déposé de la façon appropriée.


[57]            Par conséquent, en agissant censément en vertu du paragraphe 20(5) sur des questions relevant du paragraphe 20(6) découlant des décisions que la préposée aux élections a prises lors de l'assemblée de mise en candidature du 14 août 2002, le Comité d'appel n'a, à mon avis, pas eu raison de rendre les décisions juridictionnelles qu'il a rendues. Je conclus donc que le Comité d'appel n'avait pas compétence pour donner avis conformément au paragraphe 20(10) du Code.

ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, par suite d'un défaut de compétence, j'annule par les présentes la décision que le Comité d'appel de la Nation crie Nisichawayasihk a prise le 22 octobre 2002 de donner avis conformément au paragraphe 20(10) du Code électoral de la Nation crie Nisichawayasihk.

À mon avis, aucune des parties individuelles à ce contrôle judiciaire, qu'il s'agisse des demandeurs, des défendeurs ou de l'intervenante, ne devrait supporter les frais qu'il a fallu engager pour obtenir une décision. Je ne doute pas de la bonne foi de toutes les personnes concernées lorsqu'il s'agit de demander une décision sur l'interprétation qu'il convient de donner au Code électoral de la Nation crie Nisichawayasihk, et en fait personne ne devrait être pénalisé pour chercher à obtenir ce résultat.


Par conséquent, je ne rends aucune ordonnance au sujet des dépens, mais selon moi, la Nation crie Nisichawayasihk elle-même, par l'entremise de son chef et de son conseil, devrait dédommager raisonnablement les parties individuelles qui ont engagé des dépenses personnelles ou des frais juridiques.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1879-02

INTITULÉ :                                       JERRY PRIMROSE, AGNES MELINDA SPENCE, SHIRLEY LOUISE LINKLATER, WILLIAM ELVIS THOMAS, D'ARCY LINKLATER, DAVID M. SPENCE et JIMMY HUNTER-SPENCE, en leur nom personnel et au nom de la NATION CRIE NISICHAWAYASIHK, en leur qualité de CHEF et DE CONSEILLERS DE LA NATION CRIE NISICHAWAYASIHK

                                                                                                                                      demandeurs

et

JIMMY D. SPENCE, CAROL PRINCE, GORDON HART, DENNIS BUNN, SHIRLEY LINKLATER et RON D. SPENCE, membres du COMITÉ D'APPEL DE LA NATION CRIE NISICHAWAYASIHK, désignés conformément à l'article 19 du Code électoral de la Nation crie Nisichawayasihk, 1998-E1 en date du 9 août 2002 et le COMITÉ D'APPEL DE LA NATION CRIE NISICHAWAYASIHK et LILLIAN GAIL GOSSFELD-MCDONALD, J.D. MOORE, GLEN FRANCOIS, ALPHEUS MOODY et CAROL KOBLISKI

                                                                                                                                        défendeurs

et

ELLA MOOSE

                                                                                                                                     intervenante


LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE MERCREDI 16 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                                          

ET ORDONNANCE PAR :            MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                     LE MARDI 22 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

Mme Dorothy E. McDonald                                        pour les demandeurs

Mme Nicole C. Harley                                                 pour les défendeurs,

le Comité d'appel de la Nation crie Nisichawayasihk

M. Harley Schachter                                                   pour les défendeurs,

Gail Gossfeld-McDonald, J.D. Moore, Glen Francois, Alpheus Moody, Carol Koblisky

M. Anthony H. Dalmyn                                               pour l'intervenante


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Dorothy E. McDonald                                        pour les demandeurs

Boîte postale 45003 RPO Regent

Winnipeg (Manitoba) R2C 5C7

Levene Tadman Gutkin Golub                                    pour les défendeurs,

Avocats                                                                        le Comité d'appel de la Nation crie

700 - 330, avenue St. Mary                                       Nisichawayasihk

Winnipeg (Manitoba) R3C 3Z5

Duboff, Edwards, Haight et Schachter                       pour les défendeurs,

1900 - 155, rue Carlton                                             Gail Gossfeld-McDonald, J.D. Moore,

Winnipeg (Manitoba) R3C 4H8                               Glen Francois, Alpheus Moody, Carol Koblisky

Brodsky et associés                                                    pour l'intervenante

1212 - 363 Broadway

Winnipeg (Manitoba) R3C 3N9

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