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                                                                                                                                           Date : 20030502

                                                                                                                                       Dossier : T-535-02

                                                                                                                        Référence : 2003 CFPI 548

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                           DYNAMEX CANADA INC.                                                           

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                              - et -

                                                              LORETTA NUTBROWN

                                                                                                                                                   défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre désigné conformément à la section XIV de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, modifié (le « Code » ). Dans sa décision rendue le 1er mars 2002, l'arbitre a décidé que le congédiement de la défenderesse était injuste et il a rendu une sentence lui accordant sept mois de salaire. La demanderesse soutient que l'arbitre n'avait pas compétence pour procéder à l'instruction de la plainte et elle sollicite l'annulation de la décision.


Les faits

[2]                 La demanderesse, Dynamex Canada Inc. ( « Dynamex » ), est une société de transport qui dispose de seize succursales à travers le Canada.

[3]                 La défenderesse, Mme Loretta Nutbrown, avait été recrutée par la demanderesse, en octobre 1995, comme responsable des véhicules à temps plein à Cornwall (Ontario). Le 24 janvier 2001, elle a commencé un congé de maladie. À ce moment-là, ses tâches ont été réparties entre d'autres employés (au moins deux). Mme Nutbrown devait reprendre le travail le 19 mars 2001.

[4]                 En février 2001, la demanderesse a scindé les tâches de Mme Nutbrown et les a réparties entre d'autres employés à la suite d'une réorganisation. Une partie du travail que Mme Nutbrown effectuait à Cornwall a été transférée à d'autres succursales. Le reste du travail à Cornwall équivalait à 3 heures par jour.

[5]                 Le 8 mars 2001, la demanderesse a rencontré Mme Nutbrown pour l'informer que son poste avait été supprimé et elle lui a offert un emploi à temps partiel de 4 heures par jour au taux de salaire habituel avec les mêmes avantages sociaux qu'auparavant. Mme Nutbrown a refusé le poste et déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu de l'article 240 du Code.


[6]         L'arbitre Dumoulin a été désigné pour instruire la plainte. Une audience a eu lieu le 13 février 2002. Le 1er mars 2002, l'arbitre a décidé que Mme Nutbrown avait été injustement congédiée et il a rendu une sentence accordant 7 mois de salaire. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

La décision de l'arbitre

[7]         L'arbitre a commencé par établir les faits pertinents. De 1995 à 1998, Dynamex a employé de 14 à 16 chauffeurs. En 1999, la perte d'un important client a entraîné une chute de 50 p. 100 des affaires dans la région de Cornwall. En conséquence, le nombre de chauffeurs à Cornwall a été réduit à 7 en 1999. Dynamex a dit que, pour justifier l'emploi de la défenderesse elle a ajouté à ses tâches la responsabilité du Programme de sécurité et de respect des normes ainsi que le contrôle de l'autoroute 407. Mme Nutbrown a dit que, après la réduction du nombre de chauffeurs en 1999, la moitié de sa charge de travail a porté sur les tâches liées à la sécurité et au respect des normes.

[8]         L'arbitre a noté que la défenderesse a commencé un congé de maladie le 24 janvier 2001 et que, avant son retour au travail, l'administration de Dynamex l'a informée que son emploi avait été converti en un poste à temps partiel. À l'audience, M. Lepitre, le représentant de Dynamex, a dit qu'il avait offert à Mme Nutbrown le poste administratif à temps partiel, et ajouté qu'il lui avait également offert la possibilité de prendre le poste de responsable des véhicules à Montréal. Cependant, Mme Nutbrown a nié avoir reçu une offre pour un emploi à temps plein à Montréal.


[9]         Mme Nutbrown a témoigné avoir envoyé deux lettres à son employeur, en date du 20 mars et du 26 mars. Dans la première, elle a demandé à reprendre son poste antérieur. Dans la deuxième, elle a formulé l'opinion qu'elle avait été à toutes fins pratiques congédiée. Elle a témoigné qu'elle n'a pas reçu de réponse de Dynamex. Toutefois, à l'audience, M. Lepitre a produit une lettre datée du 28 mars, qui était une réponse aux deux lettres de Mme Nutbrown et a dit que les changements apportés à son poste étaient [TRADUCTION] « une nouvelle répartition et une redistribution de tâches particulières telles que la sécurité et le respect des normes ainsi que l'administration des chauffeurs » . La lettre mentionnait que la nouvelle répartition était une conséquence du ralentissement des affaires à Cornwall en 1999.

[10]       Mme Nutbrown a reçu deux semaines de salaire pour tenir lieu de préavis et deux autres semaines comme prestation de départ. Subséquemment, elle a présenté 10 demandes d'emploi et, en novembre 2001, elle a pu trouver un emploi à un salaire comparable.

[11]       Pour commencer, l'arbitre a examiné deux questions préliminaires : la plainte de Mme Nutbrown était-elle irrecevable parce que (i) Mme Nutbrown occupait un « poste de directeur » au sens du paragraphe 167(3) du Code, ou (ii) Mme Nutbrown avait été licenciée « en raison du manque de travail » au sens de l'alinéa 242(3.1)a) du Code?

[12]       L'arbitre a décidé que Mme Nutbrown n'occupait pas un poste de directeur en vertu du paragraphe 167(3) du Code. Il a également décidé qu'elle n'avait pas été licenciée par manque de travail. À la page 11 de sa décision, l'arbitre a dit :


[TRADUCTION] La deuxième question préliminaire concerne l'alinéa 242(3.1)a) du Code qui dispose entre autres que l'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte si le plaignant a été licencié en raison du manque de travail.

[13]       L'arbitre a dit que les tâches qui étaient auparavant accomplies par Mme Nutbrown ont été transférées à d'autres succursales, en particulier les tâches liées à la sécurité et au respect des normes ainsi que le travail de contrôle de l'autoroute 407. L'arbitre a noté qu'il n'y avait aucun élément de preuve établissant une réduction de la charge de travail entre le moment où Mme Nutbrown a commencé son congé de maladie et sa rencontre du 8 mars 2001 avec M. Lepitre, mais que la réduction a eu lieu en 1999 lorsque le nombre de chauffeurs à été réduit à 7. L'arbitre a dit à la page 12 de sa décision :

[TRADUCTION] Il s'ensuit que la réduction du nombre d'heures de travail disponible pour Mme Nutbrown n'était pas due à un manque de travail, mais plutôt à un transfert de la majorité de ses tâches à d'autres endroits. Il n'y avait donc pas de manque de travail et certainement pas un licenciement de la plaignante à cause de cela et l'alinéa 242(3.1)a) du Code ne fait pas obstacle à l'instruction de la présente plainte.

[Non souligné dans l'original.]

[14]       L'arbitre s'est alors penché sur la question de savoir si Mme Nutbrown avait été congédiée. L'arbitre a décidé que l'employeur avait unilatéralement et substantiellement modifié le contrat de travail, vu qu'il avait supprimé « un nombre important de tâches » et qu'il avait laissé des tâches de nature administrative. L'arbitre a rejeté le témoignage de M. Lepitre qu'il avait offert à Mme Nutbrown un emploi à temps plein à Montréal, puisque cet élément de preuve n'avait pas été mentionné dans le témoignage principal alors qu'il aurait été un élément important dans l'argument de l'employeur selon lequel il n'y avait pas eu congédiement.


[15]       L'arbitre a conclu que Mme Nutbrown avait été injustement congédié : il n'y avait aucun élément de preuve établissant une « juste cause » et M. Lepitre a témoigné que son rendement au travail était considéré satisfaisant. L'arbitre a décidé que Mme Nutbrown s'était efforcée de réduire ses pertes et a rendu une sentence accordant 7 mois de salaire.

Question en litige

[16]       L'arbitre avait-il compétence pour procéder à l'instruction de la plainte en l'absence d'une conclusion quant à la « suppression d'un poste » ?

Norme de contrôle

[17]       La norme de contrôle de la décision d'un arbitre quant à la compétence est la norme de la décision correcte : voir Énergie Atomique Canada Ltée. c. Jindal, [1996] A.C.F. no 386 (QL); Thomas c Bande indienne crie d'Enoch 2003 C.F.1re inst.104, [2003] A.C.F. no 153 (QL).

Analyse


[18]       La demanderesse prétend que l'arbitre a passé outre à la question de savoir si la défenderesse avait été licenciée « en raison [...] de la suppression d'un poste » . La demanderesse note que le texte de l'alinéa 242(3.1)a) du Code renvoie à deux dispositions qui limitent la compétence de l'arbitre, et que l'arbitre n'a pas tenu compte de la deuxième. La demanderesse prétend que l'arbitre aurait dû se pencher sur la deuxième disposition et décider que la défenderesse avait été licenciée en raison de la « suppression d'un poste » .

[19]       L'alinéa 242(3.1)a) du Code dispose :


(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants : a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste; [Non souligné dans l'original.]

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where (a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function;

(Emphasis added)


[20]       Dans Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, la Cour suprême a donné à l'expression « suppression d'un poste » une interprétation qui fait autorité. Dans cet arrêt, le juge Cory a dit à la page 664 :

[..] [I]l y a « suppression d'une fonction » lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur.__Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la « suppression d'une fonction » .__En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait « suppression d'une fonction » .__Il y aurait également « suppression d'une fonction » si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.

[Non souligné dans l'original.]

[21]       Comme l'a mentionné la Cour suprême dans Flieger, précité, dans Mudarth c. Canada (mentionné dans l'extrait précité), la demanderesse était une secrétaire dont le travail avait été réparti entre d'autres employés en fonction. Le juge Cory a dit à la page 661 :


_Le point de vue adopté dans l'arrêt Mudarth établit un lien entre le mot « fonction » et le « poste » occupé par la demanderesse. Son poste consistait en un ensemble de tâches et de responsabilités dont elle devait s'acquitter en sa qualité de secrétaire.__Cet ensemble de tâches n'était plus exécuté.__Par conséquent, son poste avait cessé d'exister et il y avait donc eu « suppression d'une fonction » .

[22]       Je conclus, après examen de la décision, que l'arbitre n'a pas cherché à savoir si la défenderesse avait été licenciée à la suite de la « suppression d'un poste » . Il est évident que l'arbitre s'est penché sur la question de savoir si la défenderesse avait été licenciée « en raison du manque de travail » , car il a dit aux pages 11 et 12 de sa décision :

[TRADUCTION] La deuxième question préliminaire concerne l'alinéa 242(3.1)a) du Code qui dispose entre autres que l'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte si le plaignant a été licencié en raison du manque de travail. M. Lepitre a reconnu en contre-interrogatoire que toutes les tâches qui ont été retirées à la plaignante ont été attribuées à d'autres employés à l'extérieur de Cornwall, lui laissant moins de quatre heures de travail par jour. [...]

Il s'ensuit que la réduction du nombre d'heures de travail disponible pour Mme Nutbrown n'était pas due à un manque de travail, mais plutôt à un transfert de la majorité de ses tâches à d'autres endroits. Il n'y avait donc pas de manque de travail et certainement pas un licenciement de la plaignante à cause de cela et l'alinéa 242(3.1)a) du Code ne fait pas obstacle à l'instruction de la présente plainte. [Non souligné dans l'original.]

[23]       Il ressort clairement de ce passage que l'arbitre a décidé que la défenderesse n'avait pas été licenciée par manque de travail et, en conséquence, l'arbitre a conclu qu'il ne lui était pas interdit de procéder à l'instruction de la plainte. Cependant, l'arbitre n'a pas examiné la deuxième phrase de l'alinéa 242(3.1)a) qui interdit à l'arbitre de procéder à l'instruction d'une plainte relativement à un plaignant si « le plaignant a été licencié en raison [...] de la suppression d'un poste » .


[24]       Dans ses motifs, l'arbitre a dit qu'à son avis, il y avait eu « transfert de la majorité [des...] tâches [de la défenderesse] à d'autres endroits » . Dans l'arrêt Flieger, précité, la Cour suprême a établi qu'il y a suppression d'un poste lorsque les activités qui font partie d'un service sont réparties entre des employés en fonction par un employeur agissant « de bonne foi » .

[25]       Vu les faits de la présente affaire, étayés par la conclusion de l'arbitre que la majorité des tâches de la défenderesse ont été transférées à d'autres endroits, il y a, à mon avis, suppression de poste. Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve dans cette affaire qui établissent que l'employeur n'a pas agi de « bonne foi » . Le manque d'analyse sur ce point m'amène à conclure que l'arbitre n'a pas tenu compte de façon appropriée de l'alinéa 242(3.1)a) du Code, et, ce faisant, il a commis une erreur susceptible de contrôle. S'il avait tenu compte de manière appropriée de cette disposition du Code, la seule conclusion qu'il aurait raisonnablement pu tirer est qu'il y a eu suppression de fonction relativement au poste de la défenderesse et que par conséquent il lui était interdit d'entendre la plainte. En conséquence, l'arbitre n'avait pas compétence pour procéder à l'instruction de la plainte.

Conclusion

[26]       Pour ces motifs, la décision de l'arbitre est annulée.

                                                                                   


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La décision de l'arbitre Dumoulin rendue le 1er mars 2002 est annulée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                                 Juge                              

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                   T-535-02

INTITULÉ :                                                                                  Dynamex Canada Inc.

c.

Loretta Nutbrown

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                        le 11 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                              le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                                               le 2 mai 2003

COMPARUTIONS :

Normand Drolet                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Loretta Nutbrown                                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Flynn Rivard                                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

70, rue Dalhousie

Bureau 500

Québec (Québec) G1K 7A6

Loretta Nutbrown                                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Concession 9, R. R. #2                                                                 

Lunenburg (Ontario) K0C 1R0


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