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Date : 20200124


Dossier : IMM‑2907‑19

Référence : 2020 CF 121

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

YUSSUF MUXUMED MAXAMUD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) rejetant sa demande de réouverture de l’appel devant la SAR, qui a été rejeté pour défaut de mise en état (la décision de la SAR). La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur le 10 juillet 2018. Le demandeur a reçu les motifs de décision le 17 juillet 2018. L’ancien conseil du demandeur a déposé un avis d’appel de la décision de la SPR le 17 juillet 2018. Toutefois, le dossier de demande relatif à l’appel devant la SAR a été rejeté pour défaut de mise en état le 10 septembre 2018. Le 20 mars 2019, la SAR a reçu une demande de réouverture de l’appel présentée par la conseil actuelle du demandeur. Dans une décision datée du 15 avril 2019, la SAR a rejeté la demande de réouverture de l’appel.

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Éthiopie âgé de 24 ans, d’origine ethnique somalienne. La demande d’asile du demandeur reposait sur une crainte de persécution aux mains de la police éthiopienne, la LIYU, qui aurait assassiné des membres de sa famille. Le demandeur a aussi prétendu que la LIYU l’avait arrêté sans le mettre en accusation et l’avait battu et torturé de multiples fois au cours d’une détention de deux mois.

[3]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu manquement à la justice naturelle et que la décision de la SAR est déraisonnable. Plus précisément, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que la demande de réouverture de l’appel n’avait pas été faite en temps opportun et que la SAR a commis une erreur factuelle dans l’appréciation de l’alinéa 49(7)b) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012257 (les Règles). De plus, le demandeur soutient qu’il n’a pas bénéficié d’une possibilité raisonnable de faire entendre son appel devant la SAR. Enfin, le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur en concluant que seule une allégation d’incompétence à l’égard de son conseil pouvait équivaloir à un manquement à la justice naturelle.

[4]  La décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.  Faits

A.  Le demandeur

[5]  Monsieur Yussuf Muxumed Maxamud (le demandeur) est un citoyen de l’Éthiopie âgé de 24 ans. Le demandeur a fui l’Éthiopie en 2015 parce qu’il craignait d’être persécuté par la police éthiopienne, et il a présenté sa demande d’asile lorsqu’il est arrivé au Manitoba, au Canada.

[6]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur le 10 juillet 2018. L’ancien conseil du demandeur a déposé un avis d’appel de la décision de la SPR le 17 juillet 2018. Le dossier de demande devait être produit le 16 août 2018. L’ancien conseil a déposé une demande de prolongation du délai pour la mise en état de l’appel interjeté par le demandeur. Il n’a toutefois jamais mis en état le dossier d’appel. Puisque la SAR n’a reçu aucune autre communication de la part de l’ancien conseil ou du demandeur au sujet de l’affaire, l’appel a été rejeté pour défaut de mise en état le 10 septembre 2018.

[7]  Le demandeur a affirmé qu’il avait été [traduction« estomaqué » d’apprendre que son appel avait été rejeté pour défaut de mise en état, et a reconnu qu’il avait l’impression que son ancien conseil présenterait une demande de réouverture de l’appel, étant donné qu’il s’était même présenté au bureau de son ancien conseil en octobre 2018 pour signer un affidavit. Après avoir parlé avec ses amis et des membres de la communauté qui l’ont encouragé à déménager à Toronto où exercent un grand nombre d’avocats dans le domaine du droit des réfugiés, le demandeur a décidé de déménager à Toronto. Il a aussi expliqué qu’il [traduction« avait perdu confiance » en son ancien conseil.

[8]  À Toronto, le demandeur a sollicité l’aide d’un organisme communautaire et a été aiguillé vers un nouvel avocat. En janvier 2019, le demandeur a rencontré ce nouvel avocat et lui a demandé de présenter une demande de réouverture de l’appel devant la SAR. Le nouvel avocat a contacté l’ancien avocat du demandeur et a obtenu un affidavit de celui‑ci. Le demandeur a appris plus tard que son dossier avait été transféré de ce nouvel avocat à son avocate actuelle.

[9]  Le 20 mars 2019, la SAR a reçu une demande de réouverture de l’appel présentée par l’avocate actuelle du demandeur.

B.  La décision de la SAR

[10]  Dans le cadre de la demande de réouverture de l’appel, la SAR a pris note des observations du demandeur selon lesquelles le rejet du premier appel interjeté devant la SAR contrevenait à la justice naturelle pour les motifs qui suivent :

  • · L’ancien conseil était débordé par un transfert de dossiers d’un autre avocat;

  • L’ancien conseil a fait preuve de diligence en tentant d’obtenir des prorogations de délai; son débordement peut être qualifié d’erreur, ce qui a entraîné, par le fait même, un manquement à la justice naturelle;

  • Le demandeur a le droit de présenter des observations concernant son appel et a le droit d’être entendu;

  • L’intention continue du demandeur d’interjeter appel de la décision de la SPR rejetant sa demande d’asile;

  • Il n’y a aucun préjudice pour la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) ou le ministre.

[11]  La SAR a souligné que le demandeur « n’[avait] formulé aucun argument selon lequel cette demande avait été présentée en temps opportun » et a conclu que le demandeur n’a pas présenté cette demande en temps opportun puisque l’appel a été rejeté par la SAR plus de six mois avant la présentation de la demande de réouverture. Elle a également conclu que dans la demande de réouverture, la conseil actuelle n’a fait aucune observation quant à la question de savoir si le demandeur avait présenté une demande de contrôle judiciaire au sujet du premier refus.

[12]  La SAR a pris note des éléments de preuve fournis par un étudiant auteur d’un affidavit au bureau de l’ancien conseil, qui a décrit les circonstances ayant mené au défaut de mise en état de l’appel, et qui a déclaré qu’il avait été recommandé au demandeur de chercher un autre conseil. Le demandeur, toutefois, a mentionné dans son affidavit que personne, au bureau de son ancien conseil, ne lui avait jamais dit de trouver un autre conseil. La SAR a souligné que bien qu’il ait affirmé avoir perdu confiance en son ancien conseil, le demandeur n’a soulevé aucune allégation d’incompétence à l’égard de celuici. Elle a donc conclu qu’« il n’y a aucun autre motif permettant de conclure qu’il y a eu un manquement possible à la justice naturelle en raison d’une représentation clairement inadéquate ».

[13]  La SAR a conclu que refuser de rouvrir la demande ne constituait pas un manquement à la justice naturelle parce que les arguments du demandeur sont fondés sur l’absence d’un avocat pour préparer le dossier d’appel dans le délai prescrit et que « l’appelant qui se présente devant la SAR n’est pas tenu d’être représenté par un avocat dans le cadre de son appel ». La SAR a déclaré qu’il incombe à l’appelant de trouver un conseil qui est disponible. Elle a aussi souligné que la justice naturelle, dans la présente affaire, exige que le demandeur ait la possibilité d’expliquer pourquoi il n’a pas mis en état son appel dans les délais prescrits, mais a conclu que le demandeur n’avait pas présenté de preuve convaincante au vu de laquelle la SAR avait commis un manquement à la justice naturelle.

[14]  La SAR a rejeté la demande de réouverture de l’appel dans une décision en date du 15 avril 2019. Il s’agit de la décision sous‑tendant le présent contrôle judiciaire.

III.  Dispositions pertinentes

[15]  Les paragraphes 49(4), 49(6), 49(7) et 49(8) des Règles sont ainsi libellés :

Allégations à l’égard d’un conseil

(4) S’il est allégué dans sa demande que son conseil, dans les procédures faisant l’objet de la demande, l’a représentée inadéquatement,

 

a) la personne en cause transmet une copie de la demande au conseil, puis l’original et une copie à la Section,

b) la demande transmise à la Section est accompagnée d’une preuve de la transmission d’une copie au conseil.

[…]

Élément à considérer

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

Éléments à considérer

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et la justification de tout retard

b) si l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les raisons pour lesquelles il ne l’a pas.

Demande subséquente

(8) Si l’appelant a déjà présenté une demande de réouverture d’un appel qui a été refusée, la Section prend en considération les motifs du refus et ne peut accueillir la demande subséquente, sauf en cas de circonstances exceptionnelles fondées sur l’existence de nouveaux éléments de preuve.

Allegations against counsel

(4) If it is alleged in the application that the person who is the subject of the appeal’s counsel in the proceedings that are the subject of the application provided inadequate representation :

(a) the person must first provide a copy of the application to the counsel and then provide the original and a copy of the application to the Division; and;

(b) the application provided to the Division must be accompanied by proof that a copy was provided to the counsel.

[…]

Factor

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

Factors

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay;

(b) if the appellant did not make an application for leave to apply for judicial review or an application for judicial review, the reasons why an application was not made.

Subsequent application

(8) If the appellant made a previous application to reopen an appeal that was denied, the Division must consider the reasons for the denial and must not allow the subsequent application unless there are exceptional circumstances supported by new evidence.

IV.  Question en litige et norme de contrôle

[16]  La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR de rejeter la demande de réouverture de l’appel devant la SAR est raisonnable.

[17]  Avant la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la Cour statuait constamment que la norme de contrôle qui s’appliquait à la décision de la SAR de rejeter une demande de réouverture d’un appel était celle de la décision raisonnable (Voir la décision Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1103 (CanLII) [Brown] aux par. 24 et 25, citant la décision Khakpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 25 (CanLII) aux par. 19 à 21; Aguirre Renteria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 996 (CanLII) au par. 12; et Atim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 695 (CanLII) au par. 31). Il n’y a toutefois pas lieu de déroger à la norme de contrôle suivie dans la jurisprudence, étant donné que l’application du cadre d’analyse suivant l’arrêt Vavilov entraîne la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[18]  Selon le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov, l’application de la norme de la décision raisonnable est présumée. La présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente, c.‑à‑d. lorsqu’il a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou lorsque le législateur a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour. La deuxième situation est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, par exemple pour certaines catégories de questions juridiques, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov au par. 17). Toutefois, en l’espèce, aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique.

V.  Analyse

[19]  Le demandeur affirme que la décision de la SAR est déraisonnable parce que celle‑ci a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu manquement à la justice naturelle. Il a souligné les circonstances particulières entourant la chronologie de son appel et soutient que la SAR aurait dû tenir compte de « tout élément pertinent » en vertu du paragraphe 49(7) des Règles, au lieu de se limiter aux éléments qui suivent : a) la prise en compte du moment où la demande a été présentée; et b) les raisons pour lesquelles une demande de contrôle judiciaire n’a pas été présentée à l’égard du rejet du premier appel. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en omettant de prendre en compte les motifs et la justification du retard dans la mise en état du dossier d’appel et dans la présentation de la demande de réouverture de l’appel. Le demandeur invoque la décision de la Cour dans l’affaire Brown pour affirmer que les raisons pour lesquelles un appel n’a pas été mis en état dans le délai prévu sont tout aussi importantes dans une demande de réouverture de l’appel (voir la décision Brown au par. 38, citant Huseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 845 (CanLII) [Huseen] aux par. 31 à 33 et Andreoli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1111 (CanLII) [Andreoli] aux par. 16 à 20).

[20]  Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à la justice naturelle justifiant la réouverture de l’appel. Il prétend qu’il [traduction] « n’y a pas de preuve claire » que l’omission de mettre en état l’appel était [traduction] « uniquement » attribuable à une erreur commise par l’ancien conseil du demandeur puisque la SAR disposait d’éléments de preuve contradictoires sur la question de savoir s’il avait été conseillé au demandeur de se trouver un autre conseil.

[21]  Le défendeur soutient également que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que la demande de réouverture n’avait pas été présentée en temps opportun, et affirme que les éléments de preuve produits par le demandeur devant la SAR sur ce qui s’était passé entre septembre 2018 et mars 2019 étaient [traduction« ténus et dépourvus de détails ». Il prétend que le demandeur aurait su que la date limite pour le dépôt de son dossier d’appel n’avait pas été respectée en septembre 2018 après avoir reçu la décision, mais qu’après s’être présenté au bureau de son ancien conseil en octobre 2018, le demandeur n’a fait aucune autre démarche en vue de la réouverture de son appel jusqu’à son déménagement à Toronto. Le défendeur reproche au demandeur de ne pas avoir fourni de précisions quant au nombre de jours dont aurait eu besoin son ancien conseil pour déposer une demande de réouverture de l’appel, et quant au moment où le mandat de son ancien conseil a pris fin.

[22]  Le défendeur soutient que l’observation du demandeur sur le droit d’être entendu n’est pas justifiée parce que le demandeur a pris part à son audience devant la SPR, et a formulé des observations en vue de la réouverture de son appel devant la SAR. Il prétend que la SAR a bel et bien pris en compte la situation du demandeur, mais que le principal problème tenait au respect du délai pour la présentation de la demande.

[23]  J’estime que la décision de la Cour dans l’affaire Brown et le renvoi à la décision Huseen sont particulièrement utiles (bien que je reconnaisse que la décision Huseen concerne la réouverture d’une décision rendue par la SPR, le même principe de respect de la justice naturelle, particulièrement dans le contexte du respect du délai pour la présentation d’une demande et des raisons fournies, s’il y a lieu, pour le retard, s’avère instructif). Dans l’affaire Brown, la Cour a statué (Brown au par. 38) :

Dans le cas d’une demande de prorogation du délai pour mettre en état un appel, le respect du délai de présentation de cette demande et la justification du retard, le cas échéant, ont des conséquences directes sur la question de savoir si une prorogation devrait être accordée (voir le paragraphe 6(7) des Règles). Les motifs pour lesquels un appel, rejeté pour défaut de mise en état, n’a pas été mis en état dans les délais impartis sont tout aussi importants dans le cas d’une demande de réouverture de l’appel (voir l’analyse utile, faite par le juge Diner dans Huseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 845, des règles régissant les demandes de réouverture de demandes d’asile, en particulier les paragraphes 31 à 32 et les décisions qui y sont citées).

[24]  Je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable étant donné que celle‑ci a omis de prendre en compte les éléments de preuve dont elle disposait, et, en particulier, les raisons qui auraient pu justifier le nonrespect du délai pour la présentation de la demande de réouverture de l’appel aux termes du paragraphe 49(7) des Règles.

[25]  En premier lieu, la SAR a commis une erreur en concluant que le conseil « n’[avait] formulé aucun argument selon lequel cette demande avait été présentée en temps opportun » (non souligné dans l’original). Au contraire, la conseil du demandeur a formulé des observations quant au respect du délai dans la présentation de la demande en expliquant les circonstances entourant l’omission de l’ancien conseil du demandeur de mettre en état l’appel et la recherche par le demandeur d’un nouveau conseil afin de présenter la demande de réouverture de l’appel. Il était déraisonnable que la SAR conclue que le demandeur a formulé de simples affirmations quant au délai prescrit pour la présentation de sa demande.

[26]  Le demandeur a rencontré son ancien conseil après le rejet de la demande pour défaut de mise en état, et a attesté qu’il croyait que l’ancien conseil rouvrirait la demande. Il a aussi demandé conseil à sa communauté et à ses amis et est déménagé dans une nouvelle ville, où il a cherché des avocats pouvant se charger de son dossier. Étant donné que le dossier d’appel n’était pas complet, il aura fallu du temps à la nouvelle conseil pour préparer les demandes, et le demandeur a soutenu que sa nouvelle conseil a soumis les dossiers dès qu’elle a été en mesure de le faire. Comme l’a souligné judicieusement le demandeur, la SAR a omis de prendre en compte le fait que le demandeur s’était trouvé par inadvertance pris entre [TRADUCTION] « un conseil débordé, qui a accepté les dossiers en trop de l’autre conseil, et la SAR, qui a refusé de tenir compte de la situation » dans ce qu’il a décrit comme étant [TRADUCTION] « un conflit de capacité institutionnelle ». Étant donné que le demandeur n’a pas eu la possibilité de faire entendre un appel à l’égard de sa demande d’asile, où sont en jeu les intérêts les plus fondamentaux d’une personne, la SAR a, déraisonnablement, conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à la justice naturelle en se fondant uniquement sur le temps écoulé, sans tenir compte des circonstances ayant engendré le retard de six mois.

[27]  En second lieu, la SAR a commis une erreur en concluant que « le conseil actuel n’[avait] fait aucune déclaration quant à la question de savoir si le demandeur a[vait] déposé une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire » dans la demande de réouverture de l’appel. Là encore, contrairement aux conclusions qu’a ellemême tirées la SAR, la conseil du demandeur a formulé des observations quant aux raisons pour lesquelles le demandeur n’avait pas présenté auparavant une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a expliqué que, puisque son dossier d’appel n’avait pas été mis en état, et avait été présenté en retard, il aurait été fort peu probable que la Cour lui donne l’autorisation sans un dossier comme tel. De plus, le demandeur a judicieusement souligné que les appelants sont censés épuiser tous les recours juridiques avant de demander un contrôle judiciaire, c.àd. présenter d’abord une demande de réouverture de l’appel devant la SAR.

[28]  Je constate que le défendeur semble présenter des hypothèses et étoffer les motifs de la SAR dans ses observations. La SAR n’a pas demandé au demandeur de fournir des précisions quant à la date d’expiration du mandat ou à la chronologie de la demande de réouverture avec son ancien conseil. De plus, il est inapproprié que le défendeur demande réponse à des questions — comme celle de savoir pourquoi l’ancien conseil du demandeur n’a pas tenté de trouver d’autres avocats en immigration dans tout le pays ou pourquoi le demandeur n’a pas pris un rendez‑vous avant de quitter Winnipeg — que la SAR n’a pas elle‑même posées.

[29]  En outre, contrairement aux observations formulées par le défendeur selon lesquelles il n’y avait pas d’éléments de preuve au dossier devant la SAR relativement au fait que l’ancien conseil était encore inscrit ou travaillait au dossier du demandeur, je constate que la demande de réouverture de l’appel contient les observations du demandeur selon lesquelles [traduction] « l’ancien conseil n’a jamais présenté de lettre à la SAR indiquant qu’il se retirait du dossier », et je souligne aussi que le demandeur s’est présenté au bureau de son ancien conseil pour signer un affidavit en octobre 2018.

 

VI.  Question certifiée

[30]  Les avocats des deux parties ont été invités à dire s’il y avait des questions à certifier. Ils ont tous les deux affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, et je suis d’accord avec eux.

VII.  Conclusion

[31]  La SAR a omis de prendre en compte les éléments de preuve dont elle disposait pour apprécier la question de savoir s’il y avait eu manquement à la justice naturelle. Par conséquent, la décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM290719

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

  3.  

« Shirzad A »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de février 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2907‑19

 

INTITULÉ :

YUSSUF MUXUMED MAXAMUD cLE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 janvier 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

le 24 Janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani Law Office

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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