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Date : 2020 01 31


Dossier : IMM-3724-19

Référence : 2020 CF 187

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

BALDEV SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Baldev Singh demande le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision datée du 27 février 2019 par laquelle un agent des visas à New Delhi, en Inde, a refusé sa demande de visa de résident temporaire, au motif qu’il avait été déclaré interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  En novembre 2018, le demandeur a présenté une demande de visa de résident temporaire. Il a été jugé qu’il n’avait pas fourni de réponses franches à plusieurs questions :

  Question 2b) : « Vous a-t-on déjà refusé un visa, un permis, ou encore l’entrée au Canada ou dans un autre pays, ou avez-vous déjà reçu l’ordre de quitter le Canada ou un autre pays? » Il a répondu [traduction« Non ».

  Question 2c) : « Avez-vous déjà fait une demande pour entrer ou demeurer au Canada? » Il a répondu [traduction] : « Oui, j’ai demandé un visa de visiteur à deux reprises et mes demandes ont été approuvées. »

• Question 3 : « Avez-vous déjà commis un crime, été arrêté pour un crime, accusé d’un crime ou déclaré coupable d’un crime dans quelque pays que ce soit? » Il a répondu [traduction] : « J’ai été reconnu coupable, mais j’ai été libéré en mai 2009. J’ai joint les ordonnances du tribunal. Je n’ai pas eu de démêlées judiciaires depuis. »

[3]  Au cours de l’examen de la demande, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’avait pas répondu de manière entièrement franche. Il avait omis de mentionner les demandes de visa refusées et autres mesures, dont une mesure d’expulsion du Canada prise le 11 juillet 2003 et une attestation de danger émise le 15 juillet 2004. Le demandeur a également omis d’indiquer qu’il avait présenté une demande d’asile en 2003, mais qu’il avait alors été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité.

[4]  L’agent a remis une lettre d’équité procédurale au demandeur pour lui permettre de répondre à ces préoccupations. Dans sa réponse, le demandeur a déclaré qu’il avait commis une erreur de transcription et qu’il n’avait pas intentionnellement caché de l’information.

[5]  La demande de visa a été refusée en raison de la présentation erronée aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, de sorte que le demandeur demeurerait interdit de territoire pendant une période de cinq ans, comme le prévoit l’alinéa 40(2)a).

[6]  Le demandeur soutient que cette décision est déraisonnable, car la présentation erronée était le résultat d’une erreur de bonne foi commise par le consultant en immigration, qu’elle n’était pas importante à l’égard de la demande et que l’imposition d’une période d’interdiction de territoire est déraisonnable, compte tenu de sa situation personnelle, puisqu’il est âgé de 86 ans et qu’il a des enfants au Canada. Il demandait un visa pour séjours multiples au Canada afin de pouvoir passer du temps avec ses enfants et ses petits-enfants.

[7]  La norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire prise par un agent des visas de délivrer un visa de résident temporaire est la norme de la décision raisonnable, comme l’a confirmé l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[8]  Lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). Elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au par. 85). Par conséquent, une décision sera déraisonnable s’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, au par. 103).

[9]  Le point de départ de l’analyse est le libellé de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, selon lequel « Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : (...) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». Il s’agit d’une disposition de grande portée et la jurisprudence de la Cour a conclu qu’elle doit être interprétée de façon libérale. Elle reflète l’obligation prépondérante du demandeur de fournir des renseignements complets et l’obligation plus globale de franchise qui incombe aux personnes qui demandent le statut d’immigrant au Canada (voir Sidhu c Canada [Citoyenneté et Immigration], 2019 CAF 169 [Sidhu]).

[10]  Les principes généraux applicables en matière de fausses déclarations ont récemment été résumés par le juge Gascon dans la décision Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 [Kazzi] (cité avec approbation dans Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 107, au par. 31). Dans la décision Kazzi, le juge Gascon résume ainsi la jurisprudence relative à l’alinéa 40(1)a) :

[38] Pour ce qui est de la jurisprudence, les principes généralement issus de la jurisprudence de la Cour sur l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ont bien été résumés par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Sayedi aux paragraphes 23 à 27, par la juge Strickland dans Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun] au paragraphe 28 et par le juge Gleeson dans la décision Brar aux paragraphes 11 et 12. Les principaux enseignements découlant de ces décisions et s’appliquant spécifiquement au contexte de la présente demande peuvent être ainsi résumés : (1) la disposition doit être interprétée au sens large pour appuyer son objectif sous-jacent; (2) elle a pour objectif de prévenir les fausses déclarations et de préserver l’intégrité du processus d’immigration au Canada; (3) toute exception à cette règle générale doit être rare et ne s’appliquer qu’aux circonstances réellement exceptionnelles; (4) le demandeur porte le fardeau et l’obligation continue de franchise et de donner des renseignements complets, exacts et véridiques pour entrer au Canada; (5) une considération doit être prise du libellé de la disposition et de son objectif sous-jacent pour décider si la fausse déclaration est importante; (6) une fausse déclaration est importante si elle pourrait modifier le cours du processus d’immigration; (7) une fausse déclaration ne doit pas nécessairement être décisive ou déterminante pour être importante; (8) un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été décelée par autorités d’immigration avant l’évaluation finale de la demande; (9) l’analyse de l’importance ne se limite pas à un point donné du traitement la demande; et (10) l’évaluation de la question de savoir si une fausse déclaration aurait pu mener à une erreur dans l’application de la LIPR est réalisée au moment où est faite la représentation erronée.

[11]  Le demandeur a renvoyé à des décisions dans lesquelles la Cour a accepté de faire une exception pour une erreur de bonne foi, mais les faits sous-jacents à ces décisions se distinguent de la présente affaire. Dans Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556, le demandeur a fait une présentation erronée selon laquelle une de ses filles avait été adoptée, mais il avait déclaré cela au cours de l’entrevue et il avait fourni ses documents d’adoption. Dans Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, il n’a pas été conclu que l’omission du père de divulguer les renseignements relatifs à ses enfants adoptifs issus d’un mariage antérieur constituait un motif pour conclure à l’existence d’une présentation erronée, parce qu’il avait divulgué ces renseignements dans des demandes et des formulaires antérieurs.

[12]  Les faits dans ces affaires ne sont pas comparables aux faits en l’espèce. Rien n’indique que le demandeur avait précédemment divulgué ses antécédents en matière d’immigration, ni qu’il ait tout simplement oublié un élément mineur de ses antécédents en matière d’immigration ou de sa situation familiale. L’aspect le plus important est l’omission du demandeur de divulguer qu’il avait déjà présenté une demande d’asile, mais qu’il avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité et expulsé du Canada.

[13]  Le demandeur a souligné que ses antécédents criminels avaient été annulés par un certificat de libération délivré par la police en Inde, certificat qu’il avait fourni. En toute déférence, cela n’a rien à voir avec la présentation erronée. L’agent n’a pas conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité. Il a conclu que le demandeur avait omis de faire mention du rejet de sa demande d’asile antérieure et qu’il avait déjà été expulsé du Canada au motif qu’il avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. Le demandeur a également omis de faire mention qu’une attestation de danger avait été émise contre lui. Aucune de ces défaillances ne concerne le déroulement subséquent de son instance criminelle en Inde.

[14]  Comme il a été mentionné dans la décision Kazzi, toute exception à l’obligation générale de franchise imposée aux personnes qui demandent le statut d’immigrant au Canada doit être interprété de façon étroite. Une telle exception s’applique uniquement dans des circonstances vraiment extraordinaires. La présente affaire ne se prête pas à l’application d’une telle exception, compte tenu de la nature de l’omission du demandeur, de l’explication qu’il a fournie à l’agent en réponse à la lettre d’équité procédurale et de son incidence possible sur l’examen de la demande.

[15]  Au moment de remplir le formulaire, le demandeur a omis de fournir plusieurs éléments d’information très pertinents. Il a d’abord expliqué qu’il s’agissait d’une erreur de transcription et, dans ses observations à la Cour, il a attribué cette erreur au consultant en immigration à qui il avait fait confiance. La jurisprudence enseigne de façon claire que le demandeur est responsable de la véracité et de l’exhaustivité de la demande, peu importe s’il l’a remplie ou si elle a été remplie par une autre personne : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 422, aux par. 37 et 38. Il est également manifeste qu’il n’est pas toujours nécessaire de savoir qu’il s’agit d’une fausse déclaration : Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au par 15. Quoi qu’il en soit, on ne peut reprocher à l’agent d’avoir tenu compte de la seule explication donnée.

[16]  L’agent a donné au demandeur l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées concernant les fausses déclarations et a précisé clairement de quelle nature étaient ces préoccupations. L’agent n’a pas accepté les explications du demandeur et, compte tenu de la nature des omissions, il est facile de comprendre pourquoi. Il est également évident que les présentations erronées étaient importantes à l’égard de la demande.

[17]  L’analyse effectuée par l’agent est claire et bien étayée dans le dossier. Le demandeur n’a fourni aucun renseignement important que l’agent aurait pu omettre dans son analyse. En appliquant le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, la décision de l’agent est justifiée dans le contexte du droit applicable et des faits pertinents, et le raisonnement démontre une logique intrinsèque et une analyse rationnelle.

[18]  Enfin, même si la période d’interdiction de territoire de cinq ans peut sembler sévère pour un homme de 86 ans qui souhaite rendre visite à ses enfants au Canada, l’agent n’avait pas le choix. Une fois qu’une personne est déclarée interdite de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a), l’interdiction de cinq ans s’applique automatiquement, en application du paragraphe 40(2) de la LIPR. On ne peut reprocher à l’agent d’avoir appliqué la loi.

[19]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3724-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de février 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3724-19

INTITULÉ :

BALDEV SINGH c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver, Colombie-Britannique

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 janvier 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Pentney

DATE DES MOTIFS :

le 31 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Navratan S. Fateh

POUR LE DEMANDEUR

Thomas Bean

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sanghera Sandhar Law Group

Surrey (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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