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Date : 20000201


Dossier : IMM-212-00



Entre :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     demandeur

     - et -


     YING CHEN

     défenderesse



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON


[1]          Le demandeur " le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration " demande la délivrance d"une ordonnance surseoyant, à deux jours d"avis, à l"exécution de la décision de l"arbitre R. Leach, en date du 14 janvier 2000 dans laquelle, soutient-il, l"arbitre de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, Section d"arbitrage (le tribunal), a offert à la défenderesse sa remise en liberté sans avoir donné au représentant du demandeur l"occasion de contre-interroger la personne que la défenderesse a offerte en caution. Le dossier du tribunal est le 99-0159(D208).


[2]      Le requérant demande aussi la délivrance d"une ordonnance pour que la demande d"autorisation et de contrôle judiciaire en instance soit gérée à titre d"instance à gestion spéciale et à instruction accélérée, selon la règle 384. La défenderesse a quitté la province de Fujian, dans la République populaire de Chine, pour se rendre par bateau au Canada où elle est arrivée clandestinement aux abords de l"île de Vancouver le 10 septembre 1999 avec 140 autres envahisseurs éventuels non armés découverts grâce à la vigilance des patrouilles des Forces canadiennes.

[3]      La défenderesse a montré si peu de respect pour le Canada et ses fonctionnaires, qui ont dû s"enquérir poliment de la façon dont elle a forcé son entrée au pays, que l"arbitre, G. Wojtowicz, lors d"un des premiers réexamens de la décision de la garder en détention, a tenu les propos suivants (dossier de la requête du demandeur, page 000032) :

     [TRADUCTION] Quand j"examine l"affaire devant moi aujourd"hui, je réagis d"instinct comme si j"étais en présence d"un cas de malhonnêteté foncière; en évaluant votre cas plus en profondeur, je vous traite en tant qu"individu, mais je vous traite aussi en tant que membre d"un groupe. Les observations écrites concernent le groupe. Je ne peux décider de votre cas en me basant uniquement sur le groupe, et je ne peux non plus traiter votre cas en faisant abstraction du groupe parce que vous faites partie de ce groupe et que votre cas doit être examiné dans ces circonstances.
     Il y a des choses qu"il m"est difficile d"accepter venant de vous et que, pour tout dire, je n"accepte pas. L"avocat a soutenu quelque chose à propos d"une demande de statut de réfugié liée à la construction d"une église, une église non autorisée en Chine en mars 1999. Vous tentiez, depuis 1997, de venir au Canada et voilà que, deux ans plus tard, vous fuyez la Chine pour venir au Canada. Vous fuyez la Chine, dites-vous, afin d"éviter l"emprisonnement à perpétuité pour cette affaire d"église. Je pense qu"il s"agit là d"une belle exagération qui vous arrange bien et, soit dit en passant, si vous vous essayiez à construire une église non autorisée à Prince-George, vous n"iriez pas bien loin non plus.
     Vous avez caché vos deux demandes aux autorités de l"Immigration, vous avez caché l"existence de votre frère jusqu"à ce que vous soyez confrontée à cet élément d"information par les autorités de l"Immigration et alors seulement vous avez fini par tout révéler. Vous n"avez donc aucun mérite à avoir fait cet aveu. Si les autorités de l"Immigration n"avaient pas découvert ce qui se passait, il est plus que probable que vous n"auriez jamais avoué la vérité.
     Un point me frappe : vous revendiquez le statut de réfugiée essentiellement pour des motifs religieux. Vous vous prétendez d"une grande rectitude religieuse, mais pratiquement tout ce que vous dites est mensonger. Cette incohérence me pose un problème.
     Mme Chen, je suis convaincu que vous vous présenteriez à l"audition de votre demande de statut de réfugiée, car vous avez intérêt à le faire. Mais il ne m"incombe pas de veiller à ce que vous soyez disponible pour l"audition de votre demande de statut de réfugié; la question que je dois trancher est celle de savoir si vous seriez à la disposition des autorités de l"Immigration pour renvoi du Canada advenant le rejet de votre demande de statut de réfugié et, compte tenu de votre conduite jusqu"à ce jour, à mon avis la réponse est non.
     Mme Chen, vous prétendez avoir payé 5 000 yuans pour venir au Canada. Il ne s"agit là que d"une partie infime de ce que les autres semblent avoir payé. Ce chiffre me pose un problème. Vos amis, vos compagnons de voyage, ont payé quelque chose comme un quart de million de yuans pour venir au Canada. Vous prétendez n"en avoir payé que 5 000. Ce montant représente moins de mille dollars canadiens. La raison que vous invoquez pour expliquer ce montant minime ne me convainc pas. Vous dites que ce montant a été versé par un ami qui était au courant de votre situation critique, mais il y a un autre palier entre vous, votre ami et les rivages de l"Amérique du Nord et c"est le crime organisé, les Snake Heads qui font le trafic des êtres humains.
     Les Snake Heads ne feraient pas passer une personne de Chine en Amérique du Nord pour moins de mille dollars canadiens : ils n"y trouveraient pas leur compte. Votre ami a peut-être bien été prêt à se départir de 5 000 yuans pour votre compte, mais l"histoire est incomplète et incroyable telle qu"elle.
     Il y a d"autres incohérences. Vous avez un frère à Toronto, mais vous vous êtes embarquée sur un navire qui fait route vers les États-Unis. À première vue, cela fait de vous une migrante illégale tant en ce qui concerne les États-Unis qu"en ce qui concerne le Canada.
     Vous avez soutenu que vous deviez fuir la Chine sinon vous alliez être emprisonnée à perpétuité en raison de cette histoire d"église mais, quand l"avocat vous a demandé si vous seriez disponible pour être renvoyée si les choses en venaient au renvoi ou à l"expulsion, vous avez répondu oui. Quelle histoire dois-je croire? La première, la seconde ou ni l"une ni l"autre?
     Mme Chen, en conclusion, je réitère ce que je disais au début. La situation à laquelle je suis confronté en est essentiellement une de malhonnêteté. Vous avez menti aux autorités canadiennes de l"Immigration même après avoir été appréhendée. Vous vous êtes montré évasive lors de la présente audience. Quelle partie, s"il en est une, de votre histoire dois-je croire?
     Je serais prêt à envisager une autre mesure que la détention en garantie de votre disponibilité en cas de renvoi. Je serais prêt à envisager un dépôt en espèces dont le montant serait dans les quatre chiffres. Je crois qu"il faudrait quelque chose de cette importance pour contrebalancer vos actions passées, votre entrée illégale, votre tromperie, un montant qui vous obligerait à respecter les obligations que vous avez contractées.

[4]      L"arbitre avait bien raison : il ne lui incombe pas de veiller à ce que demanderesse soit disponible pour le traitement de sa demande de réfugiée; il doit plutôt s"assurer qu"elle sera disponible aux autorités de l"Immigration pour son renvoi du Canada advenant le rejet de sa demande de statut de réfugiée. Il pensait " et le présent juge partage ses vues " qu"elle ne serait pas disponible parce que, depuis le début, toute cette aventure repose sur la dissimulation et les faux-fuyants. Étant donné la probabilité de l"existence d"une bien plus grande dette, bien que tout à fait illégale, envers les Snake Heads ainsi qu"on l"a observé dans les invasions parallèles et contemporaines du pays, celles-ci donnant toutes des signes de tentative de dissimulation et de non-dévoilement des identités personnelles, quel motif valable pourrait nous faire croire en un engagement pris par la défenderesse de se présenter à la procédure de renvoi? Même le montant du cautionnement ne constitue pas un motif valable puisque les sommes données jusqu"à maintenant en garantie pour son compte, du coût du passage en bateau au paiement du cautionnement par son frère, ne signifient rien pour elle : ce n"est que de l"argent! Pourquoi la défenderesse y attacherait-elle de l"importance si elle réussit à atteindre ses fins?

[5]      À la fin de l"audience, le 14 janvier 2000, l"arbitre Leach a ordonné la remise en liberté de la défenderesse moyennant la réunion des trois conditions suivantes :

a)      que Tian Ren Chen dépose en faveur du Receveur général du Canada une garantie de bonne exécution d"une sonne pénale de 5 000 $;
b)      que Tian Ren Chen fournisse au Receveur général du Canada un cautionnement de 15 000 $;
c)      se plier à six modalités particulières passablement normalisées, notamment celle d"une résidence fixe dont on ne peut changer sans avoir préalablement obtenu une autorisation écrite attestée par un agent de l"immigration.

Telle est l"ordonnance à laquelle le ministre demande de surseoir.

[6]      Quelques extraits de l"audience sur la détention tenue le 9 septembre sont reproduits ci-après (pages 000028 et 29) :

     [TRADUCTION]
     M. COLLER : Si vous étiez remise en liberté, où iriez-vous?
     PERSONNE INTERROGÉE : J"irais à Toronto.
     M. COLLER : Pour vivre avec qui ou à quel endroit?
     PERSONNE INTERROGÉE : J"irais vivre avec mon frère à Toronto.
     M. COLLER : Et votre frère s"appelle?
     PERSONNE INTERROGÉE : Tian Ren Chen.
         *      *      *
     M. COLLER : Non, la question était " Combien d"argent croyez-vous pouvoir faire venir de la Chine au Canada? "
     PERSONNE INTERROGÉE : De deux à trois mille " entre 20 et 30 000 yuans chinois.
     M. COLLER : Pouvez-vous me dire " dites-nous combien cela fait en argent canadien.
     PERSONNE INTERROGÉE : 5 000 dollars canadiens.
     M. COLLER : D"accord. Combien avez-vous payé pour votre passage par bateau de la Chine au Canada?
     (On change de bande magnétique)
     M. COLLER : Combien d"argent avez-vous " combien d"argent avez-vous versé pour venir au Canada?
     PERSONNE INTERROGÉE : 5 000 yuans chinois.

[7]      La façon dont la défenderesse est venue au Canada, ses réticences initiales à révéler la présence de son frère, la question de son improbable engagement financier et la mystérieuse aide financière de son " ami " altruiste sont autant de facteurs qui donnent à entendre qu"elle pourrait refuser de se présenter à la procédure de renvoi. Les conséquences financières ne semblent pas avoir beaucoup d"importance dans sa vie.


[8]      La décision rendue antérieurement par le juge Blais dans la présente affaire conserve toute sa pertinence. Peu de raisons concrètes permettent de se montrer optimiste à l"égard des chances de la défenderesse d"éviter une procédure de renvoi et de son intention de s"y soumettre.

[9]      La présente affaire doit recevoir une instruction accélérée. Les contre-interrogatoires sur les affidavits devront être terminés à la fin des heures de bureau le vendredi 4 février 2000, et même avant cette date, si les avocats des parties peuvent y procéder plus rapidement. Les avocats doivent d"ores et déjà viser la première date possible pour l"institution du reste de la procédure encore en instance dans la présente affaire.


                             " F.C. Muldoon "

                                 J.C.F.C.



Le 1er février 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)




Traduction certifiée conforme


Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Avocats inscrits au dossier




DOSSIER DE LA COUR NO :          IMM-212-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MCI
         c.
         Ying Chen

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 28 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :          LE JUGE MULDOON
EN DATE DU :          1 er février 2000


ONT COMPARU :

M. Mark Sheardown          pour le demandeur
M. Bill Coller          pour la défenderesse


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada      pour le demandeur

M. Bill A. Coller

Avocat

Prince-George (C.-B.)          pour la défenderesse
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