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Date : 20200109


Dossier : T‑2128‑18

Référence : 2020 CF 24

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

TEODORO LICLICAN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Teodoro Liclican, a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale (TSS), qui a confirmé les décisions antérieures selon lesquelles il avait volontairement quitté son emploi et n’était donc pas admissible aux prestations d’assurance‑emploi (AE). Monsieur Liclican avait cessé de se présenter au travail et avait ensuite déposé une demande de prestations d’AE. La Commission de l’assurance‑emploi (la Commission) a déterminé qu’il avait quitté son emploi volontairement et n’était donc pas admissible aux prestations d’AE. La division générale (DG) du TSS a confirmé la décision de la Commission.

[2]  La DA a rejeté la demande de permission d’interjeter appel présentée par M. Liclican à l’encontre de la décision de la DG, au motif que l’appel ne précisait pas de moyen d’appel valable et qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès. Monsieur Liclican demande maintenant à la Cour d’annuler la décision de la DA en raison de son caractère déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. En effet, j’ai conclu que la DA n’a pas commis d’erreur et qu’elle a tenu compte de façon raisonnable de la demande d’appel de M. Liclican.

Le contexte

[4]  Monsieur Liclican a travaillé comme concierge à temps plein pour Walmart d’octobre 2009 jusqu’à sa mise à pied en mai 2016. À ce moment‑là, Walmart a donné en sous‑traitance ses services de nettoyage à l’entreprise Modern Cleaning Concepts (Modern). Monsieur Liclican a été embauché comme concierge chez Modern le lendemain de sa mise à pied par Walmart.

[5]  Monsieur Liclican a arrêté de travailler pour Modern le 22 juillet 2016. Il affirme ne pas avoir quitté l’emploi volontairement, mais être parti parce qu’il devait travailler à des heures différentes. Il prétend que le fait de travailler de nuit aggravait ses maladies chroniques. Il n’a cependant pas discuté de ses préoccupations avec son employeur avant d’arrêter de travailler.

[6]  Le 25 juillet 2016, M. Liclican a présenté une demande de prestations d’AE. Dans sa demande d’AE, il a seulement mentionné son emploi chez Walmart et n’a pas précisé avoir travaillé pour Modern pendant deux mois.

[7]  En mai 2017, la Commission a déterminé que M. Liclican avait volontairement quitté son emploi et qu’il n’était pas admissible aux prestations d’AE. Elle a conclu que M. Liclican disposait de solutions raisonnables autres que de quitter son emploi, et souligné l’absence de document médical donnant à penser qu’il ne pouvait pas travailler. La Commission a déterminé que M. Liclican avait reçu des prestations en trop, mais, après un nouvel examen, la pénalité pour trop‑payé a été réduite à une lettre d’avertissement.

[8]  Monsieur Liclican a interjeté appel de la décision de la Commission auprès de la DG, qui a confirmé la décision de la Commission selon laquelle il n’était pas admissible aux prestations d’AE.

[9]  Monsieur Liclican a déposé en retard sa demande d’appel auprès de la DA. Par conséquent, la DA lui a demandé de fournir : 1) une explication raisonnable justifiant le dépôt tardif; 2) des arguments à l’appui démontrant que son appel avait une chance raisonnable de succès; 3) une explication des mesures qu’il avait prises et qui démontraient qu’il avait eu l’intention constante de poursuivre l’appel; et 4) une explication des raisons pour lesquelles la prorogation ne causerait pas de préjudice à l’autre partie.

La décision de la division d’appel faisant l’objet du contrôle

[10]  La DA n’a pas été convaincue par l’explication donnée par M. Liclican relativement au dépôt tardif de sa demande de permission d’en appeler. En effet, ce dernier n’a pas abordé la question du délai de près de cinq mois qui s’est écoulé entre la date de la décision de la DG et la date où il a présenté sa demande pour la première fois. Vu cette absence de précisions, la DA a conclu que M. Liclican n’avait pas eu l’intention constante de poursuivre l’appel ni fourni d’explication raisonnable pour justifier son retard.

[11]  En ce qui concerne le bien‑fondé de son appel, M. Liclican a soulevé deux erreurs dans la décision de la DG, à savoir : 1) le défaut d’observer un principe de justice naturelle ou une erreur liée à la compétence; et 2) une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance du tribunal. La DA a conclu que ces deux erreurs alléguées découlaient de la même plainte, c’est-à-dire que, selon M. Liclican, la DG s’était fondée sur un [traduction] « détail technique » en assimilant l’absence de certificat médical à l’absence de conseils d’un médecin qui lui aurait recommandé de quitter son emploi.

[12]  La DA a estimé qu’il n’y avait pas eu de manquement à la justice naturelle, parce qu’un tel manquement concerne l’équité procédurale et que M. Liclican n’a soulevé aucune question relative à la procédure.

[13]  La DA a conclu que la DG n’avait pas commis d’erreur de fait ou de droit. Elle a déterminé que la DG avait appliqué le bon critère juridique quant à savoir si M. Liclican disposait de solutions raisonnables autres que celle de quitter son emploi. En outre, la DA a conclu que la DG n’avait pas commis d’erreur de fait, dans la mesure où la contestation par M. Liclican de la décision de la DG ne visait pas une conclusion de fait, mais plutôt l’importance accordée par celle-ci aux éléments de preuve. Elle a en outre fait remarquer que son rôle n’était pas de soupeser de nouveau les éléments de preuve.

[14]  La DA a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice que d’accueillir l’appel, car M. Liclican n’avait pas démontré une intention constante de poursuivre son appel. En effet, ce dernier n’avait pas expliqué de façon raisonnable la présentation tardive de sa demande. En outre, la DA a conclu que M. Liclican n’avait pas de cause défendable selon laquelle la DG aurait commis une erreur relativement à l’un des moyens d’appel possibles.

La question préliminaire

[15]  Le défendeur soutient qu’il convient de modifier l’intitulé afin de désigner le procureur général du Canada comme seul défendeur, puisque les ministères ne constituent pas des entités juridiques, de sorte qu’ils ne devraient pas être désignés comme parties (Gravel c Canada (Procureur général), 2011 CF 832, au paragraphe 6). Je suis d’accord avec le défendeur. L’intitulé est donc modifié pour désigner le procureur général du Canada comme défendeur.

La question en litige

[16]  À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la conseillère juridique de M. Liclican a confirmé que son client ne donnerait pas suite aux arguments liés à la renonciation soulevés dans sa demande de contrôle judiciaire et dans ses observations écrites. Le demandeur a confirmé que la seule question en litige concernait le caractère raisonnable de la décision de la DA.

La norme de contrôle applicable

[17]  La norme de contrôle à utiliser à l’égard de l’application de sa loi habilitante par le TSS est la norme de la décision raisonnable (Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, au paragraphe 26).

[18]  La norme de contrôle applicable à la décision de la DA d’accorder ou non la permission d’interjeter appel d’une décision de la DG est celle de la décision raisonnable (Canada (Procureur général) c Hines, 2016 CF 112, au paragraphe 28).

[19]  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII), au paragraphe 16).

[20]  J’ai également examiné le récent arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 de la Cour suprême du Canada, et conclu qu’il ne modifie pas l’application de la jurisprudence susmentionnée à l’analyse qui suit.

Analyse

[21]  Monsieur Liclican soutient que la décision de la DA de confirmer la conclusion de la DG selon laquelle il avait volontairement quitté son emploi sans justification est déraisonnable. Il affirme que, en raison de son milieu de travail et de ses problèmes de santé, il n’avait d’autre choix raisonnable que de quitter son emploi.

[22]  Lorsqu’elle étudie une demande d’appel, la DA a un mandat limité. Sa compétence se limite à établir si la DG a commis une erreur (alinéas 58(1)a) à 58(1)c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS)) et si l’appel a une chance raisonnable de succès (paragraphe 58(2) de la LMEDS). Elle peut seulement accorder la permission d’interjeter appel lorsque les critères énoncés aux paragraphes 58(1) et 58(2) sont respectés.

[23]  En l’espèce, la DA a examiné simultanément les demandes de prorogation de délai et de permission d’interjeter appel. Au moment de décider s’il convient d’accorder une prorogation de délai pour interjeter appel, le critère le plus important est « celui qui consiste à rechercher s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation ». Les facteurs à prendre en considération sont les suivants : a) l’intention constante de poursuivre l’appel; b) la question de savoir si les moyens d’appel révèlent une cause défendable; c) l’existence d’une explication raisonnable pour le retard; et d) la question de savoir si la prorogation de délai cause un préjudice à l’autre partie (Bossé c Canada (Procureur général), 2015 CF 1142, au paragraphe 12). Par conséquent, au moment d’examiner une demande de prorogation de délai, le fait d’avoir une cause défendable constitue l’un des facteurs les plus importants.

[24]  En l’espèce, M. Liclican a choisi comme moyens d’appel [traduction] « le défaut d’observer un principe de justice naturelle ou une erreur liée à la compétence » (alinéa 58(1)a)) et [traduction] « une conclusion de fait erronée » (alinéa 58(1)c)). Il a fait valoir que la DG avait commis une erreur en se fondant sur un [traduction] « détail technique » lorsqu’elle avait confondu l’absence de certificat médical avec l’absence de conseils de son médecin. Il soutient qu’il ne devrait pas être forcé de travailler au détriment de sa santé.

[25]  La DA a examiné cet argument, mais a conclu que la notion de « justice naturelle » renvoie à l’équité procédurale et aux garanties procédurales. Elle a déterminé que, même si M. Liclican [traduction] « peut désapprouver les conclusions ou la décision rendues à l’issue de l’audience de la division générale et […] trouver la décision injuste […], cela ne sera pas considéré comme un manquement à la justice naturelle ». Elle a aussi fait remarquer que la désapprobation du résultat ne constitue pas une question de justice naturelle, parce qu’elle est dénuée de lien avec la procédure.

[26]  La DA a également conclu que les arguments de M. Liclican ne soulevaient aucune erreur de fait, et qu’ils soulignaient seulement son désaccord avec la DG quant à l’interprétation des faits. Monsieur Liclican a déclaré que la DG avait commis une erreur en se fiant à l’absence de billet médical; toutefois, la DA a conclu qu’elle n’était pas autorisée à « substituer [son] appréciation de la preuve à celle de la division générale », et qu’il n’y avait aucune erreur de fait sur laquelle M. Liclican pouvait s’appuyer.

[27]  Même si M. Liclican n’avait allégué aucune erreur de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b), la DA a quand même tenu compte de ce moyen d’appel. Elle a conclu que la DG avait appliqué le bon critère, qui est tiré de l’arrêt Canada (Procureur général) c Laughland, 2003 CAF 129, au paragraphe 9 : « La question [consiste à] savoir si la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, était qu’il quitte son emploi ». La DA a reconnu que les conditions de travail qui posent un danger pour la santé ou la sécurité constituent un facteur pertinent, dont la DG devait tenir compte; mais elle a constaté que la DG avait bel et bien pris en considération la question de la santé de M. Liclican, sans pour autant acquérir la conviction qu’un médecin avait effectivement recommandé à M. Liclican de démissionner. En outre, la DG a souligné que M. Liclican n’avait pas discuté avec son employeur des mesures d’adaptation possibles concernant ses problèmes de santé. Elle a conclu que M. Liclican n’avait pas épuisé toutes les solutions raisonnables qui s’offraient à lui avant de quitter son emploi, évaluation à laquelle la DA a souscrit.

[28]  La DA a tenu compte des arguments que M. Liclican estimait pertinents, mais aussi d’un moyen d’appel que ce dernier n’avait pas soulevé. Malgré tout, elle a conclu que M. Liclican n’avait pas de cause défendable et que, par conséquent, son appel n’avait aucune chance de succès. La DA a rejeté l’appel en refusant d’accorder une prorogation du délai, mais elle a également examiné le bien‑fondé de l’affaire et conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès. La décision de la DA est donc raisonnable, et la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

[29]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[30]  Comme le défendeur ne réclame pas de dépens, aucuns ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑2128‑18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada comme l’unique défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de janvier 2020.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2128‑18

 

INTITULÉ :

TEODORO LICLICAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 9 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Danica Nguyen

POUR LE DEMANDEUR

Sandra Doucette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AG Law Office

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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