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                                 Date: 19981102

                                 Dossier: IMM-5472-97

Entre :

     VIATCHESLAV FILIMONOV

     Demandeur

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]          Il s'agit d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié, rendue le 9 décembre 1997 dans le dossier M97-01881.

[2]          Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention bien qu'il ait considéré que le demandeur était crédible.

[3]      Il s'agit fondamentalement d'un individu qui est commerçant en Russie et qui est victime d'extorsion.

[4]      Le tribunal a conclu que le revendicateur était un commerçant et que les commerçants victimes d'extorsion en Russie ne constituaient pas un groupe social tel que défini par la jurisprudence, et notamment dans la décision Ward c. Procureur général du Canada, [1993] 2 R.C.S. 689.

[5]      La décision Ward a identifié trois catégories possibles de groupes sociaux à la page 739:

                 [...]                           
                 (1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;                           
                 (2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et                           
                 (3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.                           
            La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d'être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d'intentions historiques, quoiqu'elle se rattache également aux influences anti-discriminatoires, en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie.            

[6]      Le procureur du revendicateur soulève dans son argumentation que le groupe social peut se définir de plusieurs façons et le procureur a rappelé ce que le tribunal avait mentionné comme suggestion de groupe social soit: "ancien commerçant ayant refusé le paiement au groupe organisé (la mafia)" ou "personnes ayant refusé de collaborer avec les groupes organisés" ou "personnes s'étant plaintes aux autorités des mauvais traitements subis par des groupes criminalisés".

[7]      Le procureur du revendicateur a aussi suggéré que le commentaire de l'honorable juge La Forest, dissident dans la décision Chan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1995] 3 R.C.S. 593, a clarifié la définition de groupe social précédemment déterminé dans la décision Ward, notamment à la page 642:

            Comme cela m'apparaissait évident au moment de cette décision, la règle énoncée dans l'arrêt Ward n'est qu'une règle pratique et non une règle absolue visant à déterminer si le demandeur du statut de réfugié peut être classé dans un groupe social donné.            
            [...]            
            Les "thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination" (p. 739) doivent demeurer le facteur primordial en vue de la détermination de l'appartenance du demandeur à un groupe social.            
            [...]            
            En effet, il est toujours nécessaire, relativement à la deuxième catégorie, de se demander s'il existe une association si essentielle à la dignité humaine de ses membres que ceux-ci ne devraient pas être contraints d'y renoncer.            
            [...]            
            L'objet fondamental du droit relatif aux réfugiés, qui est de garantir des recours à l'échelle internationale aux victimes de violations majeures de leurs droits fondamentaux de la personne.            
            [...]            
            Le demandeur qui dit appartenir à un groupe social n'a pas besoin d'être associé volontairement avec d'autres personnes semblables à lui.            
            [...]            

[8]      Plus loin, l'honorable juge La Forest cite le professeur Audrey Macklin dans un article publié dans une analyse de l'arrêt Ward 1:

Dans la mesure où les persécuteurs considèrent que des personnes possédant une caractéristique commune constituent de ce fait un groupe, il est peu important de savoir si ces personnes se considèrent elles-mêmes comme unies d'une quelconque façon concrète.

[9]      Le procureur du demandeur a déposé également quelques textes de doctrine dont "The Law of Refugee Status",2 "Immigration Law and Practice",3 et "The Refugee in International Law",4 ainsi que la "Déclaration universelle des droits de l'homme" et "International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights".

[10]      Également, le procureur soumet dans ses motifs que le revendicateur a soumis sa plainte aux autorités locales, ce qui avait donné lieu à des représailles, et que ceci pouvait être considéré comme une opinion politique par ces autorités puisqu'elle les implique directement.

[11]      Le procureur du revendicateur prétend qu"en contestant le système établi par les groupes criminalisés en collaboration tacite avec les autorités, le revendicateur se trouve à blâmer les autorités russes qui pourraient ainsi lui imputer une opinion politique.

[12]      Quant au procureur du défendeur, elle prétend d'entrée de jeu que les commentaires du juge La Forest dans l'arrêt Chan ne contredisent pas les principes élaborés dans l'arrêt Ward. Ce avec quoi je suis en accord.

[13]      Le procureur du défendeur soutient d'abord que la Section du statut est la mieux placée pour déterminer si les événements allégués par un revendicateur sont reliés à l'un des motifs de la Convention, il s'agit purement d'une question de fait.

[14]      Se référant tant à l'arrêt Ward qu'à l'arrêt Johnny Edgar Orellana Leon et al. c. The Minister of Citizenship and Immigration (IMM-3520-94, 19 septembre 1995) l'honorable juge en chef adjoint Jerome précise à la page 5 de cette décision:

     I am also satisfied that the Refugee Division reasonably and properly concluded that the applicants' story, even if true, did not disclose a nexus to any ground set out in the Convention refugee definition. A determination with respect to "nexus" is largely a question of fact and therefore entirely within the tribunal's expertise to make. Here, Mr. Leon was not targeted because he was a union member per se, but rather because his efforts to protect his father's economic interest could have resulted in exposing alleged corruption. The tribunal's categorization of the particular social group to which the applicants belonged therefore, namely "victims of fraudulent actions or organized crime", was proper in light of the evidence.        

[15]      Le procureur du défendeur soumet une abondante jurisprudence supportant le fait qu'il était raisonnable pour le tribunal de conclure que l'extorsion dont une personne peut être victime n'est pas reliée à l'un des motifs de la Convention et se référant à la cause Mortera et al. c. Minister of Employment and Immigration [1993] 71 F.T.R. 237 où l'honorable juge McKeown précise:

            In my view, in developing the categories, the court rejected a broad definition of a particular social group comprising basically any alliance of individuals who have a common objective or an interpretation which characterizes a social group merely by virtue of their common victimization as the objects of persecution.            

[16]      Également, dans la cause Wong and Ku c. Canada [1993] 70 F.T.R. 170, le juge McKeown mentionne:

            Contrary to the applicant's submissions, I agree with the Board that "the group of persons comprised of private businesspersons in the PRC who fear extortion by venal officials" is so diverse that it cannot reasonably be categorized as a particular social group as that phrase is jurisprudentially understood.            

[17]      Également, dans la décision Karpounin c. Minister of Employment and Immigration [1995] 92 F.T.R. 219, le juge en chef adjoint Jerome précise:

The present state of the law and the unique facts of this case do not dictate, as submitted by the applicant, that his refusal to bow to extortion puts him in a particular social group defined by innate or unchangeable characteristics, nor that his status as a financially successful person in the Ukraine, places him in a particular social group defined by voluntary association "for reasons so fundamental to their human dignity they should not be forced to forsake the association".

[18]      Le procureur du défendeur dépose également plusieurs causes de jurisprudence démontrant l'analogie du cas présent avec les cas de vengeance personnelle où les demandeurs n"ont pas été considérés comme réfugiés au sens de la Convention.

[19]      Quant à la prétention à l'effet que la plainte à la police était en soi l'expression d'une opinion politique eu égard à toutes les circonstances, je me dois de rejeter cette prétention à ce stade-ci.

[20]      Le tribunal avait toute la compétence pour évaluer les faits à la base de la revendication du demandeur et on ne m"a pas démontré que cette évaluation a été faite de façon déraisonnable.

[21]      J'en conclus donc que le demandeur n'a pu faire la preuve qu'il rencontrait les critères de la définition de réfugié au sens de la Convention notamment qu'il avait subi une persécution reliée à l'un des motifs prévus à la Convention.

[22]      Le tribunal n'a commis aucune erreur de fait ou de droit qui pourrait justifier l'intervention de cette cour.

[23]      Pour tous ces motifs, la cour rejette la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

[24]      Aucun des deux procureurs n"ayant recommandé la certification d"une question, aucune question ne sera certifiée.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

LE 2 NOVEMBRE 1998

__________________

1      Canada (Attorney-General) v. Ward : A Review Essay [1994] 6 Int'l J. of Refugee L. 362.

2      Butterworths, 1991, James Hathaway.

3      Butterworths, Lorne Waldman.

4      Clarendon Press, Oxford, 1996, Guy Goodwin-Gill.

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