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Date : 20040128

Dossier : IMM-4006-01

Référence : 2004 CF 134

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                           ROLANDO CASTRO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                La famille Castro vit aux Philippines. M. Rolando Castro a présenté une demande de résidence permanente au Canada sur la foi de ses compétences en tant que technicien en génie civil. Dans sa demande, il a inclus son épouse et ses deux fils comme personnes à charge. Son fils Lawrence était alors âgé de cinq ans. Lawrence est décrit comme un enfant accusant un [TRADUCTION] « retard de développement » , ce qui signifie que son âge de développement (ce qui touche ses aptitudes intellectuelles, motrices, langagières et sociales) est d'une certaine façon moins élevé que son âge chronologique. Deux médecins agréés canadiens ont examiné les évaluations effectuées à l'égard de la situation de Lawrence et ils ont conclu que son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Par conséquent, ils ont conclu qu'il était une personne non admissible au Canada suivant le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (reproduit dans l'annexe ci-jointe). En juin 2001, un agent des visas a informé M. Castro que sa demande était rejetée.

[2]                M. Castro prétend que les agents ont commis des erreurs graves lors du traitement de sa demande. Notamment, il prétend qu'ils n'ont pas analysé adéquatement la situation personnelle de Lawrence et qu'ils n'ont pas tenu compte du soutien familial et des ressources financières dont Lawrence pouvait bénéficier pour ses soins et son éducation au Canada. La plupart de ses prétentions se rapportent à des questions qui ont récemment été tranchées par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 420, [2003] A.C.F no 1677 (QL) (C.A.F.), De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 422, [2003] A.C.F. no 1679 (QL) (C.A.F.), et Pigg c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 421, [2003] A.C.F. no 1678 (QL) (C.A.F). Par conséquent, les présents motifs sont brefs.

I. Les questions en litige

1. L'agent a-t-il analysé d'une façon complète et individuelle la question de la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical?


[3]                Il est bien établi que les médecins agréés sont tenus d' « évaluer la situation de chaque personne qui se présente devant eux en fonction de son caractère unique » : voir la décision Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1805 (QL) (1 re inst.), au paragraphe 55. Cependant, l'arrêt Hilewitz, précité, établit maintenant clairement que les médecins agréés ne sont pas tenus d'examiner certains facteurs. De façon plus importante aux fins des présentes, les médecins agréés ne sont pas tenus d'examiner les ressources financières ou le soutien familial dont bénéficie la personne à charge. Par conséquent, le fait que M. et Mme Castro aient l'intention d'inscrire leurs enfants dans une école privée n'est pas pertinent. Les médecins agréés ne sont pas tenus non plus, de façon générale, de prendre en compte la rareté des services sociaux à l'endroit précis où la famille a l'intention de vivre au Canada. Le critère, selon l'arrêt Hilewitz, est simplement la question de savoir si « le coût des services sociaux ou médicaux en question risque probablement de dépasser sensiblement le coût moyen des services dont aurait besoin un résident canadien [...] » (au paragraphe 30).

[4]                Dans le cadre des paramètres établis par l'arrêt Hilewitz, les médecins agréés ont effectivement, en l'espèce, effectué une évaluation individuelle de la situation de Lawrence Castro. Ils ont examiné les évaluations médicales et psychosociales et ils ont conclu qu'il était une personne non admissible au Canada pour des raisons d'ordre médical. Un agent des visas a informé M. Castro de la conclusion tirée par les médecins et il lui a donné la possibilité de fournir d'autres renseignements médicaux qui pouvaient être pertinents. M. Castro a effectivement envoyé certains autres rapports qui, selon l'affidavit de l'un des médecins agréés chargés de l'évaluation, ont été dûment examinés. Cependant, les médecins n'ont pas modifié leur opinion selon laquelle Lawrence était une personne non admissible pour des raisons d'ordre médical.


[5]                M. Castro a prétendu que la procédure par laquelle sa demande a été évaluée n'était pas équitable parce que l'agent des visas qui a rejeté sa demande ne disposait pas des dossiers médicaux et des autres renseignements se rapportant à la situation de Lawrence. Seuls les médecins agréés disposaient de ces renseignements. De la même façon, les médecins agréés ne disposaient pas des renseignements contenus dans le dossier de l'agent des visas qui incluait le formulaire de demande et les lettres envoyées par M. Castro.

[6]                Une fois de plus, il appert, à mon avis, que l'arrêt Hilewitz empêche toute prétention à l'égard de l'équité de la procédure précédemment énoncée. Étant donné que le soutien familial et la situation financière ne sont pas des facteurs pertinents, le fait que les médecins agréés n'aient pas su que M. et Mme Castro avaient l'intention d'inscrire Lawrence dans une école privée et de payer les autres services dont il a besoin ne pose aucun problème (voir l'arrêt Hilewitz, au paragraphe 90). L'agent des visas, quant à lui, pouvait s'appuyer sur l'évaluation effectuée par les médecins agréés étant donné qu'il n'y avait pas vraiment de contestation à l'égard de la situation de Lawrence.

2. L'agent a-t-il appliqué une norme erronée?


[7]                M. Castro a en outre prétendu que l'agent des visas a appliqué une norme erronée. Il prétend que l'agent a rejeté la demande qu'il a présentée parce qu'il était simplement [TRADUCTION] « possible » , et non [TRADUCTION] « probable » , que Lawrence impose un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Il fonde sa prétention sur l'échange intervenu entre son avocat et l'agent lors du contre-interrogatoire sur l'affidavit de l'agent. L'avocat interrogeait l'agent à l'égard de la pertinence de savoir qu'un demandeur a l'intention d'inscrire un enfant dans une école privée :

[TRADUCTION]

Q :        N'avez-vous pas l'obligation de procéder à une évaluation de la probabilité qu'ils le fassent?

R :         Oui, c'est ce que je fais, mais il y a toujours une possibilité qu'ils utilisent également d'autres services.

Q :        Oui? Croyez-vous que la norme d'évaluation soit la possibilité plutôt que la probabilité?

R :         Malheureusement, je dois prendre une décision conformément aux renseignements dont je dispose.

[Non souligné dans l'original.]


[8]                Dans ce contexte, il ne m'apparaît pas clairement que l'agent faisait valoir que la norme de preuve globale dans les cas de non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical est simplement la « possibilité » plutôt que la « probabilité » . La disposition pertinente prévoit qu'une personne est non admissible pour des raisons d'ordre médical lorsque son admission « entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » (sous-alinéa 19(1)a)(ii)). Comme M. le juge Evans l'a mentionné dans l'arrêt Hilewitz, il existe en fait deux normes de preuve. La première, qui s'appuie sur le mot « entraînerait » , est la prépondérance des probabilités. La deuxième, décrite par les mots « risquerait d'entraîner » , est une norme moins exigeante. Le juge Evans a déclaré ce qui suit :

L'expression « risquerait d'entraîner » fait référence à une norme légèrement moins exigeante qui serait respectée lorsqu'une personne raisonnable pourrait penser que l'admission entraînerait un fardeau excessif. La personne raisonnable en question ne doit toutefois pas s'attendre à ce que quelque chose se produise pour la simple raison qu'il est possible qu'elle se produise [...]. [Au paragraphe 66.]

[9]                Il ne serait par conséquent pas tout à fait précis de décrire la norme moins exigeante comme une norme d'une « possibilité » parce qu'on omettrait alors l'élément du caractère raisonnable de la norme. Toutefois, dans le contexte de l'échange précédemment mentionné, je ne reprocherais pas à l'agent d'avoir utilisé le mot [TRADUCTION] « possibilité » . Je pense que l'agent ne décrivait aucunement la norme prévue par la loi. En outre, je ne peux trouver aucune indication montrant que l'agent n'a pas utilisé la norme appropriée lorsqu'il a rejeté la demande présentée par M. Castro.

II. La décision

[10]            Pour les motifs précédemment énoncés, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.


[11]            Le demandeur dans l'arrêt Hilewitz a sollicité l'autorisation de la Cour suprême du Canada pour interjeter appel de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale. L'avocat du demandeur, M. Cecil Rotenberg, c.r., a demandé que je ne rende pas de décision dans la présente affaire tant que la Cour suprême du Canada n'aura pas tranché Hilewitz, en tenant pour acquis que l'autorisation d'interjeter appel sera accordée. Il a en outre proposé aux fins de la certification des questions de portée générale. Compte tenu de ces événements, et afin de conserver tous les recours dont pourrait disposer M. Castro dans l'éventualité où la Cour suprême du Canada trancherait d'une façon lui étant favorable les questions précédemment mentionnées, je certifierai la question de portée générale suivante, même si la Cour d'appel fédérale y a déjà répondu :

La situation financière et le soutien familial d'un demandeur sont-ils des facteurs pertinents lorsqu'il s'agit de décider si son admission au Canada entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux?

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          La question suivante est certifiée :

La situation financière et le soutien familial d'un demandeur sont-ils des facteurs pertinents lorsqu'il s'agit de décider si son admission au Canada entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux?

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _              

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.



Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2

Personnes non admissibles

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

                                             [...]

ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2

Inadmissible persons

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

...

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4006-01

INTITULÉ :                                       ROLANDO CASTRO c. LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 25 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Cecil Rotenberg, c.r.                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil Rotenberg, c.r.

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR


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