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Date : 20200114

Dossier : IMM-4106-18

Référence : 2020 CF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

OLAYIDE OLOTUAH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, une citoyenne du Nigéria, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas (l’agente) du Haut‑Commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a refusé la demande de résidence permanente qu’elle avait présentée au titre du Programme des candidats des provinces (le PCP) du Manitoba.

[2]  La demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente au titre du PCP sur le fondement de l’expérience de travail qu’elle a acquise de 2013 à 2015 en qualité d’inspectrice de volailles. L’agente l’a convoquée à une entrevue afin de déterminer si elle répondait aux exigences du PCP en matière d’expérience de travail. À l’entrevue, l’agente a expliqué à la demanderesse quel était l’objet de la rencontre, et lui a posé une série de questions sur les tâches d’une inspectrice de volailles. La demanderesse a été incapable de répondre aux questions. Lorsque l’agente lui a dit craindre que la présentation sur son expérience de travail fût peut-être erronée, la demanderesse s’est emportée, et l’agente a demandé au personnel de la sécurité de l’escorter hors de l’aire d’entrevue. L’entrevue a donc été beaucoup plus brève qu’elle ne l’est habituellement.

[3]  Après l’entrevue, l’agente a noté au dossier ne pas être convaincue que la demanderesse avait réellement de l’expérience en tant qu'inspectrice de volailles, car elle n’avait pu répondre aux questions. L'agente a conclu, en conséquence, que la demanderesse était interdite de territoire en vertu de l'alinéa 40(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[4]  À mon avis, l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas donné à la demanderesse la possibilité de répondre à ses préoccupations. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Les faits

[5]  Madame Olayide Olotuah (la demanderesse) est une citoyenne du Nigéria de 29 ans. Elle a obtenu un diplôme de premier cycle en agroéconomie, puis a travaillé en qualité d’inspectrice de produits chez Dorctaff General Enterprises (Dorctaff), de janvier 2013 à juin 2015. Selon la lettre de Dorctaff que la demanderesse a jointe à sa demande dans le cadre du PCP, ses responsabilités consistaient à faire l’inspection de produits finis pour s’assurer qu’ils respectent les spécifications, et à rédiger des rapports.

[6]  Après son départ en règle de chez Dorctaff, la demanderesse a obtenu un diplôme d’études supérieures en finances d’une université en Chine. Elle a ensuite déposé une demande dans le cadre du PCP du Manitoba fondée sur ses compétences à titre d’inspectrice des produits agricoles et de la pêche, lesquelles sont énoncées dans le groupe 2222 de la Classification nationale des professions (CNP). En novembre 2015, la province du Manitoba a accepté sa demande et l’a invitée à présenter une demande de résidence permanente. Le mari de la demanderesse, Abiodun Amure, a présenté une demande de résidence permanente au même moment. Le frère de la demanderesse vivait déjà à Winnipeg.

[7]  Dans une lettre envoyée par courriel et datée du 29 juin 2018, le Haut-commissariat du Canada à Accra a invité la demanderesse à une entrevue. La demanderesse s’y est présentée le 5 juillet 2018. Selon les notes qu’elle a inscrites au Système mondial de gestion des cas (SMGC), l’agente a fait savoir à la demanderesse que l’objet de l’entrevue était de déterminer si elle répondait aux exigences du PCP. Au cours de l’entrevue, l’agente a posé une série de questions concernant l’inspection et la classification de la volaille crue, questions auxquelles la demanderesse n’a pu répondre à la satisfaction de l’agente. Selon les notes de l’agente dans le SMGC, toutes les questions relatives aux responsabilités liées à l'emploi de la demanderesse portaient sur la classification et la vérification de la salubrité de la volaille crue.

[8]  Puisque la demanderesse ne pouvait répondre aux questions, l’agente lui a dit craindre que la présentation sur son expérience de travail fût peut-être erronée. La demanderesse est devenue émotive, et a prié l’agente de l’aider. L’agente a tenté de poursuivre l’entrevue, mais la demanderesse ne pouvait garder son calme. L’agente a donc décidé de mettre fin à l’entrevue, et elle a demandé au personnel de la sécurité d’escorter la demanderesse hors de l’aire d’entrevue. Il est difficile de dire combien de temps exactement a duré l’entrevue, mais selon la demanderesse – qui affirme qu’elle a duré cinq minutes – et compte tenu de la fin abrupte et des notes succinctes de l’agente, l’entrevue aurait effectivement été brève.

[9]  Après l’entrevue, l’agente a inscrit ses notes au SMGC et conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour présentation erronée, suivant l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Selon elle, la demanderesse était incapable de [TRADUCTION] « fournir les renseignements de base qu’une personne travaillant dans le domaine de la volaille connaîtrait ». En outre, l’agente a affirmé que la demanderesse avait fait une réticence sur un fait important, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Une lettre de refus datée du 5 juillet 2018 a été envoyée à la demanderesse. La lettre de décision indiquait aussi que la demanderesse demeurerait interdite de territoire au Canada pour cinq ans, en application de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[10]  La question qui se pose en l’espèce consiste à déterminer si l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale, et, plus précisément, si la demanderesse a eu une possibilité suffisante de répondre à la préoccupation de l’agente.

[11]  La norme de contrôle applicable doit être déterminée selon les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov]. À mon avis, la norme de la décision correcte continue de s’appliquer aux questions d’équité procédurale. Dans Vavilov, au paragraphe 23, la Cour suprême précise :

Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‑à‑d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[12]  Je ne vois aucune raison de m’écarter de la jurisprudence applicable au contexte visé en l’espèce et, partant, j’estime que la question d’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au par. 53).

IV.  Analyse

[13]  La demanderesse affirme qu’elle n’a pas eu une possibilité suffisante de répondre aux préoccupations de l’agente, qui craignait que la demanderesse ait fait une fausse déclaration. Le fait qu’elle n’a pu répondre aux questions de l’agente sur la classification de la volaille crue non transformée – une tâche qu’elle n’avait pas effectuée à son ancien emploi ni déclaré avoir effectuée dans sa demande de résidence permanente – a inévitablement fait naître la préoccupation de l’agente et rendu la demanderesse émotive. Le dossier de demande étaye les arguments de la demanderesse selon lesquels elle n’a jamais eu à classifier ou à inspecter de la viande crue à son ancien emploi.

[14]  Certes, il était loisible à l’agente de tenir compte de l’expérience et des connaissances liées au travail de la demanderesse, mais elle ne lui a pas donné une possibilité suffisante de répondre à ses préoccupations et de préciser que la classification de la volaille crue ne faisait pas partie de son expérience de travail.

[15]  Selon les notes d’entrevue, la demanderesse n’a guère eu l’occasion de fournir des explications, d’autant plus que l’entrevue a été interrompue lorsqu’elle est devenue émotive. Or, il n’en reste certainement pas moins que la demanderesse n’a pas agi de manière appropriée en criant et en protestant. Je reconnais certes la portée restreinte de l’étendue de l’obligation d’équité procédurale dont les agents des visas doivent s’acquitter envers les demandeurs qui sollicitent la résidence permanente, mais compte tenu de la brièveté de l’entrevue, de la série de questions qui ne permettait pas vraiment à la demanderesse de fournir des explications, et de la décision de l’agente de mettre fin prématurément à l’entrevue – sans lui donner la chance de reprendre son calme et de s’expliquer –, j’estime que la demanderesse a été privée d’une possibilité suffisante de répondre aux préoccupations de l’agente.

V.  Question à certifier

[16]  Les avocats des parties ont été invités à soumettre des questions à certifier. Chacun a indiqué que l’affaire n’en soulève aucune, et je suis d’accord.

VI.  Conclusion

[17]  L’agente, qui craignait que la demanderesse ait fait une fausse déclaration, ne lui a pas donné une possibilité suffisante de répondre à ses préoccupations. Par conséquent, la demanderesse a été privée de l’équité procédurale à laquelle elle avait droit. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4106-18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent qui devra statuer à nouveau sur l’affaire.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de février 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4106-18

 

INTITULÉ :

OLAYIDE OLOTUAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Darren Grunau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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