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Date : 20200131


Dossier : IMM‑4169‑19

Référence : 2020 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 31 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SUGREEV SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Sugreev Singh, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui a confirmé le rejet de sa demande d’asile. La SAR a conclu que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) n’avait pas commis d’erreur en rejetant la demande du demandeur.

[2]  Le demandeur est un sikh et est citoyen de l’Inde. Il a demandé l’asile parce qu’il affirme être homosexuel et avoir été victime de mauvais traitements, de persécution et d’agressions physiques en Inde en raison de son orientation sexuelle. Il dit qu’il n’a pas réussi sa 10e année en raison des agressions et des mauvais traitements incessants de la part de ses camarades de classe. Le demandeur a quitté l’Inde pour Singapour en 2011, mais lorsqu’il est retourné en Inde en 2016, son frère a découvert qu’il était homosexuel, et il l’a dit à sa mère.

[3]  Le demandeur affirme qu’il a fui l’Inde par crainte de violence et de persécution en raison de son orientation sexuelle aux mains de son père, et de la société dans son ensemble, et parce que la police ou d’autres autorités de l’État ne le protégeraient pas. Il est arrivé au Canada muni d’un visa de travail temporaire, mais il est resté après l’expiration de son visa et, 16 mois plus tard, il a demandé l’asile.

[4]  La SPR a rejeté sa demande au motif qu’elle estimait que son témoignage manquait de crédibilité. Le tribunal a constaté les omissions dans sa preuve, les divergences entre le récit figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) et son témoignage de vive voix, la difficulté qu’il avait à répondre aux questions pendant l’audience et l’absence d’autres éléments de preuve pour corroborer sa demande. Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’avait [traduction] « pas établi qu’il était gai ou homosexuel selon la prépondérance des probabilités ».

[5]  La SAR a rejeté l’appel du demandeur, estimant que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur. La SAR a constaté les incohérences entre le formulaire FDA du demandeur et son témoignage, et elle a rejeté son explication selon laquelle il ne savait pas quoi inclure dans son formulaire FDA, étant donné qu’il était représenté par un avocat à ce moment‑là et avait confirmé que le contenu du formulaire avait été traduit pour lui.

[6]  La SAR a conclu que ces divergences étaient liées au cœur même de la demande du demandeur. Dans son formulaire FDA, il n’était fait mention que de façon superficielle de la personne avec qui il avait une relation. Pourtant, dans son témoignage, il a indiqué qu’il s’agissait d’une relation à long terme et qu’il s’agissait de sa seule relation de ce genre. La SAR a conclu que ces incohérences minaient la crédibilité du demandeur, à l’instar de sa preuve selon laquelle il n’avait rien fait pour se renseigner sur la communauté gaie ni pour chercher à établir d’autres relations après son arrivée au Canada.

[7]  La SAR a pris acte des Directives sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives sur l’OSIGEG), qui soulignent que dans bien des cas, il peut être difficile pour une personne d’obtenir des éléments de preuve pour corroborer son orientation sexuelle. Toutefois, les préoccupations importantes quant à la crédibilité de la preuve du demandeur, conjuguées à l’absence de preuve pour corroborer sa relation à long terme, ainsi que sa difficulté à expliquer pourquoi il n’a pas tenté d’obtenir de tels éléments de preuve, l’ont mené à conclure qu’il n’avait pas établi son orientation sexuelle.

[8]  En se fondant sur cette conclusion, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve relative à la situation dans le pays, ni dans son omission de procéder à une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], parce que celles‑ci n’étaient pas nécessaires à la lumière de la conclusion concernant le fondement essentiel de la demande d’asile du demandeur. Il n’avait pas établi son orientation sexuelle et n’avait pas invoqué d’autre motif de craindre la persécution ou les mauvais traitements en Inde.

[9]  Le demandeur soutient que cette décision est déraisonnable. L’essentiel de sa plainte est que l’appréciation de sa crédibilité par la SAR était erronée parce qu’elle n’a pas accordé l’importance nécessaire à son témoignage sous serment et a exigé de façon déraisonnable des éléments de preuve corroborants. En outre, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en omettant d’analyser les documents relatifs à la situation dans le pays, d’apprécier sa crainte de subir un préjudice en vertu de l’article 97 de la LIPR ou d’examiner la question de la protection de l’État.

[10]  Les parties ont présenté des observations relativement à la norme de contrôle à la lumière du récent arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada, et je conviens avec elles que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[11]  Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99). Elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, par. 85). Ainsi, une décision sera déraisonnable lorsqu’il est impossible pour la Cour de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, par. 103).

[12]  Il y a de nombreux aspects à contrôler selon la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov et appliquée dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes]. Les repères les plus importants en l’espèce sont que le contrôle doit commencer par les motifs de la décision et examiner la question de savoir si le décideur (la SAR en l’espèce) a correctement appliqué le droit aux faits de l’espèce, et si son raisonnement est fondé sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle.

[13]  Autrement dit, le droit applicable et les faits principaux de l’espèce établissent l’espace dans lequel la décision doit être rendue (Vavilov, par. 85 et 99; Société canadienne des postes, par. 31). Si un contrôle révèle que le décideur a dépassé les limites de ce cadre, en appliquant la mauvaise règle de droit ou en commettant des erreurs importantes quant aux faits, la décision peut alors être jugée déraisonnable. À titre d’exemple, il s’agirait de ne pas tenir compte d’un fait qui contredit la conclusion principale à laquelle on est parvenu, ou de s’appuyer sur un fait connu ou découvert par le décideur alors que la personne touchée par la décision n’a pas eu la possibilité de répondre à ce nouveau fait. Il s’agirait également de mettre indûment l’accent sur des faits mineurs ou accessoires tout en ne tenant aucun compte des faits qui, selon le droit, sont essentiels à la décision, ou en minimisant leur importance.

[14]  En outre, le processus d’analyse doit démontrer que la décision est justifiée, ce qui signifie qu’une cour de révision peut comprendre la logique interne de la décision et comment le décideur en est arrivé à sa conclusion (Vavilov, par. 81 et 85). Une façon de décrire cela a été exposée par le juge Rennie dans la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, paragraphe 11 (citée avec approbation dans l’arrêt Vavilov au par. 97), lorsqu’il a déclaré qu’une décision raisonnable est une décision permettant à une cour de révision de « relier les points sur la page [afin que] les lignes, et la direction qu’elles prennent, [puissent] être facilement discernées. » S’il n’y a pas de points, ou si la direction que prennent les lignes n’est pas claire, la décision peut très bien être jugée déraisonnable.

[15]  En l’espèce, il n’y a aucune raison de modifier la décision de la SAR. Elle est justifiée et justifiable, à la lumière de la matrice juridique et factuelle établissant l’espace dans lequel le pouvoir discrétionnaire de la SAR devait être exercé. La décision démontre une logique et une cohérence internes et son analyse est à la fois claire et convaincante.

[16]  L’essence de l’argument du demandeur contre la décision est que la SAR aurait dû accepter le témoignage sous serment du demandeur et parce qu’elle n’avait pas de fondement solide pour mettre en doute sa crédibilité, elle n’avait pas non plus de motif de lui reprocher de ne pas avoir produit d’éléments de preuve corroborants. Je n’en suis pas convaincu.

[17]  La SAR a souligné les divergences entre le témoignage et le récit écrit antérieur du demandeur figurant dans son formulaire FDA, document qu’il avait préparé avec l’aide d’un avocat et pour lequel il a confirmé qu’il avait été traduit pour lui. L’une des caractéristiques de la crédibilité est la cohérence, et il a été affirmé dans d’innombrables décisions que les déclarations incohérentes antérieures, plus particulièrement les incohérences au cœur de la preuve de la personne, peuvent servir de fondement permettant de conclure que la personne manquait de crédibilité : voir Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, par. 41 à 46, et Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, par. 16 à 20.

[18]  C’est ce que la SAR a fait en l’espèce, et ses conclusions sont amplement étayées par la preuve. Son analyse est claire et précise.

[19]  En ce qui concerne l’absence de corroboration, il est important de souligner que la SAR a tenu compte des Directives sur l’OSIGEG et que ses conclusions ne reposaient pas sur l’absence de corroboration, mais plutôt sur les réponses et les explications inadéquates du demandeur quant à son omission d’obtenir une telle preuve. Cela n’est pas déraisonnable.

[20]  Pour ce qui est des autres arguments avancés par le demandeur, il n’est pas nécessaire de les examiner en détail, car la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il était homosexuel a entraîné le rejet de sa demande d’asile. Une fois cette conclusion tirée, la SAR n’a pas eu besoin d’examiner les documents relatifs à la situation dans le pays ou la question de la protection de l’État en ce qui concerne sa demande d’asile en vertu de l’article 96 de la LIPR. En ce qui a trait à la demande présentée en vertu de l’article 97, dans les circonstances de l’espèce, il n’était pas nécessaire que la SAR entreprenne une analyse distincte détaillée. Le demandeur n’a pas invoqué, et les éléments de preuve n’étayaient pas par ailleurs, un fondement distinct permettant de conclure à l’existence d’un risque pour le demandeur (voir Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1379, par. 50; Matsika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 602, par. 23).

[21]  Pour ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[22]  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4169‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de février 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4169‑19

INTITULÉ :

SUGREEV SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JANVIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Aman Sandhu

POUR LE DEMANDEUR

Jocelyne Mui

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandhu Law Office

Surrey (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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