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                                                                                                                                           Date : 20030326

                                                                                                                             Dossier : IMM-4206-01

                                                                                                        Référence neutre : 2003 CFPI 346

ENTRE :

                                          JORGE ALBERTO MARTINEZ MELENDEZ

                                                  LILLIAM LUCIA BLANCO ARAYA

                                           ADRIAN ALBERTO MARTINEZ BLANCO

                                               ROY ESTEBAN MARTINEZ BLANCO

                                           CINDY STEPHANIE MARTINEZ BLANCO

                                            par l'intermédiaire de leur tutrice à l'instance

                                                  LILLIAM LUCIA BLANCO ARAYA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

[1]                 Les demandeurs, Jorge Martinez Melendez, son épouse, Lilliam Lucia Blanco Araya, et leurs enfants, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, en date du 3 août 2001, de leur reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.


Faits

[2]                 Le demandeur principal, Jorge Martinez Melendez (le demandeur), prétend craindre avec raison d'être persécuté parce qu'il fait l'objet d'une poursuite pour détournement de fonds, laquelle serait motivée par des intérêts politiques, dans son pays natal, le Costa Rica.

[3]                 Le demandeur est un avocat qui a adhéré au Partido Liberacion National (le Parti), un parti politique national du Costa Rica. Il a participé à la campagne électorale de 1993-1994 du Parti, lequel a gagné les élections et pris le pouvoir en mai 1994.

[4]                 Le demandeur est devenu conseiller du vice-président Grynspan qui était responsable du portefeuille du Logement et de l'Habitat. Il affirme avoir travaillé comme consultant après 1994 et avoir été payé par des sociétés non gouvernementales.

[5]                 En 1995, le demandeur a représenté le vice-président dans la gestion d'un nouveau programme social, mis en oeuvre par le Comité de coordination sociale (le comité) de l'Institution nationale de l'habitation. Le programme avait pour but d'aider les moins nantis à obtenir un titre libre sur leur terrain résidentiel avec le remboursement de leur dette. En 1995, le comité a, par décision unanime, autorisé des paiements à des organisations non gouvernementales à partir du Fonds d'indemnisation sociale. Le demandeur qui était l'un des sept membres du comité a donc voté en faveur de cette décision.


[6]                 En septembre 1997, le demandeur a cessé d'exercer ses fonctions de consultant pour se consacrer à une autre élection nationale. Le Parti a alors perdu les élections et le nouveau gouvernement a pris le pouvoir en mai 1998.

[7]                            Le nouveau gouvernement a fait enquête sur les dépenses du comité. Il a soulevé des allégations selon lesquelles les hauts fonctionnaires du gouvernement précédent, notamment le vice-président Grynspan et le président Figueres, avaient illégalement utilisé les fonds du comité pour la campagne électorale du Parti.

[8]                 Le 22 août 1998, les trois frères du demandeur ont été arrêtés et contraints à signer des déclarations qui impliquaient le demandeur dans l'affaire. Le demandeur s'est lui-même présenté au bureau du procureur général et il a également été arrêté. Il affirme qu'on a fait pression sur lui pour qu'il fournisse des renseignements visant le président et le vice-président, ce qu'il a refusé de faire.

[9]                 Le demandeur a été détenu pendant six mois sans libération sous caution à l'Institution pénale de San Sebastian, où il a enduré des conditions de détention hostiles. Sa santé en a souffert. Le demandeur a présenté au moins deux requêtes d'habeas corpus à la Cour suprême, mais celles-ci ont été vaines. Aucune accusation n'a été portée contre lui durant sa détention. Il affirme que, durant cette période, des membres du Parti ont essayé de l'approcher en prison pour lui dire de garder le silence concernant les renseignements confidentiels du régime et du Parti.


[10]            En janvier 1999, le demandeur a finalement fourni les renseignements à propos de la campagne électorale du Parti, lesquels ont été ensuite utilisés par le régime à l'encontre des anciens président et vice-président. En février 1999, il a été mis en liberté sous caution. Il affirme que la direction du Parti a conclu une entente avec le gouvernement pour l'utiliser comme bouc émissaire dans le scandale politique.

[11]            Le 26 novembre 1999, le demandeur, craignant pour sa vie, est parti à destination du Canada avec sa famille. Il a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée le 27 novembre 1999.

[12]            Les autorités costariciennes ont depuis son départ porté des accusations criminelles contre lui. Le demandeur croit que ces accusations ont un mobile politique et qu'elles ont pour but de dénigrer sa revendication du statut de réfugié au Canada. Il affirme qu'il sera persécuté et torturé s'il retourne au Costa Rica.

La décision de la Commission

[13]            À l'examen de la revendication du demandeur, la Commission s'est demandé si la poursuite intentée par le gouvernement costaricien à l'endroit du demandeur était une poursuite criminelle légitime ou une propagande politique constituant de la persécution. La Commission s'est également demandé si les menaces extrajudiciaires proférées à l'endroit du demandeur constituaient [traduction] « une possibilité sérieuse de persécution » .


[14]            S'appuyant sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum, la Commission a affirmé qu' [traduction] « il existe une présomption selon laquelle la poursuite intentée par le gouvernement du Costa Rica à l'endroit du demandeur sera, sur le plan politique notamment, neutre et équitable et satisfera aux normes internationales minimales » . Il incombe au demandeur de réfuter cette présomption, selon la prépondérance de la preuve, en établissant l'existence de « circonstances exceptionnelles » .   

[15]            La Commission a affirmé que cette présomption est importante parce que [traduction] « les tribunaux convenablement constitués de l'endroit où les événements allégués ont eu lieu sont beaucoup mieux positionnés pour recevoir et examiner la preuve pertinente » . Toutefois, la Commission a ajouté qu'elle devait déterminer [traduction] « si le processus judiciaire auquel un accusé peut être assujetti est convenablement constitué » et si [traduction] « la preuve démontre que l'accusé sera condamné à une peine démesurée pour motifs politiques ou religieux ou encore pour d'autres motifs prévus par la Convention » .

[16]            La Commission a noté que le demandeur a clamé son innocence à propos des allégations faites à son endroit et qu'il a affirmé que l'ancienne formation politique avait fait de lui un bouc émissaire. En outre, la Commission a constaté que le demandeur a soutenu que les poursuivants avaient un intérêt politique et que les tribunaux n'étaient pas indépendants.


[17]            Le demandeur a assigné un certain nombre de témoins à l'audience. M. Duarte, une connaissance du demandeur et l'aumônier de l'Institution pénale de San Sebastian, a témoigné à propos des conditions de détention inacceptables et de promiscuité intense à la prison. Ce témoignage a été accepté par la Commission.

[18]            Le frère du demandeur, José Martinez, qui est avocat, a témoigné à propos de sa participation à la représentation de son frère. La Commission a accepté son témoignage [traduction] « pourvu qu'il soit tenu compte que sa situation n'en était pas une qui se prêtait à une objectivité détachée » étant son lien avec le demandeur et les trois frères visés dans l'affaire.

[19]            M. Madriz, avocat et ancien professeur d'université, a témoigné concernant les aspects du système judiciaire au Costa Rica. Toutefois, comme ce dernier était l'avocat du demandeur, la Commission a accordé une valeur limitée à certaines parties de son témoignage, à savoir les [traduction] « inférences [¼] tirées d'événements, à l'égard de la motivation des autres parties ou de la question de savoir si leurs actions sont " justes " » .

[20]                Lorsqu'elle s'est penchée sur la question de savoir si l'ordre judiciaire du Costa Rica est indépendant et neutre, la Commission a noté qu'elle n'avait pas eu la possibilité de consulter les arguments, les décisions et les motifs des requêtes d'habeas corpus. Le frère du demandeur, José Martinez, a témoigné que ces documents étaient accessibles, mais ils n'ont pas été produits. Bien que la Commission n'en ait pas tiré de conclusion négative, elle a tenu compte de l'absence de cette preuve dans l'examen de la question de l'impartialité judiciaire.


[21]            Après avoir étudié les documents concernant la structure et le fonctionnement de l'ordre judiciaire, la Commission a conclu que le Costa Rica dispose d'un système judiciaire indépendant conforme aux normes internationales. Selon le Département d'État américain, le Costa Rica est [traduction] « généralement efficace » avec un ordre judiciaire constitutionnellement indépendant et une Cour suprême qui chapeaute les tribunaux inférieurs » .

[22]            La Commission a rejeté l'argument selon lequel la nomination des juges pour une période de huit ans compromettait l'indépendance du système judiciaire. La durée du mandat n'était pas considérée comme idéale, bien qu'elle n'ait pas en soi constitué une irrégularité, compte tenu du fait que le non-renouvellement du mandat était assujetti à la majorité des deux tiers des voix de l'Assemblée nationale.

[23]            La Commission a tenu compte du fait que les requêtes d'habeas corpus sont directement prises en charge par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Elle a de plus noté que le taux de réussite des requêtes d'habeas corpus qui, selon ce que M. Duarte se souvenait, s'établissait à 50 p. 100 au Costa Rica était compatible avec un système judiciaire indépendant.


[24]            La Commission a examiné la preuve de José Martinez qui a témoigné que le juge Villalobos, lequel a autorisé la détention préventive du demandeur, avait déclaré qu'il n'y avait aucun fondement juridique à cette détention, mais qu' [traduction] « il ne voulait pas mettre son emploi en jeu » . La Commission a noté que [traduction] « les propos du juge Villalobos, s'ils sont véridiques, sont vraiment troublants, puisqu'ils suggèrent une abdication complète de responsabilité » . Toutefois, elle a ajouté que le fait que les requêtes d'habeas corpus étaient acheminées directement à la Chambre constitutionnelle avait écarté l'affaire des mains du juge Villalobos. En l'absence des documents relatifs aux requêtes d'habeas corpus - qui étaient à la disposition du demandeur mais qui n'ont pas été produits en preuve - la Commission a refusé d'attaquer les décisions des magistrats (les juges siégeant à la Cour suprême de ce pays sont appelés des « magistrats » ).

[25]            Le demandeur a également déclaré qu'il avait, pendant sa détention, rencontré des politiciens sans la présence de son avocat malgré ses demandes pour être représenté. Selon la Commission, bien que cela puisse constituer une violation d'un droit important, le demandeur n'a pas subi de préjudice puisqu'il n'a fait aucun aveu d'action fautive.

[26]            José Martinez a témoigné que cinq mois s'étaient écoulés avant que la décision relative à la première requête d'habeas corpus soit rendue, un délai beaucoup plus long que le délai prévu de 48 heures. La Commission a également considéré qu'il s'agissait là d'une privation d'un droit qui pouvait s'avérer grave mais, en raison de l'absence des documents relatifs aux requêtes d'habeas corpus, elle s'est abstenue de tirer des conclusions à cet égard. Elle a également noté que la requête avait été rejetée en tout état de cause.


[27]            Le demandeur s'est également plaint d'intimidation de la part du procureur de l'État qui lui a dit que, s'il livrait des renseignements concernant des politiciens d'échelon supérieur, il serait libéré. José Martinez a également témoigné avoir entendu ces propos. La Commission n'a pas jugé que cela était l'indication d'un système judiciaire corrompu, puisqu'il est reconnu que les poursuivants ont un parti pris et qu'ils cherchent à intimider verbalement les personnes interrogées. De plus, la Commission a fait remarquer que la décision finale quant à la détention du demandeur relevait de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême et non du procureur de l'État. Par conséquent, tout zèle excessif pourrait être corrigé par un système judiciaire indépendant.

   

[28]            Le demandeur a allégué que le rejet systématique de ses requêtes d'habeas corpus indiquait le parti pris des juges. Cependant, en l'absence de meilleures informations sur la façon dont les tribunaux tranchent ces questions, la Commission a affirmé que ce facteur n'ajoutait pas de poids à l'allégation de partialité avancée par le demandeur.


[29]            La Commission a tenu compte du fait que le demandeur avait été détenu pendant six mois sans qu'aucune accusation n'ait été portée. M. Duarte a témoigné que les facteurs traditionnels suivants, lesquels justifient le refus d'une libération sous caution, ne s'appliquaient pas au demandeur : l'absence d'adresse connue, des fuites antérieures, une délinquance connue et une preuve suffisante pour soutenir les accusations. Le demandeur a allégué que ces facteurs ne s'appliquaient pas à lui et que, par conséquent, la détention était arbitraire. La Commission a rejeté cette approche sélective, en affirmant qu'il est raisonnable de présumer que les juges tiendront compte d'un certain nombre de facteurs dans l'appréciation de ces éléments, notamment la gravité de la peine qui pourrait découler des accusations. De plus, la Commission a ajouté que la preuve n'était pas suffisante pour lui permettre d'établir que le demandeur aurait dû être incarcéré ou non. Elle a signalé l'absence des documents relatifs aux requêtes d'habeas corpus, lesquels [traduction] « auraient pu aider le tribunal à mieux comprendre le fondement juridique et factuel du système judiciaire costaricien relativement à la détention du demandeur qui a duré six mois sans que des accusations soient portées » .

.

[30]            La Commission a tranché que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption d'impartialité judiciaire et, par conséquent, qu'il n'était pas parvenu à démontrer qu'il était persécuté pour un motif prévu par la Convention. Elle a d'ailleurs affirmé : [traduction] « on ne peut pas dire que la détention continue et la poursuite intentée contre le demandeur sont attribuables à ses opinions politiques mais plutôt à une décision judiciaire établissant le bien-fondé de la poursuite » .

[31]            La Commission a accepté que [traduction] « des politiciens sont intéressés par ces actions et ils peuvent chercher à ternir entièrement ou partiellement la réputation de leurs opposants et à renforcer leur fortune électorale » . Mais la Commission avait la certitude que l'affaire était maintenant traitée par un système judiciaire réputé indépendant et doté de [traduction] « mécanismes internes de correction convenables » .    

[32]            La Commission s'est demandé si les menaces extrajudiciaires constituaient de la persécution, en ce qui a trait aux allégations selon lesquelles le demandeur faisait l'objet de soupçons et de menaces de la part des membres du Parti. La Commission a estimé que si des menaces avaient été proférées à l'endroit du demandeur et de sa famille, elles l'auraient été durant la période de huit mois qui s'est écoulée entre sa mise en liberté et son départ pour le Canada. Elle a conclu qu'il n'y avait aucun [traduction] « risque accru » de préjudice pour le demandeur s'il retournait au Costa Rica, compte tenu du fait que tous les dommages politiques avaient été causés avant son départ.


[33]            À la suite des conclusions négatives sur les questions de persécution par l'État et de menaces extrajudiciaires, la Commission a déterminé que le demandeur ne satisfaisait pas aux motifs de droit du statut de réfugié. Étant donné que les demandes des membres de sa famille étaient fondées sur sa demande, le statut de réfugié au sens de la Convention a également été refusé à ces derniers. La Commission a refusé d'examiner s'il existait des motifs pour déterminer si le demandeur a commis des [traduction] « crimes de droit commun graves » , à la suite de sa décision relative au statut de réfugié.

Questions en litige

[34]            A.         La Commission a-t-elle fait erreur en concluant que le demandeur ne risquait pas d'être persécuté s'il retournait au Costa Rica même si elle n'a pas tiré de conclusions défavorables ni mis en doute la crédibilité du demandeur et de ses témoins?

B.          La Commission a-t-elle fait erreur en se gardant de tenir compte du fait que, même s'il était à la fin acquitté, le demandeur ferait dans l'intervalle l'objet de châtiments et de mauvais traitements qui constitueraient de la persécution?

Norme de contrôle


[35]            Le demandeur allègue que la Commission a fait erreur en se gardant d'examiner si la détention provisoire du demandeur pouvait néanmoins constituer de la persécution, dans l'hypothèse de son acquittement. Il soutient qu'il s'agit d'une question consistant à déterminer quelle est la proposition de droit correcte, laquelle peut être extraite des questions de fait. Le demandeur allègue donc que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

[36]            Le défendeur soutient qu'il s'agit d'une question de fait et de droit et que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, puisque la question est de savoir si le traitement infligé au demandeur par les autorités costariciennes satisfait à la définition de persécution.

[37]            Dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. no 116 (QL), la Cour suprême a donné, au paragraphe 37 de la décision (QL), les explications suivantes sur la nature de la question de fait et de droit :

Bref, plus le niveau de généralité de la proposition contestée se rapproche de la particularité absolue, plus l'affaire prend le caractère d'une question d'application pure, et s'approche donc d'une question de droit et de fait parfaite. [¼] Il va de soi qu'il n'est pas facile de dire avec précision où doit être tracée la ligne de démarcation; quoique, dans la plupart des cas, la situation soit suffisamment claire pour permettre de déterminer si le litige porte sur une proposition générale qui peut être qualifiée de principe de droit ou sur un ensemble très particulier de circonstances qui n'est pas susceptible de présenter beaucoup d'intérêt pour les juges et les avocats dans l'avenir.

[38]            Je ne suis pas convaincu que la question soulevée par le demandeur peut être qualifiée de question de droit, compte tenu des explications données par la Cour suprême dans l'arrêt précité. J'estime que les circonstances de la présente affaire sont guidées par des faits particuliers au demandeur et ne sont pas susceptibles de présenter de l'intérêt pour les juges et les avocats dans l'avenir. Je conviens avec le défendeur que les questions soulevées dans le cadre du présent contrôle judiciaire touchent des questions de fait et de droit. Je suis donc d'avis que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.


Analyse

A.      La Commission a-t-elle fait erreur en concluant que le demandeur ne risquait pas d'être persécuté s'il retournait au Costa Rica même si elle n'a pas tiré de conclusions défavorables ni mis en doute la crédibilité du demandeur et de ses témoins?

[39]            Le demandeur soutient que sa preuve démontre qu'il n'a commis aucun crime et que les fonds publics dont il avait la responsabilité ont été utilisés de manière légale. Il affirme qu'il a été détenu sans que des accusations aient été portées contre lui et qu'il a fui son pays parce qu'il estimait qu'il n'aurait pas droit à un procès équitable. Il fait valoir que la Commission n'a absolument pas tiré de conclusions défavorables relativement à la crédibilité ni mis en doute son témoignage ou celui de ses témoins. En outre, le demandeur fait remarquer que la Commission a accepté que des politiciens intéressés puissent chercher à « ternir la réputation de leurs opposants et à renforcer leur fortune électorale » . Considérant cela, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur donnant matière à révision en concluant comme elle l'a fait et en décidant qu'il ne risquait pas d'être persécuté s'il retournait au Costa Rica.

[40]            J'estime que l'affirmation selon laquelle la Commission n'a pas tiré de conclusions défavorables quant à la crédibilité est simpliste car le demandeur occulte le fait que le tribunal a fait état dans ses motifs de l'absence des documents relatifs aux requêtes d'habeas corpus. Le tribunal a affirmé que le défaut de produire ces documents avait une incidence négative sur la revendication du demandeur, parce qu'il n'était pas de ce fait en mesure d'examiner le raisonnement de la décision rendue par le tribunal costaricien. Par exemple, la Commission a mentionné ce qui suit aux pages 8 et 9 de ses motifs :


[traduction] L'une des préoccupations constantes exprimées dans les présents motifs est que le tribunal n'a pas eu la possibilité de consulter les documents du tribunal costaricien, en particulier les arguments, les décisions et les motifs afférents aux requêtes d'habeas corpus. Le frère du demandeur, José, a témoigné que ces documents étaient accessibles. Le tribunal a demandé ces documents mais ils n'ont pas été produits. (Non souligné dans l'original.)

Dans le même ordre d'idées, elle a écrit ce qui suit aux pages 24 et 25 :

[traduction] [¼] Les demandes, les conclusions et les motifs afférents à la décision de la Chambre constitutionnelle sont à la disposition du demandeur, mais ils n'ont pas été produits en preuve. En l'absence de ces documents, il est difficile pour nous d'apprécier le raisonnement du tribunal pour déterminer quelles étaient les questions en litige et comment elles ont été résolues, notamment la question de savoir si le juge Villalobos, par ses propos, se plaignait au sujet de la Chambre constitutionnelle. [¼] (Non souligné dans l'original.)

À la page 22, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction] Un délai de cinq mois pour la requête d'habeas corpus peut également constituer une privation grave d'un droit. Toutefois, le tribunal n'a pas la possibilité de consulter les documents relatifs à la requête d'habeas corpus, lesquels sont à la disposition du demandeur. Sans ces documents, nous ne savons pas si la demande soulevait des questions nouvelles ou graves. Nous notons également que la demande a été refusée. (Non souligné dans l'original.)

À la page 25, elle a fait remarquer ce qui suit :

[traduction] Diverses décisions judiciaires ont été consignées par écrit, notamment certaines décisions initiales concernant la détention préventive et la décision finale de l'habeas corpus. Ces documents sont particulièrement importants dans le présent contexte, car ils auraient pu aider le tribunal à mieux comprendre le fondement juridique et factuel du système judiciaire costaricien relativement à la détention de Martinez pendant six mois sans que des accusations aient été portées. L'absence de ces documents est prise en compte dans la conclusion selon laquelle la présomption d'impartialité n'a pas été réfutée. (Non souligné dans l'original.)


[41]            Même s'il est vrai que la Commission n'a pas soulevé de questions de crédibilité relativement aux témoignages du demandeur et des témoins, il n'est pas manifeste que la Commission a accepté sans réserve toute cette preuve. En ce qui a trait au témoignage de José Martinez, la Commission a mentionné ce qui suit à la page 5 de ses motifs : [traduction] « [¼] Non seulement était-il avocat, ce qui peut altérer l'objectivité, mais il est également le frère de trois des principaux suspects impliqués dans le scandale. À ce titre, son témoignage a été apprécié avec attention » . Dans le même ordre d'idées, la Commission a mentionné que l'ancien avocat Guido Madriz n'était pas considéré [traduction] « comme étant dans une position d'objectivité détachée sur toutes les questions » .

[42]            La Commission a cependant accepté que des politiciens intéressés puissent chercher à tirer avantage de l'enquête et du procès sur le plan politique. Toutefois, elle a également dit que [traduction] « l'analyse ne s'arrête pas là » parce que l'arbitre qui jouit en fin de compte du droit de décider des accusations, le système judiciaire, doit être évalué au regard de son indépendance et que [traduction] « la politique devient non pertinente » .

[43]            S'appuyant sur la décision Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Satiacum, (1989), 99 N.R. 171, la Commission a considéré la présomption selon laquelle le système judiciaire costaricien est impartial et neutre. Dans la décision Satiacum, le juge MacGuigan a expliqué ce qui suit à la page 177 :

Sauf dans les circonstances les plus extraordinaires, tous les événements qui ont donné lieu à une poursuite et ceux qui entourent le déroulement d'un procès dans un système judiciaire libre et impartial à l'étranger doivent être considérés comme partie intégrante du processus judiciaire et ne peuvent faire l'objet d'un examen par un tribunal canadien. À titre d'exemple, de circonstances extraordinaires : celles qui tendent à entacher tout le régime de poursuites, la sélection du jury ou le jugement, et non de simples indiscrétions ou illégalités commises par des parties et qui, si la preuve en est faite, peuvent être corrigées à l'intérieur même du processus. (Non souligné dans l'original.)


[44]            Après avoir examiné la preuve et l'analyse exhaustive de la Commission en ce qui a trait au système judiciaire costaricien, j'estime que celle-ci n'a pas commis d'erreur donnant matière à révision en tirant la conclusion que le système est impartial et indépendant dans son ensemble et que toute ingérence politique serait corriger par ce système. Il incombait au demandeur de réfuter la présomption de neutralité du système judiciaire. La Commission n'a pas fait erreur en concluant que le demandeur ne s'était pas déchargé de ce fardeau.          

[45]            Le défendeur soutient que l'argument du demandeur touche seulement la valeur probante de la preuve, laquelle relève de la compétence du tribunal, que la décision est raisonnable et, par conséquent, qu'elle ne peut pas faire l'objet d'une révision. Je suis d'accord. Il était loisible à la Commission d'apprécier comme elle l'a fait la preuve concernant le défaut de production des documents relatifs aux requêtes d'habeas corpus ainsi que la valeur probante et la fiabilité des témoignages.

[46]            En outre, la Commission a conclu que la détention et la poursuite du demandeur ne constituaient pas de la persécution mais, au contraire, que celles-ci étaient fondées sur des allégations d'activités illégales entourant le scandale à propos du détournement de fonds publics. Le demandeur a confirmé qu'il a fourni l'information aux autorités costariciennes non seulement pour assurer sa remise en liberté, mais aussi pour faciliter la poursuite. À l'audience, le demandeur a affirmé ce qui suit :

[traduction] [Après quelques mois de détention] j'ai décidé de collaborer et de négocier ma liberté. Et, ensuite, on m'a emmené directement à un bureau où le procureur devait m'interroger, ce qui a pris du temps, plusieurs jours. J'ai fourni certains renseignements et, par la suite, ils ont déclenché le scandale public auquel j'ai fait allusion précédemment. Puis, ils m'ont forcé à travailler pour eux et même à les aider à préparer les documents et tout ce dont sur quoi ils pouvaient mettre la main et à les démêler. Puis, en décembre - décembre 1998, janvier 1999, et ils m'ont finalement laissé partir. (Non souligné dans l'original.)


Le demandeur reconnaît implicitement par ses propos qu'une activité illégale a eu lieu. Ce témoignage renforce la conclusion de la Commission qui a jugé que la poursuite est survenue parce qu'elle était justifiée. Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la conclusion de la Commission à cet égard n'est pas déraisonnable.

B.        La Commission a-t-elle fait erreur en se gardant de tenir compte du fait que, même s'il était à la fin acquitté, le demandeur ferait dans l'intervalle l'objet de châtiments et de mauvais traitements qui constitueraient de la persécution?   

[47]            Pour répondre à la question de savoir si la détention du demandeur, dans l'hypothèse d'un acquittement, constitue de la persécution, il faut tenir compte du contexte de la détention. Dans Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1984] A.C.F. no 601, la Cour d'appel fédérale a défini le terme « persécution » comme suit à l'aide de définitions de dictionnaire, aux pages 133 et 134 :

[traduction]

Le Living Webster Encyclopedic Dictionary définit le terme [traduction] « persécuter » ainsi : [traduction] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier. »

Le Shorter Oxford English Dictionary contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » : [traduction] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine. » (Non souligné dans l'original.)


[48]            Il est possible de soutenir en se fondant sur les définitions précédentes qu'être détenu contre sa volonté dans des conditions d'emprisonnement hostiles sans motif de droit peut constituer de la persécution. Toutefois, l'analyse ne s'arrête pas là. En supposant, sans l'affirmer, que les conditions de sa détention provisoire sont suffisamment pénibles pour constituer de la persécution, le demandeur doit établir un lien avec l'un des motifs prévus par la Convention pour que sa demande du statut de réfugié soit couronnée de succès. Par conséquent, le demandeur doit démontrer que la persécution à laquelle il devrait très probablement faire face à son retour au Costa Rica est liée à son statut politique en tant que membre du Parti.

[49]            La Commission a conclu que la détention était liée à des allégations d'actions fautives, lesquelles ont au bout du compte mené à une poursuite qui, si elle se révèle justifiée ou non fondée, donnera lieu à une réparation par le système judiciaire. J'estime que cette conclusion n'est pas déraisonnable. Étant donné que la détention n'est pas liée aux « opinions politiques » du demandeur, on ne peut pas dire qu'il y a un lien avec un motif prévu par la Convention. Le statut de réfugié au sens de la Convention ne peut être accordé au demandeur. Par conséquent, le second argument du demandeur doit être rejeté.


[50]            Le demandeur allègue également que son acquittement éventuel peut aller à l'encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle la poursuite semble être justifiée. Envisager l'acquittement à ce stade-ci est pure hypothèse et n'est d'aucune utilité pour le demandeur. Cette question n'est pas une question à laquelle on peut répondre et la Commission n'était pas tenue d'y répondre. À mon avis, compte tenu de la preuve, la conclusion de la Commission qui a estimé que la crainte de persécution alléguée par le demandeur était fondée non pas sur son appartenance politique mais plutôt sur une poursuite justifiée est raisonnable.

[51]            Il semble évident que le demandeur serait incarcéré s'il retournait au Costa Rica. Le demandeur lui-même l'affirme et la preuve documentaire montre que son cautionnement pose comme condition qu'il ne quitte pas le Costa Rica. S'il est incarcéré à son retour, je suis d'avis que cela sera probablement attribuable à son défaut de se conformer aux conditions du cautionnement et non, comme il l'a mentionné, parce que [traduction] « des intérêts politiques souhaitaient encore qu'il soit détenu avant les élections présidentielles pour discréditer son parti » . Compte tenu de la violation des conditions du cautionnement, laquelle a été admise par le demandeur, et de la conclusion de la Commission concernant le bien-fondé de la poursuite, on ne peut pas dire que la réincarcération possible du demandeur à son retour au Costa Rica sera fondée sur de la persécution.

Conclusion

[52]            J'estime que la décision de la Commission n'était pas déraisonnable et, à ce titre, elle ne justifie pas l'intervention de la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[53]            Les avocats doivent signifier et déposer toute demande de certification d'une question de portée générale dans les sept (7) jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie aura trois (3) jours pour signifier et déposer toute réponse aux observations de la partie adverse. Par la suite, une ordonnance sera délivrée.

                                                                         « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                             Juge                              

Ottawa (Ontario)

Le 26 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   IMM-4206-01

INTITULÉ :                  Jorge Martinez Melendez et al. c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 7 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                     Le 26 mars 2003

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman                                              POUR LES DEMANDEURS

Mme Catherine Vasilaros                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                    POUR LES DEMANDEURS

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario) M4P1L3

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario) M5X 1K6

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