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Date : 20030516

Dossier : IMM-2188-01

Référence : 2003 CFPI 615

OTTAWA (ONTARIO), le 16 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                    MOHSEN YAGHOUBIAN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue du contrôle judiciaire d'une décision par laquelle une agente canadienne des visas à Vienne, en Autriche (l'agente des visas) a rejeté, le 8 mars 2001, la demande de résidence permanente de Moshen Yaghoubian (le demandeur). Cette décision a été communiquée au demandeur le 4 avril 2001. Le demandeur sollicite une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari annulant la décision et une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus enjoignant aux représentants du défendeur de poursuivre le traitement de la demande de résidence permanente conformément au droit.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen iranien. Il est marié à Sedigheh Yaghoubian; ils ont deux fils. Au mois de septembre 1999, le demandeur a sollicité l'établissement à titre de demandeur indépendant exerçant la profession d'ingénieur mécanicien.

[3]                 Le 20 février 2001, l'agente des visas a eu une entrevue avec le demandeur et sa conjointe. Le 8 mars 2001, elle a rejeté la demande de résidence permanente.

LA DÉCISION DE L'AGENTE DES VISAS :

[4]                 L'agente des visas a rejeté la demande pour les motifs suivants :

[TRADUCTION] Conformément au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, les demandeurs indépendants, soit la catégorie dans laquelle vous avez présenté votre demande, sont appréciés selon les études qu'ils ont faites, leur préparation professionnelle, leur expérience, la demande dans la profession, l'emploi réservé ou la profession désignée, le facteur démographique, l'âge, la connaissance de l'anglais et du français et la personnalité. Vous avez demandé à être apprécié en tant qu'ingénieur mécanicien et vous avez été apprécié conformément aux conditions qui s'appliquent à la profession d'ingénieur mécanicien (no 2132.0 de la CNP) et à la profession d'ingénieur en génie maritime (no 2148.1 de la CNP).


Les points ont été attribués comme suit :

Ingénieur mécanicien (no 2132.0 de la CNP)

Âge                                                                              10

Facteur professionnel                                             00

Préparation professionnelle spécifique             17

Expérience                                                                  00

Emploi réservé                                                           00

Facteur démocratique                                              08

Études                                                                          15

Anglais                                                                        09

Français                                                     00

Points supplémentaires                                           00

Personnalité                                                               04

TOTAL :                                                                      63

Ingénieur en génie maritime (no 2148.1 de la CNP)

Âge                                                                              10

Facteur professionnel                                             00

Préparation professionnelle spécifique             17

Expérience                                                                  00

Emploi réservé                                                           00

Facteur démocratique                                              08

Études                                                                          15

Anglais                                                                        09

Français                                                     00

Points supplémentaires                                           00

Personnalité                                                               04

TOTAL :                                                                      63

Pour être acceptés, les demandeurs doivent obtenir au moins 70 points. Vous appartenez donc à la catégorie des personnes non admissibles visée à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration et votre demande doit être rejetée.

Vous avez demandé à être apprécié à titre d'ingénieur mécanicien. Toutefois, vous n'exerciez pas un nombre substantiel des fonctions principales d'un ingénieur mécanicien ou d'un ingénieur en génie maritime.

Je considère que les points d'appréciation qui vous ont été attribués constituent une évaluation exacte de votre capacité de réussir votre installation au Canada.

Votre demande est donc rejetée.


ARGUMENTS

Prétentions du demandeur

[5]                 Le demandeur soutient que la norme de contrôle qui s'applique aux décisions des agents de visas est celle de la décision raisonnable puisque ces décisions comportent des questions de fait et de droit (Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1907 (1re inst.)).

[6]                 Il est affirmé qu'en l'espèce, la question litigieuse se rapporte à l'évaluation du facteur professionnel que l'agente des visas a effectuée, le demandeur n'ayant pas obtenu de points à cet égard, ainsi que du facteur « expérience » pour lequel le demandeur n'a pas non plus obtenu de points.

[7]                 Les points d'appréciation, en ce qui concerne ces facteurs, devraient être attribués conformément à l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, qui prévoit que les points sont attribués compte tenu du fait que le demandeur satisfait aux conditions d'accès à la profession pour le Canada et qu'il exerce un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la Classification nationale des professions (la CNP).


[8]                 Dans ce cas-ci, l'agente des visas a rejeté le demandeur parce qu'il n'avait pas exercé un nombre substantiel des fonctions principales de sa profession. La description de travail figurant dans la CNP pour les ingénieurs mécaniciens exige que ceux-ci remplissent une partie ou l'ensemble des fonctions principales. Cela est logique puisque de nombreux domaines techniques généraux tels que le génie comportent des spécialisations. Le fait qu'il existe des spécialités dans une profession particulière a également été reconnu dans les décisions Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1983 (1re inst.) (QL) et Bhatia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 98 (1re inst.) (QL).

[9]                 L'agente des visas a conclu qu'étant donné que le demandeur avait de l'expérience dans le domaine de l'entretien et de la réparation, par opposition à la conception et à la recherche, il n'avait pas exercé un nombre substantiel des fonctions de la profession. Le demandeur affirme qu'il s'agissait d'une erreur et que cela était également intrinsèquement incompatible parce que l'agente des visas a reconnu qu'il satisfaisait au facteur « Études et formation » , selon lequel il faut avoir travaillé pendant deux ans comme ingénieur mécanicien aux fins de l'affiliation. En second lieu, l'exigence relative à l'expérience à l'égard d'une partie des fonctions principales se rapporte uniquement à l'expérience à l'égard de plus d'une fonction et n'exige pas une expérience à l'égard de la plupart des fonctions, en particulier dans le contexte de professions spécialisées telles que le génie. En outre, l'appréciation ne tient pas compte de l'expérience professionnelle cumulative du demandeur. Le demandeur travaille dans ce domaine depuis 1975.


[10]            De plus, le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'évaluation informelle favorable du Conseil canadien des ingénieurs (le CCI). L'agente des visas ne mentionne aucunement l'évaluation du CCI dans ses motifs. La Cour a reconnu que l'évaluation du CCI fait partie de l'ensemble de la demande et qu'il faut en tenir compte (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 320 (1re inst.); Patel, précité; Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 324 (1re inst.); Yao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 325).

[11]            L'agente des visas a également commis une erreur en évaluant la personnalité du demandeur. Elle n'a pas exprimé les motifs pour lesquels elle estimait que le demandeur se situait sous la moyenne sur le plan de la personnalité. Le demandeur est fort compétent, il a fait ses études en Amérique du Nord, il a une connaissance courante de l'anglais, il a eu des promotions par le passé et il a assumé des responsabilités de plus en plus lourdes. Il s'agissait d'une erreur de lui attribuer si peu de points.

Prétentions du défendeur


[12]            Le défendeur soutient que la Cour devrait uniquement intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui est conféré par la loi si le pouvoir a été exercé d'une façon manifestement déraisonnable ou s'il n'a pas été exercé de bonne foi conformément aux principes de justice naturelle, et lorsque l'on s'est fondé sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'objet de la loi (Tanveer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 177 (1re inst.) (QL); Tang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 7 (1re inst.) (QL); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 524 (1re inst.) (QL)).

[13]            Le défendeur soutient que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur en évaluant l'expérience professionnelle du demandeur. Il incombe au demandeur de convaincre l'agente des visas que la délivrance d'un visa n'irait pas à l'encontre de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. L'agente des visas peut à bon droit conclure que certaines fonctions d'une description figurant dans la CNP sont essentielles aux fins d'une évaluation professionnelle. Les agent des visas ont le pouvoir discrétionnaire voulu pour interpréter la CNP en accordant plus de poids à certaines fonctions et responsabilités (Farooqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 714 (1re inst.) (QL); Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 4 (1re inst.) (QL); Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 507 (1re inst.) (QL); Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1198 (1re inst.) (QL)).

[14]            Le défendeur soutient qu'en l'espèce, l'agente des visas a noté que le demandeur s'occupait principalement d'entretien et de réparation plutôt que d'exercer les fonctions énumérées dans l'énoncé applicable aux ingénieurs mécaniciens. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, il s'agissait d'une conclusion raisonnable. L'agente des visas a conclu que certaines fonctions de la CNP étaient essentielles et que le demandeur ne les exerçait pas et n'exerçait qu'une partie des fonctions nécessaires.


[15]            Le défendeur soutient en outre que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur en n'accordant aucune importance à l'évaluation du CCI. Cette évaluation ne constitue qu'une opinion selon laquelle le demandeur satisfait peut-être aux exigences. L'agente des visas a tenu compte de l'évaluation, mais elle a conclu qu'elle ne l'aidait pas à établir que le demandeur avait l'expérience requise.

[16]            Enfin, le défendeur affirme que l'agente des visas n'a pas non plus commis d'erreur en attribuant les points pour la personnalité. L'agente des visas a tenu compte du fait que le demandeur n'avait pas communiqué avec des employeurs au Canada. Il s'agissait d'une considération pertinente. La conjointe du demandeur parlait peu l'anglais et ne savait pas grand-chose au sujet de sa profession au Canada. Le demandeur n'a pas fourni de renseignements au sujet de sa connaissance du Canada. La décision de l'agente des visas sur ce point n'était pas déraisonnable.

POINTS LITIGIEUX

1.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en évaluant l'expérience professionnelle du demandeur?

2.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l'évaluation informelle favorable effectuée par le CCI au sujet de la profession du demandeur?


3.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en tirant sa conclusion au sujet de l'évaluation de la personnalité du demandeur?

ANALYSE :

Cadre législatif

[17]            Les dispositions pertinentes de l'article 8 du Règlement sont ainsi libellées :



8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint

[...]

                b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;

[...]

(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à-vis de ce facteur.

[...]

(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.

8.(1)    Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

[...]

                (b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

[...]

(2)    A visa officer shall award to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in column I of Schedule I the appropriate number of units of assessment for each factor in accordance with the criteria set out in column II thereof opposite that factor, but he shall not award for any factors more units of assessment that the maximum number set out in column II thereof opposite that factor.

[...]

(4)    Where a visa officer assesses an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, he shall, in addition to any other units of assessment awarded to that immigrant, award 30 units of assessment to the immigrant if, in the opinion of the visa officer, the immigrant will be able to become successfully established in his occupation or business in Canada.


[18]            Le paragraphe 9(1) du Règlement prévoit ce qui suit :


9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.01) et de l'article 11, lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne appartenant à la catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'à toute personne à charge qui l'accompagne si :

                a) [...]

                b) lorsqu'ils entendent résider au Canada ailleurs qu'au Québec, suivant son appréciation de l'immigrant ou du conjoint de celui-ci selon l'article 8 :

                                (i) dans le cas d'un immigrant, autre qu'un entrepreneur, un investisseur, ou un candidat d'une province, il obtient au moins 70 points d'appréciation.

9.(1) Subject to subsection (1.01) and section 11, where an immigrant other than a member fo the family class, an assisted relative or a Convention refugee seeking resettlement makes an application for a visa, a visa officer may issue an immigrant visa to him and his accompanying dependants if

(a)    [...]

(b)    where the immigrant and the immigrant's accompanying dependants intend to reside in a place in Canada other than the Province of Quebec, on the basis of the assessment of the immigrant or the spouse of that immigrant in accordance with section 8, and

(i) in the case of an immigrant other than an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, he is awarded at least 70 units of assessment.


[19]            L'article 11 du Règlement prévoit en partie ce qui suit :



11. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), l'agent des visas ne peut délivrer un visa d'immigrant selon les paragraphes 9(1) ou 10(1) ou (1.1) à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette annexe, à moins que l'immigrant :

                a) n'ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéressé accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience; ou

                b) ne possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée, et ne soit disposé à le faire.

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), l'agent des visas ne délivre un visa en vertu des articles 9 ou 10 à un immigrant autre qu'un entrepreneur, un investisseur, un candidat d'une province ou un travailleur autonome, que si l'immigrant :

                a) a obtenu au moins un point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 4 de la colonne I de l'annexe I;

b) a un emploi réservé au Canada; ou

                c) est disposé à exercer une profession désignée.

11. (1) Subject to subsections (3) and (5), a visa officer shall not issue an immigrant visa pursuant to subsection 9(1) or 10(1) or (1.1) to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in column I of Schedule I and is not awarded any units of assessment for the factor set out in item 3 thereof unless the immigrant

(a) has arranged employment in Canada and has a written statement from the proposed employer verifying that he is willing to employ an inexperienced person in the position in which the person is to be employed, and the visa officer is satisfied that the person can perform the work required without experience; or

(b) is qualified for and is prepared to engage in employment in a designated occupation.

(2) Subject to subsections (3) and (4), a visa officer shall not issue an immigrant visa pursuant to section 9 or 10 to an immigrant other than an entrepreneur, an investor, a provincial nominee or a self-employed person unless

(a) the units of assessment awarded to that immigrant include at least one unit of assessment for the factor set out in item 4 of Column I of Schedule I;

(b) the immigrant has arranged employment in Canada; or

(c) the immigrant is prepared to engage in employment in a designated occupation.


[20]            Essentiellement, les paragraphes 11(1) et (2) prévoient l'attribution d'au moins un point pour le facteur professionnel et pour le facteur « expérience » , tel qu'il sont énoncés à l'annexe I du Règlement. Les articles 9 et 10, mentionnés à l'article 11, indiquent le nombre minimum de points d'appréciation nécessaire dans l'ensemble. Dans ce cas-ci, le demandeur devait obtenir 70 points en tout pour avoir droit à un visa d'immigrant.


[21]            L'annexe I du Règlement énonce les critères fondamentaux pour chacun des facteurs. Les points, pour ce qui est du facteur « expérience » , sont attribués comme suit : deux points pour chaque année d'expérience pertinente que le demandeur réussit à établir, jusqu'à un maximum de huit points. Par conséquent, au moins une année d'expérience dans le domaine ou dans le secteur pertinent serait nécessaire pour satisfaire à la norme minimale exigée par le Règlement.

[22]            Quant au facteur professionnel, les points sont attribués lorsque la profession envisagée du demandeur figure sur la liste pertinente des professions, en plus de satisfaire aux exigences pertinentes telles qu'elles sont énumérées dans la CNP pour cette profession. Un maximum de dix points peut être attribué pour ce facteur; le maximum est uniquement attribué lorsque le demandeur a un emploi réservé. Afin de satisfaire au minimum prévu par règlement, le demandeur doit démontrer à l'agent des visas qu'il satisfait aux exigences de la CNP et qu'il a l'intention d'exercer la profession désignée au Canada.

La norme de contrôle

[23]            En l'espèce, en ce qui concerne la question de l'attribution de points et de la personnalité, le demandeur soutient que la norme de contrôle devrait être celle de la décision raisonnable alors que le défendeur affirme que la norme de contrôle devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable.

[24]            La question de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions des agents des visas semble faire l'objet de certains débats au sein de la présente cour.

[25]            Certains juges, en suivant la décision rendue par Madame le juge Reed dans l'affaire Hoa, précitée, ont appliqué l'approche de la décision raisonnable simpliciter. Dans la décision Hao, précitée, le juge Reed a appliqué l'approche pragmatique et fonctionnelle énoncée dans l'arrêt Baker et a conclu que, parce qu'il n'y avait pas de clause privative et que la loi prévoyait un droit d'appel, la balance penchait du côté de la décision raisonnable simpliciter.

[26]            Dans la décision Yin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 985 (1re inst.), Monsieur le juge O'Keefe a analysé comme suit la norme de contrôle qui s'applique aux décisions des agents des visas en utilisant l'approche pragmatique ou fonctionnelle :

1. Il n'y a pas de clause privative et il n'est pas nécessaire d'obtenir une autorisation avant de pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire [...]. Ces faits tendent à indiquer que la Cour doit faire preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de l'agent des visas.

2. En l'espèce, l'auteur de la décision est un agent d'immigration qui a été désigné par le ministre en vertu du paragraphe 109(2) de la Loi. Comme l'agente d'immigration est, dans le cas qui nous occupe, postée à l'extérieur du Canada, elle est désignée sous l'appellation d'agent des visas. Les agents de visas examinent régulièrement des demandes de visa et possèdent de vastes connaissances spécialisées dans ce domaine. Ces facteurs tendent eux aussi à indiquer que la Cour doit faire preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de l'agent des visas.

3. Aux termes de l'article 11 et de l'annexe 1 du Règlement sur l'immigration de 1978, l'agent des visas doit décider si le demandeur remplit les conditions requises pour obtenir un visa pour entrer au Canada. L'agent des visas dispose d'un large pouvoir discrétionnaire, mais il doit se guider sur l'annexe I. Il s'ensuit selon moi que la décision de l'agent des visas a droit à une plus grande retenue de la part de la Cour, mais pas à une retenue totale.

4. Le débat en l'espèce porte sur la contestation des faits et sur l'application de ces faits aux balises proposées par le Règlement. Ainsi, la question est une question mixte de droit et de fait et, pour cette raison, le degré de retenue judiciaire qu'il convient d'appliquer est celui du caractère raisonnable simpliciter.

[27]            Le juge O'Keefe a donc conclu que la norme de contrôle applicable à la décision rendue par l'agent des visas à la suite d'une demande de résidence permanente est celle du caractère raisonnable simpliciter.

[28]            Toutefois, il y a une autre type de raisonnement dans lequel on applique la norme de contrôle beaucoup plus stricte énoncée dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Dans la décision Kalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 998 (1re inst.), Monsieur le juge MacKay a appliqué l'arrêt Maple Lodge Farms, précité. Voici ce qu'il a dit au paragraphe 8 :

À mon avis, la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent des visas appelé à évaluer l'expérience d'un immigrant éventuel au regard d'une profession en particulier est bien établie. Ainsi que la Cour suprême du Canada l'a statué dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, une cour ne s'ingérera pas dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi simplement parce qu'elle aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et sans que l'on se fonde sur des considérations inappropriées ou étrangères, les cours ne devraient pas modifier la décision. En outre, la décision rendue dans cette affaire est essentiellement une décision de fait (voir l'arrêt rendu au nom de la Cour d'appel par M. le juge Mahoney dans Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 121 N.R. 241, 12 Imm. L.R. (2d) 161, [1991] A.C.F. no 8 (QL) (C.A.)). Lorsque la décision en question est une décision de fait, la Cour n'interviendra que si elle conclut que la décision est manifestement déraisonnable ou, en d'autres mots, comme le prévoit l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, si la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire (voir les propos de M. le juge McKeown dans Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1131, [2001] A.C.F. no 1562 (1re inst.) (QL).

[29]            La Cour d'appel fédérale a également appliqué l'arrêt Maple Lodge Farms, précité, en ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer aux décisions prises par les agents de visas. Dans l'arrêt To, précité, elle a dit ce qui suit au paragraphe 3 :


En l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas convaincue que l'appelant avait soit le sens des affaires soit les ressources pécuniaires personnelles nécessaires pour établir une entreprise au pays. Nous sommes d'accord avec le juge en chef adjoint Jerome qu'il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et al., [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre déclare ce qui suit au nom de la Cour :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas intervenir.

[30]            De plus, l'alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, qui est ci-dessous reproduit, autorise la Cour à examiner la décision :


Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

                a)             a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b)             n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

                c)             a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

                d)             a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

                [...]

The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

                (a)            acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

                (b)           failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

                (c)            erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

                (d)           based its decision or order on a erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

                [...]


[31]            En particulier, l'alinéa 18.1 (4)d) permet à la Cour fédérale d'intervenir si la décision est rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont disposait le décideur.

[32]            Un autre facteur pertinent, pour ce qui est de l'examen de la norme de contrôle à appliquer en l'espèce, est la nature de la question dont la Cour est saisie. À cet égard, on demande à la Cour de déterminer si l'agent des visas a appliqué de la façon appropriée les conditions de la CNP dans le cas du demandeur. Il s'agit d'une question de fait et de droit qui favorise l'application de la norme de contrôle du caractère raisonnable simpliciter aux fins de l'interprétation qu'il convient de donner aux conditions énoncées dans la CNP et de leur application au demandeur. Monsieur le juge Muldoon a examiné ce point au paragraphe 20 de la décision Lu, précitée :

Le fait qu'on doive utiliser une définition ou recourir au sens nous indique que la décision ne porte pas simplement sur une question de fait, mais qu'elle porte sur l'application des faits à la législation. Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, le juge Iacobucci déclare ceci :

En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s'est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique.

La demanderesse désire que la Cour examine la question de savoir si l'agent des visas a commis une erreur en concluant d'abord que les cours qu'elle a suivis ne rencontrent pas la norme fixée pour les études au chapitre 2121 de la CNP, et ensuite que son diplôme en médecine n'est pas compris dans la définition des termes « discipline connexe » . Par conséquent, les conclusions portant sur ces questions sont des questions de droit et de fait.


La norme de contrôle prévue dans Lim, précité, a été adoptée dans le contexte d'une question de fait et elle ne lie pas la Cour lorsque celle-ci traite de questions de droit et de fait. Toutefois, on peut déterminer la norme de contrôle applicable en utilisant le critère pragmatique et fonctionnel : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (ci-après Pushpanathan). En appliquant ce critère, la Cour note qu'elle est saisie d'une question de fait et de droit et qu'il n'y a pas de clause privative portant sur les décisions de l'agent des visas. Ces faits militent à l'encontre de la retenue judiciaire face à la décision de l'agent des visas. Le paragraphe 9(2) de la Loi sur l'immigration indique clairement que l'expertise d'un agent des visas constitue à déterminer si un demandeur répond aux critères énoncés dans la CNP, ce qui indique que la Cour devrait faire preuve de retenue judiciaire face à la conclusion de l'agent des visas. Un autre facteur qui milite en faveur de la retenue judiciaire en l'instance est le fait que l'agent des visas détermine les droits de la demanderesse plutôt que de traiter d'une question polycentrique. En pondérant tous ces facteurs, la Cour conclut que la norme de contrôle applicable est celle de la décision déraisonnable.

[33]            Par conséquent, à mon avis, la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne l'application des conditions énoncées dans la CNP en l'espèce est celle du caractère raisonnable simpliciter.

Première question : La décision que l'agente des visas a prise au sujet des critères énoncés dans la CNP était-elle raisonnable?

[34]            La CNP décrit les professions d'ingénieur en génie maritime (no 2148.1) et d'ingénieur mécanicien (no 2132.0) :

[TRADUCTION] a) Les ingénieurs mécaniciens doivent être titulaires d'un baccalauréat en génie mécanique et, pour les postes supérieurs, ils doivent avoir de l'expérience. Cette profession englobe divers emplois dans le domaine du génie, notamment les ingénieurs mécaniciens chargés de l'entretien. Ces ingénieurs peuvent étudier, concevoir et élaborer des appareils; ils peuvent exécuter des tâches reliées à l'évaluation, à la mise en place, à l'exploitation et à l'entretien d'installations mécaniques. Ils peuvent travailler dans des firmes de consultants, des services de production d'énergie et dans une grande variété d'industries de fabrication, de transformation et de transport. Ils remplissent « une partie ou l'ensemble » des fonctions suivantes : mener des études en matière de faisabilité, de conception, d'exploitation et de performance des mécanismes, des composants et des systèmes; préparer le matériel; établir des estimations de coûts et de temps, des devis de conception concernant la machinerie et les systèmes et rédiger des rapports; concevoir des centrales, des machines et des composants; surveiller et inspecter la mise en place, la modification et la mise en service d'installations mécaniques; élaborer des normes d'entretien, des calendriers d'exécution et des programmes et encadrer les équipes d'entretien; rechercher la cause des défaillances mécaniques et autres problèmes; préparer des documents contractuels et évaluer des soumissions; superviser des techniciens, des technologues et autres ingénieurs; réviser et approuver les designs, les calculs et les coûts estimatifs.


b) Les ingénieurs en génie maritime appartiennent à la catégorie professionnelle des « autres ingénieurs » . Un baccalauréat en génie est exigé. Les ingénieurs en génie maritime conçoivent et élaborent des bâtiments navals, des systèmes de propulsion ainsi que des systèmes et de l'équipement connexes et surveillent la construction, l'entretien et la réparation de bâtiments et de systèmes navals.

[35]            La preuve dont disposait l'agente des visas au sujet de l'expérience du demandeur était la suivante :

·          Le demandeur a obtenu son baccalauréat en sciences, Génie mécanique, de la Texas A & M University en 1982.

·           Le demandeur a travaillé pour la Force navale iranienne de 1982 à 1988 en tant qu'ingénieur en génie maritime; il supervisait une équipe d'hommes responsables de l'entretien des moteurs diesel, y compris le diagnostic de problèmes et la réparation de moteurs.

·           De 1989 à 1996, le demandeur a travaillé dans un chantier naval en tant que directeur technique de projet. Il a fait savoir qu'il était chargé d'enlever les moteurs des navires, de les transporter jusqu'à l'atelier pour les faire réparer et en assurer l'entretien, de les démonter, de les remettre en état et de les remonter, et ensuite de les vérifier et de les retourner aux navires.

·           En 1998, le demandeur a commencé à travailler pour la Persian Gulf Shipbuilding Company, où il travaille encore aujourd'hui. Il est responsable de 110 à 120 employés, et il est chargé de surveiller les réparations, l'installation et l'entretien des navires.

[36]            Compte tenu de cette expérience, l'agente des visas a conclu que le demandeur n'était pas qualifié en tant qu'ingénieur mécanicien ou en tant qu'ingénieur en génie maritime. L'agente des visas a conclu que les fonctions [TRADUCTION] « essentielles » de l'une ou l'autre catégorie comportent la recherche, la conception et la mise au point de systèmes mécaniques. Dans la description qu'il a faite au sujet de son expérience professionnelle, le demandeur ne faisait pas mention de ces fonctions et mettait l'accent sur l'entretien et la réparation.

[37]            Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur en exigeant des fonctions précises telles qu'elles sont énoncées dans la CNP, alors que la CNP prévoit uniquement qu'un nombre substantiel de fonctions doivent être exercées. Le demandeur affirme que, par sa nature même, le génie comporte inévitablement une spécialisation et qu'il faut donc interpréter les exigences de la CNP d'une façon souple et large.

[38]            Il existe des arrêts à l'appui de la position du demandeur. Dans la décision Patel, précitée, Madame le juge Tremblay-Lamer a dit qu'un agent des visas ne peut pas exiger que toutes les fonctions énoncées dans la CNP soient exercées et qu'il faut faire preuve d'une certaine souplesse. De même, dans la décision Bhatia, précitée, Monsieur le juge Cullen a dit qu'un candidat n'a pas à exercer l'éventail complet des fonctions énumérées dans la CNP, d'autant plus lorsqu'un emploi spécialisé tel qu'un emploi dans le domaine du génie est en cause. Le juge Muldoon a examiné la question des professions spécialisées au paragraphe 34 de la décision Lu, précitée :


Il serait irréaliste d'exiger qu'un biologiste, microbiologiste, immunologiste ou bactériologiste ait à exercer la majorité des fonctions énumérées. Il serait aussi irréaliste de s'attendre à ce que tous les scientifiques puissent exercer plus qu'une petite partie des fonctions qui sont énumérées dans les chapitres en question. La spécialisation inhérente au travail scientifique exclut une telle éventualité. Pour ces motifs, l'erreur commise par l'agent des visas dans l'interprétation des exigences du chapitre 2121 de la CNP vicie sa décision de façon irrémédiable.

[39]            En outre, la position du demandeur est étayée par le libellé précis des conditions énoncées dans la CNP. Selon le libellé de la version anglaise, les ingénieurs « peuvent » s'être occupés de recherche, de conception et de mise au point et ils « peuvent » remplir « une partie » des fonctions énumérées. Le libellé de la CNP indique expressément que les fonctions et responsabilités des ingénieurs sont fort variées.

[40]            Cependant, le défendeur cite également des arrêts convaincants à l'encontre des prétentions du demandeur. Le défendeur affirme que les agents des visas peuvent à bon droit déterminer les fonctions essentielles selon les conditions énoncées dans la CNP et qu'il s'agit d'une question de jugement et de discrétion. Dans la décision Wu, précitée, le juge Reed a conclu que « [l]e fait qu'il n'est pas nécessaire d'être en mesure d'exécuter toutes les tâches énumérées dans une description de la CCDP ne signifie pas que l'aptitude à exécuter certaines tâches n'est pas un élément essentiel d'un poste » (paragraphe 3). Dans la décision Zhang, précitée, Monsieur le juge Rouleau a confirmé une décision dans laquelle un agent des visas avait conclu que le demandeur n'avait pas l'expérience professionnelle nécessaire parce qu'il ne s'occupait pas de conception. Voici ce que le juge a dit aux paragraphes 15 et 16 :


Compte tenu de la nature des réponses données par le demandeur dans le cadre de l'entrevue, il n'était pas déraisonnable que l'agente d'immigration conclue que le demandeur ne possédait pas l'expérience requise décrite dans la CNP. Il ressort clairement des notes du STIDI que le demandeur a confirmé qu'il était responsable de l'entretien et de la réparation des navires et qu'il en supervisait la construction; que, bien qu'il ait procédé à quelques modifications pour l'installation du matériel, il ne concevait pas de navires ni d'équipement.

L'agente d'immigration ne s'en est pas machinalement tenue à la description figurant dans la CNP et elle n'a pas non plus exigé que le demandeur exerce toutes les tâches énumérées dans la description pour se qualifier (Voir Muntean c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 18 (C.F. 1re inst.). Au contraire, comme en traite la décision Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 4, l'agente d'immigration a exercé son pouvoir discrétionnaire pour déterminer que certaines compétences étaient essentielles à la profession [d'ingénieur en génie maritime].

[41]            Il importe de faire une distinction entre la décision Zhang, précitée, et la présente espèce; en effet, dans la décision Zhang, précitée, on avait uniquement mis l'accent sur la description de travail de la profession d'ingénieur en génie maritime plutôt que sur la catégorie des ingénieurs mécaniciens, le libellé de la description afférente à cette dernière profession étant beaucoup plus souple. En outre, dans la décision Zhang, précitée, la Cour a adopté une norme de contrôle fondée sur la décision manifestement déraisonnable par opposition au caractère raisonnable simpliciter.


[42]            Toutefois, il faut admettre que la jurisprudence n'est pas entièrement claire sur ce point. Nous faisons face, semble-t-il, à une situation dans laquelle la spécialisation professionnelle donne à entendre qu'on ne peut pas s'attendre à ce qu'un demandeur ait accompli toute la gamme des fonctions possibles, mais un agent des visas possède néanmoins un certain pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit de déterminer que certaines compétences sont essentielles à une profession. Eu égard aux faits de la présente espèce, il s'agit maintenant de savoir si la décision de l'agent des visas, à savoir que le fait que le demandeur n'a pas d'expérience dans le domaine de la recherche, de la conception et de la mise au point et qu'il s'est plutôt occupé d'entretien et de réparation voulait dire qu'il était déraisonnable pour l'agente des visas de conclure que le demandeur n'avait pas les qualités essentielles en vertu de la législation.

[43]            Si l'on examine les faits de la présente affaire (le demandeur a travaillé comme ingénieur mécanicien principal pendant plus de 19 ans et a une expérience cumulative importante dans son domaine), accepter la décision de l'agente des visas voudrait dire que l'on accepte que la conception, la recherche et la mise au point doivent toujours être présentes dans les antécédents d'un ingénieur qui soumet une demande. Étant donné la nature de la profession et le libellé souple de la description figurant dans la CNP, cette position n'est pas raisonnable. De fait, elle est manifestement déraisonnable. Et si l'agente des visas décide d'affirmer que certaines activités sont « essentielles » , alors que d'autres ne le sont pas, pour une catégorie particulière et compte tenu d'un ensemble particulier de faits, elle doit dans une certaine mesure justifier et motiver cette distinction. Autrement, nous ne saurons jamais si l'agent exerce un pouvoir discrétionnaire de la façon appropriée ou s'il succombe simplement aux tentations d'un choix arbitraire.

Deuxième question : L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en omettant de prendre en considération l'évaluation favorable du CCI?

[44]            Dans son affidavit, l'agente des visas a déclaré ce qui suit :


[TRADUCTION] En réponse à l'affidavit du demandeur, au paragraphe 8, l'évaluation obtenue par le demandeur du Conseil canadien des ingénieurs (le CCI) constitue une opinion exprimée par l'organisme agréé des ingénieurs au Canada, à savoir que le demandeur remplissait peut-être les conditions. L'évaluation n'est pas entrée en ligne de compte lorsque j'ai conclu que le demandeur n'exerçait pas un nombre substantiel des fonctions principales d'un ingénieur mécanicien ou d'un ingénieur en génie maritime [non souligné dans l'original].

[45]            L'avocate du défendeur m'a invité à interpréter strictement ces mots dans le contexte de la décision dans son ensemble. Je ne puis souscrire à son avis.

[46]            La jurisprudence de la Cour fédérale établit qu'une évaluation favorable du CCI est un facteur pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si un candidat satisfait aux critères énoncés dans la CNP à l'égard des ingénieurs. Dans la décision Wang, précitée, Monsieur le juge en chef adjoint Lutfy a dit ce qui suit, au paragraphe 15 :

La demanderesse a cependant raison lorsqu'elle fait valoir que l'évaluation du CCI fait partie des renseignements, en plus du curriculum vitae du demandeur, d'une description de ses fonctions et d'une lettre de recommandation, dont l'agent des visas doit tenir compte lorsqu'il détermine si le candidat satisfait aux critères de la CNP applicables aux ingénieurs. En d'autres termes, la décision défavorable de l'agent des visas concernant la classification de la demanderesse en tant qu'ingénieur doit être fondée sur un examen attentif des renseignements que celle-ci a fournis, y compris l'évaluation du CCI.

[47]            Il se peut bien que le poids précis a accorder à l'évaluation incombe à l'agent des visas, mais en l'espèce l'agente des visas a expressément énoncé dans son affidavit que l'évaluation du CCI n'avait pas été prise en compte dans sa décision. L'agente n'a pas pris sa décision en tenant dûment compte de la preuve pertinente dont elle disposait. Il s'agissait d'une erreur susceptible de révision.


Troisième question : L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en évaluant la personnalité du demandeur?

[48]            L'agente des visas n'a pas commis d'erreur à ce sujet. L'évaluation de la personnalité d'un demandeur est fort discrétionnaire. Un agent des visas ne peut pas tenir compte de facteurs non pertinents dans son évaluation, mais le nombre précis de points attribué à cet égard est fortement lié aux faits et il ne faudrait intervenir que dans des circonstances particulièrement évidentes.

[49]            Dans la décision Kompanets c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 726 (1re inst.) (QL), le juge MacKay a dit ce qui suit au paragraphe 11 :

Le facteur des qualités personnelles et les points attribués à son égard relèvent du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas. [...] Aucun élément du dossier ni de l'argumentation présentée relativement à la présente demande ne mène à la conclusion qu'il n'existait aucun fondement raisonnable sur lequel l'agent des visas pouvait appuyer son appréciation de la demanderesse. Des personnes raisonnables pourraient ne pas être d'accord sur le nombre de points qui lui ont été attribués, mais il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait tirées par l'agent des visas dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Aucune erreur de droit ou de compétence n'a été établie et il n'y a pas lieu de modifier la conclusion tirée quant aux qualités personnelles de la demanderesse.

[50]            Si j'applique cette analyse à la présente espèce, je ne crois pas que l'agente des visas ait pris une décision déraisonnable au sujet de la personnalité.


Conclusion

[51]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen.

                                                 ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 8 mars 2001 est infirmée et l'affaire est renvoyée pour être réexaminée par un agent des visas différent.

2.         Aucune question ne sera certifiée.

                                                                                                     « James Russell »                                 

                                                                                                                          Juge                                           

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

             Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                               IMM-2188-01

INTITULÉ :                                                              MOHSEN YAGHOUBIAN

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 9 AVRIL 2003     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                            LE 16 MAI 2003      

COMPARUTIONS :

Mme Barbara Jackman                                                POUR LE DEMANDEUR

Mme Mary Matthews                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Barbara Jackman                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocate

596, avenue St. Clair Ouest, bureau 3

Toronto (Ontario)

M6C 1A6

M. Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

Date :20030506

Dossier : IMM-2188-01

ENTRE :

MOHSEN YAGHOUBIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                 

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