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Date : 20200128


Dossier : IMM‑2026‑19

Référence : 2020 CF 149

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SALINDE KAMBURONA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) qui a refusé d’entendre son appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) au motif que, selon l’article 36 de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010 c 8 [LMRER], elle n’avait pas compétence.

[2]  À titre d’aperçu du contexte, la demanderesse, Mme Kamburona, est une citoyenne namibienne dont la demande d’asile a été rejetée. Elle a affirmé qu’en tant que femme bisexuelle, elle craignait son père et craignait pour sa sécurité générale en Namibie.

[3]  La demanderesse est arrivée au Canada le 4 octobre 2010 et a présenté une demande d’asile le lendemain. En juillet 2012, la SPR a rejeté sa demande d’asile pour des raisons de crédibilité. En mai 2013, elle a obtenu le contrôle judiciaire de la décision de la SPR lorsque le juge Kane a ordonné un nouvel examen de sa demande d’asile (l’action présentée en Cour fédérale et portant le numéro de dossier IMM‑7745‑12).

[4]  Le 25 février 2019, sa demande a fait l’objet d’un nouvel examen par la SPR et a été rejetée de nouveau. La demanderesse a ensuite interjeté appel devant la SAR.

[5]  Le 15 mars 2019, la SAR a rejeté son appel pour des motifs de compétence. La SAR a déclaré ce qui suit :

[3] Le 15 août 2012, l’article 36 de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés est entré en vigueur par décret publié dans la Gazette du Canada à cette date. Le paragraphe 36(1) prévoit que lorsqu’une demande d’asile est déférée à la SPR avant le 15 août 2012, il n’y a pas de droit d’appel devant la SAR.

[4] La demande d’asile de l’appelante a été déférée à la SPR le 5 octobre 2012. Par conséquent, le présent appel est rejeté pour défaut de compétence.

[6]  La SAR a rejeté l’appel au motif qu’elle n’avait pas compétence. Même si la décision de la SAR fait référence à la mauvaise date de renvoi, selon un examen complet du dossier, il est évident que la date à laquelle la SAR avait l’intention de se référer était le 5 octobre 2010 et non le 5 octobre 2012. Par conséquent, pour les motifs qui suivent, le présent contrôle judiciaire est rejeté.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]  Voici les questions soulevées par la demanderesse :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. Quelle était la date de renvoi?

  3. La conclusion de la SAR selon laquelle elle n’avait pas compétence était‑elle raisonnable?

ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle applicable?

[8]  La demanderesse a exhorté la Cour à appliquer la norme de la décision correcte à la conclusion de la SAR selon laquelle elle n’avait pas compétence. La demanderesse soutient que les questions de compétence sont assujetties à la norme de la décision correcte.

[9]  Toutefois, la décision de la SAR quant à la question de savoir si elle avait compétence pour entendre un appel n’était pas une véritable question de compétence, mais plutôt une question d’interprétation de la loi (George c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 884, au par. 9). Il existe une présomption réfutable selon laquelle la décision raisonnable sera la norme de contrôle applicable à l’examen au fond des décisions administratives (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 23 [Vavilov]). L’interprétation de la loi n’est pas l’une des exceptions à cette présomption; « [l]es questions d’interprétation de la loi ne reçoivent pas un traitement exceptionnel. Comme toute autre question de droit, on peut les évaluer en appliquant la norme de la décision raisonnable. » (Vavilov, au par. 115).

[10]  En l’espèce, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique.

Quelle était la date de renvoi?

[11]  Au cours des observations, la demanderesse a soutenu que la SAR avait la mauvaise date de renvoi. Elle fait valoir que la « date de renvoi » est la date à laquelle le juge Kane a ordonné le renvoi de l’affaire à la SPR pour nouvel examen (le 16 mai 2013). La demanderesse soutient que le nouvel examen était un examen « de novo » de sa demande d’asile et que, par conséquent, la date à laquelle le nouvel examen a été ordonné (le 16 mai 2013) constitue la date à utiliser en tant que « date de renvoi ». À mon avis, cette observation n’est pas fondée.

[12]  L’ordonnance du juge Kane n’avait aucune incidence sur la « date de renvoi » applicable aux fins de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Le juge Kane a ordonné un nouvel examen de la demande d’asile de la demanderesse; la date de renvoi est liée à la date à laquelle la demanderesse a déposé sa demande d’asile et non à la date des ordonnances subséquentes de la Cour. En outre, l’ordonnance du juge Kane ne contient aucune analyse relative à l’article 36 de la LMRER ni à son incidence sur le droit de la demanderesse d’interjeter appel devant la SAR si sa demande devant la SPR était rejetée une deuxième fois.

[13]  De plus, l’argument de la demanderesse selon lequel la date de renvoi est le 5 octobre 2012 doit également être rejeté. Malgré la référence faite dans la décision de la SAR à ce qui est manifestement une mauvaise date, lorsque la décision a été examinée par rapport au dossier complet, il est évident que la référence de la SAR au 5 octobre 2012 est une erreur typographique. Le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse indique le 5 octobre 2010 comme date à laquelle la demanderesse a demandé l’asile. De plus, le dossier de demande de la SAR, qui fait partie du Dossier certifié du tribunal (DCR), indique que la date de renvoi était le 5 octobre 2010, tout coJugela liste de contrôle de compétence et d’examen en début de processus, qui fait également partie du DCR.

[14]  La demanderesse n’a fourni aucune jurisprudence pour étayer son affirmation selon laquelle les termes « déférée à la SPR » s’entendent de tout autre moment que le moment où la demande est jugée admissible par un agent. Par conséquent, je conclus que la date de renvoi de la demanderesse n’était ni le 5 octobre 2012 ni le 16 mai 2013, mais le 5 octobre 2010.

La conclusion de la SAR selon laquelle elle n’avait pas compétence était‑elle raisonnable?

[15]  Le paragraphe 36(1) de la LMRER dispose ce qui suit :

Aucun appel en cas de rejet de la demande

No appeal to Refugee Appeal Division

36. (1) N’est pas susceptible d’appel devant la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue avant la date d’entrée en vigueur du présent article.

36. (1) A decision made by the Refugee Protection Division before the day on which this section comes into force is not subject to appeal to the Refugee Appeal Division.

[16]  Un décret en date du 15 août 2012 (TR/2012‑65) fixait la date d’entrée en vigueur de l’article 36 de la LMRER au 15 août 2012 (Mathos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1050) [Mathos].

[17]  La demanderesse invoque la décision Mathos pour étayer son argument selon lequel la SAR avait compétence pour entendre son appel. Même si la décision Mathos n’est d’aucun secours pour l’argument de la demanderesse, elle contient un examen de l’historique législatif du paragraphe 36(1) de la LMRER. Dans la décision Mathos, la Cour a fait remarquer que le Parlement avait adopté l’article 167 de la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2013, LC 2013 c 33 [LPAE], qui prorogeait la date à laquelle les appels devant la SAR des décisions de la SPR étaient prescrits pour les demandes déférées à la SPR du 15 août 2012 au 15 décembre 2012. La date de renvoi en cause dans la décision Mathos était le 13 décembre 2012 et, par conséquent, un appel devant la SAR était prescrit et le contrôle judiciaire a été rejeté.

[18]  La demanderesse invoque également la décision Y.Z. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892 [Y.Z.], pour faire valoir que l’accès à la SAR est un avantage substantiel et que la privation de cet avantage ne peut être corrigée qu’en faisant de la date à laquelle sa demande de contrôle judiciaire de 2013 a été accueillie la date de renvoi applicable. Même si la Cour, dans la décision Y.Z., a conclu que l’accès à la SAR constitue un « avantage substantiel » (Y.Z., au par. 129), le contexte factuel de cette affaire était différent; il y avait refus d’accès à la SAR pour tous les demandeurs qui venaient de pays désignés. C’était dans ce contexte que la Cour a conclu à une violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et a déclaré l’invalidité de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR. Toutefois, la présente situation factuelle est tout à fait différente et la demanderesse a décidé de ne pas faire valoir l’argument constitutionnel qu’elle avait présenté dans ses observations écrites. En l’absence d’un tel argument, il n’existe aucun motif de déclarer l’invalidité de l’article 36 de la LMRER; il ne reste qu’à décider si la conclusion de la SAR voulant que, selon l’article 36 de la LMRER, elle n’avait pas compétence, était raisonnable.

[19]  Même si la demanderesse soutient que la décision elle‑même était inintelligible, le contenu du DCR doit être considéré comme faisant partie du contexte global de la décision et doit être lu de concert avec la décision (Vavilov, au par. 103) :

[…] il faille interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés, une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle […] Une décision sera également déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée […] ou qu’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central […]. [Renvois omis]

[20]  Une erreur d’écriture ne constitue pas un motif suffisant pour conclure que cette décision est déraisonnable. Lorsque les motifs sont lus à la lumière du dossier, ils révèlent une chaîne d’analyse rationnelle sur un point critique, qui est que le 5 octobre 2012 ne pouvait pas être la date de renvoi de la demanderesse parce que la SPR a entendu sa demande pour la première fois le 30 avril 2012 et a rendu sa décision le 5 juillet 2012. L’affaire de la demanderesse ne pouvait pas être déférée à la SPR pour la première fois après que celle-ci l’eut déjà entendue et tranchée. De plus, le DCR fait référence, à deux endroits différents, au renvoi comme étant le 5 octobre 2010. Par conséquent, je conclus que l’erreur d’écriture ne constitue pas un motif suffisant pour rendre déraisonnable la décision dans son intégralité.

[21]  Étant donné que la demanderesse n’a pas démontré pourquoi l’article 36 de la LMRER ne devrait pas s’appliquer ou que la date de renvoi se situe en dehors du délai au cours duquel il n’y avait aucun droit d’appel à la SAR, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la SAR.

[22]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2026‑19

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de février 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2026‑19

 

INTITULÉ :

SALINDE KAMBURONA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Matthew Tubie

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Tubie

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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